Collection DIBICA Classique
Tous les articles créés ou soumis au cours des vingt premières années du projet, de 1995 à 2015.Cameron, James
L’œuvre de Cameron domine Tananarive, car c’est lui qui a habillé de pierre le Palais de la Reine, alors simplement en bois, et lui a donné son aspect actuel. A l’extrémité nord de cette même colline, un autre édifice, l’église commémorative des Martyrs de Faravohitra, montre mieux qu’il était missionnaire. Un proverbe malgache fut même composé en son honneur: “La suite au prochain numéro comme les articles de M. Cameron sur l’astronomie,” faisant allusion à ce qu’il écrivait dans la gazette mensuelle de l’époque.
Cameron était écossais et était né à Little Dunkeld, le 6 janvier 1800. Il était surtout menuisier et c’est en tant que tel qu’il fut recruté par la London Missionary Society (LMS, Société missionnaire de Londres) comme artisan-missionnaire. Mais il était évidemment capable de faire bien d’autres choses et on l’envoya étudier la filature et le tissage du coton à Manchester, afin qu’il puisse aider un collègue que la LMS devait envoyer à Madagascar pour un projet de cet ordre. Cameron débarqua à Madagascar en 1826, avec un groupe de jeunes missionnaires. Il aida donc son collègue filateur, mais ce projet fut très rapidement abandonné. Le génie de Cameron était d’utiliser les ressources locales. Par exemple, il montra la façon de fabriquer de bonnes briques, il trouva le moyen de fabriquer du soufre. Il réussit même à satisfaire une demande inattendue de la Reine.
Ranavalona 1ère, païenne pieuse, était irritée par l’action spirituelle des missionnaires qui sapait et ébranlait l’ordre social d’alors. Elle leur fit donc suggérer de rentrer dans leur pays “de peur que leurs parents ne s’ennuient d’eux.” Ceux-ci remercièrent la Reine de son attention mais lui firent savoir qu’ils étaient venus pour enseigner bien des choses nouvelles à son peuple: le grec, l’hébreu … La Reine leur fit dire que ces langues mortes n’avaient pour son peuple aucun intérêt, mais qu’elle préfèrerait de beaucoup du savon … Deux semaines plus tard, Cameron lui fit présenter une barre de savon “acceptable.” Ce succès, remporté avec des produits du crû, eut de profondes conséquences–et pas seulement pour des raisons d’hygiène–car les missionnaires obtinrent un répit de quelques précieuses années avant d’être expulsés. Ils purent ainsi achever la traduction et l’impression de la Bible.
Son ingéniosité avait déjà été inestimable quand il avait su assembler et mettre en route la première presse d’imprimerie: l’artisan-imprimeur envoyé par la LMS était mort dès son arrivée et n’avait même pas pu déballer sa machine. Parmi les premiers travaux sortis de cette presse figure un opuscule de 32 pages de Cameron donnant les principes de la gravitation (1832). Par la suite, il publia d’autres brochures en malgache sur la géométrie, les poids et mesures.
En 1831, Cameron avait la charge de 600 apprentis. Il construisit une chapelle à Ambatonakanga pour l’une des deux premières églises (de Tananarive) nées de l’action de la LMS. Un autre travail important fut de creuser le lac Anosy et son canal d’arrivée d’eau, élément d’un grand projet concernant une poudrière, conçu par Chick qui l’aida à le réaliser.
L’action missionnaire et la situation des chrétiens malgaches devinrent de plus en plus critiques. Chick et Cameron se virent offrir par la Reine un contrat de travail, à condition qu’ils s’abstiennent de toute activité religieuse. Or, ils n’étaient pas venus pour promouvoir le progrès matériel mais comme missionnaires du Christ et ils s’intéressaient d’abord aux gens. Ils refusèrent donc et se retirèrent avec quelques autres missionnaires en 1835 et s’installèrent au Cap (Afrique du Sud).
