Collection DIBICA Classique
Tous les articles créés ou soumis au cours des vingt premières années du projet, de 1995 à 2015.Muishe, Josué
Josué Muishe est un des premiers chrétiens et lettrés bamoun converti après l’arrivée les missionnaires allemands à Foumban au début du 20è siècle. Sa foi intransigeante en Jésus-Christ l’a poussé à servir de pilier de transition entre les traditions et l’adoption de la foi chrétienne, entre la langue Shumon et l’Allemand, puis le Français, entre son statut de simple adepte du culte des ancêtres à celui de leader de la communauté chrétienne. Plus que tout autre contemporain bamoun, il a su incarner sa foi dans divers rôles dans la société où il a brillé comme un flambeau.
Enfance et jeunesse
Muishe est le fils de Moma et de Ntapsière de Kunden, né au quartier Njimbam à Foumban. Son père est de la lignée d’un grand notable. Cette relation explique le fait qu’à l’âge de onze ans Muishe devient très vite un des premiers élèves à l’arrivée de pasteur Martin Gohring de la Mission de Bâle le 10 avril 1906. Il est vraisemblable que c’est sous la pression du roi Njoya, qui avait appelé les missionnaires, que ses parents l’envoyèrent à l’école de Njisse. Il fréquenta celle-ci de 1906 à 1909 en compagnie de soixante autres garçons à partir de juillet et de 51 filles à partir d’octobre. Doué d’une intelligence exceptionnelle, il a pu très vite maîtriser la langue de Goethe pour s’en servir dans son ministère.
Le programme d’enseignement comportait deux aspects importants : l’écriture de la langue allemande et la foi chrétienne. Il a très vite affirmé sa foi en Jésus-Christ comme Sauveur et Seigneur. Sa fidélité et son dévouement l’ont conduit, en compagnie de quatre-vingts autres catéchumènes, au baptême officié par le pasteur Martin Gohring le 25 décembre 1909. Ceux qui se sont distingués avec lui sont Mose Yeyap et son frère Jean Njimonya, Abraham Njoya, Messac Kunwet, Mose Munmbeket, Lydia Mengwelune, et Pépuere Paulo Nji Ngutane, frère du roi Njoya.
Ministère
Muishe, devenu Josué par son baptême, s’est approprié le charisme de leadership de son patronyme dans la Bible. L’exercice de son leadership se manifeste en trois périodes distinctes de sa vie et de la vie de l’église en pays bamoun sous contrôle politique de trois nations: la colonisation allemande, l’inter-regne du roi Njoya, et la colonisation française. Les défis et les opportunités de ces périodes vont le préparer à devenir un grand leader de l’église et du peuple bamoun.
La colonisation allemande va de 1910 à 1915. Âgé de quinze ans en 1910, Josué Muishe sort de l’école de Njisse avec son camarade Mose Yeyap–les premiers instituteurs. La formation acquise met l’accent sur la primauté de la foi plutôt que sur le côté académique. De 1910 à 1912 Josué Muishe est affecté au sud du royaume bamoun à Matashom à plus de quarante kilomètres de Foumban. De 1913 à 1915, on le transfère à Mapu, dix kilomètres plus au sud, à la frontière avec les cousins Tikar. Sa tâche est essentiellement de créer des nouvelles communautés ou de “planter des églises”–ce qu’il a fait avec beaucoup de succès. Rassuré par ses expériences et ses témoignages, sa foi a servi de flambeau pour embraser les villages.
C’est à cette période qu’il épouse Maria Lindouebe de Mfenten, dont la mère est la fille de Nji Ndam, cousin du roi Njoya et grand latifundaire. Ce mariage est béni par le pasteur Martin Gohring. Alors que son camarade Mose Yeyap réussira à obtenir une grâce de deux ans pour continuer ses études d’allemand, Josué Muishe n’aura pas cette chance. En fin d’année 1915, l’Allemagne en guerre capitule à Foumban et les missionnaires partent, prisonniers de guerre. Une nouvelle ère commence pour l’église et ses membres en pays bamoun.
