Collection DIBICA Classique

Tous les articles créés ou soumis au cours des vingt premières années du projet, de 1995 à 2015.

Solan, Gidada

1899-1977
Presbytérien
Ethiopie

Voici l’histoire d’un homme aveugle qui a servi Dieu fidèlement. Qu’il soit mendiant, étudiant, évangéliste, enseignant, prédicateur, ministre ou encore ancien et homme d’état au service de l’église, Gidada a tout fait dans l’humilité et dans la confiance en Dieu.

Gidada est né de parents Oromo dans le petit village d’Aleqa Sotelow, près de Dembi Dollo, dans la région montagneuse de l’ouest de l’Ethiopie. Ses parents l’ont appelé Gidada, ce qui signifie, “Celui qui pleure pour les gens.” Il a été aveuglé par une épidémie de variole terrible qui s’est répandue dans l’ensemble de l’Ethiopie occidentale, et qui a tué une grande partie de la population, y compris sept frères et sœurs de Gidada. Ses parents ont appliqué des potions diverses sur ses yeux aveugles, comme l’avait recommandé le guérisseur local traditionnel, mais rien ne lui a rendu la vue, et Gidada est devenu mendiant.

En 1919, le dr. Thomas Lambie est arrivé au village de Sayo par invitation du gouverneur de Quellem, Birru Wolde Gabriel, pour donner une aide médicale aux centaines de personnes qui mourraient de la grippe. En 1920, l’aveugle Gidada était le premier converti du missionnaire médical américain.

Peu après sa conversion, Gidada a fait preuve d’une grande soif de connaissance. Vers 1922, grâce à son esprit vif, il avait déjà appris par cœur de longs passages bibliques en amharic. Il a aussi appris l’anglais dans la station missionnaire américaine grâce à Fred Russell et Bruce Buchanan. Ensuite, en 1924, il a fait connaissance du braille. Il a appris à lire en amharic, en anglais, et en oromifa, et un monde nouveau s’est ouvert à lui. Il pouvait lire tout seul, et la Bible, y compris l’ancien et le nouveau testament, est devenu pour lui un livre vivant. Désormais, il avait beaucoup de zèle pour partager avec autrui sa nouvelle vie en Christ et tout ce qu’il lisait dans les écritures. En 1924 il a épousé Dinse Sholi. Leurs deux premiers enfants sont morts peu après leur naissance. En 1927, la naissance de Rahel au couple attristé leur a donné beaucoup de joie, surtout à Dinse. Plus tard, deux fils leur sont nés, Solomon (1935) et Negaso (1941). Ils ont tous les deux fait une contribution importante à l’Ethiopie dans le secteur du service public. Le dr. Solomon a servi d’ambassadeur éthiopien à Londres de 1992 à 1998. Le dr. Negaso a été élu président de l’Ethiopie, et a servi de 1996 à l’an 2000.

