Collection DIBICA Classique

Tous les articles créés ou soumis au cours des vingt premières années du projet, de 1995 à 2015.

Mvodji, Gabriel

1928-1993
Eglise Évangélique Luthérienne du Cameroun
Cameroun

Mvodji Gabriel est le pasteur Dii (Dourou) dont l’influence aura surpassé le cadre de son peuple et dont l’apostolat s’est effectué chez beaucoup d’autres peuples que le sien. Il est de la génération des autochtones de l’Adamaoua nés après l’arrivée des premiers missionnaires norvégiens à Ngaoundéré en 1925. Il a été éduqué sous les missionnaires et de ce fait, il a embrassé très tôt la foi chrétienne dont il a confessé Jésus-Christ comme son Sauveur personnel. Sa rencontre avec Jesus-Christ a fait de lui un des très grands témoins de la grâce de Dieu dans sa vie et son ouvre.

Enfance

Mvodji est né en 1928 à Wack, à cinquante kilomètres de Ngaoundéré au pied de la falaise sur la route Ngaoundéré-Garoua. Sa naissance se situe juste trois ans après l’arrivée des premiers missionnaires norvégiens dans la région. Il est de la tribu Dii–appelée autrefois Dourou–peuplant les départements actuels de la Vina et du Mayo-Rey dans les provinces de l’Adamaoua et du Nord. Ce peuple est à cheval entre les hauts plateaux de l’Adamaoua et la plaine qui s’étire du piémont de la falaise jusqu’au lac Tchad à une altitude moyenne de 200 mètres au dessus du niveau de la mer. Très tôt les missionnaires norvégiens s’installèrent à Mbe, la bourgade la plus importante au centre du territoire à évangéliser. Là les habitants étaient moins islamisés, mais subissaient des pressions du lamido [1] peul de Ngaoundéré.

Mvodji est né dans une famille pratiquant les rituels complètement africains du Gbasi et du Gueu. Les jeunes de dix à treize ans subissaient ensemble la circoncision et c’est à ce moment que l’enfant est initié à la vie d’adulte envisagée dans un futur proche. Lors de cette initiation l’enfant apprenait à se défendre, à chasser et à pêcher, à vivre en société et surtout comment se comporter envers les femmes. C’est aussi à ce moment que les jeunes apprennent le secret de la métallurgie car les Dii excellaient au travail du fer. Ce sont de grands forgerons et pourvoyeurs d’armes et de matériels agricoles à leurs cousins Gbaya du sud. Ils adoraient Tayée, le Dieu créateur, en déposant des offrandes pour lui sur l’autel Gba. Gba-si était l’autel du dieu territorial de la famille. Beaucoup d’autres esprits territoriaux, différents selons la localité ou les saisons, se disputaient l’attachement du peuple. À cette époque aussi, le lamido Baba Rey et les lamibe peuls de Ngaoundéré faisaient des incursions parmi la population pour imposer leur suzeraineté ou des razzia d’esclaves mais sans se sédentariser au milieu du ce peuple.

C’est de ce contexte que Mvodji a entendu l’appel évangélique des aînés qui avaient déjà confessé leur foi en Jésus-Christ comme leur Sauveur et Seigneur. Mais les enfants de sa génération ont écouté l’évangile non seulement dans des prédications publiques mais aussi à l’école. En grandissant, Mvodji a vu le rayonnement de l’évangile autour de lui par la Parole de Dieu et les ouvres que les missionnaires faisaient pour le bien-être de la population : l’enseignement, les soins aux malades, les dons en nature–et plus–la libération des esclaves de leurs maîtres peuls. Ainsi pendant qu’il est élève à l’école de la mission, il accepte Jésus-Christ et sa lumière illumine toute sa vie tout en l’orientant vers le service de Dieu pour le salut de son prochain. De son terroir, il va donc commencer à témoigner sa foi de village en village et par la suite de ville en ville et de tribu en tribu. La proclamation de l’amour de Dieu sera dès lors liée à sa personne jusqu’à sa mort.

