Collection DIBICA Classique
Tous les articles créés ou soumis au cours des vingt premières années du projet, de 1995 à 2015.Mengwelune, Lydie
De tous les chrétiens issus de l’oeuvre de la Mission de Bâle en pays bamoun (1906-1915) pendant la colonisation allemande et de la Société des Missions Evangéliques de Paris (1917-1957) sous administration française, Mengwelune Lydie a retenu l’attention de plus d’un auteur chrétien. Plus qu’aucun autre fidèle de ce même terroir, sa vie et sa conversion à la foi chrétienne ont été illuminées par les écrits de quelques missionnaires. Bien que l’église à l’époque regorgeait de croyants très respectables–anciens, catéchistes, évangélistes, et pasteurs–aucun n’a eu son histoire racontée dans des livres et des articles de journaux avec des photos meublant les cahiers et éditées en carte postales circulant tant au Cameroun qu’en Europe. Figure emblématique de cette époque où la voix des femmes était ignorée, elle jaillit du fond des ténèbres comme une étincelle qui embrase de sa lumière la cour du roi Njoya à Foumban, la noblesse bamoun chez Nji Wamben, puis sillonnant les pistes des quartiers de la ville et des bourgades environnantes comme évangéliste de renom qui annonçe la Bonne Nouvelle de l’amour de Dieu en Jésus-Christ. Qui était cette femme ?
Enfance
Mengwelune était la fille de Nji Mofen et de Mandu [2] née au quartier Njiyouom à Foumban. Son père était un noble exerçant les fonctions de chef des serviteurs de No Pemboura, sour de Ngungure, la mère du roi Nsangou, qui était père du roi Njoya. Mandu était cousine du roi Njoya dans sa lignée paternelle. Le nom Mengwelune, qui est composé de deux mots–Mengwen qui signifie “j’allais” et lutne qui signifie “me réjouir”–a foncièrement marqué le caractère de sa personne, comme c’est le cas avec la plupart des noms, mais d’abord négativement dans sa vie de sensualité livrée au roi, puis positivement dans sa pérégrination dans la foi chrétienne. Mengwelune était la deuxième fille de dix-sept enfants dont sa mère accoucha et dont un seul fut un garçon. Ce dernier était l’espoir de Nji Mofen pour le succéder après sa mort. Mengwelune passa une enfance paisible, très choyée par ses parents plus que tous les autres enfants.
Jeunesse
Mengwelune était fort belle. Malgré son jeune âge et selon la coutume à l’époque, elle fut donnée comme fiancée à Bankumbu, le chef de guerre du roi Njoya. N’ayant pas atteint l’âge requis du mariage, on lui permit, selon les pratiques en vigueur, de regagner le harem de son fiancé pour y passer du temps. Son fiancé qui allait en campagne de guerre contre le premier ministre rebelle Gbetkom-Ndombue au front à Manga, l’emmena avec lui. Cette guerre dura deux ans et ne put s’arrêter que grâce à l’aide de la cavalerie peule du lamido [3] de Banyo qui permit au roi de Njoya de vaincre le rebelle et d’instaurer la paix.
Mais sur son chemin de retour, au lieu de regagner Foumban, la capitale, pour continuer à assumer ses fonctions auprès du roi, Bankumbu, qui nourrissait une désaffection pour le roi, décida de se retirer dans son village d’origine à Mfowuon et demanda à Mengwelune de l’y accompagner. Elle refusa, prétextant que ce voyage était très pénible. Bankumbu s’en alla et séjourna pendant un certain temps chez lui, ne répondant pas aux multiples appels du roi de venir à Foumban, la capitale. Lorsqu’il prit la route et y revint finalement, il s’installa paisiblement chez lui. Mais le roi avait découvert qu’il était du groupe de ceux qui complotaient contre lui. Il fit tuer Bankumbu qui avait été son général d’armée et qui l’avait protégé pendant longtemps contre diverses attaques. Dans sa colère le roi ne tua pas seulement son général, mais fit aussi exécuter la mère et le frère de Bankumbu ce même jour. La ville de Foumban toute entière fut émue par ce carnage.
