Collection DIBICA Classique

Tous les articles créés ou soumis au cours des vingt premières années du projet, de 1995 à 2015.

Sakofio Way, Enoch

1919-2001
Eglise du Christ au Congo (Ceum)
République Démocratique du Congo

Enoch Sakofio Way était un des rares laïcs éveillés pour la promotion de l’évangile, de l’enseignement et du développement des populations longtemps restées dans un état primitif. C’était le premier enseignant et directeur congolais dans la première école primaire établie par la mission dans la région nordouest de la République Démocratique du Congo. Cette école a servi d’atelier où les laïcs (enseignants et élèves) étaient formés pour évangéliser les autres groupes ethniques selon un modèle original de mission transculturelle initiée par les autochtones. D’après les témoignages de ceux qui l’ont cotoyé, Sakofio était aussi connu par ses pairs comme un “philosophe” avec un art oratoire qui coupait le souffle de ses auditeurs. Pour d’autres, il était plus pasteur que laïc. En dépit de sa déformation physique,-une courbature de la moëlle épinière qui l’avait rendu bossu-il était respecté par tous et on l’appelait “Papa Sakofio.”

De la tribu Ngbaka, Enoch Sakofio Way naquit en 1919 à Bodetoa, dans le territoire de Gemena, en République Démocratique du Congo. Son père Way et sa mère Ngambili ne pouvaient l’envoyer à l’école car il n’y en avait pas dans les environs. Cependant, à l’âge de onze ans, Sakofio, qui souffrait de la maladie qui le rendit bossu, rencontra le docteur Wallace Thornbloom, un médecin-missionnaire de Evangelical Covenant Church. Thornbloom, surnommé par les Congolais Nkoy (lion), l’amena à la station missionnaire de Karawa où il pouvait bénéficier de soins médicaux et aller à l’école. Sakofio y apprit aussi le métier de sculpteur auprès d’un artiste talentueux du milieu, originaire de l’ethnie Zandé. Ce contact avec les missionnaires fraya pour Sakofio la voie de la conversion et du baptême en 1933.

Selon Sigurd Westberg, qui le rencontra d’abord vers 1938 comme élève à l’école primaire de la mission puis en 1962 comme premier directeur congolais de la même école, le mariage de Sakofio était le premier mariage chrétien à être célébré dans ce milieu. Les circonstances de ce mariage montrèrent la puissance de la foi en Christ. En effet, selon la coutume Ngbaka à cette époque, une fille à la fin de sa période de puberté devait subir un rite de fertilité au cours duquel elle recevait un fétiche. A la fin du rite, la fille remettait le fétiche à son père. Plus tard, lors du mariage de la fille, le père donnait le fétiche au fiancé,-une condition essentielle pour que le jeune couple puisse avoir des enfants. Selon cette coûtume notoire, le couple qui ne recevait pas ce fétiche demeurait sans enfants. Sakofio, qui était chrétien au moment de son mariage, refusa de prendre le fétiche. Il avait la foi que Dieu avait le contrôle à la fois de sa vie et de son mariage, et que, en tant que Créateur, il donnait les enfants. Quand Sigurd demanda à Sakofio la raison de son refus, il dit simplement, “Ce fétiche est certes puissant, mais je crois que c’est Dieu le Tout-Puissant qui donne la vie; la puissance de ce fétiche est plutôt de Satan.” A sa mort en 2001, Sakofio laissa une dizaine d’enfants qu’il eut avec la même épouse, Mangala Elisabeth. Cette dernière mourut en 2003, à l’âge de quatre-vingts ans. Tout le monde dans ce milieu pouvait alors comprendre que le Dieu de Sakofio était plus grand que le fétiche!

Un enseignant fructueux

Après ses études primaires à l’école de la mission à Karawa, Sakofio fut employé comme “enseignant en chef” de 1935 à 1940. En général, à cette époque, l’enseignant choisi pour cette fonction s’était distingué parmi ses pairs. En tant qu’enseignant en chef, Sakofio devint un conseiller pédagogique auprès de ses collègues. Cependant, quand son frère Gbabete eut un problème civil à la mission, Sakofio fut obligé de quitter la mission pour rentrer au village avec son frère. Plus tard, Sakofio fut rappelé, et on le recommanda en 1949 pour étudier à l’école des moniteurs à l’Institut Chrétien Congolais de Bolenge, près de Mbandaka. Cette formation de quatre ans fit de lui un cadre important dans l’église, dans le domaine de l’enseignement et de l’évangélisation. Il fut dès lors cofondateur de plusieurs écoles primaires et secondaires dont les plus renommées sont l’Institut Mbenga et l’Institut Kimia. Ces deux écoles continuent de former des jeunes gens qui ont marqué l’histoire ecclésiastique et politique du pays.