Mvodji a fréquenté les écoles de Wack, puis de Mbe-Ngaouyanga, d’où il est allé faire le cours moyen un (CM 1) à Ngaoundéré. Il parlait son dii maternel, le mboum, et le foufoulde. Ces deux autres langues, en plus du français, lui permettaient de faire le ministère partout dans l’Adamaoua et même en dehors. Sa rencontre avec Jésus-Christ a renforcé sa moralité et a bâti en lui des dons de service et de leadership. Il était très ouvert aux gens, accueillant, hospitalier, humble, sympathique, prêt à servir–et quelqu’un qui savait rassembler les gens. Il avait développé le don de l’évangélisme. Il était honnête et intègre dans sa conduite et un grand travailleur. Après qu’il quitta son Wack natal en 1950–où il n’a pas construit de maison–il n’est jamais revenu pour un long séjour. Son retour définitif accompagné de ses frères, sours et enfants dans la foi s’est faite en avril 1993 quand il était en cercueil, prêt pour l’enterrement.

Evangéliste et prédicateur de la Bonne Nouvelle

A 21 ans Mvodji, devenu Gabriel par son baptême, accepte de servir en suivant la formation à l’École Biblique de Ngaouyanga de 1949 à 1950. Il devient moniteur-catéchiste à Ngaoundéré de 1950 à 1954. C’est à cette période que l’église de Ngaoundéré s’accroît au point de nécessiter une autre communauté en ville. Ayant acquis la confiance des missionnaires de l’époque, Mvodji est envoyé à Baussi, un village dii du plateau, pour commencer l’église entre 1954 et 1955. A cause de sa fidélité et de ses talents on l’envoie dans la plaine Peere à Gadjiwan (Tignere) dans le département du Faro et Deo pour y seconder les missionnaires. Il y restera de 1955 à 1960. Son zèle dans le ministère, sa fidélité dans la foi et sa clarté d’expression de la personne de Jésus-Christ et son ouvre font que les missionnaires et les responsables de l’Eglise Evangélique Luthérienne du Cameroun (EELC), toute naissante en 1960, le recommandent pour une formation au ministère pastoral. Il entre en classe préparatoire de l’école de théologie à Ngaoundéré de 1960 à 1961. Puis de 1962 à 1966, il étudie à l’école de théologie de Meiganga. Il est de la deuxième promotion de cette école. Il y a bien étudié avec sa femme.

Après sa sortie de l’école de théologie, il est envoyé à Banyo à plus de 400 kilomètres au sud-ouest de Ngaoundéré, dans un des chefs lieux de lamidat (chefferie) typiquement musulman où la mission s’était installée moins de vingt ans auparavant. Banyo avait déjà plus de cent ans de présence islamique. Travaillant de pair avec un couple missionnaire, Mvodji Gabriel allait dans les villages environnants et dans la population indigène, les Voute et les Wawa, qui sont restés très fermés à l’évangile jusqu’à ce jour. Mais il a développé un bon rapport avec ces musulmans et avec les Peuls et Haussa. Il a concentré ses efforts sur les sudistes et les nordistes d’origine chrétienne, ainsi que sur les ressortissants des peuples kwandja et mambila ouverts à l’évangile. Il a recruté plus ses fideles d’entre les Bamoun, limitrophes ainsi que les Bamiléké, tous deux des peuples marchands. Il atteint aussi les fonctionnaires venus du sud–Boulou, Bassa, Douala, Bafia–et les anglophones. La communauté comptait cent membres à son arrivée en 1966 mais quand il est parti en 1975, neuf ans après, la mission avait aidé à construire une église de plus de 600 places. A Banyo, il remplaçait un aîné de sa tribu, le pasteur Bangaoua Pierre, un autre évangéliste exemplaire qui travaillait avec sa femme–évangéliste, elle aussi.

En 1975 il a été élu président de la Région Synodale Sud-ouest de l’époque. Il remplaçait ainsi un missionnaire à ce poste et avait sous sa supervision des missionnaires et des Camerounais. Un grand respect pour sa foi et pour son dynamisme ont joué un rôle dans son élection à une époque où les missionnaires avaient encore la mainmise sur toutes les décisions et les biens en place.

