Collection DIBICA Classique
Tous les articles créés ou soumis au cours des vingt premières années du projet, de 1995 à 2015.Cessou, Jean Marie
Jean-Marie Cessou naquit à Quimper (Finistère), dans une famille très modeste, le 12 décembre 1884. Il reçut une excellente éducation primaire chez les Frères de la Doctrine Chrétienne de Ploërmel. Il fit ses études secondaires à l’École Apostolique des Missions Africaines à Pont-Rousseau près de Nantes. Physiquement et moralement, il était déjà ce qu’il sera toujours: un vrai Breton de Cornouaille “corps ramassé et trapu, large d’épaules, tête rude et volontaire…” Sous des apparences un peu frustes se cachaient déjà de grandes qualités morales dont les plus marquantes étaient l’énergie de la volonté et la vivacité de l’intelligence… Il fit son Grand Séminaire à Lyon puis au Caire en Egypte… Il se montre travailleur acharné, lisant énormément, couvrant de notes des rames de papier. Futur missionnaire, il prend saint Paul pour modèle et il l’étudie sous tous ses aspects.
Mais l’abbé Cessou est affligé d’une infirmité physique, un bégaiement incoercible et tellement prononcé qu’il semble devoir lui interdire l’accès du sacerdoce. Décidé à vaincre cet obstacle, il se soumet à une rude et sévère discipline. Sa volonté tenace et son énergie finirent par triompher. Le 20 avril 1908, il faisait le Serment d’appartenance à la Société des Missions Africaines et le 19 juillet suivant, à Lyon, il était ordonné prêtre.
Son premier champ d’apostolat fut le Liberia, jeune et difficile mission qui venait d’être confiée à la Société. Il résida en particulier à Sasstown où il se fit instituteur, bâtisseur et même planteur. “Le P. Cessou, écrivait le Préfet Apostolique fait merveille ici. Il a appris la langue, il a bâti une école qui marche bien et il a une chorale qui chante à ravir.” Tout allait pour le mieux, lorsque, brusquement, ce fut la guerre et le P. Cessou dut rejoindre Dakar.
La vie de garnison n’était pas faite pour ce broussard. Aussi quand le corps expéditionnaire français se préparait pour le Cameroun, le P. Cessou se présenta comme volontaire pour y participer. La campagne militaire fut de courte durée et dès 1916, le soldat Cessou fut détaché de son bataillon et envoyé à Yaoundé pour y rouvrir la mission d’où les Pères Pallotins avaient été expulsés. Ces derniers avaient poussé l’évangélisation avec autant de zèle que de succès. Le P. Cessou s’appliqua à étudier leurs méthodes.
En 1917 toujours mobilisé, on le retrouve en France d’abord à l’Ecole Militaire de Saint-Maixent comme élève officier et ensuite sur le front d’Artois où il gagna une citation à l’ordre de l’armée. Démobilisé en 1919, il repart vers l’Afrique, pour le Nigeria où il est nommé Supérieur d’Abeokuta et apprend une nouvelle langue… ce ne sera que pour quelques mois.
Le 11 janvier 1921, le Saint-Siège le nommait Administrateur Apostolique du Togo dont le Vicaire Apostolique, Mgr Wolff des Pères du Verbe Divin et ses missionnaires ne pouvaient rejoindre le territoire à la suite de la guerre. En septembre 1921, le Père Cessou et les quelques missionnaires qu’il amenait avec lui étaient accueillis avec enthousiasme par la chrétienté togolaise. Il entreprit immédiatement une visite pastorale du Vicariat et fit l’inventaire exact de toutes les anciennes missions et les diverses œuvres. La chrétienté comptait 21 000 baptisés. Des 228 maîtres et catéchistes au service des Pères du Verbe Divin à la fin de 1913, il n’en trouva que 34: les autres, n’étant plus payés depuis le départ de leurs missionnaires avaient cherché un gagne-pain ailleurs. Seulement deux postes, Lomé et Anécho, avaient des prêtres prêtés par les missions voisines. Le premier rapport annuel de Mgr Cessou pour Rome était nécessairement pessimiste.
Dans ce rapport Mgr Cessou n’exagérait rien. Il brossait le tableau lamentable de la situation, de la mission orpheline, laissée si longtemps sans prêtres et sans ressources. Il exposait la situation réelle, c’était son devoir, et sollicitait l’aide du Saint-Siège. Avant tout il “fallait rouvrir les anciennes missions” leur donner des prêtres et rouvrir les écoles. Ces postes étaient au nombre de dix. Pour lui donner des missionnaires, le P. Chabert, Supérieur Général des Missions Africaines retirait immédiatement un groupe de missionnaires français du Nigeria pour le Togo et les remplaçait par des Irlandais. Au bout d’un an, chaque poste avait au moins son prêtre et le nombre augmenta d’année en année jusqu’à 40 en 1937… Les sœurs de N.-D.- des-Apôtres rouvrirent les écoles de filles et les internats des sœurs allemandes.
