Traoré, Kassilé Abdoulaye
Sa naissance, son enfance, ses difficultés
Traoré Kassilé est né vers 1936. Il est né à Kotoura dans la commune de Kangala dans la province du Kénédougou. Sa mère s’appelait Ndjofon. Ndjofon, c’est la quatrième ou la cinquième fille dans le rang de naissance des enfants chez les Sénoufos. « Fon » veut dire la fille qui est pourrie. Culturellement cela voulait dire qu’elle mourrait et revenait et c’est pour cela qu’on l’appelait Ndjofon. Son père s’appelait Konré. Kassilé était Sénoufo tagba, donc du groupe ethnique tagba, et il parlait le sicité (dialecte de sénoufo) et le dioula. Il comprenait un peu le français mais ne le parlait pas. Comme il a été d’abord musulman, il avait aussi un nom musulman, Abdoulaye. Il a gardé ce nom après sa conversion. Kassilé avait trois frères et deux sœurs.
Kassilé avait trois épouses. La première s’appelait Dissa Tchitilo, dite Sita, qui était de Kangala. La deuxième était Traoré Tétala, dite Karidja, qui était de Kotoura. Elle est décédée tôt, vers 1998. La troisième s’appelait Ouattara Alimata. Elle était de Kotoura également.
Kassilé avait une vingtaine d’enfants. Il prenait aussi soin des enfants de ses frères qui étaient morts jeunes. Ses petits-enfants issus de ses fils étaient à peu près une vingtaine. Quant aux petits-enfants issus de ses filles qui se sont mariées dans le village, ils avoisinaient trente.
Kassilé était maladif pendant son enfance. Il avait même un pied qui était un peu déformé parce qu’il a eu des maladies au pied. Il a souffert pendant son enfance, car sa maman, après le décès de son papa, est allée se remarier ailleurs. Il a vécu avec son oncle à Kangala, et une autre femme l’a élevé. Il n’a pas été à l’école. Le grand frère de Kassilé était dans l’armée. Au retour de son service militaire la famille s’est réunie, car Kassilé et son frère ont fait venir leur maman au village pour être à leurs côtés. Comme métier, Kassilé exerçait la couture.
Les circonstances de sa conversion
Kassilé s’est converti en 2005, vers l’âge de 69 ans. Sa conversion a été un long processus à plusieurs étapes. En effet, il s’était opposé à la foi de son premier fils Mamadou qui avait commencé à prier depuis 1991 pour sa conversion. Mamadou a été affecté à Sindou en 1998. Ayant appris que Mamadou était chrétien, et bien qu’infirmier, qu’il proclamait l’évangile, Kassilé n’était pas d’accord avec sa foi. Mais suite à la prière de son fils, il a fini par lui écrire une lettre pour lui dire qu’il acceptait sa foi. Dans la lettre, Kassilé a dit qu’il ne s’opposerait plus au choix de Mamadou de suivre Jésus. Kassilé a reconnu qu’il avait été lui-même le premier à trahir son père (qui était de la confrérie des chasseurs et un féticheur) en adoptant l’Islam. Logiquement, si son fils abandonnait maintenant l’Islam pour devenir chrétien, il ne pouvait pas s’en prendre à lui. Il lui a donné la liberté de continuer à suivre son Jésus. Mais il lui a fait une forte recommandation qui était de lui rendre visite chaque mois.
Mamoudou a obéi à cette recommandation. À trois reprises, Traoré a été étonné de la façon dont son fils le retrouvait facilement lors de ses visites, au point où il disait à son fils que les chrétiens devaient avoir un secret. Autrement, il ne pouvait pas comprendre comment son fils le retrouvait à ces endroits sans aucune communication préalable. Mais son fils lui répondait toujours que c’était Jésus Christ qui avait organisé ces rencontres.
