Collection DIBICA Classique
Tous les articles créés ou soumis au cours des vingt premières années du projet, de 1995 à 2015.Kimbangu, Simon (C)
Simon Kimbangu naquit le 24 novembre 1889 dans la région de Ngombe-Lutete, au nord the Thysville (Matadi), district de cataractes. Cette région était considérée, de longue date, comme bastion de la Baptist Mission Society (BMS).
A Lwezi, la mère du prophète, pendant sa grossesse, le révérend G. R. R. Cameron, un missionnaire protestant, dit: “Femme, cet enfant que vous attendez sera appelé à de grandes choses.” L’enfance du prophète, dit-on, était tissée de séries de petits faits miraculeux. Simon perdit sa mère quand il ne savait pas encore marcher. Il fut élevé par Kinzembo, la soeur de sa mère. Celle-ci le confia par la suite aux missionnaires protestants de la BMS. Son père, Kuyela, était un Nganga Nkisi, c’est-à-dire un guérisseur traditionnel.
Simon Kimbangu fit quatre ans d’études de catéchuménat pour apprendre à lire et à écrire les textes bibliques que le pasteur Bentley (de la BMS) avait traduit en langue locale (Kikongo). Il fut baptisé dans la rivière Tombe le 4 juillet 1915. Il se maria religieusement avec Marie Mwilu et ils eurent, par la suite, trois fils: Daniel Charles Kisolokela, Salomon Dialungana Kiangani et Joseph Diangienda Kuntima.
Avant de commencer son ministère en 1921, le prophète aurait eu une première vision nocturne en 1918. Il aurait entendu une voix qui lui disait: “Je suis le Christ, mes serviteurs sont infidèles, je t’ai choisi pour être mon témoin auprès de tes frères et pour les convertir.” Il refusa la mission parce que, selon lui, non seulement c’était un travail pesant, mais aussi et surtout réservé aux pasteurs et aux diacres. Pour chercher à s’échapper il s’enfuit à Léopoldville (Kinshasa). Là il n’eut pas de paix; il rentra dans son village natal de Nkamba en 1921. C’est alors qu’il s’engagea dans le ministère.
D’après les écrits de Nfinangani et Nzungu,–supposés être les secrétaires du prophète,–traduits par Paul Raymaekers, Simon aurait lui-même réclamé d’être catéchiste de la BMS. Il dit:
C’était au temps où il y avait eu des difficultés à cause du passage d’un prêtre catholique. Les vieux ont été convoqués à Vula (Ngombe-Lutete) pour voir ce qu’il y avait à faire suite à l’arrivée du père. [Un père catholique est passé par là. On n’a pas voulu qu’il loge. Le père a menacé de les accuser à l’état de ne pas laisser loger de Blancs.]
Revenus de là, ils me dirent que je devais être catéchiste, mais chez moi on me dit que je n’avais pas d’esprit. Je me cachai dans ma maison, je me jetai face contre terre et priai. Alors j’eus un songe et Dieu me dit: “J’ai entendu ta prière, les gens pensent qu’il faut de l’esprit pour faire mon oeuvre, mais je te donnerai ce qui surpasse.” Je laissai passer cela. Mais, de jour en jour j’entendis la voix qui me disait que je devais faire le travail de Pierre et de Jean, être apôtre: “Les hommes ne veulent pas te donner le droit d’enseigner? Moi, je te fais apôtre.” Mais j’eus peur et je dis: “J’ai peur, c’est un office qu’on ne connaît pas encore.” Il me dit: “Tu as un enfant; si toi, père, veux donner un surplus à un enfant bien aimé, aimerais-tu que ton enfant refuse ton bienfait?” Moi: “Non, mais je ne connais pas ce travail.” Lui: “Ne crains pas, je serai ton maître.” Moi de répondre: “Enfin, parce que tu le veux et que tu m’aideras, je veux bien.”
Dès lors Simon Kimbangu commença son ministère de prédicateur de l’évangile. Il s’attaqua aux fétiches et à la sorcellerie. Son ministère était accompagné de miracles dont le premier était la guérison de la femme Kintondo, le 13 mars 1921. Simon dit ceci:
Au mois de mars 1921, on parlait de Kintondo qui était gravement malade. J’étais d’avis d’aller au marché avec du tabac. Je passais au village de Kintondo, une inspiration me conduisit chez elle. Je la vis toute défigurée. Il y avait là deux femmes. J’avais la pipe en bouche et le chapeau sur la tête. Dieu me dit: “Prends ta pipe et ton chapeau dans tes mains.” Je sentis mon bras se lever comme si quelqu’un le soulevait. C’est ainsi que je laissais aller ma main et que je dis: “Vous êtes bénie–au nom de Jésus-Christ, soyez guérie.” Je sortis, mais ma marche avait changé d’allure. Je rencontre le mari de Kintondo qui me demande si je ne connais pas de feuilles pour guérir sa femme. Je lui dis qu’il ne doit pas chercher de remèdes, que sa femme a reçu plus que cela. Arrivé à l’eau, je rencontre le catéchiste qui se lavait les pieds et lui dis: “Vois au village où tu enseignes, il y a eu un miracle; mais les gens sans esprit disent que je suis fou, mais vous savez ce que Kintondo souffrait; elle est guérie.”
Le prophète Simon Kimbangu aurait même réssuscité des morts.
