Collection DIBICA Classique
Tous les articles créés ou soumis au cours des vingt premières années du projet, de 1995 à 2015.Crowther, Samuel Ajayi (A)
Le chrétien africain le plus important du dix-neuvième siècle
Samuel Adjai [1] Crowther était probablement le chrétien africain le plus connu du dix-neuvième siècle. Sa vie s’étend sur la plupart du dix-neuvième siècle : il est né dans la première décennie, et il est mort dans la dernière. Il a vécu pendant une transformation des relations entre l’Afrique et le reste du monde, ainsi qu’une transformation parallèle dans la situation chrétienne en Afrique. Vers le temps de sa mort la perspective radieuse d’une église africaine dirigée par des africains, une réalité qu’il semblait incarner, s’était assombrie. De nos jours, tout à l’air très différent, et il semblerait que ce soit un bon moment pour considérer l’héritage de Crowther.
Esclavage et Libération
L’histoire commence avec la naissance d’un garçon appelé Ajayi dans la ville d’Osogun, dans le territoire Yoruba (dans l’ouest du Nigéria présent) en 1807 ou autour de l’année 1807. Dans les années qui suivirent on raconta qu’un devin avait indiqué qu’Ajayi ne devait entrer dans aucun culte des orisa, les divinités du panthéon des Yoruba, parce qu’il allait être au service d’Olorun [2], le Dieu du ciel [3]. Il a grandi à une époque dangereuse. La dissolution de l’ancien empire Yoruba des Oyo, accompagné de l’effet des grands jihads islamiques qui établissaient un nouvel empire Fulani au nord, ont crée une situation chaotique pour les états Yoruba. La guerre et les raids sont devenus endémiques. En plus de la situation traumatique des familles divisées et de la transplantation causée par l’esclavage africain, les raids nourrissaient un mal encore pire: les marchands d’esclaves européens qui étaient à la côte. Ces derniers continuaient la traite d’esclaves sur l’Atlantique, et elle rapportait bien, même si elle était illégale.
Quand Crowther avait à peu près treize ans, il y a eu un raid à Osogun, apparemment par un groupe de musulmans Fulani et Oyo. Crowther a décrit ses souvenirs de cet événement deux fois, se rappelant vivement la désolation des maisons en flammes, l’horreur de la capture et de la corde autour du cou, le massacre de ceux qui n’étaient pas capables de voyager, et la détresse du déchirement de la famille. Ajayi a changé de mains six fois avant d’être vendu à des marchands portuguais pour le marché transatlantique.
La colonie de la Sierra Leone avait été fondée par une coalition de groupes anti-esclavagistes, pour la plupart des chrétiens d’inspiration évangélique qui faisaient partie du groupe associé à William Wilberforce et la “secte Clapham.” L’intention, dès le début, était de fonder une colonie chrétienne libre de l’esclavage et de la traite d’esclaves. Le premier groupe permanent de la population était un groupe d’anciens esclaves du nouveau monde. Suite à l’abolition de la traite d’esclaves par le Parlement Britannique en 1807, et les traités conséquents avec d’autres pays pour abolir le traffic, la Sierra Leone est devenue de plus en plus importante. C’était une base pour un escadron naval qui fouillait les navires pour voir s’ils portaient des esclaves, et c’était aussi le lieu où on amenait les esclaves si on en trouvait à bord des vaisseaux. Le navire portuguais sur lequel Ajayi avait été placé comme esclave a été intercepté par un escadron naval brittannique au mois d’avril en 1822, et, comme des milliers d’autres africains déracinés et désorientés de l’intérieur africain, il a débarqué en Sierra Leone.
À cette époque, la Sierra Leone devenait une communauté chrétienne. C’était un des premiers succès du début du mouvement missionnaire, même si le public chrétien en général était moins conscient du succès que de la mortalité épouvantable des missionnaires dans l’endroit qui a aussi reçu le nom de Tombeau des blancs. De toute apparence, le mode de vie au Sierra Leone dans son ensemble suivait le modèle occidental: les vêtements, les bâtiments, la langue, l’éducation, la religion, et même les noms. Il s’agissait d’un peuple aux origines diverses dont la cohésion et l’identité d’origine n’avaient plus de traces dans la mémoire. Ils acceptaient la combinaison de foi chrétienne et de mode de vie occidental offert par la Sierra Leone, un mélange qui était déjà représenté parmi les plus anciens habitants de la colonie, les esclaves installés qui venaient du nouveau monde.
