Collection DIBICA Classique
Tous les articles créés ou soumis au cours des vingt premières années du projet, de 1995 à 2015.Lespinasse de Saune, Henri
Le successeur de Monseigneur Cazet ne connut l’Outre-mer que sur le tard. Ce n’est en effet qu’à cinquante ans que s’ouvrit à Monseigneur de Saune la carrière de missionnaire. Les vingt neuf années passées à Madagascar permirent néanmoins à cet homme de qualité d’accomplir un important travail au service de l’Église catholique de ce pays.
1. Années de formation
Henri Lespinasse de Saune naquit à Toulouse le 7 juillet 1850. Son père fut l’un des principaux fondateurs de l’Institut Catholique de cette ville. D’après ses propres confidences, dès l’âge de 6 ans il se sentit appelé à être Jésuite. Pourtant ce dessein ne se réalisera qu’à l’âge de vingt-cinq ans.
En 1859, après avoir reçu les premiers rudiments de formation au sein de sa famille, il entre au collège Sainte Marie de Toulouse, alors dirigé par les Jésuites. A l’âge de quinze ans, le voilà prêt à passer le baccalauréat. Il lui faut une dispense d’âge, il ne l’obtiendra pas du ministre Duruy. Il se rattrapera l’année suivante, en devenant doublement bachelier: ès lettres et ès sciences.
C’est alors qu’il se propose d’entrer au noviciat des Jésuites. Mais son père le trouve trop jeune et l’envoie à Paris au lycée Henri IV, où il prépare Polytechnique. Il est reçu en 1869 et aura comme compagnon de promotion le futur Maréchal Joffre. Il interrompt ses études pour servir comme sous-lieutenant durant la guerre de 1870. Après avoir achevé le cycle de la Grande École, il passera encore deux ans à l’école d’application de Fontainebleau. Il se fait remarquer pour ses aptitudes au commandement. Un mémoire sur les Abris voûtés, qu’il écrit à cette époque, mérite la mention très bien et sera conservé dans les archives de l’école.
A partir de 1873, il sera pendant trois ans en garnison au 23e Régiment d’Artillerie de Toulouse. Il se donne complètement à ses soldats, s’appliquant à leur instruction, s’intéressant à leurs besoins. L’un d’eux qui devait devenir officier supérieur, dit de lui: “Voilà des chefs pour lesquels on n’hésiterait pas à braver la mort”.
L’estime de la vie militaire, où il réussit parfaitement, est profonde. Mais l’attrait pour la vie religieuse n’est pas totalement éliminé. Il sent que c’est le moment de prendre une décision. Son temps de garnison à Toulouse s’achevant, c’est l’occasion de prendre une option. Il se recueille quelques temps, une fois achevée l’inspection générale, et vers la fin de l’année 1875 décide d’entrer au noviciat.
C’est à Pau que se trouve alors le noviciat des Jésuites de Toulouse. Henri de Saune y entrera le 18 février 1876. A l’automne 1878, il commencera sa philosophie à Vals près le Puy et l’achèvera à Toulouse en 1880, où il passe également la licence de mathématiques. Puis de 1881 à 1885, il fera ses études de théologie à Uclès en Espagne. Il sera ordonné prêtre par Mgr. Valéro, évêque de Cuenza. Il prolongera son séjour à Uclès d’un an, comme bras droit du Supérieur du théologat.
Ses qualités de commandement sont vite remarquées par ses supérieurs. C’est pourquoi dès l’année 1886, avant même d’avoir achevé le cycle de formation, le voilà à la tête du collège de Tivoli à Bordeaux. Dans le bulletin de ce collège, on le dépeint ainsi: “une grande intelligence au service d’une grande bonté; l’esprit le plus rigoureusement scientifique en parfait accord avec la foi la plus ardente et la plus active; la plus ferme des volontés unie à la plus exquise des condescendances; le plus charitable des hommes non moins que le plus ferme administrateur.”
Il reste à ce poste jusqu’en 1893, année de sa troisième année de noviciat qui achève la formation des Jésuites. Pendant une dizaine de mois, il devra prendre en charge la procure de la mission de Madagascar à Paris. Après quoi, il sera nommé supérieur à La Résidence de Bordeaux, puis en 1898 recteur du collège de Montpellier. C’est là qu’on viendra le cueillir pour devenir coadjuteur de Mgr. Cazet.
