Collection DIBICA Classique
Tous les articles créés ou soumis au cours des vingt premières années du projet, de 1995 à 2015.Ravelojaona
Le pasteur Ravelojaona a été la personnalité malgache la plus marquante de la période qui précéda l’accession de Madagascar à l’indépendance.
Ravelojaona était le puîné d’un maître du collège supérieur de la London Missionary Society (LMS) qui eut quatorze enfants. Il naquit le vendredi 14 février 1879 à Tananarive, mais cette même année, son père fut envoyé comme évangéliste s’occuper d’un groupe d’églises dans le district d’Anjozorobé et c’est là que Ravelojaona passa ses treize premières années. Il entra à l’école à six ans, sachant déjà lire et écrire, et à treize ans, accompagnant un frère aîné qui fait ses études de médecine à Tananarive, il entre à l’école de garçons d’Ambohijatovo et y fait de brillantes études malgré l’interruption causée en 1895 par l’arrivée des Français qui annexèrent l’île l’année suivante. Il entra alors à l’École Le Myre de Villers, ouverte en 1897 pour former les fonctionnaires et pour remplacer les établissements supérieurs dirigés auparavant par les missionnaires britanniques ou norvégiens. L’école était dirigée alors par E. F. Gautier.
Ayant commencé à enseigner dès la fin de 1897 à l’école de garçons d’Ambatobevanja, Ravelojaona obtenait l’année suivante son “Certificat d’Aptitude à l’Enseignement Primaire” et débuta, jusqu’en 1904, sa carrière d’enseignant dans les établissements protestants.
Il fut alors choisi par la Mission Protestante Française (MPF) pour s’occuper de la jeunesse de la capitale et fut nommé secrétaire général des Unions Chrétiennes de Jeunes Gens (UCJG) que l’on voulait lancer. Pour se former et recueillir des fonds, Ravelojaona fut envoyé faire un stage et visiter l’Europe. Il vécut ainsi en France et voyagea en Belgique, en Hollande, en Norvège, en Suisse et en Angleterre de janvier 1905 à mars 1906. Revenu et décidé à se marier, il épousait deux mois plus tard Razanamalala qui lui donna plusieurs enfants et qui mourut en 1942. Avec l’argent récolté en Europe par Ravelojaona, l’UCJG acquit une maison dans le quartier d’Amparibé pour en faire son foyer culturel, mais le gouverneur général Augagneur mit son veto, interdit le mouvement et Ravelojaona revint à l’enseignement (1908) qui resta toujours une de ses occupations de dilection.
C’est cette même année 1908 que la grosse paroisse d’Ambohitantely à Tananarive appela Ravelojaona comme pasteur et il exerça un ministère dans cette église, avec quelques interruptions, pendant quarante huit ans. Comme il n’avait pas fait d’études théologiques régulières, Ravelojaona fit d’abondantes lectures pour combler cette lacune. Il consacrait à l’achat de ces livres les sommes qui lui étaient remises en cadeau dans les églises autres que sa paroisse où il prenait la parole.
Pendant la période 1908-1915, tout en visitant ses paroissiens, en dirigeant son église et en présidant les multiples réunions hebdomadaires des différents groupes qui la constituaient, Ravelojaona collabora activement aux périodiques tels que Ny Teny Soa “La bonne parole,” et Ny Mpanolo-tsaina “Le Conseiller.” En 1914, il reprend des heures d’enseignement (géométrie, algèbre) à l’école Paul Minault de la M.P.F. qui venait de rouvrir ses portes avec Chazel comme directeur.
Dans ses lectures, Ravelojaona avait été très frappé par la façon dont le Japon avait assimilé la civilisation occidentale et il souhaitait voir adopter par son pays une attitude semblable: “Si les Japonais le font, les Malgaches n’en sont-ils pas capables?”…Et poussé par son patriotisme, en pleine première Guerre Mondiale, avec quelques amis, il fonda le journal “Ny Mazava” (La clarté) qui eut aussitôt beaucoup de succès. Mais ses responsables furent mis en prison le 23 décembre 1915.