Voilà la situation dans laquelle se trouvait maintenant le jeune Ajayi. Nous savons très peu sur ses premières années là-bas. Plus tard il a écrit que,
vers la troisième année de ma libération de l’esclavage de l’homme, j’ai été convaincu qu’il existait un état d’esclavage encore pire que le premier – l’esclavage du péché et de Satan. Mon coeur s’est ouvert grâce au Seigneur… j’ai été admis à l’église visible du Christ ici sur terre, comme soldat vaillant sous son drapeau, en guerre contre nos enemis spirituels.[4]
Il a été baptisé par le rév. John Raban de la Church Missionary Society (Société Missionnaire de l’Eglise, Anglicane), et a pris le nom de Samuel Crowther après un des membres du comité de la société en Angleterre. Mr. Crowther était un écclésiastique éminent; son jeune homonyme rendrait le nom bien plus célèbre.
Crowther a passé ces premières années en Sierra Leone à l’école, où il a reçu une éducation anglaise, ajoutant la menuiserie à ses capacités traditionnelles de l’agriculture et du tissage. En 1827, la CMS a décidé, pour l’avenir de la direction chrétienne de la Sierra Leone, d’offrir une éducation plus avancée que celle donnée par les écoles modestes de la colonie. “L’institution chrétienne” qui en était le résultat est devenue Fourah Bay College, une institution qui par la suite était la première à offrir une éducation de niveau universitaire en Afrique tropicale. Crowther était un des premiers étudiants.
Le métier à tisser de la langue
Cette période a marqué le début du travail qui devait former une des parties les plus durables de l’héritage de Crowther. Il a continué d’avoir un contact avec Raban, qui l’avait baptisé, et Raban était un des seuls missionnaires en Sierra Leone qui prenait les langues au sérieux. Pour beaucoup de ses collègues, la priorité c’était d’enseigner l’anglais, et par conséquent, les langues africaines ne seraient plus nécéssaires. Raban s’est rendu compte que cette politique était une voie sans issue; il s’est aussi rendu compte que le Yoruba, la langue maternelle de Crowther, était une langue importante. (Le Yoruba n’avait pas été prééminent dans les premières années de la Sierra Leone, mais les circonstances politiques qui avaient amené à la capture du jeune Ajayi devaient amener beaucoup d’autres Yoruba à la colonie.) Crowther est devenu informateur pour Raban, qui a publié trois petits livres sur le Yoruba entre 1828 et 1830. Il est presque certain qu’il a aussi aidé une autre pionnière en linguistique africaine, l’éducatrice Quaker Hannah Kilham.
Crowther a été nommé instituteur de la mission, et il servait dans les nouveaux villages créés pour recevoir les “africains libérés” des bâteaux de marchands d’esclaves. En Sierra Leone, l’église et l’école étaient inséparables, et un instituteur était aussi un évangéliste. Nous avons quelques aperçus d’un jeune homme vigoureux et empressé qui, du moins au début, était très agressif dans ses confrontations et rencontres avec les représentants de l’Islam et des vieilles religions africaines. Plus tard dans sa vie il a apprécié les leçons de cet apprentissage – la nature futile de l’abus, le besoin de créer des rapports personnels, et la capacité d’écouter patiemment.
Crowther a commencé l’étude de la langue Temne, qui suggère qu’il avait une vision missionnaire pour l’intérieur de la Sierra Leone. Mais il travaillait aussi de manière systématique sur sa propre langue, autant que l’équipement disponible le permettait.
La Transformation de la scène
Deux développements ont maintenant ouvert un nouveau chapitre pour Crowther et pour le christianisme en Sierra Leone. D’abord, il y a eu un nouveau lien avec le territoire Yoruba [Yorubaland]. Des africains libérés et entreprenants se sont unis pour acheter des anciens navires d’esclavage et ont commencé à faire du commerce loin de Freetown. Certains, d’origine Yoruba, ont trouvé moyen de rentrer dans leur patrie. Ils s’y sont installés, mais ont gardé les liens avec la Sierra Leone et la manière chrétienne de vivre qu’ils ont connue à Freetown. Le deuxième développement était l’expédition du Niger de 1841, une floraison brève de la vision humanitaire pour l’Afrique qu’avait Sir Thomas Fowell Buxton. [5] Cette mission d’investigation, qui avait pour but de préparer le chemin pour une alliance de “christianisme, de commerce et de civilisation” qui allait détruire la traite d’esclaves et amener la paix et la prospérité au Niger, comptait fort sur la Sierra Leone pour obtenir des interprètes et d’autres éléments de soutien. Les représentants des sociétés missionnaires venaient aussi de la Sierra Leone, et comptaient un certain J. F. Schön, missionnaire allemand qui s’était efforçé d’essayer d’apprendre les langues du Niger avec l’aide d’africains libérés en Sierra Leone. L’autre représentant était Crowther.
