Collection DIBICA Classique
Tous les articles créés ou soumis au cours des vingt premières années du projet, de 1995 à 2015.Junod, Henri-Alexandre
La Préparation
Henri-Alexandre Junod est né, en 1863, dans le presbytère de Chézard-Saint-Martin, en Suisse. Il y a beaucoup de pasteurs chez les Junod. Il fait ses humanités au “Collège Latin” de Neuchâtel. Elève mais curieux, il herborise déjà et étudie les insectes. Toutefois, quand il s’agira de s’orienter pour la vie, Junod sera convaincu que Dieu le veut en Afrique, comme missionnaire. Il étudiera donc la théologie à Neuchâtel, d’abord, puis à Bâle et à Berlin. Enfin, comme candidat missionnaire, il séjournera assez longtemps en Ecosse.
Première campagne au Mozambique. 1889-1896
En 1889, il épouse Emilie Biolley et part pour le Mozambique. Il sera placé à Rikatla, à vingt-cinq km au nord de Lourenço Marques. L’étude de la langue, le ronga, accapare le nouveau missionnaire. Il lui faut en élucider la grammaire et la syntaxe, il visite aussi tout le pays du Bas-Incomati, la plaine, la savane, la forêt et les semis de minuscules “villages” aux huttes de roseaux et de chaume. Le pays est neuf! Qui s’est penché sur sa flore ou sur sa faune? Qui en connaît les habitants? Junod enseigne et évangélise mais il ne posera pas l’éteignoir sur la flamme de sa brûlante curiosité.
James Brice, diplomate et savant avait dit à Junod (cité dans l’introduction au livre The Life of a South African Tribe [La vie d’une tribu sud africaine]): “Ne serions-nous pas très reconnaissants, nous, les hommes du XIXe siècle, si un Romain s’était donné la peine d’étudier à fond les coutumes des Celtes, nos ancêtres? Cette enquête n’a pas été faite et nous resterons ignorants pour toujours (de choses qui nous auraient tellement intéressés…” Demain, les africains eux-mêmes ignoreront presque tout de leur passé “si personne ne s’avise de décrire leur vie aujourd’hui.” Henri-A. Junod fut frappé par la pertinence de ces réflexions!
A la tête de la petite école d’évangélistes de Rikatla, dans les villages, Junod recueille une moisson d’informations.
Les attaques du climat sont meurtrières. On souffre de la dysenterie, que sait-on encore du paludisme mystérieux ? Mme. Junod est souvent gravement malade, un enfant meurt.
Les Junod sont mutés en ville à l’époque du soulèvement qu’on appela la guerre du Ndoumane. Rikatla fut incendié.
En 1896, très éprouvés, les Junod rentrent en Suisse en congé. Une importante grammaire ronga est publiée, des chants et des contes des Ba-Ronga, d’autres études enfin enrichissent les bulletins des sociétés savantes locales.
Deuxième campagne, au nord du Transvaal, à Shiluvane. 1899-1903.
Henri-A. Junod est appelé à diriger l’école d’évangélistes de Shiluvane, depuis 1899 jusqu’en 1903. C’est l’époque des tensions et des guerres coloniales (Guerre anglo-boer). Le climat est épuisant et, après de longues périodes de maladies, Mme. Junod-Biolley est emportée, par la dysenterie. En 1903, retour en Suisse, en congé.
Troisième campagne, au Transvaal et au Mozambique. 1904-1909.
En Suisse, Henri-A. Junod épouse une femme d’élite: Hélène Kern et c’est en 1904 qu’ils partent pour Shiluvane, au Transvaal. Notre missionnaire élargit beaucoup son information ethnographique. (Les rites de la circoncision, par ex.). Dans le pays on discute avec passion de la valeur, de l’importance de la culture africaine. Quel rôle joueront les langues bantoues dans les programmes scolaires? Disons très sommairement que Junod souligne avec vigueur l’importance de la langue maternelle. L’enfant noir apprendra à lire et à écrire d’abord dans sa langue. Quant aux langues européennes elles seront le véhicule des techniques et de la culture. Au Mozambique, on allait rebâtir Rikatla et c’est Junod qui fut appelé à reprendre en mains, pour un enseignement très large, l’école d’évangélistes. On allait enseigner la culture générale, les disciplines bibliques, mais aussi l’agriculture et les travaux manuels.
Séjour en Suisse. 1909-1913.