Un mouvement secret, une association d’intellectuels nationalistes malgaches, connu sous le sigle V.V.S. “Vy, Vato, Sakelika” (Fer, Pierre, Détour), au sujet duquel on ne sait pas grand-chose, probablement parce qu’il était un peu fumeux, avait été éventé par la police. Les autorités françaises, participant à l’esprit très insulaire de leurs nationaux fixés dans l’île et sensibles aux difficultés de la métropole, le prirent très au sérieux et firent arrêter des quantités de gens. Il y avait bien des conjurés, mais on ne sait encore précisément ni le but de la conjuration, ni quelle aurait pu être son organisation, qui n’était qu’embryonnaire. Patriote, Ravelojaona fut donc arrêté, à tout hasard, deux jours avant les fêtes de Noël, interrogé, sa maison fouillée. La police y trouva des papiers compromettants avec des messages en code…Il fallut cinq mois de démarches multiples et incessantes des missionnaires français Chazel et G. Mondain pour démontrer l’inanité des accusations: ces messages en code étaient tout simplement des airs de cantiques écrits en solfa, notation musicale introduite par J. Richardson depuis plus de cinquante ans, mais que les policiers ignoraient. Finalement un non-lieu fut rendu concernant Ravelojaona en mai 1916. Pour prouver son loyalisme, le pasteur s’engagea comme volontaire et fut envoyé en France. En novembre il débarqua à Marseille et y passa toute la guerre, qu’il termina comme adjudant. D’un bureau, il s’occupa surtout des soldats malgaches qui arrivaient, quelque peu désorientés, et il créa alors une petite feuille Dinidiniky ny mpinamana “échos des camarades.” Il revint dans l’île en juillet 1920, ayant beaucoup appris au contact des tirailleurs venus de toutes les régions des provinces.
Une nouvelle période commence alors. Ravelojaona reprit sa paroisse. Il excellait à faire ces petites visites à domicile qu’apprécient tant les paroissiens tananariviens, à aller chercher ou accompagner les gens à la gare, etc. “ce qui permet de faire face aux dépenses en faisant jouer une sainte émulation” comme dit son biographe. Il organise des ventes-kermesses et, pour les jeunes, des pièces de théâtre à Ambohijatovo (Tartuffe, Abraham et Lot). Par ailleurs, il continue à enseigner à l’école Paul Minault devenue collège secondaire (1924). Il voit reprendre le projet d’U.C.J.G. par Jean Beigbeder. En 1923, Chazel avait fondé un hebdomadaire d’actualité politique et sociale Ny Mpandinika “L’Observateur” auquel Ravelojaona collabore régulièrement sous divers pseudonymes. En 1928, il fonde son propre journal Ny Fianinana “La Vie”. Il collabore à l’organe des mouvements de jeunesse (scoutisme et unions chrétiennes) Ny Fanilon ‘ny Tanora “Le Flambeau des Jeunes” et en 1936, il commence à faire paraître les premiers cahiers d’une œuvre de longue haleine Ny Firaketana “Le trésor” qui veut être une encyclopédie alphabétique en malgache, principalement consacrée à la civilisation et à la langue malgaches. C’est à ce titre qu’il fut nommé membre correspondant de l’Académie Malgache, mais il ne fréquenta pas cette institution et ne publia rien dans son Bulletin.
Ne pouvant, à cause d’une administration de tutelle ombrageuse, célébrer des fêtes ou des héros nationaux, les patriotes malgaches exaltent leurs martyrs pour la foi chrétienne, du siècle passé. Des réunions religieuses très simples sont convoquées pour célébrer le centenaire de la mort de la jeune Rasalama le 14 août 1937. Elles rassemblent de 50 000 à 60 000 personnes. En 1938, le centenaire du martyre de Rafaralahy Andriamazoto déplaça également des foules immenses. Organisateur de ces rassemblements au cours duquel il prenait la parole, Ravelojaona était très populaire. Aussi, quand le Ministre des Colonies Georges Mandel décida de créer un Conseil (consultatif) Supérieur des Colonies auquel devait siéger un Malgache (il y eut treize candidats) Ravelojaona fut élu le 14 mai 1939 avec 11 626 suffrages sur 14 000.