La jeune Mengwelune ne s’était pas remise des angoisses et des douleurs de sa séparation brutale avec son fiancé, quand une autre tragédie plus violente frappa toute sa famille. Son père Nji Mofen fut accusé d’avoir tué son voisin par le devin qui consultait la mygale et révélait les secrets en pays bamoun en ce temps-là. Instruit de l’affaire, le roi prononça sa pendaison immédiate comme verdict, sans aucun appel selon la législation en vigueur. Comme conséquence de ce jugement, désormais Mandu, sa fille Mengwelune, son fils unique, les autres enfants et ses coépouses étaient sous ban et pouvaient être vendus ou distribués à des particuliers selon le gré du roi. Mais No Njapdunke, la reine-mère du roi Njoya, intervint pour Mandu afin qu’elle, ses enfants, et les biens de Nji Mofen ne souffrent aucun dommage, vu sa relation parentale avec le roi. Elle fit succéder le garçon à son père pour perpétuer son souvenir. Pour consoler Mandu, No Njapdunke lui demandait de venir souvent causer avec elle, malgré tout ce qui s’était passé avec son mari. Le roi regrettait sa précipitation dans le jugement car il aurait dû intervenir, mais devant le devoir il avait agi selon le droit. Mandu n’était-elle pas parent du roi Njoya ? Elle devait regarder au futur et oublier le passé. No Njapdunke prit soin de soutenir matériellement Mandu et ses enfants. Mengwelune était l’enfant qui accompagnait sa mère au palais pour ses randonnées. Vu sa beauté et son intelligence, No Njapdunke demanda si elle pouvait la garder pour l’éduquer comme un don de consolation à sa mère. Mandu accepta avec gratitude.
La danseuse du roi
Au palais Mengwelune bénéficiait des soins de No Njapdunke. Elle était comblée de cadeaux de toutes sortes : habits, chaussures, parures, huiles de beauté, et traitement à régime spécial puisque elle était sous la protection de la reine-mère. Rien ne lui manquait. Elle était très serviable, courtoise, et intelligente. Sa beauté était un des sujets de causeries dans les différents coins du palais tant parmi les épouses du roi, les serviteurs, et le commun du peuple qui y venait pour leurs affaires. Tous étaient frappés par la fraîcheur d’une si belle créature. A qui appartiendrait-elle ? Qui oserait affronter No Njapdunke pour la demander ? Oui ! Les regards ambitieux des jeunes et des nobles se heurtaient à la présence de la reine-mère qui était plus à craindre que son fils le roi. Mais, innocente, Mengwelune continuait à jeter sa splendeur sur les gens comme la lune avec sa clarté luisante dans un beau ciel étoilé.
Le roi, qui rendait visite chaque jour à sa mère Njapdunke aperçut cette créature d’une beauté inouïe et commença à l’aimer malgré l’interdiction d’un tel acte dans le contexte de liens familiaux. Le roi ne pouvait l’épouser malgré sa primauté sur les institutions du peuple bamoun car il serait accusé d’inceste. Il ne put aussi résister à l’intensité séduisante de la beauté et de l’intelligence de Mengwelune. C’est ainsi que sa mère Njapdunke lui conseille de disposer d’elle comme d’une concubine. Tous les hommes n’en ont-ils pas ? Qui condamnerait le roi ?
Mengwelune devint ainsi l’amie du roi au détriment de ses épouses. Celles parmi ces dernières qui étaient ses amies commencèrent à la détester. Mengwelune offrait du plaisir au roi quand il le souhaitait. En retour, il la comblait de cadeaux au point d’exciter la jalousie de ses épouses. Elle fut logée comme les autres concubines du roi dans une maison attenante au palais. Les hommes de rien qui fréquentaient celles-ci pouvaient en profiter à la sauvette. Mais Mengwelune, elle, retenait l’attention du jeune roi qui aimait converser avec elle car ils étaient tous deux proches en âge. Elle, en retour, avait cultivé le courage de confronter le roi, qui lui avait donné son amitié, avec beaucoup de sujets de la vie. Celui-ci appréciait sa compagnie.
