Collection DIBICA Classique

Tous les articles créés ou soumis au cours des vingt premières années du projet, de 1995 à 2015.

Bessieux, Jean-Rémi (A)

1803-1876
Église Catholique
Gabon

Dans l’histoire des missions catholiques en Afrique, au 19ème siècle–ou plus exactement de la reprise de l’apostolat missionnaire en Afrique Noire–il est un nom trop méconnu : celui de Mgr Jean-Rémi Bessieux. On en parle en tant que premier Evêque du Gabon; il fut en réalité chargé d’un immense diocèse allant du Sénégal jusqu’aux régions de l’Angola actuel.

Jean-Rémi Bessieux naquit le 24 décembre 1803, à Vélieux, près de St-Pons dans l’Hérault. De sa famille de petits propriétaires terriens mais plus encore de son terroir rocailleux, enjolivé par le soleil, notre futur missionnaire hérita de cette austérité qui se mua parfois en entêtement et de ce courage solide mêlé de bonhomie souriante.

Il fit ses études au Séminaire de Castres (il reviendra plus tard en cette ville pour y recruter ses premières religieuses missionnaires chez les «Sœurs Bleues») et fut ordonné prêtre, le 13 juin 1829, à Albi.

Vicaire à Pézenas, durant un an, puis curé de Minerve, dans la zone montagneuse qui avoisine St-Pons, il fut nommé, en 1837, professeur au Petit-Séminaire nouvellement créé en cette ville de St-Pons.

De cette époque date son ardent désir de partir comme missionnaire d’Afrique. Son Evêque le fit patienter jusqu’en 1842. Il put alors entrer au Noviciat que le Père Libermann venait d’ouvrir à la Neuville, près d’Amiens, en vue de former une nouvelle société missionnaire pour le salut de la race noire.

Le St-Siège venait de charger un prélat américain, Mgr Barron, de Philadelphie, de s’occuper de l’évangélisation de l’Afrique, du Libéria en particulier. Mgr Barron avait fait un premier voyage de reconnaissance à Monrovia et dans la région du Cap des Palmes (au Sud du Libéria) où il avait décidé de se fixer. Mais il manquait de personnel et revint en chercher en Europe.

Le P. Libermann lui offrit son premier contingent de missionnaires: sept prêtres auxquels s’adjoignirent trois laïcs missionnaires. Le P. Bessieux, qui arrivait à ses quarante ans, fut désigné comme supérieur de ses confrères.

Et ce fut, du 13 septembre 1843 au 28 septembre 1844, la première et douloureusement célèbre expédition des Missionnaires du St-Cœur de Marie (nom donné par le P. Libermann à sa Société avant la fusion avec la Congrégation du St-Esprit).

Débarqués le 30 novembre 1843 au Cap des Palmes, puis ayant essaimé à Assinie et à Grand-Bassam (Côte-d’Ivoire) nos missionnaires inexpérimentés furent la proie des maladies (paludisme, dysenterie…) et de leur dénuement. Il y eut six décès en huit mois! Mgr Barron abandonna la partie.

Un vaisseau de guerre, le «Zèbre», commandant de Mauléon, recueillit en juillet 1844 le P. Bessieux et deux laïcs missionnaires et les transporta au Gabon où l’on jeta l’ancre le 28 septembre 1844. Le Père Bessieux et le Frère Grégoire Sey (il fit profession de Frère par la suite), qui étaient les deux seuls valides, purent s’installer au Fort d’Aumale (Libreville n’existait pas encore), grâce à la bienveillance du Commandant Brisset qui dirigeait le comptoir du Gabon.

En France, où l’on avait cru le P. Bessieux mort comme ses compagnons, on apprit dans le courant de 1845 qu’il y avait deux survivants. Mais le P. Bessieux et F. Grégoire durent attendre mars 1846 pour recevoir la première visite du P. Briot de la Maillerie envoyé à leur rescousse…

Dès lors la relève s’effectua. Le P. Bessieux put rentrer en fin d’année 1846. Il reviendra en décembre 1847 à Gorée (Sénégal) avec les premières Religieuses qu’il était allé chercher à Castres… Les événements se précipitent. Une décision de Rome, un «Bref» daté du 20 mai 1848, nomme le P. Bessieux évêque «in partibus» de Gallipolis et Vicaire Apostolique des Deux-Guinées (titre donné par Rome à une immense juridiction englobant la Guinée Supérieure et la Guinée Inférieure, ce qui correspond– grosso modo–à ce qu’on appellera plus tard Afrique Occidentale et Afrique Equatoriale.

Le 14 janvier 1849, Mgr Bessieux est sacré Evêque dans la chapelle des P. P. du St-Esprit, rue Lhomond à Paris. Dès février il repart, s’arrête sur la Côte pour prier sur les tombes de ses premiers compagnons et arrive à Libreville le premier octobre 1849.

