Collection DIBICA Classique

Tous les articles créés ou soumis au cours des vingt premières années du projet, de 1995 à 2015.

Grenfell, George (A)

1849-1906
Baptist Missionary Society
Cameroun , Congo , République Démocratique du Congo

George Grenfell

Parmi les rangs des plus grands explorateurs missionnares de l’intérieur centrafricain de l’ère victorienne, George Grenfell prend la deuxième place, après Livingstone. Grenfell n’a jamais écrit un livre et n’a jamais connu la renommée d’un Livingstone, mais c’est lui qui, plus que tout autre, a ouvert le vaste bassin du Congo à l’oeuvre missionnaire. Comme Livingstone, il était plutôt pionnier explorateur que pionnier de l’église, et c’est seulement après sa mort en 1906 que son travail a donné lieu à une importante croissance de l’église, surtout dans le nord du Congo.

Ses premières années et son appel au champ missionnaire

George Grenfell est né à Sancreed en Cornouailles, le 21 août 1849, mais a passé la plupart de son enfance à Birmingham. Sa famille était anglicane, mais le jeune Grenfell a commencé à fréquenter l’école du dimanche de l’église baptiste de Heneage Street, et c’est là qu’il a été baptisé et reçu dans l’église en 1864. Après sa scolarité, Grenfell a fait un apprentissage dans une société de marchands de quincaillerie et de machines, où il a acquis le sens des choses mécaniques, un trait qui l’a bien servi plus tard. Il s’intéressait déjà au travail missionnaire en Afrique et suivait de près les exploits de Livingstone et d’Alfred Saker, le pionnier baptiste au Cameroun. En 1873, l’église baptiste de Heneage Street l’a recommandé pour une formation de service missionnaire, et au mois de septembre il a commencé ses études au collège baptiste de Bristol.

Il n’était pas très heureux dans sa carrière académique, et elle n’a pas été longue (un peu plus d’une année). Ce sont plutôt ses sorties régulières du samedi au bassin Cumberland de Bristol, qui lui auront été plus utiles que ses études de théologie, car il aura pu observer de près le chargement des navires dans un des plus grands ports anglais. En 1874, au mois de novembre, le comité de la société missionnaire baptiste (SMB ou BMS en anglais) accepte Grenfell pour le service au Cameroun. Le mois suivant il est parti à destination de l’Afrique de l’Ouest en compagnie de son héros, Alfred Saker, qui retournait au Cameroun pour la dernière fois.

Premières expériences au Cameroun

Grenfell a d’abord travaillé aux côtés de Saker à Cameroons Town (le Douala actuel), et formait les jeunes hommes de la communauté missionnaire en compétences pratiques. Saker, qui était fortement influencé par l’idéal de Livingstone–“le commerce et le christianisme”–s’était donné pour objectif la création d’une communauté chrétienne qui serait financièrement indépendante, et capable d’une telle activité économique. Grenfell a fait la connaissance de J. J. Fuller et de Francis Pinnock, deux anciens esclaves jamaïcains qui, avec d’autres, avaient comme vision et comme but d’amener l’évangile à leur ancienne patrie. C’est ainsi que la mission au Cameroun avait commencé. Au fil des années, Grenfell a eu beaucoup de respect pour Fuller, un missionnaire qui avait une influence exceptionnelle sur les coeurs des indigènes. [1] Plus tard, Jean Pinnock, fils de Francis, est devenu un collègue fidèle sur le Congo.

Cett année-là, Grenfell a épousé Mary Hawkes, la soeur d’un ami proche à [l’église de] Heneage Street. Mary a subi une mort tragique en janvier 1877, après avoir donné naissance à un enfant mort-né. “Je me sens très seul,” avait confessé Grenfell au secrétaire de la B.M.S., Alfred Baynes : “J’ai de très grands problèmes, et j’ai besoin de vos prières.”[2] Plus tard, toujours en 1877, il a beaucoup apprécié la camaraderie de Thomas Comber, une autre jeune recrue qui est venue le rejoindre. Les deux jeunes missionnaires ont entamé une série de voyages vers l’intérieur du pays, à partir de cameroons Town. Ces voyages ont présagé le rôle que Grenfell en particulier allait jouer au Congo. En 1878, Grenfell avait fait un levé topographique et une carte des versants sud de la montagne du Cameroun, et avait remonté les fleuves suivants: le Mungo, le Yabiang, le Wuri, le Lungasi, le Sanaga. Il a envoyé un rapport détaillé de ses voyages à la Royal Geographic Society. [3] Comme Livingstone avant lui, en Afrique méridionale, il se souçiait de trouver la meilleure voie vers l’intérieur, la voie qui permettrait d’établir le contact avec les peuples qui n’avaient pas encore été touchés par une influence européenne néfaste. [4]