Cette nomination, il l’apprend en gare de Béziers, au mois de novembre 1899, où son provincial l’avait convoqué. Le 18 février 1900, Henri de Saune reçoit la consécration épiscopale, à Trichinopoli en Inde, des mains de Mgr. Barthe assisté de Mgr. Lavigne et de Mgr. Bottero.
Qu’un coadjuteur du vicaire apostolique de Tananarive soit ordonné aux Indes peut surprendre. Le P. Boudou, dans son ouvrage sur la Mission de Tananarive, donne l’explication suivante. En 1897, Mgr. Cazet avait déjà fait une demande à Rome, qui nomma alors Mgr. Lavigne. Mais le ministre des Colonies Lebon s’y était opposé, ne voulant pas d’un évêque Jésuite à Tananarive. Lorsque deux ans plus tard, Mgr. Cazet renouvela sa demande, appuyé cette fois-ci par Galliéni, le “nouveau ministre des Colonies s’y prêta volontiers, demandant seulement qu’on lui laissât ignorer officiellement cette création d’évêque non concordataire.” Pour ne point compromettre des évêques français, Mgr. de Saune gagna Tananarive par le chemin détourné des Indes.
2) A Madagascar
Monseigneur de Saune arriva à Tananarive le 30 mars 1900. A part quelques brefs voyages en Europe, il devait y séjourner jusqu’à sa mort survenue vingt neuf années après. Dans son ministère malgache, on peut distinguer deux périodes: celle qui va de 1900 à 1911, où il secondera Mgr Cazet; puis celle où il prendra en main la direction du vicariat apostolique.
L’auteur d’une notice nécrologique décrit ainsi son travail durant la première période: “Pendant onze ans, de 1900 à 1911, Mgr de Saune resta le coadjuteur de Mgr. Cazet. Celui-ci doué d’une activité toujours jeune et égale, n’éludant aucune responsabilité, ne se dessaisissant non plus d’aucune parcelle de son autorité, se contentait d’associer son futur successeur à tous les actes de l’administration de son vaste vicariat; il l’envoyait en tournée de confirmation dans l’Ankaratra et le Betsiléo, ou présider des réunions plus importantes dans les districts; il lui confiait l’étude de certains dossiers, l’envoyait à Rome faire la visite ad limina; il cherchait en tout à l’initier à ses nouvelles fonctions, et pour lui inculquer ses principes, il les lui faisait mettre en pratique avec lui. Le coadjuteur se montra toujours d’une docilité parfaite, sans se croire obligé à l’obéissance de jugement toutefois. Il eut la force de refouler ses idées propres et de plier sa volonté à celle de son supérieur.
L’abnégation du soldat et du religieux avait envisagé cette perspective avec calme, et l’on vit bientôt le Polytechnicien, l’Officier, l’Évêque, aller s’installer seul dans les postes de brousse pendant de longs mois, pour faire l’expérience de la vie de ses missionnaires et pour entrer en contact avec la population. Il apprit ainsi la langue. Puis sur son alezan, il parcourut à plusieurs reprises l’immense diocèse qui s’entendait alors de Tananarive à Antsirabe, Ambositra, Fianarantsoa, Mananjary, Ambalavao. Partout sa bonté et sa patience inaltérable lui gagnèrent les cœurs et le rendirent populaire.
En somme, l’Évêque de cinquante ans se met humblement à l’école de la réalité malgache. Associé au gouvernement du diocèse de Mgr Cazet, il y connaîtra les difficiles problèmes de ces années, à savoir la politique peu favorable à l’Église sous les gouverneurs Augagneur et Picquié.
C’est le 30 août 1911, que Mgr de Saune prit en mains le gouvernement de la Mission de Tananarive. Les forces déclinantes amenèrent Mgr Cazet à donner sa démission. Cette année 1911 est aussi celle où l’on fêta le cinquantième anniversaire de l’établissement de la mission Catholique en Imerina. L’action du nouveau vicaire apostolique sera marquée par cette circonstance. On n’en est plus aux premières pénétrations du christianisme, mais à une phase d’expansion. C’est aux problèmes qu’elle pose que devra faire face l’administration de l’Évêque.
En premier lieu l’immensité du diocèse dépasse les forces des quelques missionnaires déjà surchargés de travail. Aussi Mgr de Saune s’appliquera-t-il à trouver de l’aide et à réorganiser le champ d’apostolat. En 1913, vont être créés dans la région qu’il administrait jusque là deux nouveaux vicariats apostoliques: celui de Fianarantsoa avec à sa tête Mgr Givelet et celui de Betafo, qui en 1918 s’établira à Antsirabe, avec Mgr Dantin. D’autre part, il fit également appel à d’autres congrégations religieuses pour leur confier quelques secteurs de son propre diocèse. Ainsi en 1920 la région de Vatomandry fut confiée aux prémontrés, dont le P. Vinvent Cotte est bien connu. En 1926, les quelques rares pères qui travaillent dans l’Ouest vont être relayés par les Trinitaires dans la région de Miarinarivo et par les Salétains dans celle de Maintirano.