Les services de Crowther, donnés à l’expédition qui a été frappée par certains désastres, étaient incalculables. Schön les a cités comme évidences soutenant sa thèse: que la clé de l’évangélisation de l’intérieur africain était détenue par la Sierra Leone. Ce pays avait des chrétiens comme Crowther qui pouvaient former le comité d’action; il avait aussi les africains libérés des navires d’esclavage – un grand laboratoire de langue pour l’étude de toutes les langues d’Afrique de l’Ouest, y compris une source de missionnaires qui parlaient ces langues couramment. Il y avait aussi à l’institution de Fourah Bay une base pour l’étude et la formation.
L’expédition du Niger avait mis en avant les qualités de Crowther, et il a été amené en Angleterre pour les études et l’ordination. Ce dernier facteur était d’une importance exceptionnelle. L’ordination anglicane ne pouvait être reçue que de la part d’un évêque et il n’y avait pas d’évêques plus proches que Londres. C’est donc là, en 1843, que le ministère indigène de la Sierra Leone a commencé. [6]
C’est là aussi que la carrière littéraire de Crowther a commencé, avec la publication du Vocabulare Yoruba, qui comprenait une description de la structure grammaticale, sûrement la première oeuvre de la sorte par un locuteur natif d’une langue africaine.
La Mission Yoruba
En attendant, le nouveau lien entre la Sierra Leone et le territoire Yoruba [Yorubaland] avait convaincu la CMS qu’il était temps d’ouvrir une mission aux Yoruba. Il n’y avait pas eu l’occasion de former cette force missionnaire africaine qui avait été prévue par Schön et Crowther dans leur rapport sur l’expédition du Niger, mais il y avait au moins un missionnaire Yoruba ordonné et disponible: Crowther. Ainsi, après une première reconnaissance par Henry Townsend, missionnaire anglais de la Sierra Leone, un groupe de mission est allé à Abeokuta, l’état de la section Egba du peuple Yoruba. Ce groupe était dirigé par Townsend, Crowther, et un missionnaire allemand, C. A. Gollmer, et ils étaient accompagnés d’un grand groupe de citoyens de la Sierra Leone, de la communauté Yoruba libérée. Il y avait des menuisiers et des bâtisseurs qui étaient aussi enseignants et catéchistes. La mission avait pour but de montrer une nouvelle manière de vivre, et l’église, l’école, et une maison bien construite en faisaient partie. Ils établissaient la Sierra Leone au Yorubaland. Les commerçants-immigrés en Sierra Leone, les gens grâce auxquels Abeokuta avait attiré à l’attention de la mission, sont devenus le centre de la nouvelle communauté chrétienne.
La mission Yoruba du CMS est une histoire séparée. Comment la mission–qui fonctionnait selon les principes de Buxton–a introduit la cultivation et le traitement du cotton et a arrangé l’exportation du produit, protégeant ainsi Abeokuta de l’économie de l’esclavage; comment les missionnaires se sont identifiés à Abeokuta pendant l’invasion et ont reçu leur récompense après; comment la CMS a mobilisé l’opinion chrétienne pour influencer le gouvernement anglais en faveur d’Abeokuta; et les difficultés vécues par la mission quand elle s’est retrouvée au milieu des luttes entre les colons et les disputes entre parties Yoruba – tout cela a été raconté ailleurs. [7] Crowther est allé à Londres en 1851 pour présenter la cause d’Abeokuta. Il a vu les ministres du gouvernement; il a été reçu par la reine et le prince Albert; il a parlé dans des réunions dans le pays entier, et il a fait grande impression partout. Cet ecclésiastique noir, bien informé, sobre, éloquent, était le résultat le plus impressionnant du mouvement missionnaire que les anglais auraient pu voir. Henry Venn, le secrétaire du CMS qui avait organisé la visite, pensait que c’était bien Crowther qui avait enfin poussé le gouvernement à agir.
L’activité quotidienne des missionnaires, c’était surtout de parler de l’évangile et de nourrir la jeune église. Il y a eu un incident particulièrement émouvant pour Crowther quand il a été réuni avec sa mère et sa sour, qu’il n’avaient pas vues depuis plus de vingt ans quand le raid des marchands d’esclaves les avaient séparés. Elles étaient parmi les premières personnes à Abeokuta à être baptisées.
En Sierra Leone, l’église utilisait l’anglais pour le culte. La nouvelle mission travaillait en Yoruba, et avait l’avantage d’avoir en Crowther et sa famille des locuteurs natifs, ainsi que dans la plupart des stations auxiliaires. Les Européens avaient aussi le livre de Crowther pour les aider. Townsend, qui était un excellent linguiste pratique, éditait même un journal en Yoruba, mais l’activité qui exigeait le plus d’effort, c’était la traduction de la Bible.