En mars 1923, le Saint-Siège nommait Mgr Cessou Vicaire Apost. du Togo avec le titre d’évêque titulaire de Verinopolis. A la grande joie de son peuple, Mgr Cessou décida de recevoir l’ordination épiscopale à Lomé. Il donnait ainsi aux Togolais si éprouvés une réelle marque d’affection. En même temps que Mgr Cessou, un autre vicaire apostolique était nommé pour le Togo britannique en la personne de Mgr Auguste Herman. Venant tous les deux du Nigeria, après un cours séjour au Cameroun, les deux évêques collaborèrent cordialement ensemble toute leur vie durant.
La question la plus délicate qu’il fallait régler d’urgence c’était le règlement de la question juridique des biens de mission. Mgr Cessou dressa l’inventaire de tous ces biens avec une sagacité de juriste. Mais tout le monde n’interprétait pas exactement de la même manière certains articles du traité de Versailles transférant les biens de la Mission catholique allemande dans la partie française du Togo aux Missions Africaines représentées par Mgr Cessou. Les dossiers voyagèrent de Lomé à Paris, à Rome. La diplomatie du Vatican finit par obtenir la décision que “tous les biens de mission appartenaient au Saint-Siège, indépendamment de la nationalité des missionnaires, qui ne sont que des messagers du Christ qui passent alors que l’Église, essentiellement supranationale, reste”. C’est ainsi que fut sauvée l’école professionnelle de Lomé fondée par la Société du Verbe Divin et que la France pensait pouvoir revendiquer “comme bien privé ennemi”.
Cette école professionnelle n’avait d’ailleurs jamais arrêté de fonctionner même durant la guerre. Elle avait une grande imprimerie, une menuiserie et une forge où se formaient les meilleurs ouvriers du pays.
Deux questions passionnèrent Mgr Cessou pendant son épiscopat: la question scolaire et celle de la formation du clergé togolais.
Durant toute sa vie Mgr Cessou a lutté pour les écoles catholiques. Ce n’était pas pour lui une question de prestige, mais un principe. Il disait souvent que l’homme reste ce que l’école qu’il a fréquentée en a fait. En 1930, il publia une importante lettre pastorale sur la question scolaire dans laquelle il rappelait aux parents catholiques le droit inaliénable de l’Eglise et son devoir strict de veiller sur l’éducation chrétienne de ses enfants baptisés en quelque école qu’ils se trouvent, publique ou privée. Il leur répétait le mot d’ordre que le pape Pie XI dictait aux évêques: “L’éducation catholique, pour tous les enfants catholiques, donnée par des maîtres catholiques dans des écoles catholiques.” Malgré sa ténacité, au moment de sa mort, il n’était pas arrivé au nombre des élèves que les pères allemands avaient en 1914. En 1927 Mgr Cessou fit construire à Togoville une école spéciale pour les catéchistes et les maîtres, laquelle devint en 1943 “Ecole Normale” reconnue par le Gouvernement. Durant tout son épiscopat, Mgr Cessou a lutté pour obtenir du gouvernement des subventions scolaires équitables, lui permettant de payer au personnel enseignant des écoles libres, un salaire convenable, à peu près égal à celui des maîtres des écoles officielles, sans succès hélas!
La question scolaire est intimement liée à celle de l’œuvre du clergé autochtone. Dans une lettre pastorale de 1925, Mgr Cessou écrivait: “Nous avons fait de l’œuvre du clergé indigène la grande pensée de notre vie. C’est dans le but de donner au Togo un clergé togolais que nous avons multiplié les écoles, les stations secondaires, les catéchuménats, car pour avoir des prêtres, il faut d’abord avoir des chrétiens.”
Il ordonne son premier prêtre, le père Kwakumé, le 22 septembre 1928. Quatre autres suivront. Tous les séminaristes grands et petits étudiaient alors au séminaire intervicarial d’Ouidah au Dahomey… Mgr Cessou ne put réaliser son désir d’avoir son propre petit séminaire. Il envoya à Rome l’abbé Gbikpi qui couronna ses études par le doctorat en théologie. Il était aussi profondément convaincu que l’Eglise dans le Tiers Monde n’est établie d’une façon stable que le jour où les chrétientés seront confiées au clergé et à la hiérarchie locale. En 1928, il demandait instamment à ses missionnaires de se consacrer de toutes leurs forces au problème des vocations. Si aujourd’hui le Togo est riche en prêtres locaux et séminaristes, le germe, n’en doutons pas, se trouve dans l’action de Mgr Cessou et des missionnaires.
Un Haut Commissaire qui avait beaucoup connu Mgr Cessou disait de lui: “C’est un tempérament de chef. Quel magnifique Gouverneur colonial il eût été.” Nous pouvons dire en toute vérité: “Quel magnifique évêque missionnaire!” Mgr Cessou était sous tous les points de vue l’âme de son vicariat. Il aimait son peuple et visitait régulièrement toutes les missions chaque année et donnait des directives précises à ses collaborateurs. Toutes ses initiatives n’ont pas réussi mais si le Vicariat du Togo, après la catastrophe de la guerre et l’expulsion des missionnaires allemands, s’est magnifiquement développé il le doit à la sage direction de son chef et au dévouement de ses collaborateurs.