L’ouverture du Congo

Le 8 octobre, 1877, le comité de la SBM (Société Missionnaire Baptiste) a décidé d’inviter Comber et Grenfell a faire un voyage qui aurait pour objectif d’explorer le fleuve Congo. Au mois de juillet, la société avait accepté une offre de mille livres de la part d’un enthousiaste de la mission, l’excentrique Robert Arthington, pour l’établissement d’une mission sur le fleuve Congo. Au mois de septembre la nouvelle est arrivée à Londres du voyage fait par H. M. Stanley, un voyage lors duquel il avait réussi à remonter le Congo jusqu’à sa source. Il avait ainsi prouvé que la fameuse rivière appelée la “Lualaba” par Livingstone n’était que le cours supérieur du Congo, et non pas le Nil, comme l’avait supposé Livingstone. Comber et Grenfell ont reçu l’invitation de la société le 5 janvier 1878, et sont partis presque sur le coup à bord d’un bateau postal à vapeur qui allait remonter le Congo jusqu’à son embouchure. Cette première visite n’a duré que quelques semaines parce que la saison des pluies arrivait, et le bateau devait rentrer au Cameroun vers le début février. Néanmoins, les deux missionnaires ont pu laisser une lettre pour informer le roi de l’ancien royaume du Kongo qu’ils reviendraient lui rendre visite.

Au mois de juillet, 1878, Comber et Grenfell ont pu retourner au Congo accompagnés de sept aides-de-camp africains du Cameroun, et d’un interprète portuguais. Ce groupe a atteint la capitale du royaume du Kongo, Sao Salvador, le 8 août, et ont été bien reçus par le ntotela (le roi), Dom Pedro V, un client des portuguais. Cependant, l’opposition du chef principal du territoire avoisinant Makuta les a empêchés de faire beaucoup de progrès vers l’intérieur. Rentrés à Sao Salvador, ils ont trouvé des traces d’un renouveau de la mission catholique historique qui s’y trouvait. Par conséquent, Grenfell a décidé que Sao Salvador ne serait peut-être pas un bon choix pour l’établissement de la première station de la mission, et commença à penser aux moyens de contourner le royaume du Kongo pour atteindre l’intérieur.

Déshonneur et Rétablissement

Le 20 août, Grenfell écrit de Sao Salvador à la SMB pour donner sa démission.[5] Bien entendu, ses biographes ne proposent aucune explication. Grenfell avait quitté sa maison à Victoria, au Cameroun, le 28 juin, sachant que Rose Edgerley, sa jeune intendante noire jamaïcaine, membre de l’église baptiste, était enceinte, et qu’il en était le père. Pendant des semaines il n’avait rien dit à personne, même pas à Comber. au Cameroun, cependant, l’affaire était maintenant connue, et avait été rapportée à A. H. Baynes du siège de la SMB dans deux lettres de la part du missionnaire aîné au Cameroun, Q. W. Thomson, et dans une lettre de la part de Thomas Comber. [6] Le 19 novembre, avec cette correspondance en main, le comité de la SMB a accepté la démission de Grenfell et a mis un terme à tous les liens entre lui et la société.[7] Grenfell avait promis à Rose qu’il reviendrait pour l’épouser, et il a quitté le Congo immédiatement pour rentrer à Victoria, où sa fille, Patience, est née. Son marriage avec Rose s’est avéré agréable et durable, et il a travaillé à Victoria pendant deux ans dans une société commerciale.