De Banyo donc, il est affecté à Tibati, le centre régional de la mission à 117 kilomètres de Banyo et à 300 kilomètres de Ngaoundéré. Tibati, étant plus hétérogène que Banyo, était plus favorable à la pénétration de l’évangile parmi le peuple Gbaya disséminés en poquets parmi les Peuls, par oppposition aux Mboum et aux Voute qui restent toujours fermés à l’évangile. Il a dirigé l’église de Tibati centre et avait la supervision de plusieurs autres églises locales. Il a travaillé avec assiduité en compagnie de plusieurs missionnaires. L’église centrale s’est accrue et plusieurs églises locales ont été plantées dans d’autres villages. Surtout, il a dû intervenir d’une manière musclée pour implanter l’église dans la ville de Ngaoundal, ville champignon née suite au croisement du chemin de fer et de la route transafricaine (Mombassa-Lagos). Les autorités administratives de l’époque–toutes musulmanes–avaient une politique pro-islamique et ne voulaient pas donner des lots pour les constructions d’église. Mvodji dut beaucoup se battre pour en obtenir un seul lopin de terre pour l’église alors qu’il y avait seize mosquées en ville. Mvodji est reste à Tibati de 1975 à 1986 mais, parce qu’il avait été élu président régional à Ngaoundéré, il a dû quitter cette ville.

De 1986 à 1993, Mvodji Gabriel a été pasteur de l’église de la station missionnaire à Ngaoundéré. Il a servi les fidèles sur place et aussi les églises de la campagne. En plus, il avait à superviser et à nourrir la jeune pépinière de leaders, un travail où il a eu beaucoup de succès. C’était un homme de vision qui aimait l’église, surtout les jeunes qu’il attirait au ministère pastoral en les assurant de son soutien. Il était un exemple de foi et d’amour. Il comprenait les problèmes des catéchistes, évangélistes et pasteurs travaillant sous sa supervision, même les laïcs enseignants, infirmiers et autres. Il a dynamisé les ministères dans son église parmi les jeunes, les femmes, les enfants, les groupes de prières, et les chorales. Il avait l’appel d’être un berger.

L’homme de Dieu en société

Mvodji Gabriel s’est marié très tôt dans sa jeunesse. Sa femme est Mboum–la tribu originaire de Ngaoundéré et du plateau de l’Adamaoua en général. C’est pour évangéliser cette région que les missionnaires américains et norvégiens sont venus au Cameroun. Malheureusement, les autochtones se sont fermés à l’évangile, prétextant qu’ils étaient musulmans. Par conséquent, aujourd’hui dans l’EELC il y a moins de cent familles mboum chrétiennes. On peut louer Dieu qu’à travers ce mariage une Mboum est venue à la lumière de l’évangile. Leur mariage a été béni avec au moins huit enfants dont Djidjiwa, Bébé, et Marie. Bébé est secrétaire au collège et à l’hôpital protestant de l’EELC. Djidjiwa est entraîneur national des lionceaux du Cameroun, l’équipe national de football pour les jeunes. Les autres accomplissent d’autres fonctions variées et sont des pères et des mères de famille.

Mvodji était un bon cultivateur. Il savait se débrouiller lui-même pour vivre et prêcher l’évangile. Ainsi il cultivait des champs d’ignames, de maïs, de manioc, et d’arachides. Sa femme plantait un jardin de feuilles de melon, de gombo et de légumes verts. Elle vendait aussi des boules d’arachides mélangées à de la farine de maïs grillé. Ils ont exercé l’hospitalité à tous les étrangers qui venaient chez eux et restaient en dialogue avec les Peuls musulmans qu’ils aimaient si bien.

Mvodji est tombé malade après avoir célébré un long culte avec plus de 150 baptêmes à Pâques en 1993. Il est mort peu de temps après.

Impact de sa foi dans la société

Au delà de son assurance de salut et de sa fidélité au ministère pastoral, Mvodji a été un catalyseur de vocations pastorales parmi les jeunes de l’EELC. Il n’a pas barré la voie à celui qui voulait entrer au ministère. Plutôt, il a été un facilitateur qui voyait beaucoup de places dans la maison du père–non comme certains pasteurs africains qui empêchent les autres d’entrer parce que le seul fauteuil est celui où ils sont assis et que les successeurs doivent attendre qu’ils quittent la scène. Grâce à la vision de Mvodji de former les jeunes au ministère, l’église grandit rapidement aujourd’hui dans l’Adamaoua. C’est lui qui, en tant que président de la Région Synodale Sud-ouest, recommanda huit candidats en 1976 à l’école de théologie quand les autres criaient que c’était trop. Cette promotion est en train de servir avec merveille. Aucune promotion n’a ete recrutée sans que Mvodji envoie des candidats en formation. Revenu dans la Région Synodale du Centre qui stagnait, il a aussitôt suscité plusieurs vocations. C’était un guide éclairé qui agissait sans tribalisme ni jalousie. Il voulait le bien-être des enfants d’autrui. Ses enfants ne sont pas parmi les chefs de direction de l’EELC, alors qu’il était président régional et deuxième vice-président de l’EELC. Son impact peut facilement se sentir sur une cinquantaine de pasteurs dans l’EELC sans compter les catéchistes, les évangélistes, et les laïcs.