On n’a pas toujours tenu compte de l’importance de la version Yoruba. Ce n’était pas la première traduction vers une langue africaine, mais dans la mesure où Crowther était la figure de proue dans sa production, c’était la première version créé par un locuteur natif. Bien entendu, les premières traductions missionnaires dépendaient fortement des locuteurs natifs comme informateurs et guides, mais il n’y avait jamais eu de traduction où le locuteur natif portait des jugements et agissait au même niveau que l’Européen.
Crowther insistait que la traduction indique le ton du texte, et ça, c’était nouveau. Pour les questions de vocabulaire et de style, il s’efforçait de pénétrer le discours familier en écoutant les anciens, et en notant les mots importants qui émergeaient dans ses discussions avec les Musulmans ou les spécialistes de la vieille religion. Au fil des années, sur place, il notait les mots, les proverbes, la terminologie d’usure. Un des plus grands coups qu’il a souffert était la perte des notes et des observations qu’il avait faites depuis onze ans, ainsi que la perte de plusieurs manuscrits de traductions, quand sa maison a brûlé en 1862.
Le Yoruba écrit était le produit d’un travail de comité de missionnaires, où Crowther dialoguait avec ses collègues européens sur des questions d’orthographe. Henry Venn a engagé la meilleure expertise disponible en Europe – non seulement Schön et le linguiste de référence d’usage normal, le professeur Samuel Lee de Cambridge – mais aussi le grand philologue allemand, Lepsius. Par conséquent, on voit la durabilité de la version Yoruba des écritures saintes à laquelle Crowther a le plus contribué, et la littérature Yoruba vigoureuse qui n’a cessé de croître.
Les nouvelles expéditions au Niger et une mission au Niger
En 1854, le marchand McGregor Laird a soutenu une nouvelle expédition au Niger, selon des principes semblables à la première, mais celle-ci a beaucoup mieux réussi. La CMS a envoyé Crowther pour la rejoindre, et la vision qu’il avait eue en 1841 a été ranimée : une chaîne d’opérations missionnaires sur des centaines de kilomètres le long du Niger, allant jusqu’à l’intérieur du continent. Il a vivement recommandé qu’elle commence à Onitsha, en territoire Igbo [Igboland].
L’occasion n’a pas mis longtemps à se présenter. En 1857, avec J. C. Taylor, un écclésiastique de la Sierra Leone de parents Igbo libérés, il a rejoint la prochaine expédition de Laird pour le Niger. Taylor a ouvert la mission Igbo à Onitsha, et Crowther a continué à remonter la rivière. Naufragé et en rade pendant des mois, il s’est mis à faire l’étude du Nupe et a exploré les ouvertures aux peuples Nupe et Hausa. La mission du Niger avait commencé.
Henry Venn a rapidement créé la structure formelle, mais il s’agissait d’une mission bâtie sur un nouveau principe. Crowther avait dirigé une force missionnaire qui était composée exclusivement d’Africains. Comme lui et Schön l’avaient prévu bien avant, la Sierra Leone faisait maintenant l’évangélisation de l’intérieur africain.
Pendant presque un demi-siècle, ce petit pays a envoyé un grand nombre de missionnaires, ordonnés et laïcs, aux territoires du Niger. La région était vaste et diversifiée : des émirats musulmans au nord, des cités faisant du commerce maritime dans la région du Delta, et les grandes populations Igbo entre les deux. Il est cruel que la contribution missionnaire de la Sierra Leone a si souvent été ignorée, voire niée. [8]
Nous ne pouvons considérer ici que trois aspects d’une histoire remarquable, dont deux ont été quelque peu négligés.
L’héritage de la langue continue
La contribution continue à l’étude de la langue et à la traduction est un de ces trois aspects. C’est Crowther lui-même qui a écrit le premier livre sur l’Igbo. [9] Il a supplié Schön, qui travaillait dans une paroisse anglaise, de finir son dictionnaire Hausa. Il a envoyé un de ses missionnaires chez les Hausa pour faire l’étude du hausa. La plupart de son personnel de la Sierra Leone n’étaient pas locuteurs natifs des langues dans les régions où ils servaient, comme l’étaient ceux de sa génération. Le grand laboratoire de langue de la Sierra Leone était en train de fermer ; l’anglais, et la langue commune, le Krio, ont pris le dessus sur les langues des gens libérés. Quand on ajoute à cela le fait que l’éducation de beaucoup de missionnaires du Niger était limitée, leur production en traductions et en publications est remarquable.