Mengwelune n’était pas seulement belle, mais elle savait aussi danser, un art très apprécié par les Bamoun à l’époque. Sa silhouette et ses gestes captivaient le roi quand elle exécutait certaines danses. Pour combler sa joie, le roi Njoya l’invita à danser une nouvelle composition avec lui quand il portait le masque. Avec la musique de l’air chanté et esquissant ensemble les pas de danse, Njoya et Mengwelune atteignirent le point culminant de leur relation sensuelle, au point où le roi exhiba publiquement son penchant naturel pour une jeune femme qui n’était pas son épouse mais qui le réconfortait sentimentalement. Les youyous (cris) d’appréciation montèrent en langue bamoun : “A pu tetune !” (C’est très bon !)
Cette appréciation était lancée pour la dernière fois sans qu’aucun des deux partis ne le sache. Les événements se multipliaient dans la vie du royaume et personne ne restait à l’abri des mutations qu’ils apportaient. Mengwelune, la danseuse du roi, allait le quitter définitivement pour trouver la vraie joie dans les choses du royaume de Dieu, abandonnant les joies avec le roi Njoya pour embrasser la joie de Jésus-Christ, le Roi des rois et Seigneur des seigneurs
Libérée et servante de Jésus-Christ
Résidant au palais, à l’épicentre des institutions royales qui décident des problèmes du pays bamoun, Mengwelune était l’interlocutrice privilégiée du roi Njoya. Le roi l’informait de beaucoup d’événements qu’il discutait avec elle. C’est ainsi qu’ils avaient parlé de long en large de la cavalerie peule venue de Banyo lors de l’insurrection du premier ministre Gbetkom-Ndombue et des premiers blancs apparus avec leur horde de soldats et plus tard des autres qui étaient des marchands. De fait, les Allemands voulaient collaborer avec le roi Njoya à qui ils venaient offrir l’amitié de la part de leur roi. Mais Samé, un employé d’un de ces commerçants, parlait du Dieu qui avait envoyé son fils pour sauver les hommes. Ayant écouté ces récits étranges, le roi Njoya appela l’homme et s’enquit sérieusement de ce message. Il fit transcrire ces histoires dans la langue shumom. Il était si intéressé de connaître ce Dieu qu’il offrit de l’argent à Samé pour qu’il reste enseigner le peuple bamoun mais celui-ci déclina en disant que des messagers de Dieu viendraient un jour. Samé continua son voyage et personne ne sait d’où il venait.
Plus tard, deux jeunes Bamoun, Mah et Nguin, qui s’étaient rendus à Bali pour rendre visite à des parents, y sont devenus écoliers. Ils apprirent en plus de l’écriture, des récits merveilleux dans la Parole de Dieu. De retour à Foumban, ils racontèrent leur découverte à leur famille et le bruit courut jusqu’au roi. Ayant écouté ces jeunes et touché par la connaissance de ces histoires inconnues de son peuple, le roi donna l’ordre aux écoliers de retourner à Bali dire aux blancs de venir aussi enseigner ces choses merveilleuses à son peuple.
Le 10 avril 1906, le pasteur allemand Martin Gohring, de la Mission de Bâle arriva à Foumban, répondant ainsi à l’appel du roi Njoya. Ce fut l’effervescence dans la ville. Le roi Njoya leur donna la plus haute colline de la ville à Njisse. Il fit construire en hâte le logement, l’école et Nda Nyinyi (la maison de Dieu) ou l’église sur la place de marché. Le roi lui-même écoutait avec attention les prédications. Il avait recommandé à ses épouses et à filles de prendre part régulièrement au culte. Rhein-Wurhmann explique ce qui se passe ensuite :
Mengwelune, l’amie du roi s’y rendit aussi. Plus que toutes les autres femmes, elle fut touchée de ce qu’elle entendait. Peu après, le roi sentit qu’un grand changement se faisait dans le coeur de la jeune femme. Elle ne recherchait plus autant la présence du roi. Souvent, on la voyait assise seule et perdue dans ses pensées et pleurant. Jamais elle ne manquait le culte, mais peu à peu, elle se retirait du roi.
Un jour, elle se présenta devant le roi et lui déclara humblement mais fermement, “J’ai assisté au culte des chrétiens chaque jour qu’ils appellent dimanche. Ils disent beaucoup de bonnes choses et leurs paroles sont entrées dans mon coeur. Leur Dieu dit : ‘Heureux ceux qui ont le coeur pur,’ mais moi, je n’ai pas le coeur pur, j’ai fait beaucoup de mal. Les femmes du roi me haïssent et en cela, elles ont raison. Je ne peux donc plus être amie du roi : qu’il me donne à un brave homme comme épouse !”