Thomas Comber est retourné au Congo en 1878 avec trois collègues missionnaires, et, encouragé par la réception chalheureuse du Ntotela, il s’est mis à établir une station de base à Sao Salvador. Comber a essayé treize fois, sans succès, d’établir une route entre Sao Salvador et la première partie navigable de la rivière à Stanley Pool (actuellement Malebo). C’est Kinshasa qui occupe ce lieu aujourd’hui, le “portail” qui donne accès à l’intérieur. Cependant, plus important encore que la découverte d’une route menant à Stanley Pool était l’établissement d’un dépôt à l’embouchure du Congo, un dépôt qui servirait à recevoir le transport du matériel en provenance de l’Europe. En décembre 1879, Comber écrivait à Baynes, lui conseillant vivement d’établir un dépôt de cette nature à l’embouchure du Congo à Banana, et faisant une “demande passionnée” qu’ils essaient d’engager Grenfell pour le diriger. Apparemment, cette recommendation a été acceptée sans désaccord le 23 avril 1880, lors d’une réunion du comité de la SMB. Ils ont offert à Grenfell le poste de directeur de la station proposée à Banana, pour un salaire de 150 livres. [8] C’est ainsi que vers la fin de 1880, Grenfell était une fois de plus sur le Congo avec sa famille, en train de construire les bâtiments de la mission à Musuku (site que l’on avait trouvé préférable à Banana), et réadmis à la mission, bien que dans un rôle initial assez strictement délimité. Si certains considéraient la décision hâteuse, il n’y en a aucune preuve aujourd’hui. On peut supposer que Baynes aura pensé que sa décision était un risque calculé, mais en tout cas, il n’a jamais eu l’occasion de la regretter par la suite.

L’exploration du Bassin du Congo

En 1880, au mois de juin, la SMB a accepté une offre de quatre mille livres de la part de Robert Arthington pour l’achat et le maintien d’un bâteau à vapeur pour le Congo. Cette offre a été faite à condition que la société s’engage à ouvrir une route à partir du cours supérieur du fleuve vers l’est, pour y rencontrer une extension possible de la mission du Tanganyika de la Société Missionnaire de Londres. Un an plus tard, la société a enfin décidé de procéder à la construction d’un bâteau à vapeur pour le cours supérieur du fleuve, et de rappeler Grenfell en Angleterre pour surveiller l’oeuvre. Le bateau Peace (La Paix) a été construit par Thorneycrofts, un constructeur naval bien connu à Chiswick, à Londres. Il a fallu démonter le vaisseau et l’empaqueter pour le voyage au Congo, ainsi que pour le voyage par voie de terre jusqu’à Stanley Pool. C’est là que Grenfell lui-même a dû surveiller le réassemblage, et c’est grâce à sa formation mécanique et son expertise qu’il a pu le faire. Le lancement du bâteau a enfin eu lieu au mois de juin 1884. Grenfell avait déjà, de janvier à mars, entrepris un premier voyage sur le cours supérieur du fleuve dans la baleinière du Peace. Le 7 juillet, accompagné de Comber, il a fait un voyage de cinq semaines à bord du Peace, pour explorer davantage le Congo et quelques affluents. La réhabilitation de Grenfell était désormais chose faite. Il n’était plus magasinier à Musuku, car c’est lui, maintenant, qui était le fer de lance de la politique de la société, une politique tournée vers l’avenir pour le cours supérieur du grand fleuve.

En décembre de l’année 1886, le Peace avait déjà fait encore cinq voyages d’exploration sur le cours supérieur du Congo et ses affluents. Les résultats, sur le plan missionnaire, n’étaient pas du tout apparents. La SMB avait résolu, déjà en juin 1884, de construire une chaîne d’au moins dix stations entre Stanley Pool et Stanley Falls (Kisangani), mais la première station, à Lukolela, n’a été établie qu’en novembre 1886. Grenfell était conscient du fait que certains sympathisants anglais accordaient à ses explorations une importance supérieure à celle des réalisations moins impressionnantes de ses collègues, comme Comber. D’autres encore s’impatientaient pensant qu’il y avait un manque d’intérêt pour l’evangélisation. Il a été rassuré par le célèbre dicton de Livingstone: “Pour moi, la fin de l’exploit géographique est le début de l’entreprise missionnaire.” Pour élaborer une stratégie missionnaire cohérente, qui visait les centres clés de la population, le travail du pionnier était essentiel. La portée plus importante des explorations de Grenfell a été marquée par l’attribution, en 1887, de la Médaille des Fondateurs de la Société Géographique Royale.

