Collection DIBICA Classique
Tous les articles créés ou soumis au cours des vingt premières années du projet, de 1995 à 2015.Rafiringa, Raphaël
Raphaël Rafiringa naquit à Mahamasina, quartier de Tananarive, vers 1854. Son père était l’un des chefs forgerons de la Reine Ranavalona 1re. Cette profession était chargée, entre autres activités, d’éprouver la solidité des anneaux de fer qu’on passait au cou, aux pieds et aux reins des prisonniers.
La Mission Catholique s’était installée officiellement à Tananarive le 24 septembre 1861 à la suite de l’autorisation donnée par le Roi Radama II et les Frères des Écoles Chrétiennes avaient ouvert leur première école dans la capitale malgache le 19 mai 1867.
Le jeune Rafiringa fréquenta l’école de la paroisse de Saint Joseph, à Mahamasina, où il fut baptisé le 7 novembre 1869 par le Père Limozin, à l’âge de 15 ans environ. En 1871, Raphaël monta à Andohalo, à l’école des Frères proprement dite, dont le directeur, le Frère Gonzalvien, lui inspirait le plus grand respect par son sérieux, sa gravité et sa piété.
En 1874, pour parer à la pénurie de personnel, le Frère directeur s’associa le jeune Raphaël comme instituteur et, pendant les trois années, ce dernier s’exerça sous ses yeux au métier d’enseignant. Son jeune collaborateur ayant exprimé le désir d’entrer dans la vie religieuse, le Frère Gonzalvien voulut, avant de l’admettre comme novice, s’assurer par une formation solide que le postulant pourrait tenir contre les épreuves.
Le noviciat des Frères se trouvait alors à la Réunion, mais comme le jeune Raphaël ne put obtenir de ses parents l’autorisation de s’y rendre, le Frère Gonzalvien fut autorisé à lui faire suivre un noviciat régulier sous son autorité. La prise d’habit eut lieu le 1er mars 1878 et le postulant prit le nom de Raphaël-Louis. Son père, qui s’était opposé pendant longtemps à la vocation de son fils unique, fut ensuite très sensible à l’honneur d’avoir un enfant religieux.
Très exigeant dans la formation solide de son disciple, le Frère Gonzalvien lui fit accomplir un noviciat très poussé qui dura pratiquement cinq années. Cette formation permit à la première recrue de l’Institut des Frères des Écoles Chrétiennes à Madagascar d’assumer de grandes responsabilités dans deux circonstances de sa vie.
Il venait à peine d’achever ses premières années de probation quand le premier conflit franco-hova éclata (mai 1883). Le départ des missionnaires catholiques laissa la jeune communauté séparée se ses pasteurs. Les Pères avaient confié à l’Union Catholique, un groupement de jeunes chrétiens dirigé par un laïc, Paul Rafiringa, le soin d’animer la vie paroissiale: par ailleurs, les fidèles des quatre paroisses de Tananarive choisirent le Frère Raphaël pour les diriger. Il devint ainsi le chef de la Mission, le soutien des écoles, et l’orateur écouté des réunions et des retraites. Sur ses suggestions, les premières religieuses malgaches de Saint Joseph de Cluny, livrées à elles-mêmes, se regroupèrent pour vivre en communauté. Pour trouver les ressources nécessaires à la vie de la Mission dénuée de tout, il dut travailler de ses mains. Plus d’une fois, il y eut divergence de vues entre lui et les membres de l’Union Catholique; l’intervention de Victoire Rasoamanarivo parvint à coordonner leur action et à maintenir la vitalité du catholicisme parmi les fidèles privés de leurs pasteurs. Lorsqu’après trois ans d’absence les missionnaires revinrent à Tananarive, le 29 mars 1886, ils furent agréablement surpris de constater que la jeune communauté catholique avait surmonté l’épreuve de la séparation. Le Frère Raphaël reprit humblement sa place dans le rang.
Le 14 novembre 1889, le Frère Raphaël prononça ses vœux perpétuels, en présence de Mgr. Cazet, vicaire apostolique. En raison de sa parfaite connaissance des langues française et malgache, il fut chargé de former de futurs interprètes français à la demande de Le Myre de Villers, Résident de France. C’est ainsi que pendant deux ans, il forma des élèves qui avaient pour noms Gerbinis, Julien, Guèdès, Berthier et Ferrand. Ces derniers devinrent tous des malgachisants de grande valeur. Plus tard, en 1896, il enseigna également le malgache au Résident de France: Hippolyte Laroche.