Ce fut un coup cruel pour le roi Njoya. Il pria, supplia, et combla Mengwelune de cadeaux et de caresses, mais rien ne changea sa décision. La jeune femme n’en tenait aucun compte, car toute son âme était tourmentée par le nouveau message qu’elle avait entendu. Le roi ne se considérait pas comme battu, mais pensait que le changement survenu dans la vie de son amie n’était dû qu’à un caprice de femme. Quel fut son étonnement et sa déception quand Mengwelune lui annonça qu’elle voulait devenir chrétienne et qu’elle suivait en conséquence l’enseignement catéchétique la préparant au baptême. [4]
Lumière chez Nji Wamben
Mengwelune fut reçu 31ème épouse de Nji Wamben, un noble au service du roi. Elle était un beau cadeau dont le mari espérait se servir pour se rapprocher du roi, vu son ascendance royale et ses antécédents avec le roi. Nji Wamben la combla de cadeaux et l’éleva au dessus de ses autres épouses. Il aimait l’avoir à ses côtés quand il n’était pas de service à la cour car sa beauté, son intelligence, et ses qualités lui valaient une certaine estime. Nji Wamben savait que sa femme avait adopté la foi chrétienne. Il la laissait prendre part aux offices religieux, sans pour autant y participer lui-même. Il pensait que ce courant de pensée s’évanouirait avec le temps.
Mengwelune, catéchumène à l’école de Njisse, croissait de plus en plus dans la foi. Plus elle comprenait, plus elle abandonnait au fur et à mesure les anciennes pratiques qui ne concordaient pas avec la Parole de Dieu : les sacrifices aux morts, le fait de tuer le caméléon inoffensif qui, dans les traditions bamoun, avait été le messager de la mort. Aussi, la mygale, qui avait fait pendre son père, ne lui inspirait plus la peur. Elle ne craignait plus le mauvais oil, les esprits, et les sorciers. Dieu contrôlait désormais sa vie. Ses contemporains et camarades de baptême décrivent sa foi et son amour comme étant très vivants. Toute jeune encore chez sa mère, elle avait fait un rêve qui trouvait sa signification dans ce qu’elle vivait comme chrétienne.
Tous ces progrès dans sa vie spirituelle et les connaissances qu’elle avait accumulées de l’enseignement l’emmenèrent à être un des 80 premiers candidats au baptême en pays bamoun dans une classe de 166. C’est alors qu’elle reçut le nom de Lydie comme son nom de baptême, car elle pouvait aussi dire, “Le Seigneur a ouvert mon coeur.” Elle fut donc baptisée Mengwelune Lydie le 25 décembre 1909 par le pasteur Martin Gohring.
Témoin et persécutée
Nji Wamben, son époux, était devenu exaspéré de l’engagement de sa femme Lydie à la foi chrétienne. Il lui dit d’un ton suppliant et serein, “Ne me fais pas ce chagrin et cette honte, n’abandonne pas les coutumes de tes pères.” [5] Le roi Njoya incitait aussi Nji Wamben à persécuter Mengwelune. Celui-ci soumit donc son épouse fidèle à un traitement cruel, allant des reproches aux humiliations, aux menaces, et aux tortures physiques. Il délogea Lydie de sa belle maison et lui donna une hutte d’esclave. Les autres épouses se moquaient d’elle et la méprisait. Elle n’avait plus droit aux services offerts par les esclaves. Elle ne bénéficiait plus de l’attention de son mari. Il ne l’appelait que pour exprimer sa colère suite à l’occurrence de toute idée qui méritait son reproche. Il alla jusqu’à la battre violemment au point de lui laisser des cicatrices permanentes sur le corps. Depuis son enfance Lydie n’avait jamais subi de tels traitements car elle avait toujours été une enfant gâtée.
