Collection DIBICA Classique
Tous les articles créés ou soumis au cours des vingt premières années du projet, de 1995 à 2015.Bediako, Kwame
Manasseh Kwame Dakwa Bediako, recteur défunt de l’Institut Akrofi-Christaller pour la Théologie, les Missions et la Culture, [1] à Akropong, au Ghana, est né le 7 juillet, 1945. Il est mort le 10 juin 2008, des suites d’une maladie grave. Il a indiqué aux autres, pendant bien des années, la place appropriée de l’Afrique dans le discours chrétien mondial. Il a indiqué des nouvelles voies pour la théologie africaine chrétienne, et il a œuvré afin de permettre à des générations d’érudits, confiants de leur identité à la fois chrétienne et africaine, de pouvoir être formés en Afrique. A cette fin, il a crée un nouveau genre d’institution où la dévotion à l’érudition et à la compréhension des cultures africaines puisse se dérouler dans un milieu chrétien de louange, de discipline chrétienne et de mission.
Il s’agissait de grandes entreprises, et il a été séparé d’elles à l’apogée de son pouvoir, débordant encore de visions et de projets pour leur mise en œuvre, alors que l’institution qui devait servir de modèle et qui devait les faciliter est toujours jeune. Il serait donc prématuré de se prononcer sur l’héritage qu’il nous laisse si peu de temps après son départ. Tous ceux qui ont connu l’homme et son travail sont vivement conscients des vides que son départ a provoqué, de ce qui reste à faire, des ouvrages à moitié écrits, des plantes en bouton et en fleur qui ont encore à donner leur fruit. Ses accomplissements, aussi grands soient-ils, indiquent un avenir qui n’est pas encore réalisé. Il était à la fois visionnaire et entrepreneur doué, mais aussi, il inspirait et encourageait les autres, et dessinait une vision pour l’église africaine et mondiale, appelant tous ceux qui voulaient bien l’entendre à se vouer à l’érudition comme forme de service chrétien rigoureux. On peut étaler sa vie, sa vision et ses objectifs, mais on ne peut encore savoir à quel point les autres prendront le relais. Nous sommes présents, pour ainsi dire, à la lecture d’un testament. Il faudra attendre plusieurs décennies pour voir comment, en Afrique et ailleurs, on aura utilisé l’héritage qui a été laissé par Kwame Bediako.
Ses débuts
Kwame - car il a toujours utilisé son nom traditionnel d’anniversaire Akan indiquant qu’il est né un samedi - était fils d’inspecteur de la police et petit-fils d’un évangéliste et catéchiste presbytérien. Malgré le fait que ses parents étaient de la région centrale, qui était alors la colonie britannique de la Côte d’Or, il a grandi dans la capitale, à Accra, au centre de formation de la police. Sa première instruction n’était donc pas en Twi, sa langue maternelle tant aimée, mais en Ga, la langue d’Accra, qu’il connaissait aussi bien. Elève remarquable, il a pu obtenir une éducation secondaire à l’école Mfantsi-pim, à Cape Coast, qui avait été fondée au dix-neuvième siècle par la mission britannique méthodiste. Ajouté au fait que les missions soulignaient l’éducation à l’époque, il a bénéficié d’une période de politique de l’éducation exceptionnellement éclairée sous un gouverneur qui, lui aussi, étant très avisé, avait créé à la Côte d’Or des écoles qui figuraient parmi les meilleures de l’Afrique coloniale, et Mfantsipim était une des meilleures de celles-ci. Kwame y a reçu une éducation excellente du genre anglais. La période de son éducation secondaire était parallèle à celle de la transformation de la Côte d’Or, qui est devenue le Ghana. Le Ghana était la première des nouvelles nations africaines, et elle était dirigée par Kwame Nkrumah, qui rejetait complètement le règne occidental de l’Afrique, et qui avait un sens élevé à la fois des anciennes gloires de l’Afrique et de son futur destin. Kwame Bediako a quitté Mfantsipim à la tête de sa classe et s’est inscrit, en 1965, à l’université de Ghana, qui avait été établie après la deuxième guerre mondiale en vue d’être un “Oxbridge” [Oxford/Cambridge] en Afrique. C’est là qu’il est devenu excellent orateur et débatteur, quelqu’un qui serait capable de succès politique. C’est là, aussi, qu’il a atteint un haut niveau de français, et qu’il a pu gagner une bourse pour les études supérieures en France, lui assurant pratiquement une carrière académique. Il était devenu fermement athée sous l’influence existentialiste française, et ignorait, apparemment, les supplications de ses camarades de classe chrétiens.