Pendant l’inter-regne du roi Njoya, Josué Muishe est un des leaders fidèles de la communauté chrétienne bamoun. Après le départ des missionnaires il garda une foi propre et continue à encourager les autres sans faillir. Dans l’Histoire de l’Eglise Bamoun depuis 1905, incorporée dans les travaux de Alexandra Loumpet-Galitzine, Njoya Abraham et Paulo Pépuere nomment Muishe parmi “les chrétiens courageux qui avaient accepté de travailler avec le Sultan qui n’ont pas voulu devenir musulmans quoique le Sultan fasse d’eux. Ils ont tenu si ferme que le Sultan avait commencé de les aimer par hypocrisie. Il les soldait bien.” [1] Ceux qui endurèrent ce traitement avec Josué Muishe étaient Mose Yeyap, Paul Pepore, Jean Njimonja, Philippe Pepore, Njoya Abraham, Mose Moumbeket, Jacob Yeyap, Joseph Nendam, Paulo Mounga, Paul Mefire, Mose Gbentkom, Mateo Njitapit, Abel Njanko, Njoya Thomas, Benjamin Poumi, et Paulo Mounvera.[2]
Josué Muishe et ses compagnons organisèrent la resistance pour la communauté, subissant eux-mêmes la dégradation, allant de la bastonnade publique aux fesses à la torture en prison, le ridicule du balayage des lieux publics et le fait de manger la viande crue qui, semble-t-il, était de la chair humaine. Son comportement a été exemplaire dans ce combat de la foi. A cause de l’intensité de la persécution, ils ont envoyé deux messagers à l’église de Douala pour demander du soutien. Ils ont reçu en retour un émissaire et le pasteur Modi Din pour les encourager pendant un certain temps. Ferme et optimiste, Josué Muishe a appris à négocier des compromis et à confier les situations difficiles à la volonté de son Seigneur. L’apaisement de cet ouragan qui s’était abattu sur l’église bamoun ne se fera qu’avec la présence des missionnaires français.
Au moment où commence la colonisation francaise, le pasteur Elie Allégret, qui rendit visite à l’église de Foumban en juillet 1917, écrit dans son journal que Foumban est “‘une porte ouverte.’ De l’ancienne église de Bâle, il reste douze chrétiens courageux. Le Sultan, Njoya, les autorise à célébrer leur culte, pour lequel il nous donne un bâtiment. Ce n’a pas été sans peine, car le Sultan, espérait qu’aucun de ses sujets n’oserait quitter Mahomet (ou lui-même !) et se déclarer ouvertement pour Jésus-Christ ; il pensait qu’ainsi la porte resterait fermée à la mission et au christianisme. Le voyage, à marches forcées, a été bon.” [3]
Sorti de l’épreuve de la mort, Josué Muishe, avec ses frères et sours et les missionnaires réorganisa l’église et le travail. Il fut élu ancien de l’église de Foumban en 1918. Il y enseigna à l’école des filles de 1918 à 1919, tout en faisant de la traduction. Il devint responsable de l’église de Njimon alors qu’il avait un enfant avec sa femme. Il passe son CAP le 3 novembre 1921 à Douala. Il devient instituteur de français à Foumban de 1922 à 1926.
Le 10 mai 1926, il reçoit la délégation pastorale qui lui permet d’exercer les actes pastoraux dans les églises en l’absence des pasteurs. Cette même année, il est admis à l’école pastorale de Ntolo (Nkongsamba) où, d’octobre 1926 à juin 1928, il suit sa formation seul, sa femme étant restée à Foumban avec les enfants. Bien qu’il puisse rentrer retrouver sa famille pendant les vacances, c’était un grand sacrifice de sa part parce qu’une telle pratique n’avait pas existé pas dans les mours du peuple Bamoun jusqu’à ce moment-là. Il est vrai que l’église donnait un soutien matériel à sa famille, mais pas autant qu’il donnerait s’il était lui-même présent. En plus, étant à plus de 150 kilomètres, il ne pouvait venir en aide à sa famille sentimentalement et matériellement. Volontairement, il s’était donné pour le ministère de l’Evangile.
A son retour, il fut nommé évangéliste à Foumban vers la fin de l’année 1958. Il exerça cette responsabilité pendant quatre bonnes années sous l’oeil des fidèles et des missionnaires. C’est avec pleine assurance et approbation de sa candidature qu’il fut ordonné, le 10 avril 1931, premier pasteur bamoun. L’ordination ouvrait pour lui non seulement les portes du ministere de la predication et des sacrements, mais aussi un vaste eventail de responsabilités comme leader chrétien appelé à transformer sa société.
Impact de sa foi dans la société
De par sa foi et sa formation Josué Muishe avait une conviction profonde du salut en Jésus-Christ qui a éclairé sa conscience face aux responsabilités sociales. Cette foi vécue individuellement et en communauté l’a affûté pour faire de lui un acteur de la transformation sociale. Il va entreprendre cette transformation sur le plan culturel, social, économique, et politique, marquant ainsi l’impact de vingt-cinq ans de présence protestante en pays bamoun, face à la tradition et aussi à l’Islam qui émergeait rapidement comme une grande influence. Josué Muishe forgeait ainsi la norme éthique pour contrecarrer le danger d’une trop grande influence matérielle de la part des puissances occidentales qui pouvaient détourner une partie de l’élite chrétienne de la fidélité de la foi.
Dans la sphère culturelle, il a su gérer la transition de l’identité de son peuple en acceptant l’adoption du costume dit “bamoun” que lui-même portait, ainsi que les premiers chrétiens et le pasteur Modi Din, dans une photo lors de son ordination en 1931. Le costume comprenait le gandoura [4], un bonnet ou turban, selon Alexandra Loumpet-Galitzine. Ainsi les chrétiens n’étaient pas obligés de se limiter au modèle vestimentaire occidental dit “des chrétiens.”[5]
Josué Muishe est le leader qui, très tôt, reconnaît la légitimité du nouveau roi Njimoluh Seydou, même s’il conserve son titre de sultan, protecteur de l’Islam. Face aux excès des chefs supérieurs opposés à l’héritier du roi Njoya, Muishe aide celui-ci à reconquérir le pouvoir royal. Il sera ainsi royaliste jusqu’à sa mort, traversant la période des troubles politiques conduisant à l’indépendance. Il voyage en France en 1951 pour représenter le Cameroun, au grand mécontentement de certains missionnaires.
