Collection DIBICA Classique
Tous les articles créés ou soumis au cours des vingt premières années du projet, de 1995 à 2015.Yoane, Akudri Dada
Yoane Akudri est né vers 1898 à Gombe, collectivité des Kakwa, à l’extrême nord-est de la République Démocratique du Congo. Il est de la tribu Kakwa.
Le nom Akudri veut dire “qui a traîné” car il aurait fait plus de neuf mois dans le ventre de sa mère. Le nom Dada, qui était celui de son père, veut dire “qui n’a pas de membres de sa parenté.” Pendant son enfance, une épidémie meurtrière de méningite ravagea son village et il perdit ses parents et tous ses frères et soeurs. Pendant que la dépouille mortelle de son dernier frère était dans la maison, Akudri était sérieusement malade. On préféra alors laisser la tombe ouverte afin d’enterrer Akudri, une fois mort, dans la même fosse. Comme il prenait son temps pour mourir, on voulut même l’enterrer vivant. Mais il fut miraculeusement guéri.
Avec sa vigueur physique, sa bonne voix et son talent de danseur tous voyaient en lui une vedette potentielle de la danse dans le village et ses environs. Pour se rendre plus beau, il se fit percer les pavillons des oreilles afin de porter des boucles d’oreilles pendant ses danses. Malheureusement il eut une réaction allergique et les pavillons de ses oreilles commencèrent à pousser démesurément à partir des endroits percés. Ce problème l’ennuya jusqu’à sa mort, malgré les différentes interventions des médecins.
Il épousa Maria Libhiyo et ils eurent huit enfants : Roda (fille), Eudia (fille), Mikala Azonye Tikile (fille), David Ayiko (garçon), Anyole Dada (garçon), Ang’ume Dada (garçon), Anite (fille) et Akandru (fille).
Akudri était cuisinier du couple Kenneth et Dorothy Richardson, missionnaires anglais affectés à Adi par la société missionnaire Africa Inland Mission en 1924. Il connut le Seigneur Jésus grâce aux missionnaires qui se succédèrent à Adi, surtout le couple Richardson. Il fut baptisé, avec trois autres noirs, dans le ruisseau qui s’appelle Mite par George Van Dusen, directeur de la mission dans la région à l’époque, qui résidait à Aba (à 120 kilomètres à l’ouest d’Adi). C’était le premier baptême fait par cette église dans la région. Akudri choisit le nom Yoane (Jean), se référant au zèle de Jean Baptiste et aussi à la compassion de Jean l’apôtre.
Yoane n’avait pas beaucoup étudié. Il avait fait l’apprentissage élémentaire de l’écriture, de la lecture et du calcul. Plus tard il fit l’école biblique à Blukwa.
Les premiers missionnaires protestants arrivèrent chez les Kakwa en 1922. Les premiers arrivés, Jim Bell et Ralph Davis, deux Américains, s’installèrent à Kukulung’a, au-delà de la rivière Kibi, à environ trois kilomètres à l’est d’Adi.
Yoane fut l’un des fondateurs de la station missionnaire actuelle d’Adi avec le missionnaire Davis. Il était l’interprète des missionnaires en Kikakwa et en Bangala. À la demande de Davis, Yoane accepta de l’accompagner dans une nouvelle mission dans la région Azande mais le village n’était pas d’accord pour le laisser partir. Sa marâtre lui dit : “Tu es un brave garçon; tu feras l’honneur du village en étant le leader de la danse; tu seras certainement le chef du village quand l’actuel ne sera plus. Nous ne voulons pas te perdre.” Mais Yoane décida de partir, laissant le village dans le regret de l’avoir perdu. Après six mois Yoane rentra à Adi, en passant par Aru pour obtenir des documents officiels auprès de l’administrateur du territoire pour la parcelle du nouveau site missionnaire d’Adi.
Il continua à être à la fois cuisinier des missionnaires et prédicateur de l’évangile dans les régions environnantes. Il faisait de l’évangélisation porte-à-porte pendant ses heures libres. Le nombre des croyants devint de plus en plus grand et le travail de plus en plus pesant pour le missionnaire Ken qui proposa à son organisation d’ordonner Yoane. Il n’y avait encore aucun noir ordonné à cette époque au sein de la Africa Inland Mission au Congo. Yoane fut soumis à un sérieux examen avant d’être ordonné.
Yoane commença son ministère au niveau local, puis, avec le temps, il prouva aux yeux du monde qu’il était bien un évangéliste à vocation internationale. Il prêcha l’évangile dans de nombreux pays, y compris l’Ouganda, le Kenya, le Soudan, la Tanzanie, la République Centrafricaine, les Etats-Unis, et le Canada. Pendant plus de 65 ans de prédication, Yoane priait toujours ce qui suit : “To preach, oh Lord, give the stuff, and nudge me when I’ve said enough” (Pour prêcher, Seigneur, donne le paquet et fais signe quand j’en dis assez.).
Comme Peter Brashler l’affirme dans son livre Akudri, Yoane était un acteur inné qui magnétisait son public et prêchait facilement pendant des heures sans ennuyer la foule. Il y avait des conversions massives pendant ses prédications sur les marchés régionaux. Cela provoqua d’ailleurs sa première arrestation par les autorités coloniales belges à l’instigation d’un prêtre catholique. En effet, pour celui-ci, Yoane était une menace pour l’Église Catholique, l’église de l’état à l’époque. Pour convaincre les autorités coloniales, le prêtre accusa Yoane d’être un semeur de trouble qui arrêtait les activités du marché en captivant tout le monde par ses discours. Il affirma même que Yoane avait l’intention de mener une insurrection contre le gouvernement.