Il a obtenu la maîtrise et le doctorat à l’université de Bordeaux, ayant logiquement choisi comme domaine de recherches la littérature francophone africaine. Pendant son séjour en France il est passé par une conversion chrétienne radicale - tellement radicale, en fait, qu’à un certain moment, il a pensé qu’il devrait abandonner ses études et faire de l’évangélisation. Heureusement, on a pu le dissuader; il reconnaîtrait plus tard que l’érudition est une vocation missionnaire en elle-même.
Avec sa nouvelle vie, il a aussi eu de nouveaux associés - notamment, une anglaise qui faisait des études de français, et qui l’a rejoint dans un ministère auprès d’enfants arabes itinérants. Kwame et Mary Gillian se sont épousés en 1973, formant un partenariat très heureux et riche sur le plan intellectuel et spirituel. L’année suivante, il y a eu le Congrès sur l’Evangélisation Mondiale à Lausanne. La vision globale de Kwame a été élargie et sa connaissance de chrétiens du monde non occidental (où bien, comme il aimait le dire, du “deux-tiers monde”) s’est approfondie. Ses études sont passées de la littérature à la théologie, leur foyer de la France à Londres, où il a reçu une licence en théologie avec mention très bien. Ils sont ensuite partis pour le Ghana, pour enseigner pendant deux ans au Christian Service College [collège de service chrétien] à Kumasi, un collège bien décrit par son nom. C’est là que les liens familiaux avec l’église presbytérienne ont été rebâtis, là où son grand-père avec si bien servi, là où il a reçu l’ordination.
Sa vocation théologique
Ses bonnes références ainsi que ses convictions évangéliques étaient évidentes, mais dans son esprit, Kwame luttait avec des questions qui n’étaient pas proéminentes dans la pensée évangélique en général, ni présentes à l’agenda de la plupart des institutions évangéliques. Est-ce que les africains pouvaient devenir pleinement chrétiens seulement en accueillant la mentalité des chrétiens occidentaux, et en laissant tomber les choses qui les rendaient vraiment africains? Le chrétien africain moyen se retrouvait tous les jours face à des questions théologiques qui n’étaient pas desservies par la théologie occidentale. Apparemment, cette théologie suffisait assez bien aux chrétiens occidentaux, et elle n’avait, en principe, rien de faux - elle était simplement incapable de se prononcer sur les questions qui s’adressaient directement aux rapports de famille, de parenté, et de société, ni de répondre aux plus troublantes anxiétés de ceux qui voyaient le monde en termes différents de ceux du monde occidental. L’Afrique répondait à l’évangile, et le nombre de chrétiens était sans précédent, mais la théologie reçue ne décrivait pas le monde dans lequel ils vivaient. Ainsi, de grands domaines de la vie n’étaient pas atteints par le Christ, laissant les chrétiens sincères préoccupés par de grandes incertitudes. La pensée évangélique, en général, ne s’adressait pas à la culture, ou bien le faisait de manière simpliste ou superficielle.
C’est pour cela que les Bediako sont revenus aux études supérieures, et que Kwame a fait un doctorat dans le département d’études religieuses à l’université d’Aberdeen, en Ecosse. En même temps, Gillian a obtenu la maîtrise en religion avec mention très bien, et plus tard, elle a obtenu le doctorat dans la même université, ayant fait l’étude des religions primitives. Kwame a voulu approfondir ses connaissances dans deux domaines principaux, la première trouvant son origine parmi le petit groupe de théologiens africains académiques de l’époque. Pourquoi donc leur pensée trouvait-elle si souvent son origine dans la religion pré chrétienne de leur peuple, abordant si rarement les questions considérées soit intéressantes ou importantes par les théologiens occidentaux? Pourquoi les efforts de pionniers comme Bolaji Idowu et John Mbiti ont-ils provoqués autant de troubles dans les milieux évangéliques qui les ont nourris, que parmi les intellectuels africains tels que Okot p’Bitek, qui avait rejeté le christianisme?
