Collection DIBICA Classique
Tous les articles créés ou soumis au cours des vingt premières années du projet, de 1995 à 2015.Bichet, Marie-Georges
Né le 5 mai 1855 d’une famille d’origine bourguignonne, orphelin de père à l’âge de deux ans, Marie-Georges Bichet entra après son baccalauréat au scholasticat des Pères du Saint-Esprit à Langonnet. Il reçoit les Ordres Mineurs le 19 mars 1876, et est ordonné prêtre le 27 octobre 1878. Il fait sa profession religieuse dans la Congrégation du Saint-Esprit à Chevilly, le 24 août 1879. Il s’embarque à destination de l’Afrique à Cardiff, le 20 novembre suivant, et débarque à Libreville en avril 1880. Ses premières affectations n’ont qu’une importance relative dans sa carrière de missionnaire: St-Paul de Donguila et St-François-Xavier de Lambaréné. De 1883 à 1887, le Père Bichet va se joindre, en compagnie du Père Davezac, à l’expédition Brazza. Il se fixe chez les Aduma du haut Ogooué, à Mulundu (d’abord Madiville puis Lastoursville) pour fonder la Mission de St-Pierre-Claver. Mais au début de 1887, le Père Bichet, épuisé, est de retour à Libreville. C’est alors que le hasard va décider de la suite de sa carrière qui fera de lui l’une des figures les plus originales que le Gabon ait connues. Les Nkomi de la lagune Fernan Vaz souhaitaient depuis 1850, environ, d’avoir chez eux, à l’instar de leurs amis Myènè, les Mpongwè de l’estuaire du Gabon, des missionnaires. Une première tentative fut faite auprès de l’American Board de Baraka qui, dans les années 1860, dépêcha un instituteur africain au Fernan Vaz. Ce fut un échec et les Nkomi s’adressèrent ensuite, en particulier par lettres de 1879 à 1887, à la Mission catholique de Ste-Marie. Mais des raisons financières firent qu’on ne put fonder une mission sur ce littoral situé à deux jours de navigation de Libreville. En 1882, le Père Bichet fait une expédition de dix jours au Fernan Vaz. Le commandant du Gabon, qui avait signé un traité de protectorat avec les chefs nkomi en janvier 1868, n’avait pas la possibilité de signaler la présence française au Fernan Vaz autrement que par celle d’un douanier contrôlant le commerce de factoreries anglo-saxonnes déjà nombreuses, et par les visites d’inspection faites de temps à autre par un aviso à vapeur. Il encourageait donc fortement l’établissement d’une mission catholique française dans cette région. Le Père Neu acheta, en décembre 1883, deux terrains au Fernan Vaz, l’un dans l’île Nenge Sika, où il y avait déjà une factorerie Hatton et Cookson, et l’autre à la pointe Igumbi, dans une très belle situation, sur un promontoire dominant une grande partie de la lagune. Les choses en restèrent à ce point jusqu’à ce qu’en février 1887, la présence inattendue du Père Bichet à Libreville, fit que l’on donna satisfaction au chef nkomi Eteno Nkange qui était venu lui-même en pirogue pour réclamer des missionnaires. Le Père Bichet partit alors avec le Père Buleon pour le Fernan Vaz, où il fonda le 7 mars 1887 la Mission Ste-Anne, sur la pointe Igumbi. Dès lors l’existence du Père va se confondre avec celle des Nkomi qu’il va non seulement tenter d’évangéliser mais encore de secourir dans toutes les circonstances, et auxquels il va se consacrer totalement. Les débuts de la Mission sont modestes. Les missionnaires vivent dans un grand isolement. Ils entrent parfois en conflit avec certains commerçants en mauvais terme avec les Nkomi, mais les relations entre les Pères et les maisons anglaises sont cependant très amicales dans l’ensemble. D’autre part, le Père Bichet prend part très tôt à la vie politique et judiciaire des Nkomi. A cette époque, ils sont environ 20 000, et ont à leur tête un ethnarque appelé Rengondo entouré d’une cour de dignitaires dont l’une des principales fonctions est de juger les différends interclaniques, en particulier lorsqu’il s’agit des accusations très fréquentes de sorcellerie. Le Père Bichet intervint d’abord en s’intéressant au sort des esclaves domestiques que les chefs possédaient en grand nombre, puis en s’élevant contre le poison d’épreuve (bundu) utilisé dans les procès de sorcellerie. Il entreprit de se rendre dans les villages et de passer de longues heures dans les procès traditionnels. Son prestige dans ce domaine éclipsa celui du rengondo régnant, Oyari Nkongu. Le Père devint aussi très proche des Nkomi par l’importance de ses réalisations