Les Relations avec L’Etat Libre du Congo

Au Congrès de l’Afrique Occidentale de Berlin en 1884-1885, les pouvoirs européens avaient reconnu le droit souverain du roi Leopold II de la Belgique sur le Congo. “L’Etat Libre du Congo” de Léopold, même si cet état n’était qu’un voile pour cacher ses ambitions économiques personnelles, avait d’abord été salué par les gouvernements européens comme moyen pratique d’assurer que le Congo resterait ouvert au libre-échange. Grenfell, ainsi que William Holman Bentley, le missionnaire SMB en chef du cours inférieur de la rivière, et A. H. Baynes à Londres, partageaient cette évaluation généralement optimiste de Léopold et de son Etat Libre. Ils ont obstinément gardé cette opinion bien après la révision de la soi-disante bienfaisance de Léopold faite par les observateurs les plus informés. Pour les missionnaires baptistes jusqu’en 1885, la grande vertu de l’Etat Libre était le fait qu’il s’agissait là d’un rempart contre les intentions portuguaises pour le Congo, car ces intentions portaient en elles la menace de l’expansion missionnaire catholique. Après 1885, les forces de l’Etat Libre du Congo étaient aussi la meilleure raison de croire en la possibilité de briser la domination des esclavagistes arabes du cours supérieur, une domination qui bloquait le progrès des baptistes. En outre, Grenfell avait été chalheureusement reçu par Léopold en Belgique alors qu’il était en congé en juillet 1887, et encore à trois occasions en 1891, lorsque le roi lui a conféré l’insigne du Chevalier de l’Ordre de Léopold, “en reconnaissance des services rendus par l’ouverture du territoire de l’Etat du Congo, et des efforts faits pour améliorer la condition des peuples soumis au règne de sa Majesté.” [9]

Vers le milieu des années 1890, il y avait de plus en plus de preuves d’atrocités très répandues, perpétrées par des agents belges dans la conduite du commerce du caoutchouc. La réponse de Léopold vint en septembre 1896, dans la création de la Commission pour la Protection des Indigènes, une commission qui comprenait six missionnaires, dont l’un était Grenfell. Mais les pouvoirs de la Commission étaient limités, et aucun membre venait du district de l’Equateur, ou la plupart des atrocités avaient lieu. Grenfell lui-même avouait l’existence d’abus, mais restait persuadé des bonnes intentions personnelles de Léopold. Néanmoins, la Commission était, pour lui, “une machine qui ne peut pas marcher” et qui était incapable d’effectuer un changement là où il y en avait besoin. [10] En 1902 le journaliste E. D. Morel a commencé sa campagne pour la réforme au Congo, et a réussi à mobiliser le plein pouvoir de la conscience Nonconformiste Anglaise, qui s’opposa au régime de Léopold. Cependant, le comité du SMB, qui donnait beaucoup de poids à l’avis de Grenfell, continuait sa profession publique de confiance au régne de Léopold.

Au mois d’août 1903, Grenfell a écrit une lettre à Léopold II pour expliquer que sa conscience ne lui permettait plus de porter les décorations que le roi lui avait accordées pour ses services à l’état. [11] Cependant, son action n’était pas une protestation contre les atrocités perpétrées par les agents de l’Etat Libre. Il croyait encore, à ce point, que les crimes commis étaient des actes particuliers, commis par certains officiers, et que ceux-ci, selon son expérience, avaient été punis convenablement par les autorités. La protestation de Grenfell était plutôt provoquée par le refus continuel de l’état de permettre à la SMB de réaliser leur projet d’avancer sur le cours supérieur du fleuve, et de compléter ainsi la chaîne des stations protestantes qui traversait l’Afrique centrale. Grenfell a envoyé sa lettre à Londres, avec les décorations, à Baynes. Il voulait laisser à celui-ci la décision de tout renvoyer à Léopold, et Baynes a décidé qu’il était sage de ne rien faire.

Le comité de la SMB affirmait que ses missionnaires n’étaient pas en position de fournir un témoignage de première main sur les abus, mais bientôt, c’est exactement ce qui s’est passé, car certains missionnaires donnaient à Morel des informations sur l’impact sévère des impôts excessifs dans le disctrict de l’Equateur. Une mission d’inspection en 1903, faite par Roger Casement, le consul anglais à Boma, a pu fournir des évidences irréfutables sur l’étendue véritable des atrocités. C’était le coup final pour Grenfell, et il a donné sa démission à la Commission pour la Protection des Indigènes. En avril 1904, Grenfell était un homme triste, sans illusions, qui avouait avoir été trompé :

Je croyais vraiment que le premier objectif du roi était d’établir la loi et l’ordre et de promouvoir le bien-être du peuple, et que le développement des ressources serait le moyen d’accomplir cette fin. C’est avec le regret le plus profond que j’avoue que ceux qui ont depuis si longtemps maintenu le contraire sont justifiés. J’ai été aveuglé par mon désir de “croire au meilleur.” Les révélations qui ont été faites récemment m’ont attristé très profondément, plus profondément que je ne puisse l’exprimer![12]

Baynes lui-même, ainsi que la SMB dans son ensemble, en sont venus à la même conclusion. L’agitation montante avait obligé Léopold à créer une Commission d’Enquête sur les atrocités présumées. Le rapport de la Commission, publié en 1905, a mis fin à l’Etat Libre. Le Congo est devenu une colonie belge en 1908.