Kwame s’est intéressé à ces questions, mais aussi, parallèlement, à une autre question encore: qu’avait fait l’église primitive quand elle s’est retrouvée face à de telles questions? Comment les théologiens du monde gréco-romain avaient-ils résolu les questions qui venaient de la culture helléniste, et qu’avaient-ils pensé de leurs ancêtres culturels, et de leur héritage intellectuel, littéraire et religieux pré chrétien? Jusqu’à quel point était-il possible d’être à la fois grec et chrétien? Sa thèse de doctorat, qui a été approuvée en 1983, et au sujet de laquelle l’examinateur externe a dit que c’était la meilleure thèse qu’il avait jamais vue, explorait deux questions: comment les théologiens du deuxième siècle avaient-ils abordé les questions posées aux chrétiens par le passé gréco-romain, et comment les théologiens africains du vingtième siècle avaient-ils abordé le passé africain? Les questions se ressemblaient tellement que c’était frappant - au cœur des deux processus on trouvait la question de la conscience de l’identité. La question du deuxième siècle, c’était: est-ce possible d’être à la fois grec et chrétien? La question du vingtième siècle, c’était: est-ce possible d’être à la fois chrétien et africain? Notre passé nous créé; c’est notre passé qui créé notre identité et qui nous montre qui nous sommes. Nous ne pouvons ni abandonner, ni réprimer notre passé, ni le remplacer par autre chose. Nous ne pouvons pas, non plus, le laisser tout seul, ne pas laisser le Christ y toucher. Il faut que notre passé, comme notre présent, soit converti, tourné vers le Christ. La quête du deuxième siècle, c’était la conversion de la culture hellénique, et non pas sa suppression ni son remplacement. Dans ce cas-là, la conversion avait amené au renouveau culturel. La quête d’aujourd’hui, c’est celle de la conversion de la culture africaine, celle qui provoquera peut-être son renouveau. Les théologiens du deuxième siècle avaient découvert que Dieu avait été actif dans ce passé; avec la même conviction, les chrétiens africains pouvaient reconnaître que Dieu devance toujours ses missionnaires. Au fil des années suivantes, Bediako devait développer ces idées dans son enseignement et dans son œuvre écrite. L’activité de la parole divine, l’évidence que Dieu ne s’était pas laissé sans témoignage dans le passé africain, les multitudes d’africains qui devenaient chrétiens à présent, - tout cela indiquait une place spéciale pour l’Afrique dans l’histoire chrétienne; cette place spéciale, cependant, se trouvait dans l’histoire de l’église dans son ensemble, et non pas à part d’elle. Les chrétiens ont tous les mêmes ancêtres, et ces ancêtres font partie de toutes tribus, de toutes familles, de toutes nations.
A l’époque, le département d’études religieuses à Aberdeen contenait l’embryon du Centre pour l’étude du christianisme dans le monde non occidental, Centre qui a été mieux connu par la suite dans son existence à l’université d’Edinburgh. Dans le groupe animé d’étudiants en études supérieures qui venaient du monde entier, l’Afrique était particulièrement bien représentée. En général, leurs domaines de recherche se divisaient en deux catégories qui, dans bien des cas, s’entrecroisaient. De nombreux étudiants travaillaient dans le domaine des religions primitives des sociétés traditionnelles, souvent pré cultivées; d’autres s’intéressaient à l’histoire, la vie et la pensée des chrétiens quelque part en Afrique, en Asie ou dans [les îles] du Pacifique. Kwame était de plus en plus attiré par l’étude des religions primitives et de leur rapport au Christianisme. Ces religions étaient primitives car elles devançaient les soi-disantes religions mondiales. Ces religions, selon l’histoire chrétienne, se sont montrées les plus ouvertes au message chrétien, et forment pour ainsi dire l’arrière plan, voire l’infrastructure, de la foi d’un grand pourcentage des chrétiens dans le monde, et influencent leur vision du monde. La Bible, et plus particulièrement l’ancien testament, nous montre bien des choses sur les actions de peuples qui ont une vision du monde primitive, des choses que l’on reconnaît immédiatement en Afrique et dans bien d’autres parties du monde. Elles sont donc primitives dans un deuxième sens: fondamentales, simples, faisant preuve des éléments de base de la réponse humaine au divin. Bediako a découvert que l’étude des écrivains de la période de conversion en Europe - Grégoire de Tours, par exemple, ou Bède, ou encore Boniface, - révèle comment le Christianisme occidental est sorti de l’interaction entre la tradition biblique et la vision du monde primitive des peuples de l’Europe du nord et de l’ouest. L’histoire chrétienne occidentale était, elle aussi, une histoire de la conversion du passé.
