Collection DIBICA Classique
Tous les articles créés ou soumis au cours des vingt premières années du projet, de 1995 à 2015.Ailloud, Laurent
Le Père Laurent Ailloud est aujourd’hui presque complètement effacé dans le souvenir du catholicisme malgache. D’autres figures comme Callet, Malzac, Abinal, etc., ont presque monopolisé l’attention de l’historiographie. La discrétion, voire l’effacement qui avait marqué la personnalité du Père pendant les années de son activité missionnaire, l’ont accompagné après sa mort.
Or, le P. Laurent Ailloud, rien que par l’œuvre écrite qu’il a laissée, mérite une mention importante dans les annales catholiques de Madagascar.
Ses données biographiques sont sans éclat et faciles à résumer. Né à Aix-les-Bains, le 3 octobre 1817. Jésuite à l’âge de 18 ans. Demande d’être affecté aux missions lointaines après son ordination sacerdotale. Supérieur du collège tenu par les Jésuites à Bourbon (Réunion) pendant sept ans. Missionnaire à Madagascar pendant les quinze dernières années de sa vie: 1864-1879.
C’est pendant cette dernière période, relativement courte, que le P. Ailloud donne la preuve de ses capacités intellectuelles et de son esprit d’adaptation.
Dans ses excursions missionnaires, dans son travail paroissial, assimilant minutieusement tout ce qui avait été écrit sur Madagascar jusqu’alors, il apprend à la perfection le malgache et il publie, dans cette langue, neuf ouvrages de caractère religieux et linguistique (cf. liste à la fin de cette notice), sans compter les nombreuses lettres, correspondances et articles, imprimés dans des revues en France et à Madagascar.
Ses ouvrages de caractère religieux manifestent un esprit clair, cultivé et une profonde intelligence de la foi. Ecrits pour ses chrétiens dans un style simple, mais pur et souvent élégant, par exemple ses Explications des Evangiles du dimanche, (titre malgache: Fivoasana ny Evanjely amy ny isan’Alahady), révèlent des inquiétudes moralisantes certes, mais surtout un souci constant de traduire, dans un langage accessible, les données doctrinales du christianisme. Cette publication de 1878, circulera parmi les chrétiens jusqu’aux premières décennies du XXe siècle. Elle nous donne aujourd’hui les moyens pour établir les thèmes présentés par le catholicisme aux malgaches de la seconde moitié du XIXe siècle, et d’étudier les réactions des auditeurs malgaches (parfois rapportées dans le texte), face à ces mêmes thèmes. Dans ce sens, si le contenu doctrinal de l’œuvre (on pourrait affirmer la même chose pour les autres titres), est périmé aujourd’hui, elle constitue une source historique de première importance qu’on ne peut ignorer.
La polémique entre catholicisme et protestantisme qui faisait rage à Madagascar pendant le XIXe siècle, trouve dans l’œuvre du Père Ailloud, une expression nette, parfois dure; mais correcte et sans jamais arriver aux violences verbales échangées par exemple par les revues Teny Soa (protestante) et Resaka (catholique). Dans ce sens, les écrits du Père Ailloud témoignent aussi de son caractère humain assez doux et de sa noblesse d’esprit. Une de ses lettres publiée en 1874, prouve ce que nous venons d’affirmer. Elle présente aussi l’état de la Mission dans les années 70. Voici un extrait: “Les missionnaires comptent pour rien les privations matérielles. Ils les acceptent d’un cœur soumis et joyeux. Ce qui nous est pénible c’est de rester l’arme au bras en présence des ravages de l’ennemi. Car c’est rester l’arme au bras que de ne pouvoir entretenir des écoles, ni élever des églises, de n’avoir ni hôpital ni médecin, de ne pouvoir établir des œuvres de propagande, tandis que les protestants maintiennent des écoles dans toutes les villes et dans tous les villages, construisent de beaux temples dans les centres populeux, possèdent un hôpital et ont trois médecins résidant à Tananarive, répandent à profusion leurs bibles et leurs publications” (Les Missions Catholiques, 9 oct. 1874, p. 497).
D’autre part le Père n’hésitera pas à faire appel à ces “publications et bibles” et à s’en servir même.
