Collection DIBICA Classique
Tous les articles créés ou soumis au cours des vingt premières années du projet, de 1995 à 2015.Kayoya, Michel (B)
Né à Kibumbu, le 8 décembre 1934. De 1948 à 1955, il suivit les cours au Petit Séminaire de Mugera. Après les études de philosophie au Grand Séminaire de Burasira, il fit la théologie à Everlee (Belgique), de 1958 à 1962, au Scolasticat des Missionnaires d’Afrique.
Il fut ordonné prêtre le 8 juillet 1963, pour le diocèse de Gitega.
Il était Consulteur diocésain et membre de la Commission épiscopale pour les Sémi-naires. En 1963-1964, il était vicaire à la paroisse de Rusengo, au diocèse de Gitega, avant la création du diocèse de Muyinga auquel il fut ensuite rattaché. Il fut aussi aumônier de l’École de Formation des Enseignants, à Rusengo, où il créa un petit Centre culturel pour la formation de futurs responsables.
Il se remit aux études, en suivant à Lille (France) des cours à l’École Missionnaire pour l’Action Catholique et l’Action Sociale (EMACAS). De retour au Burundi, il fut chargé des Mouvements d’Action catholique et des Coopératives. Recteur du Séminaire de Mugera en 1967, il fut nommé économe du diocèse de Muyinga.
Se trouvant en désaccord avec l’Évêque au sujet de la désastreuse situation financière du diocèse, il retourna alors dans son diocèse d’origine.
D’un esprit vif et sans repos, l’abbé Kayoya cherchait des solutions chrétiennes aux sérieux problèmes qui assaillaient le Pays. Une recherche qui transparaît surtout dans deux de ses livres.[1]
Voici, ci-dessous, un de ses poèmes parmi les plus connus:
Oui, mes amis
Oui, mes enfants
Nous sommes sacrifiés
Fruits d’une rencontre de cultures
Génération de transition
Rejetons méconnus par le passé
Boutons encore sans nom
D’une civilisation naissante.
Vous ne pouviez le comprendre mon livre,
C’est un cri,
Le cri ne porte au-dehors que son écho affaibli.
Mon cri était forcément incomplet
En moi, il est foudre
En moi, il est tonnerre.
Ce que vous avez lu, mes amis,
N’était que l’écho
L’écho affaibli en son expression
En son verbe étranger,
Mots de France à peine assimilés![2]
Dans sa poésie, l’abbé Michel s’en prend à une «foi » qui ne s’épanouit pas en fraternité et solidarité; une foi qui ne change rien aux préjugés raciaux et tribaux; une religiosité qui n’arrive pas à abattre les murs de division et de peurs réciproques, de méfiance et de haine.
Après une colonisation
Allions-nous en subir une autre?
Une autre plus terrible
La colonisation par les bassesses
Que chaque jour incarne la paresse et l’orgueil
Poids qui pèsent sur le cœur de l’homme
Et l’empêchent de grandir
La lutte de libération se change en une lutte des frères qui s’entre-déchirent.
Quand j’entendais prôner une marche vers l’unité
J’en éprouvais une réelle joie
Un même peuple
Un cœur
Une humanité
C’est beau quand l’homme y prête attention
et s’y soumet
C’est beau de voir tout ce qui rapproche les hommes…
Où est l’homme qui doit se savoir petit et grand?
Où est l’homme qui devient plus homme
en prenant à son compte le respect?
Où est l’homme qui s’approche de l’infini
en regardant d’un regard humain tout semblable qu’il approche?…
Je vois la religiose
Je vois la charité superficielle
Je vois la charité à moitié
Je vois la charité-aumône
Une charité qui a peur
D’attaquer de front
les causes réelles du sous-développement.