Bruce Buchanan a joué un rôle important dans la formation de Gidada pour l’évangélisation. Son premier poste d’évangélisation était dans une station de péage entre Sayo et Gambella. Son audience était toujours présente, parce qu’une cinquantaine de marchands de café devaient s’y arrêter tous les jours pour payer leur impôt à Buka Badessa avant de descendre l’escarpement qui menait vers Gambella. En plus, une cinquantaine de personnes qui faisaient le transport du sel s’y arrêtaient pour se reposer lors de leur voyage de retour vers les régions montagneuses de Wellega. Vers 1930, accompagné d’un jeune homme qui lui servait de guide, il a entamé son ministère d’évangélisation dans le district de Sayo. A cause de sa prédication, il y avait souvent des confrontations avec les qallichas (pratiquants de secte), qui étaient tous possédés d’un esprit différent. Gidada allait voir tous ces qallichas en personne et leur lisait des versets de sa Bible braille sur le pouvoir de Jésus, qui était mort et ressuscité d’entre les morts. En 1940, on comptait dix églises évangéliques Bethel bien établies, et de 1955 à 1965, Gidada et sa famille ont été transférés à Mizan Teferi pour aider la mission américaine à faire l’évangélisation du groupe ethnique traditionnel religieux des Bench. Lors de ses voyages à dos-d’âne dans la forêt dense, allant d’un village Bench à un autre, des centaines de personnes ont entendu l’évangile et y ont répondu. En 1940, Gidada et plusieurs collègues Sayo qui oeuvraient avec lui dans le ministère chrétien furent arrêtés par les italiens. On a accusé Gidada d’être espion pour les anglais. Ne recevait-il pas régulièrement un courrier écrit en code spécial qu’il était le seul à pouvoir lire? Les lettres qu’il renvoyait en Angleterre étaient en code, elles aussi. Les italiens ont accusé Gidada d’espionnage et lui et ses compagnons dans l’évangile ont été accusés d’être des ennemis. Par conséquent, ils ont été attachés et chargés dans un camion italien comme des criminels. Après plusieurs semaines de voyage sur des routes très boueuses, ils sont enfin arrivés à la prison d’Addis Ababa. Après avoir passé huit jours dans la prison surpeuplée d’Addis Ababa, on les a renvoyés à Jimma pour les interroger davantage. Les deux collègues de Gidada ont été cruellement battus, presque à mort, pendant trois jours consécutifs. Ensuite, c’était à Gidada de faire face aux interrogateurs et aux corrections. Quand on lui a demandé pourquoi il était devenu ennemi des italiens il a répondu: “Comme vous le voyez, je suis aveugle. Je vous ai dit que je suis chrétien et que je fais le travail d’évangélisation pour le Seigneur. Est-ce parce que je sers le Seigneur que je suis ennemi du gouvernement?” On a renvoyé Gidada dans sa cellule sans le battre. Quand l’armée britannique a libéré le sud-ouest de l’Ethiopie en 1941, Gidada et ses amis ont quitté la prison de Jimma dans la joie et ont repris leur ministère à Sayo.

Les assemblées de Sayo qui étaient dans l’église évangélique Bethel ont été persécutées de 1951 à 1955. La persécution était inattendue, car elle est venue de l’église éthiopienne orthodoxe (EOC). Lorsque la mission américaine est entrée en Ethiopie en 1919, ils avaient l’intention de travailler de près avec l’église de l’état et de ne pas établir des assemblées qui feraient la compétition à l’EOC. Cependant, pendant l’occupation italienne du sud-ouest de l’Ethiopie, de 1936 à 1941, l’EOC de la région de Qellem s’était affaiblie. Par contre, la prédication de Gidada et des autres évangélistes était réellement une bonne nouvelle pour la population Oromo qui était très affligée par l’oppression spirituelle des qallichas, qui prenaient beaucoup mais rendaient peu de bienfaits aux gens. Dès 1951, le nombre des assemblées locales avait atteint la vingtaine, et la plupart d’entre elles avaient aussi établi des écoles élémentaires. L’EOC considérait que ce mouvement évangélique arriviste était en compétition avec eux, et ils ont commencé à fermer les églises et à arrêter les dirigeants de manière systématique. Une fois de plus, Gidada a été jeté en prison - non pas par les colonialistes étrangers, mais par les chrétiens éthiopiens. Dès qu’il a été relâché, Gidada a fait appel à la justice locale pour faire rouvrir les vingt églises, mais c’était en vain. Après plusieurs mois, Gidada et les autres leaders de l’église évangélique ont fait route pour Addis Ababa, pour faire appel à l’empereur Haile Selassie. L’empereur les a reçus et les a écoutés, et après un long délai, ils ont pu rouvrir dix églises.