Maillage de réseau et pastorat
Kwame, en attendant, passait du temps à faire quelque chose qui a marqué la plupart de sa vie: il créait des réseaux qui étaient soutenus par l’amitié bienveillante. Il a établi un lien de soutien mutuel et de stimulation au sein du groupe de chercheurs africains en Grande-Bretagne. C’était l’embryon de l’Africa Theological Fellowship [Confrérie théologique africaine], qui relie aujourd’hui les chercheurs sur l’ensemble du continent africain. Il a gardé le contact avec ceux du mouvement de Lausanne qui étaient de la même sensibilité, comme Vinay Samuel en Inde, ou Tito Paredes du Pérou, et ces contacts ont éventuellement formé l’International Fellowship of Evangelical Mission Theologians (INFEMIT) [Confrérie internationale des théologiens de mission évangéliques], un groupe international dont le leadership venait des pays du “deux-tiers monde”, et qui a occasionné la formation du Oxford Centre for Mission Studies [Centre des études de la mission d’Oxford].
Suite à l’obtention de son deuxième doctorat, Kwame a enseigné pendant un an comme professeur associé remplaçant au département [d’études religieuses] dans l’université d’Aberdeen. C’était le début d’une série d’engagements par lesquels il a fait partie du Centre pour l’étude du Christianisme dans le monde non occidental. Peu après avoir terminé son engagement dans ce poste provisoire, le Centre a été réinstallé dans la faculté de théologie de l’université d’Edinburgh, et pendant bien des années après, Kwame y a été maître de conférences. Son premier appel, cependant, était pour le Ghana, et pour le poste de pasteur de l’église Ridge à Accra. A l’époque coloniale, l’église Ridge avait été l’assemblée des officiels expatriés, mais maintenant cette assemblée était florissante et très diversifiée: des pasteurs anglicans, méthodistes et presbytériens dirigeaient l’église à tour de rôle. Kwame y a passé trois années formatives (1984 -1987) qui ont révélé les soucis, les aspirations et les anxiétés des chrétiens africains. Plus tard, en dépit de ses activités académiques et de son travail d’érudition, il n’a jamais été pour le moins pasteur. Même avant de quitter Aberdeen, en fait, il avait une vision claire de la nature de son travail, et le souci pastoral était central à cette vision.
Le Centre Akrofi-Christaller
Bediako avait maintenant des références académiques formidables, et un poste universitaire dans l’ouest aurait pu se matérialiser; plus tard, de telles invitations se multiplièrent, mais furent toutes fermement refusées. Au Ghana, il aurait pu facilement rentrer au monde universitaire; il aurait pu devenir, aussi, une personne clé dans le domaine de la formation au ministère. Or, il avait entendu un appel à l’érudition théologique que les universités et les facultés de théologie n’étaient pas encore capables de créer. Leurs programmes reposaient sur des fondements qui dépendaient largement de modèles intellectuels occidentaux. Cependant, de grands nombres de chrétiens africains se retrouvaient constamment face à des situations qui exigeaient des décisions théologiques, et le modèle intellectuel occidental ne servait pas à formuler ces réponses. Ils avaient besoin d’une pensée biblique et théologique nouvelle et informée, accompagnée d’une compréhension sensible de la société: ils avaient besoin d’aide pour résoudre des situations où l’identité et les obligations du chrétien croisent l’identité et les obligations de membre de famille, de communauté ou encore d’état. On trouvait rarement des réponses à cela dans les textes sur la théologie.