L’engagement avec l’Islam
La mission de Crowther au Niger représente aussi le premier engagement missionnaire soutenu avec l’Islam africain dans la période moderne. Dans les régions du Niger supérieur, à l’époque de Crowther, l’Islam, qui était largement accepté par les chefs, passait lentement à la population en coexistence avec la vieille religion. A partir de ses premières expériences en Sierra Leone, Crowther comprenait comment la pratique islamique pouvait se mêler aux idées traditionnelles du pouvoir. Il a trouvé qu’il y avait une demande pour les Bibles en arabe, mais il hésitait à les pourvoir s’il pensait qu’ils allaient servir aux charmes. Sa perspicacité a été justifiée plus tard, quand les jeunes missionnaires européens qui l’ont succédé ont écrit des passages bibliques quand on leur en demandait, contents de pouvoir distribuer les Ecritures ainsi. Les ecclésiastiques musulmans se sont fâchés - non pas parce qu’ils circulaient des Ecritures chrétiennes, mais parce qu’ils les donnaient gratuitement, réduisant ainsi la valeur des charmes coraniques. Dans ses discussions avec les musulmans, Crowther cherchait un terrain qu’ils avaient en commun et le trouvait dans le lien entre la Bible et le Coran : le Christ comme grand prophète, sa naissance miraculeuse, l’ange Gabriel comme messager de Dieu. Il avait des rapports aimables et courtois avec les dirigeants musulmans, et ses écrits révèlent des discussions diverses avec les souverains, les tribunaux et les ecclésiastiques. Il écrivait les questions des musulmans ainsi que ses réponses, les dernières, écrites autant que possible dans les paroles de l’écriture sainte : “Après bien des années d’expérience, j’ai trouvé que la Bible, l’épée de l’Esprit, doit lutter sa propre guerre, par la direction du Saint-Esprit.”[10]
Le chrétien, bien entendu, devait défendre la doctrine de la Trinité, mais il devait le faire en tenant compte du cri d’horreur du Coran, “Est-ce possible que Vous puissiez enseigner que Vous et Votre Mère sont deux dieux?” Autrement dit, le chrétien doit montrer que les choses que les musulmans craignent comme étant un blasphème ne font pas partie de la doctrine chrétienne.
Crowther, qui n’était ni grand érudit ni un spécialiste de culture arabe, a développé une approche à l’Islam dans son contexte africain qui montrait la patience et la volonté d’écouter qui ont marqué l’ensemble de sa méthode missionnaire. En évitant les dénonciations et les allégations de fausses prophéties, elle fonctionnait en acceptant ce que le Coran dit sur le Christ et en ayant une connaissance efficace de la Bible. Crowther voyait l’avenir avec espoir ; le chrétien africain moyen connaissait la Bible bien mieux que le musulman africain moyen ne connaissait le Coran. Il prenait aussi en considération le fait que la règle de la foi musulmane était exprimée en arabe, tandis que celle de la foi chrétienne s’exprimait en Hausa, en Nupe ou en Yoruba. Par conséquent, la manière de comprendre comment la foi s’applique à la vie se comprenait différemment.
L’épiscopat devient indigène
L’aspect le mieux connu de la dernière partie de la carrière de Crowther est aussi le plus controversé : sa représentation du principe de l’église indigène. Nous avons vu qu’il était le premier ecclésiastique ordonné de son église à ce niveau. C’était la politique de Henry Venn, qui était arrivé récemment à la tête du CMS, de renforcer le ministère indigène. De plus en plus d’Africains étaient ordonnés, et certains sont allés à la mission Yoruba. Venn voulait un clergé africain bien éduqué, bien formé ; des personnes comme le fils de Crowther, Dandeson, (qui est devenu archidiacre) et son beau-fils T. B. Macaulay (qui est devenu directeur de l’école primaire de Lagos) étaient mieux éduqués que beaucoup de simples missionnaires anglais.
Venn voulait des églises indépendantes, qui se gouvernaient et se propageaient elles-mêmes, avec un pastorat complètement indigène. En termes anglicans, cela voulait dire des évêques indigènes. Le rôle du missionnaire était provisoire : dès que l’église était établie, le missionnaire devait continuer sa route. La naissance de l’église, c’était l’euthanasie de la mission. Avec la croissance de l’église Yoruba, Venn cherchait à mettre ces principes en pratique dans le territoire Yoruba [Yorubaland]. Même les meilleurs missionnaires européens pensaient que ces idées n’étaient pas pratiques, qu’elles étaient le dada de cet administrateur doctrinaire en Angleterre.