Les Junod rentrent en Suisse pour un congé, plutôt un séjour de travail prolongé. La documentation recueillie récemment est très riche. Le moment est venu d’écrire plusieurs ouvrages sur les problèmes de l’Afrique. La notice bibliographique mentionne une demi-douzaine d’articles et de livres devenus classiques. Rappelons le récit: Zidji, mais, surtout les deux lourds volumes, une révélation, dans le monde occidental de The Life of a South African Tribe. Ce grand ouvrage fut remanié et enrichi en 1926. Ils sont rares les ouvrages qui, embrassant toutes les manifestations de la vie dans une tribu, donnèrent entière satisfaction (cit. H.-Ph. Junod “Henri-A. Junod”, p. 71).
Quatrième campagne, au Mozambique. 1913-1920.
Les années de la Grande Guerre, Junod les a passées sur la station de Rikatla. II y a des années déjà que l’on se penchait sur les problèmes de l’impact de la civilisation, du christianisme, du colonialisme sur le monde africain. On avait disputé sur l’utilité des langues bantoues. Pendant la guerre, les chrétiens noirs et blancs se penchèrent sur le problème du mariage, sur le mariage par lobolo (avec dot de la famille du fiancé). La détribalisation, l’urbanisation d’une partie du monde africain incitaient les penseurs à percer les secrets des structures sociales.
De leur côté, au cours des conversations sans cesse reprises, les missionnaires et les cadres des églises africaines voyaient que le but de leur action était l’apparition d’une église chrétienne autonome, où les chrétiens africains se sentent dans leur église, celle de leur Seigneur. Il faut, évidemment, des cadres africains à cette église! Et ces cadres seront formés sur place. Henri-A. Junod fut chargé de diriger la première “école pastorale” de Rikatla.
En 1917, Mme Junod-Kern meurt et, en 1920, les premiers pasteurs africains instruits au Mozambique sont consacrés.
Synthèses et conclusions. 1921-1934
Henri-A. Junod passa les dernières années de sa vie à Genève. A la tête de l’Agence de la Mission, il est en contact avec les personnalités du monde chrétien, avec les savants et l’Université. Il est chargé de cours aux Universités de Lausanne et de Genève. A l’occasion du jubilé de la Mission, en 1925, l’Université de Lausanne confère à Henri-A. Junod le doctorat honoris causa. Et cette année jubilaire, aussi, les églises de Suisse sont visitées par le pasteur thonga Calvin Matsivi Mapopé. Et son interprète, Henri-A. Junod lui-même, eut la joie de voir le monde suisse découvrir le monde africain en la personne si spirituelle et si émouvante du pasteur Mapopé. Leçon de choses, si l’on ose dire, à la portée des foules.
Henri-A. Junod est décédé à Genève en 1934.
André Clerc
Bibliographie
1884 Mémoire sur “Les états de la larve et de la nymphe de l’hyponomeuta, stamm. (Thurnberg).
1885 Thèse de baccalauréat en théologie sur “La sainteté parfaite de Jésus-Christ.” Manuscrit non publié.
1891 “De Rikatla à Morakouène”. Bulletin de la Sté Neuchâteloise de géographie, tome VI, 10 p.
1891-92 Mémoire Sur “Quelques larves inédites de Rhapalocères sud-africaines”. Bulletin de la Sté des Sciences naturelles de Neuchâtel, tome XX, 16 p.
1893 De Rikatla. (Correspondance) B.S.N.G., tome VIT, pp. 529 à 535.
1894 Sipele sa Sironga. G. Bridel, Lausanne (Abécédaire ronga).
1894-95 “Une course au Tembé”, B.S.N.G., tome VIII, 15 p.
1896 “Grammaire Ronga” suivie d’un manuel de conversation et d’un vocabulaire. Publié par les soins du gouvernement portugais. Avec une carte linguistique. Imprimerie G. Bridel, Lausanne, 218 + 90 p.
1896 La tribu et la langue thonga. G. Bridel, Lausanne, 29 p.
1896-97 “L’art divinatoire ou la science des osselets chez les Rongas de la baie de Delagoa “. B.S.N.G., tome IX, 32 p.
1897 Les chants et les contes des Ba-Ronga. G. Bridel, Lausanne, 327 p. 1897 “Le climat de la baie de Delagoa “, B.S.N.G., tome IX, p. 27.
