Collection DIBICA Classique
Tous les articles créés ou soumis au cours des vingt premières années du projet, de 1995 à 2015.Manganhela, Zedequias
Les années de la préparation 1912-1938
Zedequias Manganhela est né dans la province du Mapoute, à l’extrême sud du Mozambique, en 1912. On y vivotait dans une savane sablonneuse et ingrate. Le père meurt jeune et laisse trois fils à sa veuve. Celle-ci sauve son aîné entraîné dans les profondeurs d’un lac par un crocodile. Mais le garçon meurt de ses blessures. Zedequias, tout jeune, a vu le drame. Dans son regard on découvrira toujours une note grave. Son temps de berger accompli, un oncle le prend en charge et veut le faire étudier. La maman tente de s’y opposer car les autres, eux, vont travailler aux mines d’or du Rand et en “reviennent riches.” Elle discute, mais en vain.
Ainsi, donc, Manganhela ira habiter à la mission suisse de Tchetcha où il fera ses premières classes. Notre élève est sérieux et têtu. Sur la station missionnaire il faut accomplir cent tâches bien vaines! Dur apprentissage aussi, à l’école, en portugais. Il assiste aux réunions du petit catéchisme, il apprend à lire sa Bible. Et c’est l’éveil d’une nouvelle vie intérieure. Zedequias fera sincèrement profession de foi chrétienne, mais les changements profonds s’opèrent surtout au cours des fréquents dialogues, avec les missionnaires Duvoisin. Il leur en a toujours voué un attachement filial.
En 1931, il poursuit ses classes à l’École d’évangélisation de Rikatla puis, en 1934, à l’Ecole d’Instituteurs Indigènes du gouvernement, à Alvôr. Il a son diplôme d’Alvôr en 1937. On le tient pour un personnage original: Il lui arrive de contester! Ils sont bien peu ces instituteurs diplômés et le gouvernement colonial leur offre de belles situations. Mais il n’est pas intéressé. Une vocation intérieure l’éclaire, il sera au service de son église. A cette époque, il se lie d’amitié avec Eduardo Ch. Mondlane.
Au service de l’Eglise
Dès 1938 et jusqu’en 1945, il sera instituteur en brousse. Il a épousé Léonor Hunguana, institutrice, elle aussi. En 1948, après avoir suivi les cours de l’école pastorale il reçoit la consécration. Pasteur, il visite ses gens au Tembé et au Mapoute, il prêche avec cette éloquence qui se passe de l’éloquence. Les problèmes du pays le prennent à la gorge. Avec Léonor, il veut mobiliser les femmes de la paroisse, elles devraient siéger au consistoire! Résistance des hommes. Il faut mettre les laïcs au travail, les instruire dans des camps, afin que, eux aussi mobilisent et instruisent les hommes du pays. Mais quelle lutte!
Il est nommé à Lourenço Marques et siège au Conseil Synodal. Une année plus tard, il est délégué aux rencontres de l’Alliance Réformée Mondiale, au Brésil. Il visitera, ensuite, le Portugal, la France et la Suisse. Pour la première fois, loin du Mozambique natal, il respire l’air de la liberté. Il prend contact avec les délégués de toute l’Afrique, avec passion!
Le temps des épreuves: 1964
Et voici qu’a sonné l’heure des guerres de libération dans les colonies portugaises. En Angola d’abord puis, en 1964, au Mozambique. Le grand ami de Manganhela, Mondlane est le chef du Front de Libération, du Frelimo. La police politique, la PIDE de Salazar, méfiante et pressante, s’agite. A l’occasion d’un voyage en Suisse, où l’on parlera de l’autonomie de l’Eglise Presbytérienne du Mozambique, Manganhela apprend que Mondlane est à Genève. L’homme du Frelimo va-t-il rencontrer son très vieil ami vivant sous la domination portugaise? Pour Manganhela, on n’hésite pas. Et l’on se retrouve dans un petit chalet du Jura suisse.
En 1971, Manganhela, président du Conseil Synodal, a fait un voyage dans le grand Mozambique. Il a vu Beira, la Zambèzia, la province du Nyassa, il a découvert et visité de nombreuses petites congrégations orphelines. Leurs pasteurs, leurs missionnaires ont été expulsés du Mozambique. Les organisations missionnaires ont été démantelées mais les fidèles ont tenu bon. Pour le voyageur c’est la vision des nouvelles dimensions de l’œuvre. Dans son cœur, il entend le prophète crier: “Qui enverrai-je?”
Manganhela a vu et entendu trop de choses. La police n’aime pas cela. Inquiète, elle cherche à démanteler les réseaux du Frelimo jusque dans la capitale, à Lourenço Marques. Elle procède à des arrestations en masse. Avec trente autres paroissiens, Manganhela est pris et conduit aux prisons de Machava, au sud de la capitale.
La police voulait des noms. Comme il ne les donnait pas, elle frappa dur. Zedequias mourut en décembre 1972, il n’avait pas parlé. La grande presse du monde occidental a relaté le drame.
André Clerc
Cet article, réimprîmé ici avec permission, est tiré d’Hommes et Destins: Dictionnaire biographique d’Outre-Mer, tome 2, volume 2, publié en 1977 par l’Académie des Sciences d’Outre-Mer (15, rue la Pérouse, 75116 Paris, France). Tous droits réservés.