Mais Lydie porta résolument ses peines comme sa croix, trouvant son réconfort et sa consolation dans la Parole de Dieu. Mais son environnement devint insupportable avec tout ce qu’elle endurait. Elle alla chez Mlle. Rhein-Wuhrmann une des missionnaires et lui dit, “Accepte-moi comme ta servante, je n’en puis plus de vivre avec mon mari.” [6] Celle-ci lui conseilla de faire honneur à sa religion chrétienne dans son milieu et Jésus l’aiderait plus qu’elle ne pourrait le faire. Mlle. Wuhrmann alla persuader Nji Wamben, l’époux de Lydie, et le trouva fort embarrassé parce qu’il aimait sa femme et haïssait le christianisme. Il agissait de travers contre elle, poussé par les autres notables. Wuhrmann écrit, “La pauvre Lydia nous faisait une profonde pitié à nous tous de la mission qui étions spectateurs impuissants de toutes ces choses ; elle-même souffrait intensément.” [7]
Lors de la première guerre mondiale (1914-1918), les missionnaires allemands quittèrent Foumban enchaînés et escortés par les Anglais. Lydia perdait ainsi l’aide qu’elle trouvait en Mlle. Wuhrmann, son amie et conseillère. Elle criait, “Je suis comme une orpheline, je suis orpheline !” “Dieu est ton père, ma chère Lydia, Jésus ton conseiller !” répondit la missionnaire. Ce furent là les paroles de séparation des deux disciples, Wuhrmann et Lydie. [8]
Pendant les deux années qui suivirent le départ des missionnaires (1916-1918), les persécutions s’abattirent sur la petite communauté chrétienne de Foumban qui allèrent en s’empirant. Le roi Njoya interdit la pratique du christianisme dans son royaume et s’islamisa. Il demanda à tous ses sujets de devenir musulman comme lui-même. Les maris musulmans comme Nji Wamben et Nji Mama–époux de Shachembe Marguerite, une amie de Lydie–qui occupaient de hautes fonctions à la cour royale se voyaient obligés de persécuter leurs épouses chrétiennes pour préserver l’estime du roi. A plusieurs reprises les lieux de culte furent pris d’assaut par ces dignitaires pour enlever leurs épouses dans un contexte de violence extrême. Une autre fois, c’était les soldats du roi qui étaient eux-mêmes les acteurs. Malgré sa propre souffrance, Lydie cherchait plutôt les malheureux persécutés et leur inspirait la force et le courage. Elle brava l’humiliation dans son milieu, confessant sa foi par sa vie tout en amenant par son exemple les autres épouses de son mari à Christ.
L’auteur de la biographie de Lydie dans le livre d’Alexandra Loumpet-Galitzine, Njoya et le royaume bamoun, écrit :
Sa foi et son amour pour le Sauveur furent très vifs. Elle donnait beaucoup d’exemples aux autres coépouses. Lydie aimait beaucoup son mari et ne supportait jamais de désobéissance des autres à leur mari. Son bon caractère chrétien ferma la bouche à ses coépouses. A son retour du culte, elle assembla ses coépouses et leur parla du Christ qui est mort pour le pardon des péchés de tous les hommes. Elle donnait de bons conseils à tous les gens de la concession du chef.
Le chef qui est musulman, voyant cette bonne conduite pleine de bons exemples n’empêchait pas qui que ce soi de fréquenter les assemblées chrétiennes ; le dimanche on vit un grand nombre de femmes et d’hommes allant au culte conduits par ce brave disciple du Seigneur. [9]
Ce témoignage n’est pas seulement donné par des frères dans la foi. Nji Wamben, son mari, aperçut aussi la bonne influence que Lydie exerçait dans sa concession, car l’esprit chrétien influençait tous les domaines de la vie de ses épouses, mères et maîtresses de maison. Il changea de conduite envers Lydie, son épouse chrétienne, et n’empêcha plus les autres de se présenter au baptême. Il dit à Mlle. Wuhrmann un jour, “Depuis que mes femmes sont chrétiennes ou qu’elles suivent l’instruction les préparant au baptême, la vie a bien changé chez moi. On n’entend plus des querelles, mais des chants joyeux et le travail se fait en paix avec ordre. Enfin, tout est mieux qu’autrefois.” [10]
Voilà comment Lydie, une épouse chrétienne persécutée, a transformé la vision et les croyances de son époux Nji Wamben, ses coépouses, leurs enfants et les serviteurs, jadis traditionalistes, puis musulmans, et enfin chrétiens, grâce à la lumière du Christ.
