Collection DIBICA Classique
Tous les articles créés ou soumis au cours des vingt premières années du projet, de 1995 à 2015.Chinula, Charles Chidongo
Charles Chidongo Chinula est né en 1885 dans le village de Mthimba, dans le district de Mzimba. Son père était un brave guerrier Ngoni à qui est né un garçon frêle que l’on a nommé “Chidongo”, ce qui veut dire “fragile” ou “qui se casse facilement.” Selon lui, il serait né le 25 décembre. Son père s’appelait Gonthako Chinula et sa mère, Mpizwa Yaraweni Nyanjiko.
Il est né dans une famille polygame qui comprenait sept femmes, et sa mère était la femme principale malgré le fait qu’elle était la troisième. Le mariage de sa mère avait été très douloureux car un enfant après l’autre était mort avant qu’une fille ait enfin survécu. C’est après cette fille que Chidongo est né, mais il était si frêle que sa mère refusait de l’allaiter, car il avait déjà l’aspect d’un cadavre. Il a fallu que les autres femmes la supplient de le nourrir, en disant, “Tu ne sais jamais, il deviendra peut-être un grand garçon qui te protègera quand tu seras vieille et faible.” Petit à petit, l’enfant fragile a grandi en stature et en sagesse.
Comme tous les enfants Ngoni de l’époque, Chidongo passait une partie de la journée à surveiller le bétail dans la brousse, et le reste de la journée à l’école. A l’âge de onze ans il était inscrit à la mission de Hora, où il s’est révélé élève brillant. De Hora il est allé à Ekwendeni, où le missionnaire écossais Donald Frazer est devenu son guide. Toute sa vie il s’est souvenu de ce dernier avec affection.
C’est en 1901 que Chidongo a commencé à enseigner. Plus tard, M. Frazer l’a amené à Livingstonia pour y faire des études avancées, malgré le fait qu’il n’avait pas d’argent pour payer les frais. Une bourse a été arrangée pour le permettre de faire des études, parce que les missionnaires étaient persuadés qu’il irait aussi loin qu’il le voulait dans ses études si seulement on lui en donnait la chance. A Livingstonia il a gagné l’admiration d’un instituteur africain ingénieux, Charles Domingo, qui lui a dit, “Dès aujourd’hui, tu ne t’appelleras plus tout simplement Chidongo, mais plutôt ‘Charles.’” C’est à partir de ce jour-là qu’il a pris cet autre nom.
Après avoir fini ses études avancées avec distinction, Chidongo a commencé à enseigner à Loudon. Le professeur Frazer était un linguiste brillant qui faisait beaucoup de recherches sur la langue vulgaire du pays, et qui a même écrit un livre de grammaire sur la langue Ngoni. Cependant, c’est Charles Chidongo Chinula qui a d’abord proposé l’enseignement de l’anglais à Loudon. Ses contemporains ainsi que ses élèves considéraient qu’il était le meilleur professeur qu’ils aient jamais connu.
En plus de l’enseignement qu’il donnait dans l’école de la mission, Chidongo faisait aussi de l’évangélisation. Il est allé en Zambie et à Kasungu, et beaucoup de personnes se sont converties à Jésus Christ grâce à lui. Dès la fin de la première guerre mondiale, il a ressenti un appel irrésistible au ministère à plein temps. L’église l’a envoyé en Tanzanie pour sa formation en théologie, et il a été ordonné pasteur par le Professeur Robert Laws le 11 octobre, 1925.
L’époque à laquelle il était pasteur ne manquait pas de questions brûlantes dans l’église. Il a mené les discussions sur bien des questions: le divorce, si l’on pouvait célébrer le mariage entre lépreux, si femmes pouvaient être anciens dans l’église, et si un homme qui épouse la femme d’un frère décédé pouvait être membre de l’église. Dans son église, il a aussi proposé que la situation financière de l’église serait meilleure si l’on encourageait la dîme, et il a recommandé que l’on souligne “que le fort doit donner plus que le faible, et qu’un homme doit placer son revenu devant Dieu et lui offrir la première part avant de le dépenser.”