1898 A propos de la traduction de la Bible en thonga”. “Liberté chrétienne”, 1 & 15, XII.
1898 “Les Ba-Ronga “, B.S.N.G., tome X, 500 p.
1898 “ Nouveaux contes ronga “ transcrits dans la langue indigène avec traduction française. Attinger, Neuchâtel, 91 p.
1899 “La faune entomologique du Delagoa “, Coléoptères. Bulletin de la Sté Neuchâteloise des Sciences naturelles, tome XXII, 28 p.
1899 “La faune entomologique du Delagoa “ II Orthoptères. B.S.N. Sc. Nat., volume XXXV, pp. 191 à 215.
1899 “Encore à propos des osselets divinatoires au sud de l’Afrique “. B.S. N.G., tome l, pp. 163 à 165.
1900 “La faune entomologique de Delagoa “. B.S.N. Sc. N., tome XXVII, pp. 176 à 25l.
1900 “La faune entomologique de Delagoa” II Lépidoptères. B.S.N. Sc. N., tome XXXV, pp. 162 à 190.
1900 “Flore de Delagoa”, s. l.
1903 “Some Remarks on the Folklore of the Ba-Thonga”. “Folklore”, Londres, volume XIV, pp. 116-124.
1903 Traduction du Nouveau Testament en ronga. (En col1aboration).
1903 “Flore de Delagoa”, v. 1900.
1903 “Bukhaneli bya chironga”, Grammaire ronga en ronga. G. Bridel, Lausanne, 58 p.
1904 “Butibi”, Manuel de science élémentaire, en ronga. Lausanne.
1905 “The Native Language and Native Education”. Morija Sesuto Book Depot. 17 p.
1905 “The Ba-Thonga of the Transvaal”, British and South-African Association for the Advancement of Science. Vol. II, pp. 222 à 252.
1906 “The Theories of Witchcraft Among South African Natives, “ B. and S.-S. A., F.A.S., tome III, pp. 230 à 24l.
1908 “The Best Means of Preserving the Traditions and Customs of South Africa Native Races”. B. and S.-A. A. F.A.B., tome IV, pp. 141 à 159.
1908 “The Balemba of the Zoutpansberg “, “Folklore”, Londres, Volume XIX, N° 3, pp. 276 à 287.
1909 “Elementary Grammar of the Thonga-Sihangaan Language”, G. Bridel, Lausanne.
1909 “The Fate of the Widows Amongst the Ba-Ronga”. B. and S.-A. A. F.A.S., tome V, pp. 363-375.
1909-10 “Deux cas de possessions chez les Ba-Ronga” B.S.N.G., tome XX, 17 p. 1910 “ Les conceptions physiologiques des Bantous sud-africains et leurs tabous”, Revue d’ethnogr. et de sociologie de Paris, pp. 126-169.
1910 “Deux enterrements à 20.000 ans de distance”, Anthropos, tome V, fasc. 5 & 6.
1910 “Les perplexités du vieux Nkolélé”, Saynètre. Imprimerie Nouvelle. Neuchâtel, 19 p.
1910 “L’homme au grand coutelas”, Conte ronga adapté à la scène. Foyer Solidariste Saint-Blaise.
1910 “Sorcellerie d’Afrique et sorcellerie d’Europe “, Foi & Vie, vol. 20 & 21, pp. 616-624.
1911 “Zidji”, Etude de mœurs africaines. Foyer Solidariste Saint-Blaise, VI + 333 p.
1911 “The Sacrifice of Reconciliation Amongst the Ba-Ronga “. S.-A. A. F.A.S., pp. 179-182.
1912 “Sidschi”, Kultur, Christentum und das Problem der Schwarzen Rasse. Leipzig, Umrichs’sche Buchhandlung.
1912-13 “The Life of a South African Tribe”. 2 vol.: 1. The Social Life, réédité et augmenté en 1927. - II. The Psychic Life, traduit en français, chez Payot, à Paris, en 1936. 2 volumes: 515 p. et 580 p. Réimpression en anglais, par University Press, New York, en 1963.
1913 “Fritz Courvoisier et sa famille” en 1831. Musée Neuchâtelois, mai-juin 1912, pp. 89-122.
1913 “The Conditions of the Natives of South Africa in the 16th Century, According to the Early Portuguese Documents”. S.-A. A. F.A.S., Tome X, pp. 137-161.