Ancienne d’église
Les missionnaires allemands n’avaient pas organisé l’église en établissant des ministères de diacre, d’ancien, et d’évangéliste ou moins encore de pasteur mais ils s’étaient investis dans la préparation de disciples et de moniteurs ou catéchistes pour aller enseigner et prêcher. Après eux, quand la Mission de Paris s’implanta dans la région avec le pasteur Elie Allégret, celui-ci, après sa première visite à Foumban en 1917, y envoya un Douala du nom de Mpacko Max comme premier instituteur diplômé. C’est lui qui, avec son ingéniosité, aida l’église, sortie victorieuse de la persécution, à s’organiser en choisissant ses anciens-huit au total dans une communauté de 300 chrétiens. Quatre hommes et quatre femmes–dont Lydie–furent choisis pour être les anciens. Le choix de Lydie était déterminant car son témoignage lui valait cette charge. Wuhrmann écrit, “Et quel jour mémorable ce fut lorsque les chrétiens les plus influents : Mose Yeyap, Josué Mouiche, Jean Njikam et d’autres appelèrent Lydia à siéger au milieu d’eux en qualité d’ancienne d’église ! Une femme siégeant au conseil des hommes ! Et avec le même droit de vote ! Une femme, un être si méprisé chez les païens ! C’était inouï ! Mais ces chefs de la communauté avaient vu juste et avaient fait un bon choix.”[11]
En tant qu’ancienne, Lydie excella dans son travail d’enseignante à l’école des filles de Njisse, où elle secondait Mlle. Wuhrmann. Mais tant dans sa maison qu’en dehors elle s’investissait plus dans les bonnes ouvres en prenant soin des démunis.
Préceptrice à l’école des filles
Profitant de sa nationalité suisse, Mlle. Wuhrmann revint à Foumban le 10 juillet 1920 au compte de la Mission de Paris après la guerre. Elle réorganisa l’école qui avait été tenue jusqu’alors par Pepuere Paulo, un des frères du roi Njoya. Comme les maris non chrétiens ne voulaient pas voir un homme enseigner leurs épouses, la tâche devint très lourde, pour la missionnaire, car l’effectif avait quadruplé, allant de 80 à plus de 320. Elle écrit : “Un public très mélangé se pressait autour de moi dans ces leçons : des vieilles femmes fatiguées et usées, des jeunes filles pleines de vie, de belles dames de la cour du roi et des pauvres créatures, élevées dans des misérables huttes d’esclaves. Presque toutes ont le véritable désir d’entrer en contact avec Jésus. Je n’avais pas assez de temps pour m’occuper de ces femmes en dehors des leçons, ainsi que je l’aurais voulu.Pendant des heures mises à part, ma chère Lydia, une des anciennes de la station me secondait.” [12]
Lydie a accompli cette tache avec dévouement comme les écrits missionnaires de l’époque en témoignent. Charles Maître, dans un commentaire de 85 projections sur l’ouvre au Cameroun datant de 1924/1925, écrit au sujet de la 70è image : “Lydia une de nos braves chrétiennes. Voyez la coiffure, les tatouages, l’oreille percée, les deux pièces de trois marks en argent, mais ce que vous ne pouvez pas voir c’est la fidélité et le dévouement de cette brave femme qui est maintenant surveillante de l’école des filles.” [13] Quand Mlle. Wuhrmann quitte Foumban après son deuxième séjour missionnaire, elle laisse l’enseignement des catéchumènes à Lydie. Dans son livre Au Cameroun, Portraits de Femmes publié en 1931, elle mentionne le fait que Lydie avait assumé cette fonction. Longtemps après, Lydie a continué à enseigner la foi à des générations de chrétiennes bamoun, qui ont été transformées et qui ont influencé leur mariage, leurs enfants, et la société.
Evangéliste itinérante
Le choix de Lydie comme ancienne émanait aussi de l’exercice de son don d’évangéliste. Jean Njimonia écrit : “Son amour pour le service l’a rendue ancienne. L’église a eu et continue d’avoir des anciennes, mais celle dont nous parlons maintenant est une ancienne par excellence. Elle visite nos églises des quartiers et y donne des bons conseils aux catéchistes, aux catéchumènes, et aux chrétiens. Elle sait consoler les frères affligés. Elle a nourri des enfants orphelins qu’elle a acceptés volontairement. Beaucoup de femmes de catéchistes ont été éduqués par elle. Madame Rhein l’aime par dessus tout. Elle l’appelle son amie et c’est bien vrai.” [14]
Ce témoignage d’un chrétien autochtone et ceux des missionnaires montrent que Lydie était engagée dans l’annonce de la Bonne Nouvelle, non seulement dans sa propre maison et son église locale, mais elle avait une vision plus large du ministère à rendre. Comme le dit le Seigneur Jésus : “On demandera beaucoup à celui qui a beaucoup reçu.” Parce que Lydie avait beaucoup reçu du Seigneur, elle donnait en retour assez de tout ce qu’elle avait et même davantage.