Mvodji est resté une des figures spirituelles et morales de l’EELC. Il n’y a jamais eu d’accusations de malversation financière contre lui ou de rumeurs d’inconduite sexuelle, de pratiques magiques ou d’ivresse. Il n’entrait jamais dans la lutte pour un poste mais il semble qu’il a toujours été appelé à assumer un poste avant de l’accepter. C’était le cas pour ses trois postes de leadership. Quand il recevait sa charge, il l’assumait effectivement. Nous ne pouvons mesurer son impact par le nombre des chrétiens issus de son ministère puisqu’il ouvrait dans des églises déjà établies et parfois avec plusieurs autres collègues.

Mvodji était un homme de paix, de concorde, d’amour, et de pardon. Dieu l’a honoré pendant son enterrement avec une foule de fideles, d’amis, et de membres de sa famille–plus que personne d’autre dans l’EELC. Il repose en paix avec son Seigneur et ses enfants spirituels continuent son ouvre.

Robert Adamou Pindzié


Note de l’auteur :

J’ai croisé Mvodji à Banyo alors que nous composions le CEPE et en classe de 6e. J’étais encore musulman et j’avais treize ans. Il parla de la foi avec moi. Plus tard, étant devenu chrétien, je le retrouvais pasteur et président régional à Tibati alors que j’etais à l’école biblique en formation comme responsables de jeunes. C’est lui qui a soutenu ma demande avec sept autres à l’école de théologie en 1976. Je lui avais rappelé notre entretien de 1970 à Banyo. Il est resté un père pour moi et un mentor.

Un jour venu de Meiganga, il me dit, “Mon enfant, j’ai pitié de toi de te voir tant souffrir sur cette mauvaise route dans les cars de transport. Fais ta demande d’achat de véhicule qui te convient parmi ceux que les missionnaires possèdent. Apporte-la-moi. Je vais exiger qu’on t’en vende une ou qu’on t’en achète car nous devons vous soutenir, vous, nos enfants et vous encourager. Je suis fier de vous voir vous consacrer au service de Dieu. Vous ne devez pas vous sentir complexé envers ceux qui travaillent dans l’administration.”

Je garde de bons contacts avec sa veuve ses enfants. Pasteur Djedou André et sa femme Marthe, un couple étudiant Dii à l’institut de théologie, ont eu un petit garçon en 1994 et ont voulu donner mon nom à l’enfant. J’ai accepté l’offre. Je leur ai dit que je préférais nommer notre patriarche commun Mvodji Gabriel et ils ont accepté. Je reste à méditer les ouvres de cet homme de Dieu.

Notes:

  1. Un lamido est un chef. Le pluriel est lamibe. Terme adopté dans le français camerounais.

Bibliographie

Kare Lode, Appelés à la liberté, Histoire de l’Église Évangélique Luthérienne du Cameroun (Amstelveen : Improcep éditions, 1990).

Erik Larsen, *Kamerun Norsk Misjon Gjonnom 50 Ar *(Stavanger: Nomi Forlag, 1973).

Eldrige Mohammadou, Traditions historiques des peuples du Cameroun central,Vol. 1, Mbere et Mboum Tikar (Japon : ILCAA, 1990).

Mvodji, Gabriel, expérience personnelle de l’auteur entre mars 1970 à Banyo et 1993 à Ngaoundéré.

Les étudiants suivants de l’Institut Luthérien de Théologie de Meiganga, m’ont servi d’informateurs : Hamidou, Yaya (1989-1991), Nana Yadji, Luc (1990-1995), Djédou, André ; Iya, François ; Koulagna, Jean (1992-1997).


Cet article, reçu en 2008, est le produit des recherches du Révérend Robert Adamou Pindzié. Celui-ci est professeur à la Faculté de Théologie Evangélique du Cameroun à Yaoundé et récipiendaire de la bourse du Projet Luc en 2007-2008.