Dans la sphère sociale, il a été assesseur au tribunal coûtumier de Foumban de 1934 à 1953. Sa présence pendant vingt ans dans une telle institution montre qu’il était très respecté et avait un sens de justice rayonnant. Il a limité par sa présence les exactions des chefs autochtones et aussi celles des administrateurs coloniaux. Il a fait entendre sa voix sur les différents aspects de l’évolution du pays.
Dans la sphère économique, il a présidé sur la coopérative des planteurs bamoun à partir de 1950. Sa position a aidé à démocratiser le système des plantations afin de permettre à tout le monde de pouvoir acquérir des terrains pour s’installer comme paysan.
Josué Muishe se distingue dans le cadre spécifique de l’Eglise Evangélique du Cameroun comme la figure de proue par qui l’autonomie a été amorcée. Plusieurs malentendus des missionnaires sur son attitude ont conduit à un conflit ouvert en 1953 sur la proclamation du résultat des dons de récoltes. Les protagonistes de ce conflit étaient les missionnaires Henri Martin, l’instigateur, et Dr. Cugnier. Cela s’est envenimé au point de produire une scission dans l’ouvre de la mission qui a duré deux ans poussant Muise à créer une église indépendante africaine qui se réunissait dans sa cour. Il a appelé celle-ci l’“Eglise Evangélique des Enfants de Cham”–les même termes que Dr. Cugnier avait utilisés lors d’un séminaire pour provoquer le mécontentement général. La paix n’est revenue qu’en 1954 quand le pasteur Henri Martin, qui avait passé plus de vingt-cinq ans à traduire la Bible à Foumban, est reparti en Europe. Ce conflit a servi ainsi de prélude pour conduire, avec d’autres démarches, à l’autonomie de l’Eglise Evangélique du Cameroun en 1957.
Josué Muishe a été un heureux époux, père de huit enfants. Il a été pasteur à Foumban de 1931 à 1963, un record de ministère indigène sur place qu’aucun autre pasteur ne pourra égaler. Il devint le tout premier président de la région synodale du Noun de 1957 à 1963, vice-président de l’Eglise Evangélique du Cameroun, et membre de la Commission Générale Synodale.
Il meurt le 8 mai 1963. En son honneur, on a donné son nom au collège d’enseignement secondaire implanté à la station de Njisse–le “Collège Evangélique Josué Muishe de Foumban,” créé pour former la jeune génération. Du petit groupe des croyants de 1909, Dieu l’a utilisé pour surveiller la croissance de son église jusqu’à sa mort. La région du Noun a été éclatée en Noun Nord et Noun Sud en 2003. Les deux régions comptent plus de quarante pasteurs et 30.000 fidèles aujourd’hui.
Sa profession de foi à son ordination au ministère pastoral était le Psaume 22v.11 : “Dès le sein de ma mère, j’ai été sous ta garde. Dès le ventre de ma mère tu as été mon Dieu.” Ainsi s’achève l’ouvre du “Josué bamoun” chargé de conduire son peuple dans une ère nouvelle dans l’obéissance à la voix de Dieu dans l’Evangile.
Robert Adamou Pindzié
Notes:
-
Loumpet-Galitzine, p.145.
-
Idem.
-
Lettre citée dans Loumpet-Galitzine, p. 212.
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L’habit traditionnel bamoun.
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Jusque là l’habit occidental était le seul choix vestimentaire des chrétiens. Ceux qui portaient l’habit traditionnel était, par défaut, considérés comme étant des traditionnalistes.
Bibliographie
Jap Van Slageren, Les origines de l’Église Evangélique du Cameroun. Missions et christianisme autochtone (Leiden : E.J. Brill, 1972).
Alexandra Loumpet-Galitzine, Njoya et le royaume Bamoun. Les archives de la Société des Missions Evangéliques de Paris (Paris : Editions Karthala, 2006).
Joseph Mfochive, “L’éthique chrétienne face à l’interconnexion culturelle et religieuse en Afrique. Exemple du pays Bamoun 1873-1937,” thèse de doctorat, publié en 1983.
Anna Rein-Wuhrmann, Fumban die Stadt auf dem Schutte, Arbeitbund Ernte im Missionsdienst in Kamerun (Basel: Basler Missionsbuchhandlung GmbH, 1948).
Cet article, reçu en 2008, est le produit des recherches du Révérend Robert Adamou Pindzié. Celui-ci est professeur à la Faculté de Théologie Evangélique du Cameroun à Yaoundé et récipiendaire de la bourse du Projet Luc en 2007-2008.
Photo Gallery
Josué Muishe avec sa famille.