Collection DIBICA Classique

Tous les articles créés ou soumis au cours des vingt premières années du projet, de 1995 à 2015.

Augouard, Prosper (A)

1852-1921
Église Catholique
Congo

Il est difficile de résumer une vie aussi remplie, aussi diversifiée et parfois contestée que celle de Monseigneur Augouard. C’est un Congolais, M. Dominique Ngo’ï-Ngalla, de l’Université de Brazzaville, qui en témoigne, cinquante ans après la mort de l’illustre évêque : «Mgr Augouard, dit-il, ne poserait pas tant de questions à l’historien s’il s’était cantonné ou à évangéliser ou à explorer, mais il fit l’un et l’autre ensemble et entièrement, ardemment.»

Prosper-Philippe Augouard naquit à Poitiers, le 16 septembre 1852, d’une famille d’artisans. Dès son adolescence, on remarqua son caractère enjoué, vif, peu endurant. II fit ses études secondaires au Petit Séminaire de Montmorillon (Vienne) et s’engagea, à 18 ans, en pleine guerre de 1870-1871, dans les rangs des Volontaires de l’Ouest.

On a souvent raconté l’anecdote typique de sa rencontre avec Mgr de Ségur, alors qu’il était en garnison à Rennes. Le jeune Augouard parla au prélat de sa vocation toujours bien définie de devenir prêtre et même missionnaire: «Tu as raison, répartit le prélat, oui, oui, va hors de France : avec ton caractère tu serais toujours en guerre avec ton Evêque et tu étranglerais ton Préfet!»

Mgr de Ségur lui conseilla d’entrer au Séminaire de Sées (Orne). C’est là que Prosper Augouard, après une conférence du R.P. Horner, un missionnaire de valeur, revenu récemment de Zanzibar en Afrique Orientale, décida de rentrer dans la Congrégation des P.P. du St. Esprit pour servir en Afrique. Prêtre le 10 juin 1876, il s’impatientait du départ prochain, lorsqu’on le désigna comme professeur de 3ème dans une maison de formation en Auvergne. «Mais c’est la classe que j’ai le plus négligée!» avoua-t-il au Supérieur Général. «Raison de plus, lui répondit-on, d’apprendre comme professeur ce qui vous a manqué comme élève!»

Néanmoins l’Afrique demeurait le but rêvé. Un an plus tard, le 5 décembre 1877, le P. Augouard s’embarquait pour Libreville, en compagnie de Mgr Le Berre, successeur immédiat de Mgr Bessieux, le fondateur des Missions du Gabon.

Il fallut encore patienter, à Libreville, sur ce qu’on appelait - avec quelque dédain - «la Côte.» En novembre 1879, on trouve le P. Augouard à Landana (dans l’enclave actuelle de Cabinda). Le Supérieur de Landana, le P. Carrie, futur évêque de Loango, portait alors cet excellent jugement sur le jeune missionnaire : «Talents plus qu’ordinaires, vertu solide, sens pratique, énergie et activité, il a tout ce qu’il faut pour faire un administrateur de Missions.»

En 1880, à Landana, le P. Augouard fit ample connaissance avec Savorgnan de Brazza, l’enseigne de vaisseau déjà célèbre, précédemment rencontré à Libreville. Les deux hommes s’apprécièrent, quitte plus tard à se diviser sur des questions d’idéologie et de colonisation pratique.

C’est à la suite de ces contacts avec Brazza que le P. Augouard entreprit, le 6 juillet 1881, sa première expédition dans l’intérieur, au-delà des rapides du Congo, sur les bords de cette vaste étendue d’eau qu’on appela–vers cette époque–le Stanley Pool. Brazza et Stanley s’en disputaient les rivages et le P. Augouard fut mêlé à bien des péripéties historiques. Il rencontra Stanley, qui fut–chose rare–aimable et expansif. Il retrouva et aida le fameux sergent sénégalais Malamine, à qui Brazza avait confié la garde du premier traité conclu avec le «roi» Makoko et du poste primitif établi à Mfoa (qui deviendra Brazzaville).

En 1882, le P. Augouard, de concert avec M. Dolisie et la Marine française, s’occupa de négocier différents accords qui donnaient à la France la région de Pointe-Noire. Il aurait même souhaité toute l’occupation de la rive Nord du Congo (y compris les régions de Cabinda et de Borna). Les bureaux de Paris et la Marine furent réticents et, en 1885, la Conférence de Berlin fixa des frontières, qui n’ont guère varié depuis lors, entre les zones d’influence dévolues à la France, à la Belgique et au Portugal.