J’appelle religiose ta religion, Simon,
Ta religion du dimanche
Ta religion du signe de croix
Ta religion d’homme de 7 ans…
Le reste de la semaine
Ferment vieilli
Moteur grinçant
Sans huile renouvelée.[3]
Un témoin raconte: “Il était en train de travailler à son troisième livre. C’était une phrase courante de dire entre nous que les cerveaux de tous les ministres, évêques et prêtres du Burundi mis ensemble ne valaient pas le cerveau de Kayoya. Ses mots étaient comme un couteau tranchant dans les abus que nous avions à vivre tous les jours. «Nous vivons dans une mentalité d’anti-développement. L’esprit féodal est encore plus fort maintenant qu’avant les années de 1885”, disait-il.[4]
Le diocèse de Muyinga, en plus d’être le plus jeune diocèse, était aussi le plus pauvre. Il y était allé par choix … et pour écrire.
Le premier de ses problèmes commença avec le nouvel évêque, Mgr Nestor Bihonda, qui semblait avoir un complexe vis-à-vis de ses propres racines: son père était hutu et sa mère, tutsi; il fut, plus tard, écarté de la charge épiscopale. L’abbé Kayoya se rendit immédiatement compte de cette difficulté et fit son possible pour améliorer les relations entre l’Évêque et ses prêtres.
Il avait un grand cœur animé par une foi simple et intelligente: il aimait la vie des petites gens. C’est pourquoi il avait créé une petite Congrégation de filles burundaises qui allaient se dévouer au service des pauvres. A ses yeux, les religieuses venues d’Europe, bien qu’elles étaient édifiantes et charitables, ne pourraient jamais être ‘Barundi’ avec les Barundi.
L’abbé Kayoya voyait juste. Les jeunes filles qui vivaient ensemble dans quelques modestes locaux en tout semblables, à l’intérieur comme à l’extérieur, aux constructions en terre et en chaume faites par les gens, les jeunes filles donc pourraient vraiment être les Sœurs des plus pauvres et des abandonnés. Ce groupe de jeunes filles vivait tout près de la Paroisse de Kanyinya. Elles gardaient avec elles, ‘comme des mères’, de jeunes orphelins; elles cultivaient la terre et donnaient une partie de leur récolte à des familles dans la misère. Elles vivaient et se contentaient aussi de peu pour s’habiller. Elles rencontraient les gens comme elles l’avaient toujours fait quand elles étaient chez elles, sur la route, à la bananeraie, à la maison.
Cette nouvelle Congrégation était certainement l’un de ses beaux rêves. L’abbé Kayoya était habitué à beaucoup souffrir, et parfois, il fermait les yeux et levait la tête vers ciel; il souffrait non seulement pour son pays, mais aussi pour l’Église du Burundi qu’il aurait voulu bien différente… c’est-à-dire beaucoup plus simple, plus vraie, plus près des gens, engagée dans le dépassement des problèmes inter-ethniques.
Il fut arrêté durant la nuit du 13 mai, à Gitega. Selon les témoins, il a été toujours calme et serein pendant son séjour en prison. Il encourageait les autres prisonniers à prier et à chanter. Un étudiant protestant, qui échappa de la prison le jour du massacre, a raconté: “Lorsque l’abbé Kayoya arriva à la prison, il parvint à nous faire chanter. «Nous allons à la maison de notre Père», avait-il l’habitude de nous dire. Avant son exécution, le 17 mai, il donna son étole à un soldat en lui disant: “Remets ceci à l’Évêque parce que c’est sacré”.
Il fut conduit au pont de la rivière Ruvubu, tout en bas de la colline de Mugera. Là, des bulldozers avaient creusé huit tranchées pour 7000 personnes.[5]
Un témoin nous a affirmé: “Avant l’exécution, l’abbé Kayoya chanta le Magnificat et dit des paroles de pardon à l’égard de ceux qui allaient le tuer. Les soldats qui le fusillèrent, pleuraient”.
P. Neno Contran et Abbé Gilbert Kadjemenje
Introduction historique:
1972
Le Burundi est devenu indépendant le 1er juillet 1962. Au cours des années suivantes, cinq gouvernements se succédèrent. Une tentative de coup d’État, en octobre 1965, se solda par un échec et fut suivie par une purge des hutu servant dans l’armée et dans l’administration. En juillet 1966, le capitaine Michel Micombero créa un gouvernement de salut public. Pendant 10 ans, il réagit avec détermination et cruauté à tous les complots, vrais ou présumés et d’habitude attribués aux hutu.