Lydie ne prêchait pas seulement par la parole comme c’est souvent le cas. Chez elle, l’action concrétisait la parole qui sortait de sa bouche. C’est ainsi qu’elle donnait les soins aux chrétiens et catéchumènes malades tout en les encourageant. Elle accueillait les femmes persécutées et chassées de leurs maisons pour leur foi. Elle assurait leur protection. Parfois, il y avait jusqu’à quatre jeunes femmes chez elle ou plus. Si un membre de l’église avait quitté la ville suite à la persécution ou avait été suspendu de la communauté pour un péché, Lydie n’avait pas de paix intérieure jusqu’à ce qu’elle ait retrouvé l’intéressé. Parfois, elle le ramenait avec elle. Comme elle ne pouvait pas sillonner les sentiers autour des villages toute seule, vu son rang social, Nji Wamben lui donnait des esclaves pour l’accompagner.
Un tel zèle pour l’évangélisation montre que pour Lydie ce n’était pas une simple question de vocation mais, au contraire, qu’elle appartenait si totalement à son Seigneur qu’elle ne pouvait faire autrement que d’évangéliser. La foi de Lydie était active dans son service et dans ses actes d’amour pour le prochain qui glorifiaient Dieu.
Signification de Jésus Christ dans sa vie
Mengwelune Lydie était une femme avec une foi fervente en Jésus-Christ comme Sauveur et Seigneur. Elle n’avait appris à lire et à écrire qu’en bamoun, sa langue. Elle n’avait pas fait l’école en allemand et en français parce qu’elle était déjà adulte quand une école s’ouvrit à Foumban. Elle n’a pas suivi de formation d’école biblique pour être évangéliste. Mais, mue par l’étude profonde de la Bible et par son amour pour Jésus, elle est devenue une des grandes figures de la foi en pays bamoun, au Cameroun, en Afrique, et dans le monde entier.
Qui était Jésus pour celle qui s’engagea corps et âme pour le servir malgré au risque de sa vie ? Voici une des dernières épisodes de sa belle profession de foi en Jésus-Christ :
Lorsqu’en l’année 1921, le 14 juillet s’approcha, le roi fit venir son chambellan et lui dit : “Parle à ta femme, Mengwelune, et dis-lui de danser à la fête des blancs.” Nji Wamben m’a dit lui-même ce qu’il répondit au roi : “Mon roi sait bien que Mengwelune est une chrétienne et les chrétiens ne dansent pas. Comment puis-je lui transmettre le commandement du roi ?” Alors Njoya envoya deux messagers pour la supplier de faire ce plaisir au roi. De plus, il lui promit des chèvres, de l’huile de palme, du maïs, des arachides, et encore le plus beau fichu de soie de la factorerie royale. Lydia se mit à rire lorsqu’elle reçut ce message, car elle pensait qu’il s’agissait d’une plaisanterie et ce ne fut qu’au bout d’un moment qu’elle comprit que la proposition était sérieuse. Alors elle répondit : “Allez et dites au roi que Mengwelune a besoin de ses pieds et de ses mains, de son corps et de son coeur pour le service de Dieu.” Alors, le roi n’insista plus. Lydia rit encore plus d’une fois en pensant à la prétention et montra par là combien toutes ces choses étaient loin d’elle, ces choses qui autrefois l’avaient rendue si heureuse.”[15]
Lydie a ainsi aidé le roi et son mari Nji Wamben–eux, ses amis qui l’avaient persécutée–à comprendre qui Jésus Christ était pour elle. En restant attachée à Jésus elle s’est montrée la plus forte face à leur force et à leur hargne. Par son amour et sa conduite, elle a partagé l’Evangile avec son mari, qui l’avait humiliée et maltraitée, jusqu’ à ce qu’il croit en Jésus. C’est ainsi qu’un observateur anonyme s’est exclamé : “Qui parmi les missionnaires et parmi les chrétiens n’a pas félicité Lydie pour sa grande foi et son amour pour le service de Dieu ? C’est la seule femme chrétienne indigène dont le nom est connu ici et en Europe, en Amérique, et partout ailleurs. Puisse notre Seigneur continuer à envoyer de telles anciennes à sa pauvre église bamoun ! Quelle chrétienne indigene !”[16]