Comme au temps de son séminaire Mgr Cessou étudiait et écrivait beaucoup. Ses rapports annuels et quinquennaux, ses circulaires forment un ensemble d’une trentaine de volumes contenant de précieux documents pour l’histoire de l’Eglise au Togo qu’on chercherait en vain ailleurs.
Travailleur infatigable, il payait largement de sa personne et aidait volontiers ses missionnaires débordés par le travail… il pratiquait simultanément la méthode intensive et extensive dans le Sud et le Nord au Togo.
Dans le Sud après avoir donné des prêtres à toutes les anciennes missions des Pères du Verbe Divin, il fonda sept nouveaux districts. Dans toutes les paroisses il créa des œuvres multiples d’action catholique et de piété ainsi que de nombreuses chorales. Il favorisa en particulier les œuvres pour la jeunesse depuis le scoutisme et la J.E.C. jusqu’aux mouvement sportifs…
Il est à l’origine de la vaste église Saint-Augustin à Lomé et de la rénovation de la cathédrale et de l’Evêché.
A partir de 1923, il explora la Nord de son vicariat en vue de l’évangélisation de la région. Son but était d’y créer au plus vite une circonscription ecclésiastique indépendante de Lomé; ce qui se réalisa en 1937 par la création de la préfecture apostolique de Sokodé. A partir de cette date Mgr Cessou put se consacrer plus exclusivement aux chrétientés du Sud.
La guerre de 1939 entraîna une nouvelle désorganisation par la mobilisation de missionnaires et le manque de ressources. Mgr Cessou en souffrit beaucoup. En 1942, quant il organisa magistralement la célébration du Jubilé d’Or de la mission, il était déjà marqué par le mal secret qui devait bientôt l’emporter.
Il prêcha lui-même les sermons d’ouverture et de clôture où il remercia Dieu des grâces multiples reçues, brossa l’histoire des 50 ans et exposa ce qui reste à faire. Il évoqua ses grands thèmes coutumiers, les problèmes de la jeunesse, celui de la famille chrétienne et celui du clergé togolais.
Dans ces discours nous trouvons en quelque sorte son testament: “Dans la vie d’une mission qu’est-ce que 50 ans? C’est à peine l’âge de la pleine jeunesse…Elle ne sera adulte que lorsqu’à son tour, elle aura engendré son propre clergé avec à sa tête un évêque du pays…Peu importent donc les individus qui passent et qui tombent: ils savent qu’ils seront continués. Il leur suffit par leur labeur et leur sacrifice d’avoir préparé cette heure. Quant à moi, je suis déjà offert en sacrifice et le moment de mon départ approche. J’ai achevé ma course, j’ai gardé la foi. Quant au reste, je sais que la couronne de justice m’est réservée, que le juste juge me donnera.” (II Tim. v. 6-9)
Les années de guerre étaient pour lui très pénibles. Il aurait dû rentrer mais ne le pouvait pas en un pays occupé. Le débarquement en Normandie réjouit le cœur de l’enfant de Bretagne qui se reprit à espérer. Malgré sa fatigue extrême, il continuait à travailler et même à visiter son vicariat.
Le 17 février 1945, il était à son bureau quand il fut terrassé par les premiers signes d’une congestion cérébrale qui laissait prévoir le pire. Hospitalisé à la hâte, il mourut dans la matinée du 3 mars. Le lendemain il était inhumé dans l’église Saint-Augustin.
En toute vérité l’Eglise au Togo doit à Mgr Jean-Marie Cessou sa seconde naissance.
N. Douau
(d’après des notes de Mgr Strebler)
Travaux et publications:
Une religion nouvelle en Afrique occidentale: le “Goro” ou “Kunde.” Son aspect actuel au Togo. Etudes missionnaires avril et septembre 1936.
Le Gree-Gree Bush. Initiation de la jeunesse chez les nègres Golah au Liberia. Anthropos, 1911, p. 729-754.
La mission du Cameroun. Notes d’un ancien soldat. Accompagné des remarques de Mgr Herman et d’une lettre du Gouverneur Général de l’A.O.F., manuscrit.
Divers écrits manuscrits sur le Togo. Histoire religieuse. Statut légal, etc.
La formation chrétienne. Doctrine. Prières. Textes composés, adaptés, compilés par le Vic. Apost. à l’usuage des écoliers, des jeunes et des adultes de langue française. Lomé, 1939.
Articles sur le Liberia et Togo dans Missions Catholiques.
Les Communautés islamiques, Echo des missions Africaines, 1928, p. 29 et 55.
Cet article, réimprîmé ici avec permission, est tiré d’Hommes et Destins: Dictionnaire biographique d’Outre-Mer, tome 9, publié en 1977 par l’Académie des Sciences d’Outre-Mer (15, rue la Pérouse, 75116 Paris, France). Tous droits réservés.