Collection DIBICA Classique
Tous les articles créés ou soumis au cours des vingt premières années du projet, de 1995 à 2015.Rainisoalambo (B)
Madagascar eut des martyrs chrétiens édifiants comme Rafaravavy Marie durant la trentaine d’années de persécutions lors du règne de Ranavalona 1re (1828-1861). Elle connut aussi, dans les dernières années du même siècle, au début de la colonisation française, un réveil religieux qui se transforma, soixante-dix ans plus tard, en une Église protestante ayant statut légal. Ce mouvement spirituel, à vrai dire, n’avait rien d’unique, puisqu’il s’en produisait plusieurs en Europe à la même époque. Il possède pourtant ses caractéristiques propres car il prit naissance en milieu rural païen, au pays Betsiléo. Son initiateur fut Rainisoalambo.
A cette époque, le niveau de vie dans les campagnes reculées de l’île était assez bas. On mourait facilement de phtisie et de variole. Bara et Sakalava se relayaient pour faire des coups de main sur les pauvres villages Betsiléo et les exigences royales étaient très lourdes.
Le père de Rainisoalambo, betsiléo “marambasia,” représentant et hérault royal, était un bon orateur. Païen intelligent, il connaissait la divination par les graines, savait tirer les horoscopes et utiliser les simples. Il avait enseigné tous ces arts à son fils qui apprit les charmes efficaces et les recettes médicales locales. Ce fils fut chargé de s’occuper de l’enfant, nommé Vola, seigneur local, d’où son premier nom: Rezaimbola “cadet de Vola” bien qu’il fût son aîné. Ce n’est qu’à la naissance de son propre fils qu’il prit le nom de Rainisoalambo.
Malheureusement, charmes et pharmacopée étaient impuissants à guérir la pauvreté, la crasse, l’ignorance et la malnutrition. Après avoir vu sa famille décimée, son troupeau devenu squelettique, être lui-même couvert d’ulcères et incapable de travailler, Rainisoalambo, du fond de sa misère, interpella le Dieu dont parlaient des missionnaires norvégiens (arrivés depuis 1866 et installés à Soatanana en 1877). La même nuit, d’après son témoignage, il entendit cet ordre: “Jette au loin toutes tes amulettes et tes moyens de divination.” À l’aube il obéit et se débarrassa des corbeilles de morceaux de bois, de graines, de perles, etc., qu’il avait accumulées, et ce 15 octobre 1894, il se sentit délivré de ses maux, sentit ses forces lui revenir et il se sut devenu un nouvel homme.
Sachant déjà lire, il se plongea dans la Bible, surtout dans le Nouveau Testament. Il était frappé par le message qu’il en recevait et faisait part de ses découvertes à son entourage qu’il engageait à se débarrasser de ses gris-gris (ody) pour retrouver la santé. Il n’eut de cesse de convertir ses proches et sa famille et discuta avec eux du contenu des Écritures, des affirmations et des promesses qu’elles contiennent.
Le 9 juin 1895, douze personnes étaient réunies chez lui, que ses conseils avaient grandement améliorées. Ensemble, elles convinrent que c’était Dieu lui-même qui leur avait rendu la santé. Qu’en conséquence, elles devaient le reconnaître pour tel et le servir. Tout prirent même des engagements solennels: apprendre à lire et à connaître les chiffres pour lire la Bible selon ses chapitres et versets: nettoyer maisons et cours et avoir une cuisine séparée pour faire le feu: avoir un jardin potager et des ressources alimentaires personnelles; tout commencer toujours par la prière, faite au nom de Jésus; les enterrements (source de ruine et occasions de beuveries et de débauche chez les païens) seraient célébrés en vêtement décents, avec cantiques, prières et exhortations, mais sans abattage de bœufs. Cette réunion intime mais extraordinaire se termina par l’effusion du Saint Esprit. Ainsi naquirent les “Disciples du Seigneur.”
Ayant donc reçu confirmation de sa mission, Rainisoalambo commença aussitôt l’instruction du groupe en s’aidant des brochures, dont le “Petit catéchisme” de Martin Luther, traduit par M. Borgen, qu’il put se procurer auprès du missionnaire Théodor Olsen, auquel, en octobre 1895, le groupe tout entier vint demander le baptême.