Un missionnaire laïc transculturel

Avant de partir pour l’école des moniteurs, Sakofio faisait déjà de l’évangélisation, non seulement dans le milieu Ngbaka, mais aussi dans d’autres milieux éloignés. Il était parmi les laïcs que Dieu a utilisés pour l’évangélisation des Mbanza dans la région de Gbado, et des Ngbandi dans la région de Wasolo. Une lettre de témoignage d’un missionnaire datée de 1949 atteste que Sakofio et son collègue Kode passaient leurs vacances à parcourir des centaines de kilometres à pied et à bicyclette pour évangéliser les Mbanza et les Ngbandi. Avec toute cette expérience, il était naturel que Sakofio soit un des promoteurs du comité d’oeuvre missionnaire (CODOMI) au sein de la Communauté Evangélique de l’Ubangi-Mongala en 1987,-une initiative dont il assura la présidence jusqu’en 1992. La présence actuelle de sept églises locales de cette communauté à Kinshasa, la capitale, est le résultat direct de la vision de Sakofio et de ses collègues.

Un agent de développement communautaire

Sakofio était doté d’une vision holistique de la mission de l’église qui devait tenir compte de tous les aspects de la vie humaine: corps, âme et esprit. Il ne pouvait pas enseigner sans partager sa foi chrétienne avec d’autres. De même, il ne pouvait pas partager sa foi sans penser au bien-être social des populations misérables autour de lui. C’est dans ce cadre qu’il s’engagea dans les travaux de développement, notamment la réfection des routes, la construction des ponts, et les initiatives cooperatives. Il acquit du gouvernement une concession de quatre kilomètres de largeur sur six kilomètres de longueur dans laquelle il planta plusieurs dizaines d’hectares de café et de palmier. En 1980, il commença un marché qui a finalement pris son nom jusqu’à ce jour. Ce marché a joué un rôle important de sauvetage pour des populations qui ne savaient où vendre leurs produits agricoles ni où s’approvisionner en denrées alimentaires.

Parlant de Sakofio, Rév. Duale qui a servi l’église dans la région nordouest du Congo dans plusieurs hautes fonctions, dit: “Sakofio était pour moi un père, un homme de foi, avec un élan missionnaire qui manque dans la vie de beaucoup de pasteurs. Il prêchait souvent sur le zèle que doivent avoir les chrétiens pour faire marcher l’oeuvre du Seigneur.” Rév. Witembina, un de ses neveux qui a assumé de grandes responsabilités dans le cadre de l’enseignement primaire et secondaire, dit tout simplement, “C’était un homme fantastique! Tous ses plans ont toujours eu du succès.”

Comme on peut le constater, ni sa déformation physique, ni son manque de formation supérieure, ni même le fait qu’il était laïc ou originaire d’une tribu de réputation guerrière, n’ont fait obstacle à la vision de ce serviteur dévoué. C’est cette vision, enracinée dans sa foi en l’oeuvre salvatrice du Christ et en la toute puissance de Dieu, l’a rendu très utile dans un contexte de désepoir.

Fohle Lygunda li-M


Bibliographie

Duale Lengena Sabuli, réponse au questionnaire, mars 2005. Rév. Duale était président de la CEUM au sein de laquelle Sakofio a oeuvré.

Ete Bato Yonso Bayoka, ouvrage publié à l’occasion du 50è anniversaire de l’oeuvre de Covenant Church au Congo, 1937.

Fohle Lygunda li-M, Chemin de la responsabilisation, histoire de l’église en Ubangi et Mongala, 1922-1997, inédit, 1997.

Jean-Paul Kpozo, interview, 10 février 2005. Jean-Paul est l’un des héritiers de Sakofio.

Westberg, Sigurd, “Memoirs,” inédit, s.d.

Witembina Kindanda, réponse au questionnaire, mars 2005. Rév. Witembina est le neveu de Sakofio et a servi comme coordinateur des écoles dont la plupart ont été fondées par Sakofio.


Cet article, reçu en 2005, est le produit des recherches du Révérend Fohle Lygunda li-M. Récipiendaire de la bourse du Projet Luc en 2004–2005, directeur exécutif du Centre Missionnaire au Coeur d’Afrique (www.cemica.org) à Kinshasa (Rép. Dém. du Congo) et coordinateur régional du DIBICA pour l’Afrique francophone.