Comme nous l’avons vu, Venn a créé un nouveau domaine de direction pour Crowther, qui était l’ecclésiastique indigène dominant en Afrique occidentale. Mais il a fait encore plus : en 1864, il a obtenu la consécration de Crowther comme évêque “des pays de l’Afrique occidentale au-delà des limites de l’empire de la Reine,” un titre qui reflète certaines contraintes imposées par les collègues européens de Crowther, ainsi que les aspects particuliers de la relation de l’église anglicane avec la Couronne. Crowther, qui était un homme réellement humble, a résisté ; mais Venn n’a pas accepté ce refus.
Dans un sens, le nouveau diocèse représentait le triomphe du principe des trois éléments de l’autonomie et la réalisation d’un épiscopat indigène. Mais elle reflétait un compromis, plutôt que l’expression totale de ces principes. Après tout c’était essentiellement une mission, et elle obtenait la plupart de son clergé non pas à partir du territoire indigène, mais de la Sierra Leone. Son ministère était “indigène” seulement dans le sens qu’il nétait pas européen. Les trois principes de l’autonomie exigeaient qu’elle pourvoie à son propre soutien ; cela voulait dire des ressources maigres, des missionnaires qui n’avaient pas de congé chez eux, et le besoin de présenter l’éducation comme produit vendable.
L’histoire des dernières années de la mission du Niger a souvent été racontée, et a été interprétée de manières différentes. Elle provoque toujours des passions et de l’amertume. [11] Il n’y a pas besoin de raconter ici plus que les éléments essentiels : qu’il y a eu des questions sur la manière de vivre de certains missionnaires ; que des missionnaires européens ont été amenés à la mission, et ont fini par la contrôler, écartant le vieil évêque (il avait plus de quatre-vingt ans) et suprimant ou mettant à la porte son personnel. En 1891, Crowther était un homme perdu, brisé, et il a eu une attaque d’apoplexie. Il est mort le dernier jour de cette même année, et il a été remplacé par un évêque européen. L’église autonome et “l’indigénisation” de l’épiscopat ont été abandonnées.
Les récits contemporains de la mission font tous la louange de l’intégrité de Crowther, de sa nature gracieuse, de sa dévotion. Dans la mission Yoruba, qui était bénie de beaucoup de personnes à caractère fort, sinon irritable, son influence avait été irénique. En Angleterre, il était reconnu comme orateur efficace et coopératif. (Un employé de la CMS s’est rappelé qu’une fois, on avait demandé à Crowther de faire un discours sur “la mission et les femmes” dans un congrès, et qu’il avait captivé la foule.) Et pourtant, les mêmes sources disaient aussi non seulement que Crowther était “un évêque faible,” mais aussi par conséquent que “la race africaine” n’avait pas la capacité requise pour régner.
La pensée européenne sur l’Afrique avait changé depuis le temps de Buxton ; les pouvoirs occidentaux étaient maintenant en Afrique pour gouverner. La pensée missionnaire à propos de l’Afrique avait changé depuis les jours d’Henry Venn ; il y avait de nombreux jeunes anglais vifs prêts à étendre la portée de la mission et à ordonner l’église ; une église qui se gouvernait elle-même semblait désormais une question bien moins importante. La religion évangélique aussi, avait changé depuis la conversion de Crowther ; elle était devenue plus individualiste et plus détachée du monde. Un jeune missionnaire anglais ne comprenait pas comment le vieil évêque, qui préchait si bien sur le sang du Christ, pouvait recommander si vivement à un chef les avantages d’avoir une école, et ne pas lui parler de la vie future. [12] Cette anecdote résume les deux itinéraires évangéliques : le chemin court, qui passe par Keswick, et le chemin long qui passe par La Tombe de l’Homme Blanc, l’expédition du Niger, et les tribunaux des souverains musulmans du nord.
Néanmoins, il y a eu quelques conséquences inattendues même dans les derniers jours tristes. La partie de la mission du Niger qui était dans le delta du Niger était autonome sur le plan financier. Elle a décliné la “prise de pouvoir” européenne et a pendant longtemps maintenu une existence séparée sous le fils de Crowther, l’archidiacre Dandeson Crowther, à l’intérieur de la communion anglicane, mais en dehors de la CMS. Elle a grandi très, très vite, et elle se propageait elle-même si rapidement qu’elle a cessé d’être autonome financièrement. [13]
D’autres voix demandaient un schisme direct ; le refus de nommer un successeur africain à Crowther, en dépit du fait qu’il y avait un clergé africain exceptionnel et disponible, marque un point important dans l’histoire des églises africaines indépendantes. [14] La manière dont Crowther a été traité, et la question encore plus importante de son successeur, ont donné un objectif au mouvement nationaliste naissant pour qui E. W. Blyden a été le porte-parole le plus éloquent. [15] Crowther, donc, a sa place moderne dans la martyrologie du nationalisme africain.