Très vite, le village de Rainisoalambo, Ambatoreny, devint un centre d’attraction pour de nombreux malades. Les nouveaux convertis les exhortaient, priaient pour eux à haute voix et leur “imposaient les mains.” De plus, parmi les “Disciples,” beaucoup s’empressaient d’annoncer à leurs voisins ou à leur parenté ce qui leur était arrivé et encourageaient chacun à faire la même expérience. Rainisoalambo en enseigna spécialement quelques-uns, sans qu’ils cessassent leurs occupations de cultivateurs, puis il les envoya deux par deux chez les païens avec le titre d’“Apôtres” et les mots d’ordre suivants: repentance, humilité, patience, amour du prochain, prière, communion et entraide mutuelle.
L’annexion de l’île par la France avait donné une vigueur entreprenante et quelque intolérance au catholicisme, aussi les débuts de ce mouvement passèrent-ils presqu’inaperçus. Son action resta modeste et surtout s’efforçait de ne pas attirer l’attention des nouvelles autorités. Ce n’est qu’en 1899 que le Réveil (Fifohazana) se répandit. Pour plus de tranquillité, Rainisoalambo quitta Ambatoreny et vint s’établir à Soatanana, sous l’aile de la Mission norvégienne luthérienne.
Son message resta simple et adapté aux populations que ces humbles apôtres osaient approcher: confiance en Dieu, lecture de la Bible, rejet des gris-gris et des usages païens, valorisation du travail agricole, culture des jardins, plantations d’arbres, abstention de l’alcool et du tabac, monogamie. De plus, les “Apôtres,” avec conviction et une grande autorité, “imposaient les mains” aux malades pour les guérir et, au nom du Christ, chassaient les démons. Exorcisme et guérison étant inséparables de la prédiction du salut.
Dans les lieux où ces Apôtres rencontraient un accueil favorable et où un petit noyau acceptait leur message, ils instituaient l’un des fidèles comme “gardien” pour diriger et exhorter ses frères.
Et sans cesse, Rainisoalambo enseignait de nouveaux disciples et envoyait chaque année de nouveaux apôtres, tous recrutés parmi les ruraux, qui retournaient ensuite dans leur milieu. En 1904, le vieux “père-et-mère” avait prévu de réunir à Soatanana, le 10 août, tous ceux qui avaient accepté le message évangélique sous la forme qu’il lui avait donnée et se conformaient aux règles très simples de la petite communauté. Il avait fait construire une grande maison pour accueillir les très nombreux hôtes attendus et avait prévu une ample provision de riz pour les nourrir. Mais la réunion se tint sans lui, car il mourut le 30 juin, âgé et affaibli.
Son souvenir reste vénéré dans les églises protestantes de tout Madagascar.
Louis Molet
Cet article, réimprîmé ici avec permission, est tiré d’Hommes et Destins: Dictionnaire biographique d’Outre-Mer, tome 3, publié en 1977 par l’Académie des Sciences d’Outre-Mer (15, rue la Pérouse, 75116 Paris, France). Tous droits réservés.
Photos:
[1] Trois chefs du renouveau à Soatanàna. De gauche à droite : Rajeremia avec sa femme, Rainitiaray avec sa femme, Rainisoalambo avec sa femme. La Bible est sur la table entre eux. Ils portent le lamba (une sorte de châle).
[2] La mission à Soatanàna, 1892-1895. Photographe: Théodor Olsen.
[3] Réunion dehors à Soatanàna, environ 1906.
[4] Groupe de personnes dehors, dans la cour, pour une réunion. Betsileo.
[5] Préparations pour une réunion de renouveau, environ 1906. Les préparatifs prenaient souvent toute la journée.
[6] Réunion de renouveau à Soatanàna, environ 1906. Certains sont assis sous des parasols.
[7] Le paysage autour de Soatanàna.
Toutes photos sont publiées avec la permission des Archives de la Mission, l’Ecole de Mission et Théologie (MHS), Stavanger, Norvège.