Kassilé a continué à vivre avec une soif de découvrir qui était Jésus. Par exemple, il aimait avoir des échanges avec les chrétiens de Kotoura, qui aimaient faire des sorties d’évangélisation. Il aimait aussi leurs chants de louanges et d’adoration, et lorsque ces chrétiens lui ont dit que cette louange allait se poursuivre même au ciel, il a gardé cela à l’esprit. À au moins cinq reprises, il a pris la décision d’aller à l’église. Lorsqu’il prenait la route pour aller à l’église, il s’arrêtait à la porte, puis il retournait. Plus tard, il a témoigné que chaque fois qu’il avait pris la décision d’aller se convertir à Jésus, lorsqu’il arrivait à côté de l’église, il y avait quelque chose qui lui disait qu’étant déjà vieux, cela ne valait pas la peine de se mêler à des enfants qui ne faisaient que chanter, jouer des instruments, taper les mains et danser. Et chaque fois, il a rebroussé chemin.
Après ces expériences, la conversion de Kassilé s’est produite chez son fils Mamadou à Sindou. En effet, Mamadou avait rendu visite à Kassilé qui était malade, à Kotoura. Quand il voulait repartir à Sindou, une voix lui a dit intérieurement de ne pas partir sans son père, sinon il ne reviendrait pas le trouver vivant. Comme Mamadou avait eu auparavant une révélation que son papa ne mourrait pas sans connaître le Seigneur, il a pris la chose au sérieux. Kassilé, qui était préparé pour le voyage avec son fils, est parti sans discuter.
Arrivé à Sindou chez son fils, un jour Kassilé a fait un songe. Dans son songe, il était en train de partir à Maon. Arrivé au carrefour Kotoura-Kangala-Maon, il a entendu un gémissement. Il y avait des hommes qui refaisaient le toit d’une maison en paille. En entendant ce gémissement, il s’est demandé ce qui se passait. Dans le songe, il s’est retourné pour aller voir. Quand il est entré dans le vestibule, une case à deux portes, il a vu qu’on avait attaché un jeune homme. À côté de ce jeune homme, il y avait un gros fétiche dans un morceau de canari. Des gens étaient en train de faire le toit, après quoi ils allaient égorger le jeune homme. Dans le songe, il a reproché aux hommes que leur travail de toiture n’était pas bien. Il a poursuivi en leur demandant pourquoi, étant donné qu’il y avait des animaux, ils n’allaient pas sacrifier un animal à la place du jeune homme. À ces mots, deux lépreux sont sortis. Kassilé ne savait pas d’où ils venaient. L’un d’eux a barré une des deux portes du vestibule, et le deuxième, l’autre porte. Les lépreux lui ont dit : « Tous ceux qui passent ici ont vu le jeune homme attaché et n’ont rien dit. Mais comme tu ne peux pas passer sans te taire, c’est toi qui seras égorgé à la place du jeune homme ». Suite à cela Kassilé a commencé à crier et à appeler le nom de Jésus en sénoufo. « Jésus, viens me sauver ! Jésus, viens me sauver ! » Pendant qu’il criait, il a vu un homme descendre dans la maison et s’arrêter entre les lépreux et lui. C’était un homme vêtu de blanc, avec une longue robe très blanche et une belle chevelure, bref, un homme indescriptible. Les lépreux étaient à l’intérieur et l’homme était vers la porte. Cet homme qui est venu au secours de Kassilé lui a dit de sortir. Lorsque Kassilé est sorti, l’homme est resté avec les lépreux. C’est à ce moment-là que Kassilé s’est retrouvé dans son lit. Ensuite il a vu Jésus – qui ressemblait à l’homme qu’il avait l’habitude de voir dans le film Jésus – au chevet de son lit, les bras tendus. Jésus lui a dit, « Regarde. Si je n’étais pas venu, tu serais mort aujourd’hui. Je suis venu te sauver. Regarde mes mains ». Kassilé a vu le sang tomber en grosses gouttes des mains de Jésus. Puis Jésus lui a dit : « Est-ce que tu vas m’accepter maintenant ? » Kassilé a dit « Oui ». Jésus lui a répondu « Ton fils te parle de moi, mais tu n’as jamais accepté. Si je n’étais pas venu, tu serais mort. Même ton petit-fils t’a parlé de moi ». Après avoir vu tout cela dans le rêve il se réveilla et se retrouva dans son lit.