En août 1883, à la demande de Brazza, le P. Augouard, avec deux autres missionnaires et en compagnie de Dolisie, repartit vers le Stanley Pool pour s’y installer définitivement. Notons que Prosper Augouard fera dix-sept fois le trajet à pied de la Côte au Stanley Pool… Plutôt que de rester à Mfoa (Brazzaville), le P. Augouard choisit l’emplacement de Linzolo, à 30 km au S.-O., au milieu de la sympathique tribu des Balaris.

En 1884, le P. Augouard, épuisé, est obligé de rentrer en France. A Paris, il n’hésite pas à rendre visite à Jules Ferry pour lui parler de ces vastes territoires qui s’ouvrent à la France. Dès la fin de la même année, il repart au Congo et remonte le fleuve, au-delà du Stanley Pool, pour fonder un poste à Kwamouth, à l’embouchure du Kasaï.

Hélas, en 1885, la Conférence de Berlin oblige la France– et indirectement les Missions françaises–à se retirer du Kasaï, qui passe à la Belgique, aussi bien que de Landana, attribué au Portugal.

En 1887, grâce à l’appui de M. de Chavannes, résident de France à Brazzaville, le P. Augouard, aidé du F. Savinien, s’installe à Brazzaville même, là où se trouvent actuellement archevêché et cathédrale.

St-Louis-de-Liranga, près du confluent du Congo et de l’Oubangui, est fondé en avril 1889. Le P. Augouard méritait bien le surnom de Diata-Diata (Vite-Vite) que lui avaient donné les Africains…

Une telle activité avait mis en avant le P. Augouard au moment où Mgr Carrie demandait à Rome la division de son vaste diocèse. Le 14 octobre 1890, Mgr Prosper Augouard est nommé évêque «in partibus infidelium» de Sinida et vicaire apostolique du Haut-Congo Français et de l’Oubanghi (sic) avec Brazzaville comme résidence épiscopale. Le territoire qui lui était confié s’en allait jusqu’au Tchad et jusqu’au bassin du Nil.

Mgr Augouard, alors âgé de 38 ans, devait rester 31 ans vicaire apostolique de Brazzaville. En 1915, par une mesure fort rare de bienveillance, Rome l’éleva au titre d’archevêque titulaire de Cassiopée. (Quelques mauvais esprits, jouant sur la similitude des noms, disaient qu’il s’agissait d’une constellation proche de la Grande Ourse!)

Que furent ces 31 ans d’épiscopat? La continuation de fondations de postes missionnaires avec, en 1893-1894, l’installation à St. Paul des Rapides (Bangui d’aujourd’hui) et même à 200 km en amont sur l’Oubangui, à la Ste. Famille des Banziris, sans oublier d’autres Missions sur l’Alima et dans les environs de Brazzaville. Grâce aux Religieuses Franciscaines Missionnaires de Marie et aux Sœurs de St. Joseph de Cluny, les œuvres scolaires et hospitalières se multiplient.

Mgr Augouard demeurait le patriote ardent, ennemi certes des tracasseries administratives dues à un anticléricalisme qui faisait florès aux alentours de 1900. En 1896, il eut l’occasion d’échanger pas mal d’idées avec le général Marchand (alors capitaine) qui le décora de la Légion d’Honneur. Malgré certains démêlés, l’évêque n’hésita pas à mettre le bateau de la Mission à la disposition de la colonne qui s’en allait en 1898 renforcer les effectifs de Marchand SUI le Nil. Mgr Augouard connut la plupart des pionniers de l’A.E.F., les Dolisie, Foureau, Lamy, etc. Il se lia plus particulièrement avec le Gouverneur Gentil.

N’oublions pas de rendre hommage à tous ces valeureux missionnaires–on les a trop oubliés– qui, dans l’ombre de Mgr Augouard, en dépit de mille misères et difficultés, le secondèrent efficacement, tel le P. J. Rémy, son Vicaire Général, popularisé par son slogan: «Il faut que ça change!» et surtout ces courageux Pères Moreau et Allaire qui–au péril de leur vie–affrontèrent les anthropophages du Haut-Congo et de l’Oubangui pour racheter des esclaves et sauver des vies humaines. Jules Simon, qui quêtait à Paris, vers 1895, en faveur du P. Allaire, ne cessait de répéter : «Ah, si vous connaissiez et entendiez ce missionnaire, vous baiseriez ses mains qui ont brisé tant de liens !» Il y eut des victimes, comme le Frère Séverin abattu par les sagaies des féroces Bondjos, mais dont le corps emporté par les eaux échappa à leur marmite…