La tradition de l’église dans laquelle le christianisme avait été reçu de sources occidentales au cours d’une période de domination occidentale amenait soit au rejet complet de tout ce qui était africain, soit à une division de la vie en activités parallèles “africaines” et “chrétiennes” qui ne se croisaient pas. Une sorte de schizophrénie religieuse, une identité fracturée en découlait. Les questions théologiques principales du jour exigeaient, comme dans l’église primitive, une identité intégrale qui était à la fois complètement africaine et complètement chrétienne, confiante dans la foi, sûre que la parole divine incarnait une chair africaine, et qu’elle s’installait en Afrique. Un nouveau type d’institution serait nécessaire pour la pensée théologique de ce genre. Avant de quitter Aberdeen, Bediako avait commencé à visualiser une institution semblable. Lorsqu’il a quitté l’église Ridge en 1987, il a trouvé, avec l’appui total de son église et le soutien de ses amis au Ghana et au-delà du Ghana, l’occasion de mettre la vision en pratique. C’est le Centre Akrofi-Christaller pour la Recherche Missionaire et pour la Théologie Pratique qui en a résulté, centre qui s’appela par la suite l’Institut Akrofi-Christaller de Théologie, de Mission et de Culture. L’établissement et le développement de cette institution a été centrale à l’œuvre de Bediako pour le reste de sa vie.
Toute considération de la vie de Bediako doit forcément tenir compte de l’institut et des principes selon lesquels il a été fondé. Un objectif clé de l’institut était celui de l’engagement pour l’érudition chrétienne en Afrique. Comme l’Afrique avait été un champ principal des missions, Bediako pensait que ce terrain était, pour ainsi dire, un grand laboratoire théologique dans lequel l’œuvre théologique qui restait à faire serait unique au monde. Aussi, comme le centre de gravité du christianisme au vingtième siècle se déplaçait de l’ouest global vers le sud global, la qualité de l’activité théologique africaine était désormais devenue d’importance universelle pour l’église, et non seulement continentale. L’Afrique avait besoin d’érudits non seulement pour elle-même mais aussi pour le bien de l’église mondiale.
Le Centre (c’est ainsi qu’il s’appelait, au début) a été créé comme institution de recherches, mais il est devenu un centre d’études supérieures peu après. L’arrangement initial avait été établi avec l’université de Natal (l’université KwaZulu Natal présente) en Afrique du Sud. Sous l’égide de cet accord, les étudiants en maîtrise de théologie du christianisme africain passaient leur premier semestre en Afrique du Sud et leur second au Ghana, et Kwame et Gillian Bediako enseignaient dans les deux endroits. Par la suite, grâce à l’initiative du gouvernement du Ghana, l’Institut Akrofi-Christaller est devenu une institution d’études supérieures indépendante au sein de l’université du Ghana. Au niveau de la maîtrise, l’institut a connu un succès régulier. Cependant, le programme de maîtrise en théologie avait été conçu dès le début pour préparer ceux qui avaient une formation conventionnelle en théologie à l’étude spécialisée et à la recherche dans les domaines de la théologie, des missions, et de la culture en Afrique - et l’institut peut maintenant compter parmi ses gradués un petit nombre important de docteurs. Le centre n’a néanmoins jamais eu pour objectif la simple formation de docteurs (beaucoup de ceux qui ont obtenu un doctorat ne font aucune contribution au savoir), mais plutôt la formation d’érudits disciplinés, mûrs et engagés pour qui la quête du savoir est un appel qui vient de Dieu, un appel auquel on répond par une vie vécue dans le sacrifice. L’institut était contre tous les raccourcis et les options faciles: les programmes d’étude étaient souvent plus longs et plus rigoureux que ceux des autres institutions.
L’institut reconnaissait aussi que les devoirs de l’érudition vont au-delà des limites du monde académique et qu’ils amènent certainement à faire un travail qui est profitable à la vie et à l’œuvre de l’église dans son ensemble. Chaque année le programme typique de l’institut comprend des activités pour les ministres, les catéchistes, les traducteurs de la Bible et les spécialistes de l’utilisation des écritures saintes. L’institut a aussi offert des stages sur l’évangile et la culture pour les travailleurs chrétiens qui viennent du pays entier, des consultations sur les grandes questions comme celle de l’esclavage dans l’histoire locale, et des réunions régulières pour ceux qui écrivent des commentaires bibliques dans les langues ghanéennes.