Néanmoins, la majorité des chrétiens, y compris les successeurs naturels de Crowther qui ont été survolés, ou bien pire, qui ont souffert l’abus et le dénigrement, n’ont pas pris cette route. Ils ont tout simplement attendu. Crowther était le représentant exceptionnel d’un ensemble de dirigeants d’église de l’Afrique occidentale qui se sont manifestés dans l’âge pré-impérial et qui ont été supplantés lors de l’âge impérial. Néanmoins, l’âge impérial lui-même n’était qu’un épisode. L’héritage de Samuel Ajayi Crowther, le champion humble et dévot d’une foi chrétienne qui était essentiellement africaine et missionnaire, est passé à toute l’église de l’Afrique, et ainsi qu’à toute l’église du Christ.
Andrew F. Walls
Notes:
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Crowther lui-même écrivait son nom Yoruba ainsi (il s’en servait comme deuxième nom). L’orthographe moderne est “Ajayi” et cette orthographe est d’usage commun aujourd’hui, surtout parmi les écrivains nigériens.
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Sur la relation des orisa à Olorun, voir E. B. Idowu, Olódùmaré: God in Yoruba Belief [Olódùmaré: Dieu dans la foi Yoruba], (London : Longmans, 1962). Idowu pense qu’Olorun n’est jamais appelé orisa, et n’est pas classé parmi eux.
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Cette histoire est représentative de centaines d’histoires semblables qui montrent que le Dieu de la Bible est actif dans le passé africain au travers des prophécies semblables de l’avenir chrétien en Afrique.
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Walls, “A Second Narrative of Samuel Ajayi Crowther’s Early Life,” [“Une deuxième narration du début de la vie de Samuel Ajayi Crowther”] Bulletin of the Society for African History [Bulletin de la société pour l’histoire africaine] 2 (1965) : 14.
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Sur Buxton, voir les pages 11-17, précité.
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Crowther n’était pas le premier Africain a recevoir l’ordination anglicane. Déjà en 1765, Philip Quaque, qui venait de Cape Coast dans le Ghana présent, et qui avait été emmené en Angleterre alors qu’il était encore garçon, a été nommé chapelain au poste commercial anglais à Cape Coast. Il est mort en 1816. Crowther n’avait jamais entendu parler de lui jusqu’à ce qu’il débarque à Cape Coast en route pour le Niger en 1841, et c’est là qu’il a vu une plaque commémorative. Voir Jesse Page, The Black Bishop [L’évêque noir] (London : Hodder and Stoughton, 1908), p. 53.
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Surtout par J. F. A. Ajayi, Christian Missions in Nigeria : 1841-1891 [Les missions chrétiennes au Nigéria : 1841-1891], (London : Longmans, 1965). Voir aussi S. O. Biobaku, The Egba and Their Neighbors: 1842-1874 [Les Egba et leurs voisins: 1842-1874] (Oxford: Clarendon Press, 1957).
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Répété, par exemple, par Stephen Neill, Christian Missions [Missions chrétiennes], Pelican History of the Church (Harmondsworth : Penguin Books, 1964), p.306, qui a dit, “It is only to be regretted that its Christianity has not proved to be expansive.” [Il est regrettable que son christianisme n’ait pas été un christianisme d’expansion.] En fait, peu de pays peuvent réclamer une telle expansion par rapport à la proportion du chiffre de la population chrétienne.
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Voir P. E. H. Hair, The Early Study of Nigerian Languages [Les débuts de l’étude des langues nigériennes], (Cambridge: Cambridge Univ. Press, 1967), p. 82, pour une évaluation. Voir Stephen Neill, Christian Missions [Missions chrétiennes](pp. 377 f.), pour l’impression commune de l’incompétence linguistique de Crowther et des missionnaires du Niger. Le cataloque soigneusement élaboré par Hair, de leurs traductions dans les langues du Niger inférieur, ainsi que ses descriptions des enquêtes linguistiques de Crowther au Niger supérieur, montre à quel point cette impression était fausse.
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Crowther, Experiences with Heathens and Mohammedans in West Africa [Expériences avec les païens et mahométans en Afrique occidentale], (London, 1892), p.82.