C’est après cela que Kassilé a pris la décision de se convertir. Le pasteur Bado l’a conduit dans la prière. Par la suite, il est reparti converti chez lui à Kotoura.
L’impact de la conversion de Kassilé
De retour à Kotoura, un jour il a envoyé une lettre à son fils pour lui dire de choisir une date avec le pasteur avec qui il s’était converti pour qu’il aille brûler ses fétiches. Les fétiches ont effectivement été détruits, y compris une case de génie qu’il avait. À cette case, un bélier était sacrifié chaque année. Et la case était visiblement sans porte. Cependant il y avait un semblant de porte, mais vraiment condamnée. Elle ressemblait à une pierre, que personne ne pouvait soulever tout seul. Sous cette grosse pierre, il y avait quatorze peaux de béliers sans compter celles qui étaient pourries. En effet, il s’agissait des peaux de béliers qui étaient sacrifiées chaque année à la maison de génie. Toutes ces peaux furent détruites avec la case de génie.
Suite à la destruction de ses fétiches, y compris sa case de génie, les gens du village n’en revenaient pas. Tous étaient étonnés. Connaissant Kassilé, certaines personnes avaient dit qu’il n’allait pas pouvoir tenir ferme dans la foi. D’autres étaient allés plus loin en disant que s’il arrivait à faire une année avec Jésus Christ, tout le monde allait se convertir à Kotoura. Par la grâce de Dieu, Kassilé a vécu douze ans avec le Seigneur.
La consécration de Kassilé après sa conversion s’est révélée être authentique. En fait, avant sa conversion, Kassilé tenait particulièrement à sa chemise de guerre pare-balle. Il avait d’ailleurs exigé que, selon les coutumes, son fils Mamadou porte cette chemise le jour de la mort de son père, pour exprimer qu’il était son digne fils. Il l’a même menacé en disant que Mamoudou pouvait être chrétien, mais si, le jour de la mort de Kassilé, il ne portait pas ce vêtement, il verrait son père vivant ! Mais quand Kassilé s’est converti, il s’est débarrassé de cette chemise. Cela a eu un impact sur un autre de ses fils, du nom de Tiéba, qui, voulant se procurer cet habit, l’a retrouvé dans un puits, gâté et rongé par les termites. Cela a été pour lui le signe que son papa s’était véritablement converti.
La conversion sincère de Kassilé a poussé certains membres de sa famille à suivre Jésus. Ses deux épouses qui étaient encore vivantes, Sita et Alimata, se sont converties. Dans sa famille, un homme qui s’appelle Brama s’est également converti.
Kassilé témoignait aussi de sa foi autour de lui. Par exemple, il a donné une Bible en dioula à un ancien de l’église de Kotoura, pour qu’il la remette, le jour de la mort de Kassilé, à un de ses enfants. Il voulait que ce geste serve de témoignage à ce jeune, et qu’il comprenne que Kassilé son père l’encourageait à tout suivre dans ce livre pour qu’il se convertisse à Jésus-Christ.
Pendant toute sa vie chrétienne, Kassilé a participé activement à la vie de l’église en payant régulièrement sa dîme. Il faisait aussi des dons et des largesses. Il a eu à donner un bœuf de façon vraiment désintéressée à l’église à peu près quatre fois. En le faisant, il était béni davantage par le Seigneur.
Le témoignage de Kassilé a été un encouragement pour beaucoup de personnes, qui étaient impressionnés de voir quelqu’un qui accepte de croire malgré l’âge avancé. Sauf en cas de maladie, Kassilé n’a jamais raté un culte de dimanche à Kotoura. Les membres de l’église se disaient que si quelqu’un comme lui, malgré son âge, pouvait aller jusqu’à se lever et danser dans l’église, cela montrait qu’il y avait quelque chose d’important dans l’Évangile. Ils en ont tiré la leçon qu’on doit prendre l’affaire de Dieu de tout son cœur. Que l’on soit enfant, jeune ou vieux, c’est une affaire qui concerne tout le monde.