Rétrospectivement, la confiance accordée par Grenfell à la bienveillance essentielle de l’Etat Libre semble naïve, et dans ses dernières années, il s’est châtié pour cette naïveté. Ce serait cependant une erreur de croire que Grenfell n’a défendu les intérêts de l’Afrique qu’à demi-coeur. Il avait retenu de son expérience dans le Cameroun une foi inébranlable en la capacité et le potentiel du peuple noir, et il y croyait fermement, à une époque où même les missionnaires se laissaient atteindre par des attitudes racistes. Il a constamment voulu que les missionnaires noirs aient plus de responsabilités, et il a essayé de convaincre la SMB que John Pinnock, le fils de Francis Pinnock, devrait être payé selon les mêmes critères, et avoir le même statut, que ses collègues missionnaires blancs.[13]

Stratège de Mission pour l’Afrique Centrale

Grenfell était stratège visionnaire pour la mission, et c’est là son importance constante. Il a été très influencé par la vision de Robert Arthington, qui imaginait une chaîne de stations missionnaires allant de la côte occidentale vers l’est, pour rencontrer l’avancée vers l’ouest de la Church Missionary Society (CMS) en Ouganda. Grenfell avait une correspondance directe avec Arthington, et les deux hommes se sont rencontrés en 1891. C’est lors de cette rencontre que Grenfell a promis à Arthington qu’il allait explorer la rivière appelée l’Aruwimi comme route possible vers le sud-ouest du Soudan et le Nil supérieur, et c’est ce qu’il a fait en 1894. [14] La vision de Grenfell, qui comprenait l’évangélisation du territoire du sud du Soudan, était partagée par le jeune anglican évangélique Graham Wilmot Brooke, qui a joué un rôle controversé par la suite dans la mission de la CMS au Niger. Brooke a passé un mois avec Grenfell à Stanley Pool en 1888, et a fait très bonne impression sur ce dernier. Brooke était très bon cartographe, et sa perception stratégique Livingstonienne de “l’exploit géographique comme début de l’entreprise missionnaire” était accompagnée d’un zèle spirituel. [15]

La détermination de Grenfell, vers la fin de sa vie, à pousser encore plus loin l’exploration du cours supérieur du Congo, et des plus grands affluents en particulier - l’Ubangi, l’Aruwimi et le Lindi - était bien plus qu’une obsession eccentrique. Elle venait de la conviction suivante : “…le Soudan, qui est devant nous, est le plus grand et le plus sauvage empire du Croissant contre lequel la Croix s’élève à présent.”[16] Grenfell avait correctement perçu que la grande zone au sud du Sahara serait le site principal du conflit entre l’Islam et la foi chrétienne évangélique au vingtième siècle. C’est pourquoi il était de plus en plus frustré, dans ses dernières années, par le refus continuel des autorités de l’Etat Libre de permettre à la SMB d’établir une station sur l’Aruwimi. Pour la même raison, il croyait fermement au besoin de développer une station de la SMB à Yakusu (en aval de Kisangani), qui serait un centre servant à la formation d’enseignants et d’évangélistes pour le cours supérieur du Congo – un rêve qui a été réalisé après sa mort.

Dans les derniers mois de sa vie, Grenfell a continué à réfléchir à la meilleure route possible pour une avancée à partir de Yakusu - soit vers l’est et vers l’Ouganda, comme avait voulu Arthington, soit vers le sud, le long de du fleuve vers le territoire de la London Missionary Society. [17] Il est mort à Basoko, près du confluent de l’Aruwimi et du Congo, le 1er juillet, 1906. Ses ambitions stratégiques sont restées en partie inachevées, mais sa contribution à la pénétration chrétienne de la région au sud du Sahara, qui a vu une croissance remarquable de l’église au vingtième siècle, doit être reconnue comme étant majeure. Une carrière missionnaire qui a failli être terminée par une défaillance morale a fini par avoir une importance durable.