Il eut juste le temps, avant qu’éclate la Deuxième Guerre Mondiale, d’aller officiellement à Paris assister au défilé du 150e anniversaire de la Révolution française, le 14 juillet 1939. Etant dans cette ville, Ravelojaona en profita pour fréquenter (à soixante ans) les cours de la Faculté de Théologie, mais après juin 1940, il fut “replié” avec le Ministère des Colonies sur Bordeaux, et finalement rapatrié en janvier 1941 et c’est à Tananarive qu’il agit auprès du Gouverneur Général Cayla et ses successeurs et des administrations locales comme représentants des Malgaches, sans pouvoir empêcher quelques abus ou maladresses, aggravées dans l’opinion publique malgache par le débarquement anglais.
Sa position ambiguë d’intermédiaire ou d’intercesseur et sa sagesse l’empêchaient de prendre des attitudes trop intransigeantes ou de tenir des propos outranciers. Quand la province centrale dut élire un représentant à la Chambre des Députés à Paris, la population lui préféra le Dr Ravoahangy, dont les positions quant à l’indépendance immédiate étaient beaucoup plus avancées et qui se présentait comme un des meneurs du Mouvement Démocratique de la Révolution Malgache (MDRM) auquel Ravelojaona n’adhéra pas - ayant fondé en 1946, avec la journaliste Gabriel Razafintsalama, le Parti Démocratique Malgache. Aussi, quand la rébellion de 1947 éclata et que bien des gens furent emprisonnés, Ravelojaona put-il, au moins à Tananarive, adoucir quelque peu leur sort, et il continua paisiblement son ministère à Ambohitantely.
Libéré de la politique, le pasteur Ravelojaona employa son énergie dans les œuvres ecclésiastiques. Il fut l’orateur le plus fameux et l’un des dirigeants les plus influents, avec H. Randzavola, de l’Isan ‘Enim-Bolan ‘Imerina “la Semestrielle d’Imerina” qui, depuis le début de l’existence officielle des églises protestantes, regroupait les moyens des paroisses de la capitale pour une action d’évangélisation auprès des populations malgaches autres que mérina.
Les dernières années de Ravelojaona furent gênées par l’âge, une vue qui baissait et l’interdiction par les médecins de prendre la parole en public. Lutteur obstiné, Ravelojaona, tout en conservant l’estime des populations, n’était plus considéré comme assez combatif et, encore un fois, en 1951, les élections lui furent défavorables, les suffrages s’étant portés sur Stanislas Rakotonirina.
Ravelojaona s’éteignit le mardi 4 septembre 1956 et fut enterré dans le tombeau de ses ancêtres à Ambatofotsy avec un immense concours de peuple malgré l’abstention remarquée des représentants officiels.
Louis Molet
Bibliographie
Très nombreux articles de journaux en malgache dans les journaux cités dans la notice.
Editeur de Ny Fiainana [La Vie] et de son “supplément” Ny Firaketana [Le Trésor], encyclopédie en malgache.
Voir aussi: Andriamatoa Ravelojaona, mpitandrina (1879-1956) [Monsieur le pasteur Ravelojaona (1879-1956)] par Ramebelosoa (son fils), Tananarive, 1958.
Voir aussi: Spacensky (A.), Madagascar, cinquante ans de vie politique de Ralaimongo à Tsiranana, Paris, 1970.
Cet article, réimprîmé ici avec permission, est tiré d’Hommes et Destins: Dictionnaire biographique d’Outre-Mer, tome 3, publié en 1977 par l’Académie des Sciences d’Outre-Mer (15, rue la Pérouse, 75116 Paris, France). Tous droits réservés.