De la même façon, beaucoup de gens pensaient que la foi chrétienne était une affaire pour les pauvres seulement. Mais Kassilé a laissé un impact notable, car tous savaient qu’il était nanti. Avant sa mort, il avait près de trois enclos de bœufs qu’il faisait paître par d’autres dans les champs entre Sokouraba et Moussodougou. Sa vie a démontré que ce n’est pas la misère qui conduit à Christ. Au contraire, lorsque Dieu appelle, on vient à lui à partir de la position dans laquelle on est. Les gens croyaient aussi que les blancs donnaient de l’argent ou un salaire à ceux qui arrivaient à faire convertir une personne. Même ses propres fils disaient que les chrétiens avaient trompé leur papa pour le faire entrer dans la foi chrétienne, afin d’avoir le prix de sa conversion. Mais le témoignage de Kassilé a fait comprendre aux gens que ce n’était pas la misère qui l’avait conduit au Seigneur. Certes il était misérable au début, mais avant sa mort ceux qui s’étaient endettés auprès de lui étaient nombreux.
Kassilé n’a pas fondé d’église, mais il est resté dans l’église de Kotoura jusqu’à sa mort. Une fois par année, il partait rendre visite au pasteur Bado de l’église de Sindou avec lequel il s’était converti.
La mort de Kassilé
Avant la conversion de Kassilé, un marabout prédicateur de l’avenir lui avait dit qu’il allait mourir à quatre-vingts ans. Lorsque son fils Mamadou a entendu cette histoire après la conversion de son père, il lui a rassuré qu’il n’était plus esclave de cette science. Mamadou a prié, « Maintenant qu’il est en Christ, Seigneur, qu’il ne meurt pas à quatre-vingts ans. Même si c’est un an de plus, que tu lui donnes cela. » En 2017, Mamadou a entendu le Seigneur lui dire, « Comme tu m’as demandé d’allonger sa vie, je t’ai répondu. Mais cette fois-ci c’est sa dernière Pâques. Il n’y aura plus une Pâques à laquelle il va fêter. Si tu veux, va au village et rassemble la famille pour leur dire cela. » Mamadou n’a pas fait ce rassemblement, car il ne savait pas comment il allait supporter cette nouvelle, ni comment ses petits frères allaient la supporter. Mais il avait la conviction que Kassilé n’allait pas terminer l’année 2017.
Kassilé est tombé malade. Après avoir eu des soins à Kotoura, Sindou, et enfin à Bobo-Dioulasso, il n’arrivait plus à supporter la maladie. C’est ainsi que Kassilé a rendu son dernier souffle le 19 octobre 2017 à l’hôpital de Bobo-Dioulasso. C’était une sorte de victoire, parce qu’il est mort à l’âge de quatre-vingt-et-un ans, dépassant la prédiction du marabout. Son enterrement a eu lieu le 20 octobre 2017 à Kotoura en toute dignité et honneur.
Traoré Kari
Sources :
Traoré Mamadou, infirmier à la retraite, premier fils de Kassilé, interviewé par Traoré Kari le 17 décembre 2021 à Sindou, province de la Léraba, au Burkina Faso. Mamadou est en train de rassembler tous les évènements de la vie de Kassilé afin d’écrire un livre concernant sa vie chrétienne, mais l’écrit n’est pas encore fait ni publié.
Traoré Seydou, ancien de l’église de Kotoura, ami et beau-frère de Kassilé, interviewé par Traoré Kari le 18 décembre 2021 à Kotoura, province du Kénédougou, au Burkina Faso.
Traoré Daouda, pasteur de l’église de Kotoura, interviewé par Traoré Kari le 18 décembre 2021 à Kotoura, province du Kénédougou, au Burkina Faso.
Discussions de l’auteur avec Kassilé de son vivant.
Cet article, reçu en 2022, est le produit des recherches de Traoré Kari, pasteur de l’église évangélique mennonite de Saraba, étudiant en Master à l’Université chrétienne LOGOS de Ouagadougou au Burkina Faso, sous la direction de la Dre Anicka Fast.
Galérie de photos
Traoré Kassilé avant sa conversion, en 1996, portant sa chemise pare-balles. Photo prise à Kotoura lors de la cérémonie de sa consécration à la confrérie des donzos.