Collection DIBICA Classique

Tous les articles créés ou soumis au cours des vingt premières années du projet, de 1995 à 2015.

Yoko Akwengial, Alfred

1927-2003
Église du Christ au Congo (Cbco)
République Démocratique du Congo

Alfred Yoko Akwengial [1] est né vers 1927 à Mayoko Saka-Saka, dans le secteur Dwe, territoire de Bulungu, province de Bandundu en République Démocratique du Congo. Il était le troisième fils des cinq enfants de Nicodème Akwengial et Noémie Asafuma : Robert Apaab, Néhémie Kinanga, Sara Nankway et Larsson Mukwinzi.

Né prématuré, sa mère ne voulait pas l’allaiter pour précipiter sa mort. Ayant déjà donné naissance à deux beaux garçons, elle avait honte de ce troisième fils imparfait. Mais la famille élargie a surveillé le comportement de sa mère qui, contre son gré, a finalement accepté de garder le bébé. Bien plus tard, c’est lui qui est devenu le soutien de sa famille, voire de tout le village, après la mort de son frère aîné, l’intellectuel qui était l’espoir de son clan.

Peu avant d’être admis à l’école Alfred Yoko a reçu Jésus-Christ comme Seigneur et Sauveur et s’est fait baptiser vers 1936 en compagnie de ses deux collègues, Diama et Origène Siteke.

En 1949 à Vanga, il a épousé Mademoiselle Marie Akundwa, qui était élève à l’école ménagère de la même mission. De leur union sont nés cinq enfants dont une fille. La veuve ainsi que tous les enfants sont en vie (2007).

Il a commencé ses études primaires à l’Ecole Primaire Régionale de Kimputu, qui appartenait à l’American Baptist Foreign Mission Society [la Société américaine baptiste des missions étrangères]. Trois ans plus tard il a été admis à l’Ecole Primaire Centrale de Vanga. Mais la seconde guerre mondiale (1939-1945) qui était imminente, n’a pas permis aux missionnaires de prendre en charge les cinq sélectionnés de cette année-là. Ainsi, les deux plus jeunes, en l’occurrence Alfred Yoko et Diama, sont rentrés à l’Ecole Primaire Régionale de Kimputu pour attendre les subsides pour l’année suivante. Une année plus tard, Alfred Yoko est revenu à Vanga et a terminé sa formation à l’Ecole de Moniteurs en 1946.

En 1949, il a été admis à l’Ecole de Pasteurs et d’Instituteurs de Kimpese, et a obtenu le diplôme de quatre ans d’études post-primaires en 1952.

Il a commencé sa carrière en qualité d’enseignant à l’école primaire en 1946 à Mobini avant d’aller tour à tour à Moliambo et Vanga. A partir de Dula, il a été nommé directeur d’école primaire. Dans cette fonction, il a passé le reste de sa carrière à Busala, Buku, et Fadiaka, au Plateau des Bateke et à Kinshasa.

A Vanga comme partout ailleurs où il a enseigné et dirigé une école, il a donné de la valeur à la vocation d’enseignant. Ses élèves l’ont surnommé “Maître Nkama” à cause de sa rectitude et de sa discipline dans le travail. En effet, pour lui parler, il fallait se tenir à cent mètres et s’assurer d’avoir une tenue et une élocution soignées ! Sinon, on courait le risque de choisir entre deux punitions semblables : soit ramener un tas de cents bâtons, bambous ou lianes devant servir à l’érection de la clôture séparant le quartier scolaire du reste de la station missionnaire, soit un tas de pailles pouvant servir à la construction des salles de classes. Son collègue, M. Origène Siteke, ancien directeur et inspecteur d’école primaire, se souvient de la pratique suivante ainsi: “Lorsqu’un élève de la classe était indiscipliné, il était normal de l’envoyer auprès de ‘Maître Nkama’ pour une meilleure correction. Nous avions tous ce comportement.”

A cause du teint clair de sa peau, de sa ponctualité et de sa verve oratoire, ses collègues enseignants l’ont surnommé le “deuxième blanc”. C’est dans ce sens que l’on peut comprendre cette déclaration de Mlle. Emily L. Keyes, l’un des derniers inspecteurs américains de l’enseignement baptiste au Congo: “Oh!* Tata* (Papa ou Monsieur) Yoko était supérieur à nous tous.” Ses qualités l’ont élevé au rang de “maître en chef” de l’École d’Apprentissage Pédagogique de Vanga.

En 1961, il a quitté Vanga pour diriger l’école primaire de sa paroisse d’origine de Dula. Un an plus tard, il a été appelé à diriger l’Ecole Primaire Centrale de Busala.