Brian Stanley


Notes :

  1. Archives de la BMS (Baptist Missionary Society) [ci-dessous, désormais l’ASMB, Archives de la Société Missionnaire Baptiste], A/19, Grenfell à Baynes, le 8 septembre, 1887.

  2. ASMB, A /19, Grenfell à Baynes, le 13 janvier, 1887.

  3. H.H. Johnson, George Grenfell and the Congo [George Grenfell et le Congo], 2 vols.(London:Hutchinson, 1909), 1:43-44.

  4. George Hawker, The Life of George Grenfell [La Vie de George Grenfell], (London: Religious Tract Society, 1909), pp.81-82.

  5. ASMB, A/19, Grenfell à Baynes, le 9 août, 1878.

  6. ASMB, A/6, Thomson à Baynes, le 10 et le 22 juillet, 1878 ; A/12, Comber à Baynes, le 9 août, 1878.

  7. ASMB, compte-rendu du Comité de la SMB, le 19 novembre, 1878, pp.508-10.

  8. ASMB, compte-rendu du Comité de la SMB, le 23 avril, 1880, pp.349-51.

  9. Hawker, Vie de Grenfell, pp.245, 305, 311-12.

  10. Ibid., pp.372-73.

  11. ASMB, A/21, Grenfell à Léopold II, le 10 août, 1903.

  12. ASMB, A/20, Grenfell à Baynes, le 27 avril, 1904.

  13. ASMB, A/19, Grenfell à Baynes, le 8 et le 25 septembre, 1887, le 23 février, 1888 ; A/20, Grenfell à Baynes, le 2 avril, 1896.

  14. ASMB, A/21, Grenfell à Arthington, le 13 juillet, 1894.

  15. ASMB, A/19, Grenfell à Baynes, le 23 juin, 1888. Pour Brooke, voir C. Peter Williams, The Ideal of the Self-Governing Church : A Study in Victorian Missionary Strategy [L’Idéal de l’Eglise Autonome : Une Etude de la Stratégie Missionnaire Victorienne]. (Leiden: E.J. Brill, 1990), chap. 4.

  16. ASMB, A/20, Grenfell à Baynes, le 30 août, 1898.

  17. ASMB, A/21, Grenfell au Comité de la SMB, le 7 avril, 1906, et à W.Y. Fullerton, le 15 avril, 1906.


Bibliographie

Les Oeuvres de George Grenfell

Grenfell n’a jamais écrit un livre, mais ses recherches géographiques ont été publiées par la Royal Geographic Society [Société Géographique Royale], notamment dans les Actes de la Société Royale Géographique 4 (1882) : 585-95, 648, et le Journal Géographique 20 (1902) :485-98,572. Ses journaux, sa correspondance, et ses livres de lettres sont préservées dans les archives de la Société Missionnaire Baptiste, qui se trouvent dans la Bibliothèque Angus, Collège de Regent Park, Oxford, en Angleterre.

Les Oeuvres sur George Grenfell

Hawker, George. The Life of George Grenfell : Congo Missionary and Explorer [La Vie de George Grenfell : Missionnaire et Explorateur au Congo]. London: Religious Tract Society, 1909.

Johnston, H. H. George Grenfell and the Congo [George Grenfell et le Congo], 2 vols. London: Hutchinson, 1908.

Lagergren, D. Mission and State in the Congo: A Study of the Relations Between Protestant Missions and the Congo Independent State Authorities, with Special Reference to the Equatorial District, 1885-1903 [La Mission et L’Etat au Congo: Une Etude des Rapports Entre les Missions Protestantes et les Autorités de l’Etat Libre du Congo, avec Référence Spéciale à la Région Equatoriale, 1885-1903]. Uppsala: Swedish Institute of Missionary research, 1970.

Slade, Ruth M. English-Speaking Missions in the Congo Independent State (1878-1908) [Les Missions Anglophones dans l’Etat Indépendant du Congo (1878-1908)]. Brussels: Académie Royale des Sciences Coloniales, 1959.

Stanley, Brian. The History of the Baptist Missionary Society 1792-1992 [L’Histoire de la Société Missionnaire Baptiste 1792-1992]. Edinburgh: T. and T. Clark, 1992.


Cet article est reproduit, avec permission, du International Bulletin of Missionary Research [Bulletin International de laRecherche Missionnaire], juillet 1997, Vol. 21, num.3, p.120-124, copyright (c) 1997, édité par G.H. Anderson, J. Bonk, et R.T. Coote. Tous droits réservés.