Lorsque le second conflit franco-hova éclata, en 1894, la situation fut semblable à celle de 1883. Le Frère Raphaël devait, en sa qualité de religieux, tenir un rôle de premier plan rendu délicat par une tendance d’une partie de la population, et notamment des milieux protestants, à confondre les intérêts catholiques et les intérêts français. Il était chargé des écoles, de la léproserie, et d’aider le Comité Central investi de la conduite générale de la Mission.
Après le retour de ses confrères français, en 1895, le Frère Raphaël rentra à nouveau dans le rang. Les services rendus à l’enseignement lui valurent, en 1902, de recevoir, des mains de Galliéni, la Croix du Mérite Malgache. Il se livra dès lors à des activités littéraires. Ses communications à l’Académie Malgache, dont il était membre dès sa fondation en 1902, étaient remarquées. Poésies, discours, pièces de théâtre jalonnèrent cette activité littéraire où apparaissait le souci de défendre la langue Malgache.
Cette “résistance linguistique” du Frère Raphaël devait l’impliquer dans l’affaire de la V.V.S. en 1915, en même temps que deux autres personnalités religieuses, le P. Venance Manifatra et le F. Julien. Il semble que pour rallier les catholiques à leur cause, les meneurs du mouvement se servirent de ces trois personnalités pour cautionner leur action. Tous trois furent arrêtés, subirent cinquante-six jours de détention, mais furent déclarés innocents lors du jugement rendu le 18 février 1916, qui se termina par un non-lieu et la mise en liberté immédiate. Tous trois avaient été les victimes de fausses accusations. La sentence, prononcée à leur sujet, déclare: “Attendu qu’il ressort nettement des déclarations des inculpés et des témoins que les noms de ces religieux ont été mis en avant par certains affiliés de la société dans un but de propagande et aussi pour inspirer confiance aux indigènes appartenant à la religion catholique qui étaient sollicités de faire partie de la dite association…”
Le procès avait usé le Frère Raphaël au physique et au moral. Ses supérieurs l’envoyèrent, au début de 1917, pour se reposer, à Fianarantsoa où les Frères des Écoles Chrétiennes tenaient une école depuis 1887. Il consacra les deux dernières années de sa vie à la traduction d’ouvrages religieux et à étudier la formation des religieux malgaches.
Outre de réels talents d’orateur, le Frère Rafiringa avait le don d’écrire la langue malgache avec élégance. À plusieurs reprises, il envoya des articles aux revues de la Mission Catholique Iraka et Ny Tsara Fanahy, et l’on doit également à sa plume divers opuscules qui traitent des problèmes de l’éducation et de la famille: Ilay Ingahy Mianaka, Ramanantsoa sy zanany, Ny Fanambadiana Kristianina.
Le Frère Raphaël mourut le 19 mai 1919 et son inhumation se fit discrètement à Fianarantsoa, mais, en 1933, ses anciens élèves ramenèrent son corps à Tananarive. Sa réinhumation se fit au milieu d’une assistance nombreuse, témoignant de l’influence qu’avait exercée son étonnante personnalité. D’abord déposé dans le cimetière d’Anjanahary, ses restes mortels furent transférés à Soavimbahoaka, dans la propriété de la maison-mère des Frères des Écoles Chrétiennes à Madagascar.
Pour perpétuer son souvenir, deux rues portent son nom, l’une à Tananarive dans le quartier de Mahamasina, près de l’emplacement de sa maison natale, l’autre à Fianarantsoa dans le quartier d’Ambatomena, ainsi que l’actuelle école des Frères des Écoles Chrétiennes de Faravohitra (Tananarive).
Bernard Blot et Raymond Delval
Bibliographie
Dr. Fontoynot, allocution prononcée à l’occasion de la translation des cendres du Frère Raphaël de Fianarantsoa à Tananarive. Bulletin de l’Académie Malgache, nouvelle série, t. XVI, 1933, p. XXV-XXVI.
Fontoynot, Un Frère missionnaire, le Frère Gonzalvien, premier Directeur des Frères des Écoles Chrétiennes à Madagascar 1827-1902. Procure Générale, Paris, 1935.
Boudou A., Les Jésuites à Madagascar au XIXe siècle. Paris, 1940. Madagascar. La Mission de Tananarive. Tananarive, 1941.
Roland Martin, Le cher Frère Raphaël-Louis Rafiringa des Écoles Chrétiennes - Contribution à une étude de sa vie - Université de Madagascar, Établissement d’Enseignement Supérieur des Lettres. Études historiques, Tananarive, 1974.
Cet article, réimprîmé ici avec permission, est tiré d’Hommes et Destins: Dictionnaire biographique d’Outre-Mer, tome 3, publié en 1977 par l’Académie des Sciences d’Outre-Mer (15, rue la Pérouse, 75116 Paris, France). Tous droits réservés.