Pédagogue de formation et enseignant de carrière, il a participé au choix du site qui devait abriter la station missionnaire de Busala en terres Yansi, entre les rivières Kwilu et Kasaï, dans les territoires de Bulungu et d’Idiofa. Il s’est investi sur le plan intellectuel, matériel et financier pour la construction de cette nouvelle mission.

Nommé par une ordonnance présidentielle, il était le directeur le mieux payé par l’état congolais, et touchait 165.000 fc peu après 1961.

Il a obtenu la confiance de ses collègues grâce à l’honnêteté de sa gestion financière et administrative. C’est lui qui tenait le coffre-fort de la mission Busala. En 1965, il a été nommé directeur régional, ayant sous sa charge les écoles primaires de Nkiara, Molili, Bibulu.

Son remplaçant à l’Ecole Primaire Centrale de Busala l’a obligé à vivre à proximité des écoles dont il avait désormais la charge. Deçu par ce comportement, qui était pour lui l’expression d’une profonde ingratitude, il a quitté la station missionnaire de Busala pour Kinshasa. Là aussi, un accueil froid lui était réservé dans la mesure où il n’a pas eu immédiatement d’affectation en qualité de directeur. De 1966 à 1976, il a oeuvré en dehors de l’enseignement protestant en assumant la fonction de secrétaire de l’Athénée Officiel de Bandalungwa. Dix ans après il a été affecté à Buku, au Plateau des Bateke, comme directeur d’école.

Rappelé à Kinshasa, il a dirigé l’Ecole Primaire de Bumbu, et c’est là qu’ il a terminé sa carrière, épuisé et défait par une paralysie qui l’a conduit à la mort, sans le secours de l’église ni de l’enseignement pour lesquels il avait donné le meilleur de lui-même.

Il convient néanmoins de retenir le fait qu’éduqué dans la foi en Jésus-Christ, laïc, Alfred Yoko est resté le modèle même de l’enseignant. Ainsi, malgré la déception, il a ouvert une école primaire à Fadiaka et une autre dans la commune urbaine de Kinkole.

Il parlait bien le français, le kikongo (couramment utilisé à Kimpese dans le Bas-Congo), le kikongo ya l’Etat, le lingala, le kihungana (couramment utilisé à Vanga) et l’iyansi, sa langue maternelle. Depuis son jeune âge, il est resté baptiste et membre actif de l’ECC/15e Communauté Baptiste du Congo.

Il est décédé vers l’âge de soixante-seize ans, sans jamais avoir pris sa retraite, suite à une maladie qui l’a beaucoup épuisé. De plus, quelques années auparavant, il avait perdu la maison pour laquelle il avait travaillée toute sa vie, dans la Commune de Bandalungwa, suite à une transaction de mauvaise augure. Tout ceci a énormément contribué à l’épuiser, et par conséquent, à précipiter sa mort, car il portait mal ces fardeaux de la vie.

Fidèle Kwasi Ugira


Notes:

  1. “Akwengial” est une phrase à la 1ère personne du singulier qui signifie “J’ai souffert de la faim” ou de manière intensive “Je suis mort de faim”. Elle exprime une menace de mort par la faim plutôt qu’une réalité à l’indicatif. Lorsqu’on se souvient des circonstances dans lesquelles Alfred Yoko a vu le jour - prématuré - on comprend qu’un tel nom lui ait été donné.

Sources:

L’auteur a connu Monsieur Alfred Yoko Akwengial en qualité d’élève à l’Ecole Primaire de Dula et de Busala.

Alfred Kia Apaab, neveu et fils du frère aîné du sujet, Robert Apaab, interview par l’auteur, le 15 janvier 2007. Gradué en sciences et licencié en théologie, M. Robert Apaab est aujourd’hui pasteur de l’ECC/15e Communauté Baptiste du Congo à Kinshasa.

Origène Siteke, directeur retraité et collègue d’Alfred Yoko, interview par l’auteur.

Bernard Mindana Miaku, ancien coordinateur des Écoles Conventionnées Protestantes/15e CBCO, interview par l’auteur.

Sylvain Alwimi, ancien élève de la CBCO. à Vanga, enseignant au moment de la création de Busala en 1959 et, en 2008, agent à la Coordination de l’Enseignement de l’ECC/15e CBCO, interview par l’auteur.

Stanley Munduku Ngamayamu Dagoga, pasteur, ancien élève de Vanga et enseignant de théologie systématique à l’Université Protestante au Congo, interview par l’auteur.


Cet article, reçu en 2007, est le fruit des recherches de Fidèle Kwasi Ugira, pasteur et vice-modérateur de l’Assemblée de la Communauté Baptiste au Congo. Détenteur d’un doctorat en théologie de la Faculté Universitaire de Théologie Protestante de Bruxelles, il est doyen et enseignant de l’Ancien Testament et l’Ethique chrétienne à la Faculté de Théologie Evangélique, Université Chrétienne de Kinshasa.