Ka Mana, Godefroid Mana Kangudi

Noms alternatifs: Kä Mana
1953-2021
Église réformée africaine , Harrist Church
République Démocratique du Congo , République Centrafricaine , Sénégal

Kä Mana, Godefroid Mana Kangudie de son vrai nom, est né le 3 novembre 1953 au Congo belge.[1] Après avoir étudié la philosophie à la Faculté de Théologie catholique de Kinshasa, aujourd’hui Université Catholique du Congo, il est admis à l’Université grégorienne de Rome au début des années 1980. Par la suite, il poursuivra ses études à l’Université libre de Bruxelles où il a obtenu une maîtrise en théologie protestante et un doctorat en philosophie. Il s’est retrouvé plus tard à l’Université de Strasbourg où il a obtenu le doctorat en théologie.

Le pasteur

Ses études terminées, Kä Mana intègre le ministère protestant en Alsace en France. La Cevaa l’envoie comme missionnaire en République centrafricaine de 1989 à 1991.[2] À Bangui, la capitale du pays, il milite pour la construction d’une Afrique nouvelle. Celle-ci, d’après lui, doit passer par le travail de prise de conscience de chacun sur la nécessité d’oser le projet de Dieu dans l’Afrique et dans le monde d’aujourd’hui.

Après la Centrafrique, il poursuit sa mission à Dakar, dans l’Église Protestante du Sénégal jusqu’en 1993. À la fin de sa mission au Sénégal, il est appelé en France comme pasteur de la Mission intérieure luthérienne de Paris avec la charge d’accompagner la diaspora africaine et d’assumer l’animation intellectuelle au sein de celle-ci. Il contribuera ainsi à mettre sur pieds le projet « Afrique-Avenir » toujours à titre d’envoyé de la Cevaa.

L’enseignant

En dehors de ses charges pastorales, Kä Mana était un universitaire et un enseignant de renom. Après avoir enseigné à l’Université de Lausanne en Suisse et à la faculté de théologie protestante de Paris, il avait choisi de penser l’Afrique à partir du continent africain. Au début des années 2000, Kä Mana quitte définitivement la France pour retourner en Afrique. Il s’établit à Goma à l’Est de la République démocratique du Congo, son pays natal.

Doté d’une vaste culture théologique, mais aussi d’une excellente connaissance des contextes historiques et socioéconomiques des sociétés africaines, il estimait qu’il était temps de dépasser les deux paradigmes qu’il définit lui-même. Le premier est la « quête d’identité » qui renvoie à la recherche de valeurs africaines spécifiques par des peuples un temps dépossédés de leur culture. Le second est la « libération » marquant l’indépendance du continent et le refus de la domination étrangère notamment occidentale et de sa pensée sur les Africains. Certains des universitaires avec lesquels il a travaillé l’ont qualifié de « Duc de la pensée congolaise » tandis que les médias lui ont attribué le titre de « penseur incontournable de la théologie africaine ».[3]

Il fut ainsi présenté comme étant l’un des plus célèbres philosophes et théologiens africains, auteur d’une volumineuse production scientifique.[4] Ses nombreux ouvrages traitent de l’avenir de l’Afrique, interrogent sur le lien entre la politique et les phénomènes religieux, bousculent les pratiques ecclésiales et repositionnent l’Afrique et ses églises dans une dynamique constructive et clairvoyante. Il participera ainsi au rayonnement des Semaines théologiques de Kinshasa et à la renommée de l’École Théologique de Kinshasa. Le pasteur Kä Mana aura contribué à construire l’église africaine de demain avec une parole libre et audible partout sur le continent africain.