Un jour au mois d’avril, on apporte une fille morte depuis trois jours. Quand elle s’approcha du village Dieu révéla à Simon qu’il y avait une morte qui s’approchait et qu’il devait la ressusciter au nom de Christ. La morte étant arrivée, on la plaça aux pieds du prophète. Le père dit: “Simon, prophète de Dieu, ayez pitié de mon enfant, qu’elle vive; elle s’appelait Dina.” Simon dit: “Votre fille n’est pas morte, elle dort seulement.” Il dit à l’enfant: “Au nom de Christ, levez-vous.” Sur le champ, elle se dressa et s’en alla. La foule était dans l’admiration et bénit le Seigneur dans un chant de louange.
A la fin du mois d’avril 1921, l’administrateur du territoire, Léon Morel, fut mis au courant de déplacements inhabituels de populations vers le village de Nkamba, attirées par la réputation du prophète. Des travailleurs abandonnaient momentanément leurs postes dans les sociétés et les maisons où ils étaient employés. En face de ces événements qui perturbaient l’ordre établi, une première réaction des autorités coloniales se manifesta par l’enquête de l’administrateur Léon Morel le 9 mai 1921. Puis une intense correspondance officielle s’établit à tous les échelons de l’administration, mais aussi avec les missionnaires, surtout les missionnaires catholiques. Le but de cette correspondance était de prendre des mesures urgentes pour enrayer ce mouvement considéré comme xénophobe.
Le 6 juin 1921, l’administrateur Léon Morel fit une deuxième visite à Nkamba avec une escorte dans le but d’arrêter le prophète. Il y eut trois blessés et un enfant tué; mais Simon Kimbangu s’échappa. Il fut finalement arrêté le 12 septembre 1921. Certaines sources disent qu’il se serait rendu personnellement aux autorités coloniales. Le 3 octobre 1921, il fut condamné à mort pour sédition, puis sa peine commuée par le roi Albert I en servitude pénale à perpétuité le 22 novembre 1921. Après avoir reçu 120 coups de fouets il fut transféré à la prison d’Elizabethville (Lubumbashi), à plus de mille kilomètres de Léopoldville. Il y resta jusqu’à sa mort le 12 octobre 1951.
Le prophète ne fit donc que six mois de ministère, c’est-à-dire du 13 mars (date du premier miracle) au 12 septembre 1921, dans l’après-midi (date de son arrestation).
Pendant que le prophète purgeait calmement sa peine en prison, plusieurs mouvements clandestins se formèrent, brandissant chacun le nom de Kimbangu. C’est surtout à partir de 1951, avec une réactivation animée et canalisée par le troisième fils, Joseph Diangienda, que les mouvements Kimbanguistes se reconstituèrent pour former, entre 1955 et 1958, l’Église de Jésus-Christ sur la Terre par le prophète Simon Kimbangu (EJCSK). Joseph était désigné par son père pour lui succéder.
Après l’indépendance du pays en 1960, l’interdiction officielle qui obligeait les mouvements à oeuvrer dans la clandestinité fut levée. Les croyances et les cultes furent organisés et la hiérarchie bien établie. En 1969 le EJCSK entra dans le Conseil Oecuménique des Eglises.
Tant d’événements et tant de volte-faces ne s’accumulent pas dans un temps aussi court sans que leurs enchaînements ne subissent des historialisations qui exagèrent ou dissimulent tel ou tel point de leur histoire. De fait, comme dit Balandier: “Il est certain que Kimbangu, éloigné de ses adeptes, n’a pu ‘façonner’ ainsi son personnage. Ce dernier a été construit selon les besoins et les circonstances par les continuateurs (plus ou moins désintéressés) de Simon.” Il convient donc de noter, avec M. L. Martin, que “l’étude en profondeur de l’histoire de Simon Kimbangu et de son église reste encore à faire, il faudra la distinguer des légendes qui se sont créées autour de la figure du prophète.”
Yossa Way
Bibliographie
Paul-Eric Chassard, “Essai de bibliographie sur le Kimbanguisme” dans Archives de sociologie des religions, no. 31 (1971), p. 43-49.
Susan Asch, L’église du prophète Kimbangu (Paris: Karthala, 1983).
Paul Raymaekers, “L’Histoire de Simon Kimbangu, prophète, d’après les écrivains Nfinangani et Nzungu (1921)” dans Archives de sociologie des religions, no. 31 (1971), p. 15-42.
Evelyne Libert, “Les Missionnaires chrétiens face au mouvement kimbanguiste” dans Etudes d’histoire africaine, II (1971), p. 121-154.
G. Balandier, Sociologie actuelle de l’Afrique noire, 2e édition (Paris: PUF, 1963), p. 434-435.
M. L. Martin, Prophetic Christianity in the Congo. The Church of Christ on Earth through the Prophet Simon Kimbangu (s.l.: Christian Institute of Southern Africa, 1968).
Le “Rapport Morel” du 17 mai 1921, Annexe 2, dans A. Ryckmans, Les mouvements prophétiques Kongo en 1958, Bureau d’organisation des programmes ruraux (B.O.P.R.), 1970.
Cet article, reçu en 2001, est le produit des recherches du Révérend Yossa Way. Celui-ci est professeur de théologie à l’Institut Supérieur Théologique Anglican (Bunia, Rép. Dém. du Congo) et récipiendaire de la bourse du Projet Luc.