Collection DIBICA Classique
Tous les articles créés ou soumis au cours des vingt premières années du projet, de 1995 à 2015.Ryckmans, André
André Ryckmans naquit à Louvain, le 11 janvier 1929. Il était le fils de Pierre Ryckmans, à l’époque gouverneur général du Congo belge, ce qui lui vaudra une enfance africaine par laquelle il sera profondément marqué. Dès son plus jeune âge, il est certain qu’il fera une carrière coloniale. Il parle le kikongo, la langue des Bakongo, avec une telle perfection, que les Africains eux-mêmes n’y discernent pas le moindre accent.
Après des études de droit à l’Université catholique de Louvain, André Ryckmans reprend le chemin de l’Afrique. Il est nommé à l’administration territoriale, en 1954, et aussitôt il apparaît en contradiction avec les méthodes traditionnelles de l’administration belge. C’est encore le temps où personne ne doute que la colonisation doive durer longtemps. La méthode belge est très paternaliste, elle entend ne rien précipiter, et susciter un développement par la base exclusivement. 60% des enfants vont à l’école primaire, 10% à l’école secondaire, et quelques centaines seulement ont accès aux écoles supérieures techniques de niveau non-universitaire.
Si l’on excepte les grands séminaires, il n’y a pas d’enseignement universitaire au Congo. Et à l’extérieur, en 1954, il n’y a encore qu’un seul Congolais qui ait été envoyé aux études en Belgique par la Société de Jésus.
André Ryckmans comprend que le système est devenu indéfendable, surtout en raison d’une sclérose qui le bloque à un stade strictement conservateur. André Ryckmans ne fait que continuer la pensée de son père, qui au temps où il était gouverneur général, plaidait déjà pour une Afrique adulte et consciente de sa culture originale.
André Ryckmans n’a cessé de lutter pour que la “territoriale” cesse d’être un carcan administratif, et redevienne un instrument de développement tenant compte des réalités locales, et donnant la primauté aux intérêts locaux plutôt qu’à ceux de la métropole et de ses sociétés financières.
Son attitude est bien illustrée par le rôle qu’il a joué dans la défense de la secte religieuse des Kimbanguistes. La secte, fondée par un visionnaire protestant du nom de Simon Kimbangu, était interdite parce que jugée subversive, et nuisible aux intérêts du commerce européen. En réalité, André Ryckmans avait noté que le phénomène était lié davantage à un effort original d’assimilation des Africains à la culture européenne, et que loin d’être subversive, la secte pouvait devenir un élément d’équilibre pour des hommes déchirés entre leurs traditions et la civilisation importée d’Occident.
C’est sur la base d’un rapport qu’il rédigea après une longue enquête dans les milieux kimbanguistes, que le jeune “territorial” obtint du gouvernement général, un statut de plus grande liberté pour la secte kimbanguiste, qui est aujourd’hui devenue une véritable Eglise africaine, développant des temples, des écoles, des dispensaires dans toute la région du Bas-Zaïre, et qui ne cesse de prêcher la conciliation entre les hommes.
En 1959, lorsqu’il fut devenu évident que la colonisation approchait de sa fin, André Ryckmans plaida pour des formules plus réalistes que celles que voulait adopter le gouvernement belge. Bruxelles voulait donner au Zaïre une constitution copiée sur celle de la Belgique, espérant laisser en Afrique centrale une république démocratique modèle.
André Ryckmans dénonçait des conceptions aussi naïves, et aussi éloignées des aspirations qu’il voyait en Afrique. Il voulait que l’on adopte des formules plus conformes aux structures de l’Afrique traditionnelle. Il alla jusqu’à entrer en rébellion ouverte contre une administration centrale que la proximité de l’indépendance rendait pusillanime et timorée. Il était prévu que les “territoriaux” blancs resteraient chefs de territoires avant et si possible après l’indépendance, assistés par des conseils élus. Dans un discours qui fit scandale, le 21 avril 1960, André Ryckmans déclarait aux responsables africains du territoire de Madimba que désormais ce seraient eux les chefs, et que les Blancs ne seraient que leurs conseillers librement acceptés aussi longtemps qu’ils le voudraient. André Ryckmans espérait par cet éclat provoquer un choc tel que les modalités de l’indépendance seraient corrigées de manière à accorder plus de poids aux dirigeants régionaux, au lieu de les soumettre à un gouvernement central noir qui aurait simplement continué de diriger le pays à la manière belge.
C’était trop tard, l’appel désespéré ne pouvait plus être entendu, l’énorme machinerie de l’indépendance était déjà en marche. Et le 30 juin 1960, les réjouissances de Léopoldville furent bientôt suivies des émeutes qui déclenchèrent un drame long de cinq ans.
Le 17 juillet 1960 fut le dernier jour d’André Ryckmans. Il dirigeait à Léopoldville une équipe qui organisait les secours aux personnes isolées dans la brousse et menacées par la révolte de la Force Publique. Le 17 juillet, à bord d’un hélicoptère de l’armée belge, il partit vers le Bas Zaïre, où une équipe de techniciens italiens travaillant à l’asphaltage de la route de Matadi, se trouvait bloquée par des soldats rebelles. Il fut fait prisonnier et abattu quelques heures plus tard, en même temps que son pilote, le commandant-aviateur Kervyn de Meerendré, les soldats les accusant d’être des espions. Ryckmans avait 31 ans. Il laissait une veuve et cinq enfants en bas âge.
Son œuvre écrite est abondante mais inachevée. Dans ses notes, les africanistes ont trouvé cependant une étude ethnographique fort poussée, qui a été partiellement publiée. Elle contient des milliers de proverbes africains, expliqués et resitués dans leur contexte social et historique. Il a rédigé aussi des notes sur l’organisation foncière dans la région du bas-fleuve.
Jean Kestergat
Bibliographie
“Etude sur les statistiques démographiques au Congo Belge,” Janvier 1953 - N° 1 - Extrait de Zaïre.
“Etude sur les signaux de ‘mondo’ (tambour téléphone), chez les Bayaka et Bankanu du territoire de Popokabaka,” Mai 1956 - N° 5 - Extrait de Zaïre.
“Choix de devinettes des Bankanu et Bayaka du territoire de Popokabaka,” Juin 1957 - N° 6 - Extrait de Zaïre.
“Contribution à la littérature orale Kongo,” 1968 – Vol. l - N° l Revue internationale des sciences du développement.
“Les mouvements prophétiques Kongo en 1958 - Contribution à l’étude de l’histoire du Congo”. 1970 - B.O.P.R. Université Lovanium. - Kinshasa.
En préparation: “Les proverbes Kongo et Notes folkloriques.” Nombreux extraits parus dans la revue Ngonge – carnets des sciences humaines - B.O.P.R.
Articles sur André Ryckmans:
La Revue nouvelle, 1960 – Pages 280 à 284.
- Articles de Presse (quotidiens) même époque.
Jean Kestergat, André Ryckmans (Ed. du Centurion, Paris).
Cet article, réimprîmé ici avec permission, est tiré d’Hommes et Destins: Dictionnaire biographique d’Outre-Mer, tome 2, volume 2, publié en 1977 par l’Académie des Sciences d’Outre-Mer (15, rue la Pérouse, 75116 Paris, France). Tous droits réservés.