Mais il faut voir plus loin: dans un avenir peut-être encore lointain, l’Église de Madagascar doit pouvoir se suffire à elle-même. C’est pourquoi, Mgr de Saune envisage très vite la formation d’un clergé indigène. On commence un séminaire à cette fin et le 18 février 1925, il aura la consolation d’ordonner les neuf premiers prêtres séculiers malgaches.
Durant son mandat il dût également faire face à toutes les difficultés qu’allait entraîner la guerre de 1914-1918. Les ressources en hommes, comme les ressources matérielles allaient soudain fondre. D’une part, la mobilisation enlevait beaucoup de missionnaires à leur poste, surtout les plus jeunes. D’autre part, les aides venues de France se faisaient plus rares. Il fallait donc immédiatement trouver une solution à cette nouvelle pauvreté. C’est à cette époque que l’on donnera une nouvelle vigueur aux mouvements chrétiens de laïcs et que naîtra l’association Catholique de la jeunesse Malgache. C’est également durant cette période que Mgr de Saune s’adressera à la générosité des Chrétiens Malgaches, en organisant le denier du culte.
Cette période de 1914-1918, atténue néanmoins d’autres difficultés, celles principalement qui opposaient le gouvernement général à la Mission. Pourtant les épreuves ne manqueront pas. En 1915, lors de l’affaire de la V. V.S., l’un de ses prêtres Malgaches fut injustement accusé. Mgr de Saune sut l’appuyer discrètement mais fermement. En parcourant ses diverses lettres pastorales, on est frappé de sa sollicitude lors des diverses épidémies ou cyclones qui ravagent l’île.
Pour caractériser son gouvernement du diocèse, l’un de ses contemporains écrit:
Mgr de Saune vivait dans la clarté, clarté de l’intelligence, de la conscience et de la foi. Il ne se serait pas accommodé du doute et de l’obscurité. Il ne dédaignait pas d’appliquer son esprit aux questions spéculatives, mais seulement par passe temps. Il préférait le terrain des faits. Les emballements de l’imagination, les enthousiasmes factices, le laissaient assez froid.
Ses lettres pastorales, ses notes administratives, ses sermons, avaient une allure plus scientifique que littéraire; exposition précise, idées appuyées de raisonnements, distingués avec netteté et exprimés avec le nombre de mots suffisants, pas un de plus, s’arrêtant court quand la pensée apparaissait claire. Les problèmes de l’administration étaient résolus par lui comme des problèmes de mathématiques; si la solution ne lui apparaissait pas possible ou réalisable, il écartait le problème. Si elle lui apparaissait possible, il dictait sans hésitation la marche à suivre, et ne s’épargnait pas pour obtenir le résultat voulu: son travail était réglé comme les mouvements d’une armée en campagne, rien n’était laissé au hasard ou à la fantaisie.
En 1927, vu son grand âge, ses forces déclinantes, et surtout le mauvais état de sa vue Mgr de Saune présenta à Rome sa démission. Elle fut acceptée, mais on lui demanda encore d’administrer pendant un an le diocèse. Ce n’est qu’en février 1928, que son successeur, Mgr Etienne Fourcadier fut nommé. Il ne s’arrêta pourtant pas de travailler, proposant ses services aux curés de la ville. Vers la fin de juin 1929, atteint de fièvre, il fut immobilisé jusqu’à sa mort, qui survint au matin du 7 août.
J. L. Peter
Bibliographie
Monseigneur Henri Lespinasse de Saune. Brochure anonyme de 23 pages, éditée par la procure de la mission de Madagascar de Paris, sans doute en fin 1929.
Boudou Adrien, Madagascar, la Mission de Tananarive (Tananarive: imprimerie Catholique, 1941), surtout pp. 115 à 130.
Cet article, réimprîmé ici avec permission, est tiré d’Hommes et Destins: Dictionnaire biographique d’Outre-Mer, tome 3, publié en 1977 par l’Académie des Sciences d’Outre-Mer (15, rue la Pérouse, 75116 Paris, France). Tous droits réservés.