Le théologien de la reconstruction

Kä Mana n’a cessé durant un quart de siècle de plaider pour le déploiement de ce qu’il a appelé la théologie de la reconstruction. Celle-ci, d’après lui, comporte deux versants. Un versant de dévoilement des « idéologies de l’inhumain », et un versant de déploiement d’un Christ vivant, actualisé par et pour les Africains, « ferment anti-fatalité », fondé sur un imaginaire restauré. Il ne comprenait pas pourquoi certains intellectuels africains dénonçaient la pensée occidentale tout en s’en servant comme grille de lecture de la vie africaine. Il invitait donc les Africains à regarder et comprendre la crise de leur continent en s’inspirant de leur propre histoire et de leur propre comportement. Il les appelait à ne plus compter sur les autres, mais plutôt à vivre leur mission sur leurs propres terres.[5]

Le défenseur de la paix

Kä Mana était très préoccupé par la guerre dans la région des Grands Lacs en général et à l’est de son pays, la République démocratique du Congo, en particulier. Cette préoccupation l’a amené à s’engager pour la paix, en acceptant d’occuper, en 2011, le poste de président du Pôle Institute de Goma.[6] Cette institution, depuis sa création, met l’accent sur le plaidoyer, la communication et le renforcement des capacités des acteurs sur le terrain. Pour lui, il fallait lutter sans relâche contre ce qu’il a appelé « les puissances prédatrices mondiales » qui veulent profiter des richesses du pays en divisant ses habitants. Le pasteur et professeur Kä Mana était encore président du Pôle Institute lorsqu’il est mort, emporté par le Covid 19, à l’âge de 67 ans, le 15 juillet 2021.

Raphaël Lambal


Notes :

  1. Il était actif au Sénégal, en République Centrafricaine et en République Démocratique du Congo.
  2. Autrefois Communauté évangélique d’action apostolique, la CEVAA est devenue aujourd’hui la Communauté d’églises en mission. Elle fait partie du Service protestant de mission.
  3. Lucie Sarr, « Kä Mana, célèbre théologien congolais, est mort », La Croix, 19 juillet 2021.
  4. On peut avoir sur les liens suivants un aperçu de l’œuvre intellectuelle de Kä Mana [https://lintrigue.leslibraires.ca/auteur/ka-mana-164089(]https://lintrigue.leslibraires.ca/auteur/ka-mana-164089) ; https://www.librest.com/livres/auteurs/kae-mana,0-1274742.html
  5. Jean-Pierre Karegeye : www.jeuneafrique.com/1210644/culture/rdc-il-sappelait-ka-mana/
  6. Il s’agit d’un Institut de recherche-action basé à Goma à l’est de la République démocratique du Congo et spécialisé dans la prévention et la résolution des conflits.

Bibliographie :

Sasa Nganomo Babisayone, Sébastien, L’évangélisation chez Kä Mana, théologien congolais. Lieu et ferment pour la construction d’une Afrique nouvelle, L’Harmattan, 2010.

Lwanga Falay, Laurent, La pensée du philosophe Kä Mana, Redynamiser l’imaginaire africain, L’Harmattan, 2017

Kä, Mana, La mission de l’Église africaine : pour une nouvelle éthique mondiale et une nouvelle civilisation de l’espérance, Bafoussam, CIPCRE, 2005.

Vinda, Hélène et Kä Mana, Manifeste de la femme africaine : contre le système de violence envers les femmes et pour un nouveau chemin d’humanité, Bafoussam, CIPCRE, 2005.

Articles:

Kä Mana, « L’Église africaine et la théologie de la reconstruction, réflexions sur les nouveaux appels de la mission en Afrique », Bulletin du Centre Protestant d’Études, Genève, août 1994, n° 4-5.

Lucie Sarr, « Kä Mana, célèbre théologien congolais, est mort », La Croix, 19 juillet 2021

https://www.cevaa.org/deces-du-professeur-godefroy-ka-mana-kangudie


Cet article est rédigé par Raphaël Lambal, coordonnateur à la gestion des études à l’Université TÉLUQ (teluq.ca) au Canada. Il est titulaire d’une licence en journalisme, d’une Maitrise et d’un DESS en sciences de l’information et de la communication obtenus à l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar au Sénégal. Il a également obtenu une maîtrise en administration publique à l’École nationale d’administration publique de Québec (enap.ca), après avoir terminé sa scolarité doctorale en communication publique à l’Université Laval à Québec. Il a été récipiendaire de la bourse de la fondation FORD (2007-2010) pour les études universitaires.