Terribles furent, en particulier, les mesures répressives adoptées lors de l’insurrection éclatée le 29 avril 1972. Le 8 mai, le gouvernement annonça à la radio que la rébellion était sous contrôle. Toutefois, pendant des mois, la chasse aux rebelles, à leurs familles et amis, continua. Des étudiants, des professeurs, des catéchistes, et même des tutsi sympathisants avec les hutu disparurent. La radio annonça triomphalement qu’ils avaient été balayés au nom de la sécurité d’État.
Beaucoup a été écrit sur ce massacre. Dans le Dossier Burundi publié par le Secrétariat permanent du Clergé, on dit que la répression fut brutale.[6] Bien des gens moururent sans savoir pour quelle raison. La Délégation spéciale envoyée à Bujumbura par l’ONU déclara dans son rapport que «la tragédie humaine vécue par le Burundi était difficile à évaluer en chiffres. Selon le Gouvernement Burundais, les morts avaient été 80.000”.[7] D’autres sources parlèrent de plus de 100.000.
Des semaines de terreurs. La radio répéta souvent des appels à la population pour qu’elle aide les militaires à enterrer les morts, trop nombreux. «Chaque nuit, dans le Quartier résidentiel, on peut entendre les cris de ceux qui sont torturés. Chaque soir, parfois avant même le couvre-feu, on peut voir des camions pleins de corps que les militaires ne prennent plus la peine de couvrir. En moyenne, une demi-douzaine de camions pleins de cadavres passent chaque jour. On les décharge sur la route de Cibitoke, au nord de Bujumbura».[8]
Dans une Lettre Pastorale [9], les évêques écrivirent: “Pour la première fois dans l’histoire du Burundi, une guerre civile de nature ethnique a atteint des proportions si grandes que le pays tout entier a été noyé dans le sang. Nous pouvons l’affirmer sans crainte d’exagérer: tous les Burundais ont perdu quelques membres de leurs familles”.[10]
Une tragédie qui demeure inexplicable sous beaucoup d’aspects. «Ce ne fut pas une guerre civile au sens strict du mot, écrit un autre témoin. De fait, ce ne fut qu’un petit groupe d’extrémistes qui voulaient anéantir un peuple résigné, qui s’est laissé tuer avec un fatalisme incroyable. Intellectuels et paysans, sans distinction, se laissaient prendre et tuer comme des moutons, sans réagir». «C’est probablement la seule atrocité dans l’histoire africaine récente qu’on pourrait appeler, sans exagérer, génocide».[11]
Sauf Francois Xavier Muteragiranwa, tous les abbés dont on parle dans ces pages appartenaient à l’ethnie hutu. Certains d’entre eux représentaient l’espoir de leurs diocèses et de l’Eglise du Burundi. Que leurs noms vivent dans les mémoires, avec ceux de tous les Religieux, des chrétiens et des milliers de gens disparus dans les fosses communes. Parmi eux, environ 2100 enseignants et catéchistes, 60 étudiants universitaires, 650 étudiants de niveau secondaire…[12]
Notes:
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Entre deux mondes (1970) et Sur les traces de mon père (1971). Presses Lavigerie, Bujumbura.
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Entre deux mondes, passim.
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Sur les traces de mon père, passim.
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MIRROR, “Aid to the Church in need”, Janvier 1973.
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MIRROR, ibid.
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Bujumbura, déc.1972, p. 1 et 10.
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28.07.1972.
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Témoignage Chrétien, 8.6.1972.
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Janvier 1973.
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Rapport privé, 1975, p.3.
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Adrian Hastings, History of the African Christianity 1950-1975. New York 1979.
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MIRROR, “Aid to the Church in need”, Janvier 1973.
Cet article est reproduit de Cibles: 235 prêtres africains tués (copyright © 2002), avec la permission des éditeurs et de P. Neno Contran et de l’Abbé Gilbert Kadjemenje (Afriquespoir, B.P. 724 Limete - Kinshasa, RDC). Tous droits réservés.