En 1926, il a fait partie de la délégation de Livingstonia qui est allée au synode de Blantyre pour décider des questions difficiles qui se sont présentées par rapport à la proposition que l’on unisse les deux synodes sous un seul nom. Là il a activement participé aux délibérations. C’est cette même année que l’église presbytérienne centrafricaine (EPC) [1] a été formée.
Avec le temps, et en partie par réaction aux préjugés européens vis-à-vis des africains dans les écoles, Chidongo s’est posé de plus en plus de questions. Le fait que l’église refusait d’inscrire les enfants de soûlards et de polygames dans les écoles de mission a causé bien des conflits. Il a longtemps lutté contre cette politique, et sa lutte soutenue a fini par porter fruit. Il avait raisonné que l’église ne pouvait pas interdire les fils de polygames et de soûlards dans les écoles de mission si elle permettait l’inscription d’enfants de demi caste, nés d’unions impropres. A l’époque, il y avait beaucoup d’enfants métis illégitimes nés de femmes africaines et d’hommes européens ou indiens.
L’esprit combatif de Chidongo lui a gagné plusieurs ennemis qui le considéraient fier et opiniâtre, et qui attendaient vivement le jour où il serait remis à sa place. Ce jour est arrivé en 1930, quand Chidongo a été suspendu de ses fonctions pastorales pour des accusations de manque de discipline dans l’église dans un certain village. Chidongo a reconnu publiquement que ces accusations étaient bien fondées.
Malgré sa suspension, il s’est souvenu d’avoir lu un livre intitulé The Pilgrim’s Progress [Le progrès du pèlerin] qui, soudain, a pris un certain sens pour lui à cause du parallèle entre sa chute et les épreuves du protagoniste, Chrétien. Il a décidé qu’il voulait mettre ce livre à la disposition de tous dans la langue régionale, et il a fait des efforts en vue d’accomplir cet objectif. En consultant trois versions du livre–la version en anglais, en zulu et en chinyanja–il a fait une traduction réfléchie en tumbuka dans son temps libre. Pour rendre l’œuvre plus facile à suivre, il l’abrégée et annotée en y ajoutant des titres de paragraphes. La traduction a aussitôt été acceptée par une maison d’édition et on a encouragé tous les pasteurs, évangélistes et enseignants à le lire. Cette traduction a circulé partout dans les églises et les écoles depuis 1932 comme supplément à la Bible. Ce livre était considéré, à l’époque, comme étant la plus grande contribution d’un membre de l’église africaine dans le domaine de la traduction. Alors qu’il faisait cette traduction, Chidongo a aussi écrit vingt-et-un cantiques, qui sont largement l’expression de sa lutte spirituelle interne. Dans un cantique, le parallèle qu’il trace entre sa lutte et les épreuves du protagoniste de John Bunyan est évident.
Le 11 juillet 1934, Charles Chidongo Chinula a annoncé la formation de sa propre église, qu’il a appelée Eklesia Lananga (“église libre”). Etonnés par cette décision, beaucoup de gens lui ont demandé qui serait son Mzungu (homme blanc/missionnaire). De manière dramatique, il a sorti une petite Bible de sa poche et la leur a montrée: ce serait là son seul guide et l’origine de son enseignement. Quand on lui a demandé pourquoi il avait décidé de quitter le CCAP [EPC], Chidongo a expliqué qu’il avait été choqué par le fait qu’un homme pouvait confesser ses péchés devant une assemblée d’anciens de l’église (kirk) et rester néanmoins suspendu de ses fonctions. Il croyait que la suspension ne devrait être assignée qu’aux impénitents et aux infléchis, et il cita l’exemple de l’apôtre Pierre, qui n’avait jamais été condamné, en dépit d’avoir renié le Christ.