Le but de l’institut était de promouvoir l’érudition fondée sur les missions chrétiennes. Le mot “mission” se trouve dans l’ancienne appellation de l’institut et aussi dans la nouvelle. L’usage de ce terme marque clairement le rejet des tentatives occidentales d’aborder l’érudition sans engagement, de manière détachée; pour Bediako, l’érudit chrétien était détenteur de responsabilités dans l’église et l’église, à son tour, avait besoin de la recherche savante et délibérée de la vérité, de l’activité académique de la recherche et de la mise à l’épreuve. Bediako prônait aussi (et pratiquait) l’engagement public de la théologie avec les autres disciplines. Il a été élu associé de l’Académie des Arts et des Sciences du Ghana et il participait activement à ses activités; il a fait des conférences académiques sur l’importance religieuse d’un des pionniers de l’indépendance du Ghana, J.B. Danquah.
L’institut avait l’intention de fonctionner comme une communauté chrétienne; non seulement les éducateurs et les étudiants, mais aussi le personnel du bureau, de la restauration, du nettoyage, du jardinage - tous étaient présents au cultes et tous participaient à la direction du culte de louange quotidien. Dans beaucoup d’institutions, l’érudition était devenue une activité individuelle, même compétitive, motivée surtout par l’avancement professionnel. Bediako voulait plutôt capter une tradition plus ancienne du savoir occidental, celle de la communauté: pour lui, la matrice qui convenait à l’activité de l’érudition était celle de la communauté de louange, celle qui vit sur un fond de mission.
L’érudition de l’institut se concentrait sur l’Afrique: ses réalités linguistiques, sociales, culturelles et religieuses, et l’histoire, la vie et la pensée de ses chrétiens. Les cours préparatoires du programme de maîtrise exploraient les principes sous-jacents de l’interaction entre l’évangile et la culture, la vision du monde des sociétés primitives, la théologie en Afrique, la Bible en Afrique, et l’histoire chrétienne en Afrique à partir des débuts de l’ère chrétienne et dans les différentes régions du continent. L’institut attire des étudiants de l’Afrique entière ainsi que quelques étudiants occidentaux. Des érudits répartis ailleurs en Afrique soutiennent la petite faculté résidente. L’accent qui est mis sur l’Afrique a toujours été situé sur un fond bien plus élargi. Un des cours sur l’histoire chrétienne mondiale tenait compte de deux millénaires et de six continents, et le cours sur les visions du monde primitives comprenait celles des peuples européens et les débuts de leur interaction avec l’évangile. Essentiellement, Bediako était un chrétien mondial. Il favorisait, en particulier, ce qu’il appelait le dialogue “sud-sud.” Les arrangements bilatéraux entre l’Afrique et un partenaire occidental étaient assez faciles à arranger, mais les liens bénéfiques potentiels entre l’Afrique et les partenaires asiatiques ou latino-américains étaient bien plus difficiles à maintenir. Une de ses dernières entreprises importantes, à laquelle participaient des académiciens de différentes parties de l’Afrique, de l’Asie, des Amériques et du Pacifique, (qui continue toujours), était une étude collaborative des religions primitives comme structure sous-jacente du christianisme.
L’endroit qui a été choisi pour l’institut était significatif: Akropong est une ville relativement modeste, mais c’est la capitale de l’état Akan d’Akuapem, où les modéles traditionnels de gouvernance et les rituels associés sont toujours intacts, et où on est très fiers de l’histoire locale, qui est longue et pittoresque. Le bâtiment central de l’institut retient de nombreuses caractéristiques originales de la mission de Bâle du 19ème siècle, et de sa longue association avec la formation d’enseignants et de ministres. Une petite promenade amène au palais, scène d’activités traditionnelles comme le grand festival Odwira de purification nationale, à la vaste église ancienne, et à la place de l’assemblée, où le premier missionnaire a été reçu par le roi de l’époque. L’église, les divers bâtiments dans la ville, et le bâtiment principal de l’institut portent des noms qui sont bien connus dans les registres de l’histoire de l’église Akan. On voit dans la ville entière les signes d’une interaction continuelle entre l’évangile chrétien et la société Akan qui va des années 1830 jusqu’à l’âge internet. Cela rappelle combien l’Afrique est riche en matériel pour les recherches religieuses. Le lien entre les noms de Johann Gottlieb Christaller et de Clement Anderson Akrofi dans l’appellation de l’institut est aussi significatif: Christaller était un traducteur missionnaire allemand qui s’était voué à la langue Akan et aux coutumes traditionnelles, et Akrofi était éditeur ghanéen de la Bible Twi et auteur d’une grammaire de cette langue. Le principe vernaculaire du christianisme, l’importance de l’expression théologique dans la langue maternelle, et la capacité des langues africaines d’éclairer les concepts bibliques - voilà trois thèmes qui étaient souvent repris par Bediako.