1913 Bukhaneli bya Sironga (Grammaire ronga en ronga), Georges Bridel et Cie, Lausanne.
1917 “Avida de uma tribu Sud-Africana”, Versâo de Carlos Bivar. 468 p.
1918 “Native Customs in Relation to Small-pox Amongst the Ba-Ronga”, S.-A. A. F.A.S., tome XV, pp. 694 à 702.
1920 “The Magic Conception of Nature Amongst Bantu” S.-A. A. F.A.S., tome XVII, pp. 76 à 85.
1921 “Some Features of the Religion of the Ba-Venda” S.-A. A. F.A.S. tome XVI, pp. 207 à 220.
1922 “Causeries sur l’Afrique”. Information pour cercles d’études religieux. 12 p.
1922 “Bantu Heathen Prayers”. International Review of Missions, tome XI, pp. 561 à 571.
1923 “La jeteuse de sorts”. Drame pour la scène. Concorde, lausanne. 28 p.
1924 “Le mouvement de Mourimi”. Un réveil au sein de l’animisme thonga. Journal de psychologie, tome XXI (10), pp. 865 à 862.
1924 “Le totémisme chez les Thongas, les Pédis et les Vendas”. Le Globe. Société de Géographie. Genève, pp. 1 à 22.
1924 “La religion des primitifs”. Le christianisme social No. 6 (1924), pp. 603 à 674.
1924 “La divination au moyen de tablettes d’ivoire chez les Pédis”. B.S.N.G., 1924, pp. 38 à 56.
1924 “La genèse des contes africains”. Folklore (Londres), tome XXXV, pp. 324 à 345.
1925 “Le pasteur Calvin Mapopé”. Brochure de la Mission Suisse en Afrique du Sud, 38 p.
1927 “Moral Sense Among the Bantu”. International Review of Missions, tome XVI, pp. 85 à 90.
1928 “Le mécontentement aux Colonies”. Christianisme Social, avril-mai 1928, 11 p.
1928 “L’état d’esprit des indigènes dans les colonies de divers pays”. Discussion au Comité national d’études sociales et politiques. Paris, fascicule 378, pp. 2 à 17.
1928 “Théâtre africain”. Informations et directives pour présenter les saynètes de l’auteur. Mission Suisse Romande, Lausanne, 16 p.
1928 “Fünfzig Jahre Schweizer Mission in Südafrika”. Wanderer Verlag. Zürich, 1928, 52 p.
1929 “La seconde école de circoncision des Ba-Khaha du Nord du Transvaal”. Royal Anthropological Institute. Vol. LIX, pp. 131 à 147. Illustrations.
1929 “Une question de morale coloniale”. Sonderdruck aus Stockholm, pp. 234 à 240.
1929 “Vulavuri bya Sithonga”. (Grammaire thonga en thonga) Imprimeries réunies, Lausanne.
1930 “L’alcoolisme chez les noirs africains”. Revue de Genève. Septembre 1930, 16 p.
1931 “Le Noir Africain, comment faut-il le juger ?”. Mission Suisse, Lausanne, 20 p.
1931 “Comment juger le noir africain ?”. Institut International des langues et cultures africaines. Londres, volume IV (3) pp. 330-342.
1931 “L’année de la famine”. Saynète. M.S.A.S., Lausanne, 23 p. 1931 “La supplique du Libéria”. B.I.D.I., Genève, I1p.
1931 “Le problème de l’indigène dans l’Union Sud-Africaine”. M.S.A.S., Lausanne, 35 p.
1932 “Le sacrifice dans l’ancestrolâtrie sud-africaine”. Archives de psychologie, Paris, tome XXIII, No. 92.
1933 “Ernest Creux et Paul Berthoud”. Biographie des pionniers de la Mission Suisse dans l’Afrique du Sud. Lausanne, 256 p.
1934 “Henri-A. Junod”, missionnaire et savant, par Henri-Phillipe Junod. Lausanne, Mission Suisse dans l’Afrique du Sud, 92 p.
1934 Henri-A. Junod. Nécrologie par CH. BIERMANN. B.8.N.G., tome XLIII, 2 p.
Cet article, réimprîmé ici avec permission, est tiré d’Hommes et Destins: Dictionnaire biographique d’Outre-Mer, tome 2, volume 1, publié en 1977 par l’Académie des Sciences d’Outre-Mer (15, rue la Pérouse, 75116 Paris, France). Tous droits réservés.