matérielles: grâce à la fortune maternelle il édifia une très belle église entièrement métallique, ainsi que deux bâtiments d’habitation, à la Mission, dès 1888. Il fit appel aux Sœurs de l’Immaculée Conception pour créer une école de filles. Il racheta un grand nombre d’esclaves et afin de respecter la mentalité traditionnelle, il adopta une méthode originale d’évangélisation: il «épousait» selon les règles nkomi, c’est-à-dire en versant une somme aux parents, des jeunes filles, des fillettes même, destinées à l’école des Sœurs. Il les mariait ensuite aux élèves de l’école des garçons de la Mission. Il fit édifier au pied de la Mission un village modèle habité par ces couples chrétiens Odimba qui existe encore, mais dont le caractère disparut avec son fondateur. En 1894, un administrateur, Auguste Foret, vint s’établir au Fernan Vaz, dans l’île Nenge Sika tout d’abord, puis au poste d’Omboué, l’actuelle sous-préfecture régionale, qu’il fonda en 1895. Les rapports de la Mission et de l’administrateur, d’abord bons, s’assombrirent, sans doute parce que ce dernier voulut rivaliser avec la forte personnalité du Père Bichet. Il tenta, semble-t-il, de favoriser le ressentiment du vieux rengondo Oyari, et en juin 1897, il fomenta une révolte des Nkomi contre les agents des factoreries anglaises, dans le but d’affermir sa propre autorité, et peut-être de se livrer personnellement au commerce. Le 29 mai, il s’était fait proclamer Akaga par les chefs réunis à Omboué: c’était l’un des titres traditionnels les plus importants. Dans cette affaire, la Mission défendit les maisons anglaises. Un aviso fut envoyé de Libreville, en juin, pour régler la situation, et l’administrateur fut rappelé le 4 juillet, puis traduit devant une commission d’enquête. C’est alors que, pour la fête de Ste-Anne, le 26 juillet, le Père Bichet fut proclamé par les Nkomi assemblés à la Mission, Renima, titre porté par l’oncle du premier rengondo, à une époque incertaine, sans doute au début du XIX siècle. Ce personnage, quoique historique, jouissait d’un prestige mythique très grand, non seulement dans le clan royal, mais aussi dans l’esprit de l’ensemble des Nkomi. Le Père Bichet bénéficia donc de bien plus que d’une simple adoption dans le clan royal dont faisait partie Eteno Nkange qui l’avait conduit au Fernan Vaz. D’ailleurs, l’absence d’Oyari, son rival en quelque sorte, à la véritable intronisation traditionnelle qui eut lieu à la mission montre que les Nkomi, qui aimaient donner des titres honorifiques aux européens, ont voulu confirmer par une cérémonie le rôle prééminent qu’occupait depuis longtemps déjà le Père Bichet au milieu d’eux. La santé du missionnaire s’altérant rapidement, il ne jouit pas longtemps de sa nouvelle autorité: rentré en France en avril 1900, il mourut à Cannes le 28 décembre de la même année. Il n’avait quitté sa mission de Ste-Anne que pour trois séjours en France, en 1889, 1898, et 1900. Sa dépouille fut ramenée au Fernan Vaz, et déposée dans le caveau qu’il avait fait préparer devant l’église de la Mission. Ceci est conforme d’ailleurs à la tradition des chefs Nkomi qui se font toujours enterrer dans le cimetière de leur territoire clanique même s’ils meurent loin de celui-ci. Les Nkomi témoignèrent de leur attachement par des cérémonies funéraires traditionnelles aussi bien que par de nombreuses messes dites à la mémoire du fondateur de la Mission Ste-Anne.
François Gaulme
Bibliographie:
R. P. BICHET, «La fondation de la Mission de Ste-Anne chez les Carnas», Revue des Missions Catholiques, 1887.
E. LE GARREC, Au Fernan-Vaz, la rencontre de deux civilisations, Abbeville, 1896.
Bulletins de la Congrégation du St Esprit, no.12 (janvier 1888), no.38 (février 1890), no. 93 (octobre 1894), no. 122 (mars 1897), no. 141 (septembre 1898), no. 173 (juillet 1901), (nécrologie du Père Bichet).
O.B.M. AIENDENGUE, Le Révérend Père Marie-Georges Bichet, Apôtre et roi des Nkomis, par un chrétien Nkomi, Libreville, 1950.
F. GAULME, «Un problème d’histoire du Gabon : le sacre du P. Bichet par les Nkomi en 1897», Revue Française d’Histoire d’Outre-Mer, no. 224, 3e trimestre 1974.
Cet article, réimprîmé ici avec permission, est tiré d’Hommes et Destins : Dictionnaire biographique d’Outre-Mer, tome 2, volume 1, publié en 1977 par l’Académie des Sciences d’Outre-Mer (15, rue la Pérouse, 75116 Paris, France). Tous droits réservés.