Lorsque le personnel de la mission américaine en Ethiopie était en train de se faire expulser par les italiens, ils se sont rendus compte qu’il n’y avait pas de pasteurs éthiopiens ordonnés pour assurer la continuation du ministère officiel de l’église dans la région de Sayo. Le dr. Henry a conseillé à l’église de Dembi Dollo de choisir quelqu’un dans l’assemblée pour aller à Addis Ababa suivre un cours abrégé de préparation à l’ordination. Il a été décidé que Mamo Chorqa et Gidada Solan devraient être ordonnés. En juillet 1938, l’assemblée a demandé à Mamo Chorqa d’être le premier à aller à Addis Ababa en 1939, parce que Gidada Solan était le deuxième choix. Suite à un cours de formation de quatre semaines donné par D.C. Henry, l’ordination de Mamo Chorqa a eu lieu dans des circonstances assez inhabituelles. En septembre 1938, le dr. Henry avait demandé à Gidada Solan de venir à Addis Ababa pour être ordonné, et cette ordination a eu lieu le 24 février, 1939. Comme D.C. Henry était ordonné dans le presbytère d’Allegheny de New York, ce presbytère a accepté de valider l’ordination de mamo Chorqa et de Gidada Solan. Ces pasteurs éthiopiens ordonnés ont donc été inscrits comme membres du presbytère d’Allegheny, “en circonstances extraordinaires.” Les deux hommes ont gardé ce rapport avec le presbytère d’Allegheny jusqu’en 1947, quand l’église évangélique Bethel, qui comptait alors quelque 150 assemblées, est devenue une église éthiopienne indépendante avec une direction nationale, retenant la politique et la doctrine de l’église presbytérienne unie (UPC).

Vers la fin du long ministère de Gidada, il était vénéré comme homme d’état chrétien. Quand l’empereur Haile Selassie est rentré victorieux à Addis Ababa en 1941, après la défaite des italiens, Gidada a entrepris le long et difficile voyage de Sayo à la capitale pour fêter le retour de son souverain. Dix ans après, quand l’EOC a fermé les églises évangéliques dans l’ouest de l’Ethiopie, c’était encore Gidada qui est allé à Addis Ababa pour faire appel directement à Haile Selassie. Aussi, quand Gidada servait comme pasteur et évangéliste dans la région de Mizan Teferi (qui faisait un rayon de 30 km autour de Mizan Terefi) en 1957, l’église de Maji, qui était à une centaine de kilomètres dans la direction sud, a fait appel à lui pour que deux églises Bethel en dispute soient réconciliées.

L’expérience qui a couronné la vie de cet homme d’état chrétien âgé, c’était de représenter l’église évangélique Bethel, en compagnie de son fils Solomon, à l’assemblée générale de l’église presbytérienne unie qui s’est réunie à Pittsburgh en 1957. C’est avec les paroles suivantes qu’il s’est adressé à la grande assemblée qui réunissait les croyants de tous les continents, “Loué soit le Seigneur qui a crée le ciel et la terre, et qui par sa puissance nous a tous réunis. C’est par le sang de son fils, Jésus Christ, qu’il nous a tous unis.” Lors de la réunion de communion finale de l’assemblée, la nuit avant son retour en Ethiopie avec son fils Solomon, Gidada, “celui qui pleure pour les gens,” a pleuré de joie. Ne voyant rien, il avait néanmoins eu l’expérience de la communion fraternelle de l’église mondiale, qui s’étaient tous tenu la main et qui avaient tous eu le cœur uni.

E. Paul Balisky


Bibliographie

Gustav Aren, Envoys of the Gospel in Ethiopia: In the Steps of the Evangelical Pioneers 1898-1936 [Les messagers de l’évangile en Ethiopie: dans les pas des pionniers évangéliques 1898-1936] (Stockholm, 1999).

Debela Birri, “History of the Evangelical Church Bethel,” [Histoire de l’église évangélique Bethel] Thèse de Doctorat, Lutheran School of Theology at Chicago, 1995.

Gidada Solon, The Other Side of Darkness, [L’autre côté de l’obscurité] éd. Par Marion Fairman (New York, 1972).

Thomas A. Lambie, A Doctor Without a Country, [Un médecin sans pays] (New York, London, Edinburgh, [1939]).

Negaso Gidada, “The Impact of Christianity on Qelem Awraja, Western Wallaga 1886 to 1941,” [L’impact du christianisme sur Qelem Awraja, Wallaga de l’ouest 1886 à 1941] Thèse de licence, Haile Selassie I University, 1971.


Cette biographie a été recherchée et rédigée en 2004 par le dr. E. Paul Balisky, qui est conférencier de la SIM à la faculté supérieure de théologie éthiopienne, où il sert aussi de coordinateur de liaison du DIBICA. Lui et sa femme Lila sont membres du groupe de conseil du DIBICA.