Les ouvrages de linguistique publiés par le P. Ailloud sont remarquables pour leur temps. Ils se situent dans la tradition des malgachisants linguistes jésuites, dont le Père Webber avait été l’initiateur en 1853. Le Vocabulaire français malgache et la Grammaire malgache-hova du P. Ailloud, s’adressent en particulier aux missionnaires étrangers, sans d’autres prétentions que celle de leur permettre de maitriser la langue en peu de temps. Il l’affirme dans la préface à la Grammaire: “C’est surtout pour nos missionnaires catholiques que nous (…) avons entrepris (cet ouvrage). Puisse-t-il seconder les impatiences de leur zèle en les aidant plus promptement et plus efficacement à étendre de vive voix et par écrit, le règne de Jésus-Christ” (p. III). Son but apostolique est clair. Mais Grammaire et Vocabulaire, allaient contribuer aussi à la fixation de la langue malgache au XIXe siècle à cause de la méthode de travail dont le Père se servait. C’est surtout dans le parler vivant qu’il cherche ses sources. Il se propose de trouver un “guide pour pénétrer dans les règles de la construction des phrases et jusque dans les secrets des idiotismes. Ce guide n’existait point. Dès lors nous avons essayé d’extraire ces règles qui se trouvaient encore enfouies dans le langage, comme le sont les pierres de construction dans une riche carrière, et nous nous sommes proposé d’en faire un recueil. Nous les avons cherchées dans nos conversations presque incessantes avec les malgaches, dans de nombreuses correspondances épistolaires, dans quelques récits ou contes manuscrits, dans la bible malgache” (Préface p. 1).
On peut noter dans ces derniers mots l’honnêteté intellectuelle du P. Ailloud : de son temps il n’existait de traduction malgache de la Bible (sauf pour le Nouveau Testament) que celle protestante. Les catholiques avaient à peine commencé le travail de traduction, de l’Ancien Testament.
La vie et l’œuvre du Père Laurent Ailloud méritent une étude plus approfondie qui n’existe pas encore. Sa vie religieuse personnelle, son zèle et son dévouement apostolique en font une des grandes figures de l’Église missionnaire de France pendant la seconde moitié du XIXe siècle.
Pietro Lupo
Œuvres:
- Volany ny Mary (Mois de Marie), Tananarive, 1866, 12°, pp. Ill.
Ny fety ny Maslna Mary (Les fêtes de Marie), ibid., 1868, 18°, pp. 96.
Volany ny Fo Masiny Jeso (Mois du Sacré Cœur), ibid., 1869, 18°, pp. 111.
Ny Tantara Masina (Histoire sainte), ibid., 1869, 18°, pp. 112.
Volany ny M.D. Josepha (Mois de Saint Joseph), ibid., 1870, 18°, pp. 96.
Fivoasana ny Evanjely amy ny Isan’alahady (Explications des Evangiles du dimanche), ibid., 1878, 12°, pp. 521.
*Fanamasinana ny andro *(Manuel de piété: la sanctification de la journée) [En collaboration avec d’autres missionnaires], ibid., 1868.
Vocabulaire français-malgache, ibid., 1868.
Grammaire malgache-hova, ibid., 1872, pp. 111-383.
Lettres (liste incomplète). In Annales de la Propagation de la Foi, t. 39, pp. 69-73.
In Lettres de Vals: février 1859, p. 16; janvier 1864, pp. 5-6; déc. 1864, PP. 13-15; mars 1865, pp. 18-20 ; avril 1868, pp. 17-20 ; nov. 1868, pp. 64-67 ; oct. 1874, pp. 23 et 13-14.
In Les Missions Catholiques, 9 oct. 1874, p. 497.
Bibliographie
“Le P. Laurent Ailloud” dans Lettres de Vals, avril 1880, pp. 98-100.
“Ny nahafatesany Mompera Ailloud” (La mort du P.A.) dans Resaka, No. 70, oct. 1879. pp. 234-240.
Cet article, réimprîmé ici avec permission, est tiré d’Hommes et Destins: Dictionnaire biographique d’Outre-Mer, tome 3, publié en 1977 par l’Académie des Sciences d’Outre-Mer (15, rue la Pérouse, 75116 Paris, France). Tous droits réservés.