Il lui reste à vivre 27 années d’épiscopat qu’il consacrera surtout au Gabon; un évêque-coadjuteur le déchargera du Sénégal et la Côte Occidentale recevra d’autres missionnaires (de la Société des Missions Africaines de Lyon). Ce que furent ces 27 années: des années de tâtonnements, d’implantations diverses et d’initiatives variées en matière d’enseignement par exemple…

Implantations de Missions: à Libreville même, au «Plateau», où s’était transportée l’Administration et au quartier de Glass. En direction du Nord, au Cap Estérias et vers le Rio Muni. Dans l’estuaire du Gabon: essais de fondation à Tchinchoua et à Coniquet. Au Sud de l’Equateur, exploration du Cap Lopez (Port-Gentil actuel) et bien au-delà (le P. Duparquet ira fonder du côté d’Ambriz et de Mossamedès, en Angola)…

Œuvres d’enseignement: le P. Bessieux, trois mois après son arrivée, inaugura le ler janvier 1845 un embryon d’école de français. Les résultats, d’abord bien décevants, s’affermirent au point que le P. Bessieux voulut donner des rudiments de latin aux élèves les mieux doués; certains s’en gaussèrent mais nul doute que le professeur songeait déjà à la formation d’un clergé gabonais (dont le premier prêtre ne sera ordonné qu’en 1899). A son premier retour en France, en 1847, le P. Bessieux fit imprimer à Amiens, outre quelques livres religieux, un essai de grammaire et de vocabulaire pongwé-français.

A partir de 1855, Mgr Bessieux se spécialisa dans la formation professionnelle et agricole. Comme le travail manuel, spécialement dans les plantations et les jardins ne plaisait guère aux jeunes, l’évêque voulut payer d’exemple. Le marquis de Compiègne a raconté dans son «Journal de voyage» l’émotion qu’il ressentit lorsqu’allant rendre visite à Mgr Bessieux on lui dit que Monseigneur était en brousse, en train de travailler. «L’évêque vint, tout couvert de sueur et de poussière, mais avec une distinction suprême. A l’heure qu’il est (le marquis de Compiègne écrit en 1873) Mgr Bessieux est au Gabon–fait sans exemple pour un Blanc–depuis 30 ans. Epuisé par l’âge et la fatigue, il n’est que l’ombre de lui-même mais quand on lui parle de ses fleurs, de ses fruits, de ses arbres, il se ranime et semble revivre le passé».

Mgr Bessieux, promu Chevalier de la Légion d’Honneur en 1863, a connu une certaine renommée à cause d’une parole –d’une tirade plutôt–qui lui est attribuée.

S’adressant à l’Amiral du Quilio, Commandant de la Division navale de l’Atlantique-Sud, venu lui rendre visite (en sept. 1872 et en mars 1873) pour lui offrir ses services en cas d’un éventuel rapatriement des forces françaises (commencé en partie, après la guerre de 1870-71), Mgr Bessieux aurait déclaré: «Nous sommes ici à une porte qui s’ouvrira tôt ou tard sur un immense continent. Nous attendrons. Si vous partez, Amiral, comptez sur nous pour maintenir haut et ferme le drapeau de la France.»

Comme pour beaucoup de paroles, dites historiques, il est vraisemblable que ce texte fut fignolé plus tard (probablement par Mgr Le Roy, deuxième successeur de Mgr Bessieux).

Quoiqu’il en soit on sait - et ceci est prouvé - que Mgr Bessieux, avec l’entêtement de son caractère, fut toujours opposé à tout transfert de la Mission fondée par lui, que l’on veuille s’en aller au «Plateau», à Libreville même, ou qu’il s’agisse d’autres occasions. Mgr Bessieux voulait mourir sur place: là où il avait travaillé, là où il avait souffert (spécialement en ses dix dernières années, après plusieurs attaques de paralysie).

Le 30 avril 1876, un dimanche, après avoir encore assisté à la Messe, Mgr Bessieux s’éteignit entouré de la vénération de tous ses amis, spécialement des Pongoués de Libreville. Il y a quelques années, le Prince Félix Adandé, représentant des héritiers du Roi Denis, formulait encore le vœu que Libreville portât le nom de Bessieux!

Augustin Berger c.s.s.p.


Bibliographie:

L’Apôtre du Gabon - Mgr J.-R. BESSIEUX par A. GRANIER, Lib. Valat MONTPELLIER, 1912.

«Pionnier du Gabon», par P. ROQUES, Lib. Alsatia, PARIS, 1971. Revue Franç. d’Histoire d’O.-Mer.

a)T. LIX N° 217 «L’historicité des paroles attribuées au 1er Evêque du Gabon», par Gollnofer, Noël et Sillans.

b)T. LII N° 186 «15 ans de Gabon 1839 - 1853», par HUBERT DESCHAMPS.

Bulletin Gén. de la Congo du St Esprit T. II et autres T.

Les Missions Cath. Au XIXe siècle T. V. par J.B. PIOLET, Lib. A. Colin, Paris, 1902.

Histoire des Missions Cath. Françaises par B. DE VAULX, A. Fayard, PARIS, 1951.

Le R.P. Libermann par M. BRIAULT, de Gigord, PARIS, 1946.

Missionnaires d’avant garde sur la Côte de Guinée par A. LALOUSE, NgazobiI (Sénégal).

MARQUIS DE COMPIEGNE, «L’Afrique Equatoriale», PARIS, 1878.

Une noble figure missionnaire : Mgr Bessieux. P. A. BERGER, Revue du Clergé africain N° 5-1948.


Cet article, réimprîmé ici avec permission, est tiré d’Hommes et Destins : Dictionnaire biographique d’Outre-Mer, tome 2, volume 1, publié en 1977 par l’Académie des Sciences d’Outre-Mer (15, rue la Pérouse, 75116 Paris, France). Tous droits réservés.