Kwame Bediako était le plus remarquable théologien africain de sa génération. Membre distingué du monde académique, il savait que les érudits n’étaient pas les seuls à faire de la théologie, et il attirait l’attention vers la théologie informelle - ou plutôt implicite, selon lui - que l’on trouvait parmi les gens peu éduqués. Il était enchanté par les chansons vernaculaires de Madame Afua Kuma, une sage-femme traditionnelle pentecôtiste et poétesse qui chantait les louanges du Christ dans le langage exalté des chants qui faisaient la louange des souverains traditionnels. Pour lui, ces chants étaient “une force libératrice pour la théologie africaine académique ainsi que pour le théologien académique.” Il a probablement fait plus que tout autre pour persuader les théologiens occidentaux dominants et des institutions théologiques occidentales du courant dominant que la théologie africaine n’était pas une spécialisation minoritaire exotique, mais plutôt une partie essentielle du discours chrétien global en développement.
L’influence de son œuvre écrite bien trop modeste continuera à se faire sentir, ainsi que celle du journal de son institut, le Journal of African Christian Thought [Journal de pensée africaine chrétienne], auquel il a si souvent contribué. Il existe d’autres livres qu’il n’a pas pu finir, et beaucoup de matériel enrichissant dans les cours et les exposés bibliques stimulants qu’il donnait. Cependant, une grande partie de son meilleur travail se trouve inscrit dans les vies et dans la pensée de ses élèves, de ses collègues et de ses amis, dans le concept de l’institution qu’il a fondée, et dans les réseaux qu’il a aidé à établir, à mettre en valeur, et à maintenir. C’est un héritage riche, un héritage qu’on a prudemment investi pour l’usage ultérieur.
Andrew F. Walls
Notes:
- Bediako a servi comme pasteur de l’Institut Akrofi-Christaller pour la Théologie, les Missions et la Culture à Akropong, Ghana. Pour plus d’informations sur l’institut, voir www.acighana.org/site/.
Bibliographie
-
La thèse a été publiée par la suite sous le titre de Theology and Identity: The Impact of Culture on Christian Thought in the Second Century and in Modern Africa [La théologie et l’identité: l’impact de la culture sur la pensée chrétienne au deuxième siècle et dans l’Afrique moderne] (Oxford: Regnum Books, 1992).
-
On peut trouver une version anglaise de certaines chansons dans Afua Kuma, Jesus of the Deep Forest: Prayers and Praises of Afua Kuma, trans. Jon Kirby [Afua Kuma, le Jésus de la forêt profonde: les prières et la louange d’Afua Kuma, trad. Jon Kirby], (Accr: Asempa Press, 1981). Brochure and couverture.
-
Kwame Bediako, Christianity in Africa: The Renewal of a Non-Western Religion [Le christianisme en Afrique: le renouveau d’une religion non-occidentale] (Edinburgh: Edinburgh Univ. Press; Maryknoll, N.Y.; Orbis Books, 1995), p.59.
Resource en ligne:
Kwame Bediako: His Life and Legacy/Sa vie et son héritage, un documentaire d’une heure, créé par le cinéaste James Ault.
Cet article, reçu en 2008, a été écrit par Andrew F. Walls, fondateur et directeur du Centre pour l’Etude du Christianisme dans le Monde Non Occidental. Le dr. Walls est professeur de recherches distingué dans l’Institut Akrofi-Christaller pour la RThéologie, les Missions et la Culture, Akropong, Ghana. Editeur et contributeur [du DIBICA], il est professeur émérite, université d’Edinburgh, et professeur de l’histoire des missions, université de Liverpool Hope.