La mémoire de Mengwelune Lydie est encore très vivante à Foumban, en particulier, et dans le pays bamoun en général. Des générations des chrétiens sont nées et se sont multipliées grâce au témoignage de ce disciple fidèle. L’église en pays bamoun, qui avait 35 lieux de cultes en 1931, s’est agrandie en deux régions synodales du Noun Nord (chef lieu Foumban) et Noun Sud (chef lieu Foumbot). L’église de Foumban est fière d’avoir la première méga-église du Cameroun appelée “Ndaambassie” avec plus de 14.000 places assises. Telle est l’ouvre de Mengwelune Lydie qui s’en est allée se réjouir avec son Seigneur dans son royaume. [17]
Robert Adamou Pindzié
Notes:
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Ces dates sont approximatives par manque d’informations plus précises.
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Rhein-Wurhmann et Nicod n’utilisent pas les mêmes noms ou la même orthographe pour les noms des parents.
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Un lamido veut dire un chef.
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Rhein-Wurhmann, Portraits de Femmes, p. 33.
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Portraits, p. 36.
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Portraits, p. 37.
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Idem.
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Idem.
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Loumpet-Galitzine, p.166.
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Portraits, p. 41.
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Idem.
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Loumpet-Galitzine, p.287.
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Loumpet-Galitzine, p.296.
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Loumpet-Galitzine, p.166.
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Portraits, p. 43.
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Loumpet-Galitzine, p.166.
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Veuillez lire en appendice cette lettre de Mengwelune Lydie écrite en bamoun à son amie Rhein-Whurmann (Portraits, p.44) :
Foumban, 9 juillet 1927
Chère amie, ma mère, penses-tu à moi et passes-tu des nuits sans sommeil, comme moi je passe les miennes à cause de toi ? Oh, je sais que souvent tu ne peux dormir quand tu penses à moi. Je te remercie d’avoir écrit l’histoire de ma vie dans un livre. Si tout va bien pour moi dans ma ville de Foumban, c’est toi qui en es la cause ; si les gens m’aiment et disent du bien de moi, c’est toi qui l’as fait. J’ai été très malade, mon corps était tout brisé et je croyais que j’allais mourir (rhumatisme articulaire) ; maintenant, cela va de nouveau mieux. (Suivent les nouvelles de plusieurs personnes). Je te salue cordialement, moi, ton enfant.
Lydia Mengwelune.
- Photo des archives de la DEFAP.
Bibliographie
Francis Grob, Témoins Camerounais de l’Evangile (les Origines de l’Église Evangélique) (Yaoundé : Editions CLE, 1967).
Alexandra Loumpet-Galitzine, Njoya et le royaume Bamoun. Les archives de la Société des Missions Evangéliques de Paris (Paris : Editions Karthala, 2006).
Mfochive Joseph, Lamere Moise, Peshandon Rodolphe, *Quatre vingt ans de christianisme en pays bamoun *(Foumban, 1986).
Henri Nicod, La danseuse du roi (Neuchâtel : Delachaux et Niestle, 1950).
Anna Rhein-Wuhrmann, Fumban die Stadt auf dem Schutte, Arbeitbund Ernte im Missionsdienst in Kamerun (Basel : Basler Missionsbuchhandlung GmbH, 1948).
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Jap Van Slageren, Les origines de l’Église Evangélique du Cameroun. Missions et christianisme autochtone (Leiden : E. J. Brill, 1972).
Cet article, reçu en 2008, est le produit des recherches du Révérend Robert Adamou Pindzié. Celui-ci est professeur à la Faculté de Théologie Evangélique du Cameroun à Yaoundé et récipiendaire de la bourse du Projet Luc en 2007-2008.