Mgr Le Roy, Supérieur Général des P.P. du St. Esprit de 1896 à 1926, qui eut parfois maille à partir avec Mgr Augouard, a résumé en quelques lignes très denses l’œuvre de l’évêque du Congo : «Pendant ses 31 années d’épiscopat, il (Mgr Augouard) déploya dans ce domaine immense (le V.A. du Haut-Congo) une activité, une énergie, un savoir-faire et un entrain magnifiques, ne reculant devant aucun travail, pétrissant la terre et la brique, maniant tour à tour la pioche, la hache, la truelle et le marteau, élevant maisons et cathédrale, lançant sur le fleuve trois bateaux à vapeur dont les pièces amenées de la Côte à dos d’hommes sont assemblées dans le port de la mission, fondant des centres d’évangélisation parmi les populations les plus arriérées et jusque chez les anthropophages, jetant à 2 500 km de la côte la Mission de la Ste. Famille.»

L’Académie des Sciences morales et politiques avait accordé en 1912 son prix le plus élevé: le prix Audiffred, à Mgr Augouard. L’Académie Française, en 1920, lui décerna le prix Davilliers et Raymond Poincaré, ancien Président de la République, prononça un éloge très senti de l’Archevêque de Brazzaville.

Au fil des années, les titres de Mgr Augouard se multipliaient. Il en était fier sans y attacher une importance excessive, ne vivant que pour ses Noirs et ses Missions. Il aurait pu aligner une carte prestigieuse: «Archevêque titulaire de Cassiopée, Vicaire Apostolique du Haut-Congo Français, Officier de la Légion d’Honneur, Commandeur de l’Ordre de Léopold, Officier de la Couronne Royale de Belgique, Titulaire de la Couronne Civique, de la Médaille Coloniale du Congo, de la Médaille de 1870, etc…»

Mais les épreuves survinrent, épreuves de la Grande Guerre (1914-1918), épreuves de santé. Et c’est à Paris, à la Maison-Mère de la Congrégation du St. Esprit, où il avait dû revenir par ordre des médecins, qu’il s’endormit dans la paix du Seigneur, le 3 octobre 1921. Il repose au cimetière des Missionnaires du St. Esprit, à Chevilly-Larue (Val-de-Marne).

C’est à un Congolais des plus en vue de l’Université de Brazzaville, M. Dominique Ngoï-Ngalla, qui a étudié lumières et ombres de la vie de Mgr Augouard, que nous demanderons de conclure: «Mgr Augouard est, avec Mgr Carrie, celui des missionnaires dont l’action fut déterminante dans la fondation de l’Eglise du Congo. Il faut ajouter que ce missionnaire, admirable de courage et d’abnégation, fut en même temps un grand explorateur, et on ne cite pas Brazza (dont on pense que le Congo ne fut pas devenu terre française sans lui) sans mentionner Mgr Augouard…»

Augustin Berger


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Bibliographie**

Toute la bibliographie de l’A.E.F.–du Congo en particulier–depuis 1880 serait à consulter…

Citons plus particulièrement:

JEHAN DE WITTHE - Un explorateur et un Apôtre du Congo Français, Mgr AUGOUARD. Edit. Emile-Paul 1924 Paris.

CHAN. AUGOUARD - Vie inconnue de Mgr Augouard. Ed. Poussin 1934 Evreux.

GEORGES GOYAU de J’Acad. Franç. - Mgr Augouard. Libr. Plon 1926 Paris.

ANTOINE REDIER - L’Evêque des Anthropophages. Ed. Revue Franç. 1933 Paris.

G. BESLIER - l’Apôtre du Congo. Edit. Vraie France 1926, Paris.

DOM. NGOI-NGALLA. - Les Missions Catholiques et l’évolution sociale au Brazzaville. Thèse–1970–Bordeaux.

DOM. NGOI-NGALLA - Mgr Augouard devant le jugement de l’histoire. T. IX. Annales de l’univ. 1973 Brazzaville.

Les lettres de Mgr Augouard ont été publiées par son frère aux Editions POUSSIN à Evreux sous ces différents titres:

«28 années au Congo» - 1905

«36 années au Congo» - 1914

«44 années au Congo» - 1921

Mgr P. Augouard a publié de son vivant de nombreux articles dans la revue «Les Missions Catholiques» et autres bulletins missionnaires. Il a édité 2 cartes au 1/50.000 en 40 feuillets parues en 1906-1908:

1) Le Congo de Brazzaville à Liranga

2) L’Oubangui de Liranga à Bangui.


Cet article, réimprîmé ici avec permission, est tiré d’Hommes et Destins : Dictionnaire biographique d’Outre-Mer, tome 2, volume 1, publié en 1977 par l’Académie des Sciences d’Outre-Mer (15, rue la Pérouse, 75116 Paris, France). Tous droits réservés.