Pendant 37 ans, Cameron exerça ses talents à Capetown, par exemple comme géomètre-arpenteur et comme entrepreneur de bâtiments. Pendant quelques temps, il fut agent-voyer de la ville. Quoique à cause de cela il eût démissionné de la LMS, il restait en relation étroite avec elle. Il continuait également à s’intéresser à la Grande Ile et se tenait au courant de ce qui s’y passait grâce aux lettres que des amis malgaches s’efforçaient de lui faire parvenir. Il retourna en 1853 à Tamatave avec Maingeot pour payer de la part de l’île Maurice l’indemnité réclamée par Ranavalona à la suite de l’attaque navale franco-anglaise contre Tamatave en 1845. Depuis cette date les relations économiques étaient à peu près inexistantes et les commerçants de Port-Louis souhaitaient reprendre le trafic.
Le travail missionnaire put recommencer en 1862. W. Ellis forma le projet de construire à Tananarive un certain nombre d’églises en pierre pour commémorer les martyrs malgaches morts pour leur foi durant les trente années précédentes. Des dispositions furent prises à Londres pour l’engagement de l’architecte Sibree. Ellis demanda à Cameron, qui était toujours au Cap, de se joindre à lui. Il y eut quelques confusions dans les instructions données, ce qui n’empêcha pas Cameron de prendre une part importante au projet, en particulier pour les églises d’Ambatonakanga et de Faravohitra. Il construisit aussi un dispensaire à Analakely (Tananarive), de nombreuses églises de campagne et quelques maisons pour les missionnaires et, sur un programme spécial, il bâtit en pierre l’extérieur du Palais en bois, comme nous l’avons dit. C’est lui aussi qui fit les plans du plus petit des bâtiments royaux construits dans l’enceinte du Palais et connu sous le nom de Manampisoa, souvent traduit par “surcroît de beauté.”
Cameron s’intéressait à beaucoup de choses, mais sa principale marotte était l’astronomie. Comme le disait un de ses collègues: “En somme, … l’almanach … ne dépendait que de lui seul… “ Quand un passage de la planète Vénus était visible de Tananarive, il faisait des observations et des calculs qu’il communiquait à l’astronome de l’Observatoire royal du Cap. Il était aussi un bon géomètre-arpenteur et c’est lui, probablement, qui dressa le premier plan de Tananarive, publié dans l’histoire, (History) d’Ellis en 1838, plan revu pour le Madagascar revisited du même auteur en 1867.
Quand une délégation de la LMS vint en 1875 visiter Madagascar, Cameron fut de ceux qui l’accompagnèrent à Fianarantsoa. Mais il avait alors 75 ans et ce voyage l’épuisa. Il mourut à Tananarive le 3 octobre 1875.
Bien que sa vie soit passablement différente de celle de Jean Laborde, ces deux hommes avaient bien des points communs. Cameron ne fut pas aussi longtemps que Laborde à Tananarive, mais pour le temps qu’il y est resté, ses réussites techniques sont assez comparables. Pendant ses longues années passées à Capetown, Madagascar resta son intérêt majeur. Il faut souligner aussi qu’il tenait à ne pas laisser derrière lui que des pierres mais des hommes formés et si possible transformés. Il passa ses derniers jours à mettre par écrit les leçons bibliques qu’il avait données pour qu’elles puissent être imprimées. Son épitaphe porte ces mots: “Un ami fidèle du Gouvernement et du Peuple Malgaches.”
J. T. Hardyman, L. Molet
Bibliographie
Voir:
R. Toy, The Late M. James Cameron: His Life and Labours, [Feu M. James Cameron : Sa vie et ses œuvres], Antananarivo annual, 1875.
B. Jordan, Splintered Crucifix, [crucifix à échardes] Capetown, 1969.
Cet article, réimprîmé ici avec permission, est tiré d’Hommes et Destins: Dictionnaire biographique d’Outre-Mer, tome 3, publié en 1977 par l’Académie des Sciences d’Outre-Mer (15, rue la Pérouse, 75116 Paris, France). Tous droits réservés.