Pour assurer la parité avec l’église dominante, Chidongo s’est mis à établir ses propres écoles, car ces écoles seraient le noyau de ses églises. Le paiement du personnel des écoles était toujours difficile parce que les parents d’élèves et les membres de l’église plaidaient souvent la pauvreté, et ne payaient pas les frais d’inscription. Il a longtemps lutté pour obtenir une subvention de l’état, et en 1947, il a enfin commencé à recevoir une bourse annuelle. Trois ans plus tard, ses écoles recevaient une bourse annuelle de trois livres Sterling de la part du docteur Ngwazi H. Kamuzu Banda, qui pratiquait la médecine à Londres à l’époque.
En 1967, Chidongo a fait un demi-tour surprenant : il est allé au centre missionnaire de Loudon et a annoncé qu’il avait décidé de rejoindre le CCAP [EPC], et qu’il était prêt à servir l’église comme elle l’entendait. Selon lui, il avait décidé de dissoudre son église parce qu’il voulait mettre fin au groupe qui s’appelait “l’église de Charlie.” “Je voulais que l’institution meure avant moi. Je crois à l’union de l’église. J’espère qu’avec le temps, l’EPC s’unira aux autres églises en un seul corps qui s’appellera l’Eglise de Jésus-Christ. Seulement une église comme celle-ci serait une église véritable.”
Quand le vent du changement a commencé à souffler en Afrique, Chidongo l’a ressenti assez tôt dans sa vie. Il avait été secrétaire général de l’Association Indigène Mombera dans sa région natale, et à une certaine époque, il était arrivé jusqu’à la vice-présidence du Congrès Africain de Nyasaland, qui avait été formé en 1944 pour réclamer l’indépendance politique. Même après avoir pris sa retraite de l’engagement actif politique, il est resté influent dans ce milieu.
En 1958, alors que les gens s’assemblaient à l’aéroport de Chileka pour accueillir le dr. H. Kamuzu Banda avec divers cadeaux, Chidongo est venu depuis Mzimba avec une hâche et une houe pour montrer combien son peuple croyait à l’agriculture.
Comme pasteur émérite, et comme quelqu’un qui était passé par le désert, il offrait souvent de venir prêcher sur tout ce qu’il avait vécu. En 1970 il a préché un sermon très émouvant à Ekwendeni sur la crucifixion de Jésus. Lorsqu’il s’adressait à une foule, il entonnait son cantique de pèlerinage, “Seigneur Jésus, j’ai entendu ton appel et je viens.”
Sa santé a détérioré avec l’âge, et les évanouissements fréquents se sont multipliés. Il est mort le 3 novembre, 1970 à l’âge avancé de quatre-vingt-cinq ans. Il a été pleuré dans les milieux de l’état et de l’église car c’était un homme qui avait mis ses dons au service du bien politique et spirituel de son pays jusqu’à la fin de sa longue vie.
Louis W. Ndekha
Notes:
- En anglais le nom est Church of Central Africa Presbyterian (CCAP).
Bibliographie
John McCracken, Politics and Christianity in Malawi 1875 - 1940: The Impact of the Livingstonia Mission in the Northern Province [La politique et le christianisme au Malawi, 1875-1941. L’impact de la mission Livingstonia dans la province du nord] (Blantyre: CLAIM, 2000).
Brigdal Pachai, The History of Malawi [Histoire du Malawi] (London: Longman Group Ltd, 1972).
——–, Malawi: The History of the Nation [Le Malawi: histoire de la nation] (London: Longman Group Ltd, 1973).
D. D. Phiri, Chidongo Chinula (London: Longman, 1975).
Kenneth R. Ross, Christianity in Malawi: A Source Book [Le christianisme au Malawi : un livre de ressources] (Gweru: Mambo Press, 1996).
John Weller et Jane Linden, Mainstream Christianity to 1980 in Malawi [Le christianisme traditionnel jusqu’en 1980 au Malawi] (La Zambie, le Zimbabwe, le Gweru: Mambo Press, 1984).
Cet article, soumis en 2003, a été rédigé et recherché par Louis W. Ndekha, coordinateur de liaison du DIBICA, surveillé par R. G. Munyenyembe, maître de conférences au Collège Biblique Evangélique du Malawi, une institution affiliée du DIBICA.