Par conséquent, Yoane fut arrêté puis jeté en prison avec la résolution de le transférer au Katanga (à plus de 2000 kilomètres). Il accepta volontiers le transfer et profita du contact avec l’administrateur belge pour lui annoncer la bonne nouvelle de Jésus-Christ. Mais finalement cet administrateur renonça à la décision de le transférer.
Un autre conflit avec les autorités coloniales surgit quand les protestants refusèrent de cultiver du tabac. Pour les colons, le tabac était une source d’argent pour la population et ils en imposaient la culture à tous les colonisés. Mais Yoane réussit à convaincre les autorités d’imposer plutôt la culture du coton. Yoane avait un don inné pour la diplomatie et il savait aborder autorités politiques et missionnaires.
Yoane fut l’objet de plusieurs arrestations accompagnées de menaces de mort, mais il en était toujours délivré. Par exemple, en 1964 il fut arrêté par les Simba (rebelles) pour complicité avec les occidentaux et jeté dans la prison de Kumuru pour attendre son exécution. L’ange de l’Eternel lui aurait ouvert la porte de la prison pour le laisser partir.
Une autre fois, les Simba vinrent à la mission d’Adi prétextant chercher des armes dans les maisons des missionnaires. Ceux-ci étant absents, Yoane fut pris à leur place. Ils lui demandèrent de faire sortir les armes détenues par les missionnaires mais Yoane leur affirma qu’ils n’en avaient pas. Ils le torturèrent mais quelque chose les empêcha de le tuer. Finalement, pour le sauver de la mort, ils lui demandèrent de l’argent. Yoane n’en avait pas. Il leur affirma que même s’il en avait, il ne le leur donnerait pas. Croyant sauver son pasteur de la mort, mademoiselle Catherine leur offrit 3000 francs congolais, une grosse somme à l’époque. Après avoir pris l’argent, les Simba décidèrent tout de même d’amener Yoane à Kumuru pour être exécuté. Ils tirèrent six balles sur lui mais aucune ne l’atteignit. Frustrés, les Simba le laissèrent rentrer chez lui en promettant de revenir le chercher le lendemain. Le même jour Yoane s’exila en Ouganda où il resta un certain temps.
A une autre occasion, il fut arrêté en Ouganda, avec douze autres évangélistes, alors qu’ils revenaient d’une campagne d’évangélisation au Kenya. À l’époque l’Islam battait son plein dans le pays sous le dictateur Idi Amin Dada. Ils échappèrent à la mort après une semaine de tortures et de menaces de mort.
En 1979 pendant la guerre contre Idi Amin il se trouvait en Ouganda où il était invité pour une campagne d’évangélisation. Il fut arrêté en tant qu’“ennemi.” L’un des soldats qui se rappelait ses frères tués par Idi Amin lui affirma qu’il n’échapperait pas à la mort puisqu’il était de la tribu Kakwa comme Idi Amin. Mais Yoane fut encore une fois délivré. Le jour de son retour à Adi, il fut reçu par des pleurs melangés de joie. Sur son visage il n’y avait aucun signe de tristesse.
On nous raconte qu’une nuit une sorcière vint chez lui avec l’intention de lui faire du mal. Elle était complètement nue car les sorciers se promènent toujours nus la nuit. Yoane l’attrapa et la fit s’asseoir dans son salon. Après avoir prié pour elle, il lui donna un pagne.
Bien que fréquemment persécuté par ses ennemis, Yoane était convaincu que la meilleure victoire sur les ennemis était de prier pour eux et de les aimer davantage. En effet, Yoane était reconnu comme étant l’homme de la prière et comme un saint qui prie pour tous. Les chrétiens paresseux de son temps disaient: “Mangeons, car Yoane a déjà prié pour le repas,” ou encore “Allons au lit sans prier, Yoane a déjà prié pour nous tous.”
Lors de son voyage aux USA, Yoane aurait refusé le don d’un véhicule, expliquant qu’il avait fait le voyage pour prêcher gratuitement l’évangile de Jésus-Christ et non pour recevoir des cadeaux.
Yoane mourut en 1997 à Aba pendant la guerre de libération menée par Kabila contre le dictateur Mobutu, des suites d’une maladie. Il fut enterré dans la concession de l’église d’Adi dont il était l’un des fondateurs. Ses prédications, enregistrées sur bandes cassettes, continuent à être appréciées de nos jours.
Yossa Way
Bibliographie
Peter Brashler, Akudri (Marysville: Cascade Publishing, 1990).
Idring’i Ngila Théophile (48 ans), voisin de Yoane Akudri de 1955 à 1963, interview du 20 Août 2001 à Bunia, Rep. Dem. du Congo.
Aligo Denaya (28 ans), petit-fils de Yoane Akudri, interview du 22 Août 2001 à Bunia, Rep. Dem. du Congo.
Cet article, reçu en 2002, est le produit des recherches du Révérend Yossa Way. Celui-ci est professeur de théologie à l’Institut Supérieur Théologique Anglican (Bunia, Rép. Dém. du Congo) et récipiendaire de la bourse du Projet Luc.