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Voir E. A. Ayandele, The Missionary Impact on Modern Nigeria: 1842-1914 [L’Impact missionnaire sur le Nigéria moderne: 1842-1914], (London: Longmans, 1966), pour un point de vue africain moderne représentatif. Neill (Christian Missions, p.377) représente le point de vue “missionnaire” traditionnel. Ajayi, Christian Missions in Nigeria, présente le contexte, et G. O. M. Tasie note certains facteurs négligés dans son Christian Missionary Enterprise in the Niger Delta: 1864-1918 [L’entreprise missionnaire chrétienne au Delta du Niger: 1864-1918], (Leiden: Brill, 1978).
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Ajayi, Christian Missions in Nigeria, p. 218.
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Pour l’histoire, voir Tasie, Christian Missionary Enterprise in the Niger Delta: 1864-1918. Voir aussi Jehu J. Hanciles, “Dandeson Coates Crowther and the Niger Delta Pastorate : Blazing Torch or Flickering Flame?” [“Dandeson Coates Crowther et le pastorat du Delta du Niger: flambeau ardent ou flamme mourante?”] International Bulletin of Missionary Research 18, no. 4 (1994): 166-72.
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Voir J. B. Webster, The African Churches Among the Yoruba [Les églises africaines parmi les Yoruba], (Oxford: Clarendon Press, 1964).
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Voir, par exemple, H. R. Lynch, Edward Wilmot Blyden (London: Oxford Univ. Press, 1967).
Bibliographie sélective:
Oeuvres de S. A. Crowther (autres que les traductions ou les oeuvres linguistiques)
1843 (avec J. F. Schön) Journal of an Expedition up the Niger in 1841 [Journal d’une expédition remontant le Niger en 1841]. London.
1855 Journal of an Expedition up the Niger and Tshadda Rivers [Journal d’une expédition remontant le Niger et le Tshadda]. London.
1859 (avec J. C. Taylor) The Gospel on the Banks of the Niger… [L’évangile sur les rives du Niger…]. London. Réimpression, London, Dawsons, 1968.
1965 (par A. F. Walls) “A Second Narrative of Samuel Ajayi Crowther’s Early Life,” [“Une deuxième narration du début de la vie de Samuel Ajayi Crowther”] Bulletin of the Society for African History [Bulletin de la société pour l’histoire africaine] 2: 5-14. Un fragment d’autobiographie.
Oeuvres sur S. A. Crowther
Ajayi, J. F. A. Christian Missions in Nigeria : 1841-1891 [Les missions chrétiennes au Nigéria : 1841-1891]. London : Longmans, 1965.
——–. “How Yoruba Was Reduced to Writing,” [“Comment le Yoruba a été réduit à l’écriture”]. Odu: Journal of Yoruba Studies (1961): 49-58.
Ayandele, E. A. The Missionary Impact on Modern Nigeria: 1842-1914 [L’Impact missionnaire sur le Nigéria moderne: 1842-1914]. London : Longmans, 1966.
Hair, P. E. H.* The Early Study of Nigerian Languages [Les débuts de l’étude des langues nigériennes]*. Cambridge: Cambridge Univ. Press, 1967.
Mackenzie, P. R. Inter-religious Encounters in Nigeria. S. A. Crowther’s Attitude to African Traditional Religion and Islam [Les rencontres interreligieuses au Nigéria. L’attitude de S. A. Crowther envers la religion africaine traditionnelle et l’Islam]. Leicester: Leicester Univ. Press, 1976.
Page, Jesse. The Black Bishop [L’évêque noir]. London: Hodder and Stoughton, 1908. C’est toujours la biographie la plus complète, mais elle est de valeur limitée.
Shenk, W. R. Henry Venn: Missionary Statesman [Henry Venn: Homme d’état missionnaire]. Maryknoll, N.Y.: Orbis Books, 1983.
Tasie, G. O. M. Christian Missionary Enterprise in the Niger Delta: 1864-1918 [L’entreprise missionnaire chrétienne au Delta du Niger: 1864-1918]. Leiden: Brill, 1978.
Walls, A. F. “Black Europeans, White Africans.” Dans D. Baker (éd.), Religious Motivation: Biographical and Sociological Problems of the Church Historian [La motivation religieuse: les problèmes biographiques et sociologiques de l’historien de l’église]. pp. 339-48. Studies in Church History [Etudes dans l’histoire de l’église], Cambridge : Cambridge Univ. Press, 1978.
Cet article, tiré du International Bulletin of Missionary Research [Bulletin international de recherches missionnaires], Jan. 92, Vol. 16 numéro 1, pp. 15-21, est reproduit, avec permission, de Mission Legacies: Biographical Studies of Leaders of the Modern Missionary Movement [Les héritages de la mission: études biographiques des leaders du mouvement missionnaire moderne], copyright (c) 1994, édité par G. H. Anderson, R. T. Coote, N. A. Horner, J. M. Phillips. Tous droits réservés.