Collection DIBICA Classique

Tous les articles créés ou soumis au cours des vingt premières années du projet, de 1995 à 2015.

Schweitzer, Albert (B)

1875-1965
Luthérien
Gabon

Albert Schweitzer était le missionnaire médical chrétien prééminent en Afrique, une figure dominante de la pensée et de la philosophie protestante du vingtième siècle, et un musicien accompli. Malgré le fait que sa réputation s’était un peu éclipsée depuis la fin de la période coloniale, de son vivant, Schweitzer était un des personnages les plus honorés et respectés du monde. Il a reçu le Prix Nobel en 1952 parce qu’il était l’exemple même de la “Fraternité des Nations.”

Schweizer, né en Alsace sous la tutelle de l’Allemagne, était le fils d’un pasteur réformé. Après avoir fait des études à l’université de Strasbourg, où il a obtenu deux doctorats (philosophie et théologie), il est devenu pasteur de l’église de Saint Nicolas, à Strasbourg. Il avait parsemé son travail académique de l’étude de l’orgue, et au même moment, il a été nommé organiste de la société de Bach de Paris.

En 1905 il a publié J. S. Bach : le musicien-poète, où il a présenté Bach comme mystique religieux dont la musique était le point d’entrée pour la compréhension des forces cosmiques de la nature. Sa réputation comme interprète le plus important de Bach n’a cessé de grandir, et le livre a connu un succès immédiat. L’année suivante, il a publié A la recherche du Jésus historique, une œuvre qui a établi Schweizer comme théologien d’importance mondiale, et qui est restée un ouvrage de référence de la théologie moderne depuis. Il faut ajouter à cela que Schweitzer était un prédicateur charismatique, populaire et plein d’esprit, avec des partisans fidèles.

Pendant cette période, Schweizer était en train de développer ce qui deviendrait le thème dominant de sa vie et de sa pensée – “le respect de la vie” – une norme éthique qu’il appliquait à la vie dans son ensemble et à toutes les formes de la société, y compris la civilisation elle-même. En 1905, sa pensée a culminé en une conversion religieuse. Il s’est détourné de son succès matériel, et s’est orienté vers une vie de service chrétien. Sa prédication et son enseignement ne l’ont pas empêché de commencer des études de médecine, pour pouvoir devenir médecin missionnaire, et ainsi vivre pleinement ce qui était devenu sa philosophie dominante. Par la suite, il a rencontré Hélène Bresslau, artiste et musicienne, qui a abandonné sa carrière pour devenir infirmière travaillant à ses côtés. Ils se sont mariés en 1911, un an avant que Schweitzer devienne médecin. En 1913 ils sont partis pour le Gabon (l’Afrique équatoriale française, à l’époque), soutenus par Société des Missions Evangéliques de Paris (SMEP).

Les Schweizer ont bâti un hôpital à Lambaréné, travaillant aux côtés des ouvriers africains. En 1917 et en 1918, ils ont été internés en France à cause de leur milieu socioculturel allemand, et ils y sont restés jusqu’en 1924. Schweizer a passé le temps à réfléchir, et a publié le premier volume de sa Philosophie de la civilisation en 1923. Dans cette œuvre, il a fait une déclaration complète de son éthique par rapport au respect de la vie. Il y soutient l’argument que toutes formes de vie contiennent une force qui les pousse vers leur perfection, ou leur état complet - la gloire de la création. Cette éthique de vie impose un devoir à l’humanité – dont la lutte est consciente – de pénétrer les formes de vie inférieures à la leur. En résumé, Schweitzer dit: “Pour cette personne, toute vie en tant que telle, est sacrée. Il ne brise pas le cristal de glace qui brille au soleil, il n’arrache pas une feuille d’un arbre, ne casse aucune fleur, et fait attention de ne pas écraser d’insectes en marchant.”

En 1924, très sûr de son approche et de sa mission, Schweitzer est rentré à Lambaréné pour trouver que son hôpital avait détérioré et avait été en partie réclamé par la jungle. Il a tout rebâti plusieurs kilomètres en amont de la rivière Ogowe. La marque de l’hôpital, c’était la simplicité, et Schweitzer est devenu un partisan précoce de ce qui s’appellerait par la suite la “technologie appropriée.” L’hôpital fonctionnait dans ce qui était pour Schweizer un mode qui convenait au cadre africain. Il voulait éviter une ambiance occidentale, qui selon lui, séparait les africains du soin médical, et renforçait le pouvoir des prêtres locaux et les guérisseurs traditionnels. Il encourageait les familles à vivre avec le malade, et ils logeaient dans un nombre de petites structures bâties autour de l’hôpital. Les membres de la famille préparaient les repas, et gardaient souvent quelques chèvres ou d’autre petit bétail pour donner du lait et de la viande.

A son apogée, il y avait 350 patients (sans compter leur familles) et 150 patients dans une colonie pour les lépreux, bâtie quelques années après l’hôpital. Il y avait entre 30 et 40 médecins blancs, sans compter les infirmières et les travailleurs africains. Schweizer soutenait ce personnel avec ses propres ressources, qui étaient supplémentées par des enregistrements de Bach très populaires, et des récitals d’orgue en Europe. D’autres bienfaiteurs soutenaient aussi l’hôpital, y compris la famille Mellon, et l’église unitarienne/universaliste. Malgré toute l’activité de Lambaréné, Schweitzer a continué d’éditer les œuvres de Bach pour l’orgue, et il a aussi écrit plusieurs livres sur la théologie.

Son approche était autocrate et paternaliste, et il avait une attente assez basse de la capacité intellectuelle des africains. Néanmoins, il montrait toujours de respect pour les travailleurs et les malades, et il était largement bien-aimé. Il entretenait l’idée que “l’éthique, c’est la pitié” et il semblait ne pas avoir d’illusions sur l’égalité entre les civilisations traditionnelles et occidentales. Son modèle biblique venait de la parabole de Lazare et l’homme riche. Schweitzer se voyait comme l’homme riche à la table, obligé de partager ce qu’il avait avec le pauvre mendiant. Il a critiqué l’exploitation des africains, mais surtout parce qu’il voyait là une preuve de l’échec moral de l’ouest civilisé plutôt que parce qu’il avait un sens inhérent de l’injustice.

Le respect de la vie, pour Schweitzer, n’était pas un absolu et ne comprenait pas la notion des “droits.” Il était adhérent du principe Darwiniste de la sélection naturelle et reconnaissait que l’être humain tue ce qui le menace. On peut tuer avec ou sans merci, mais il croyait qu’il fallait toujours choisir la voie de la miséricorde. C’était là une éthique pour le parti supérieur, le protecteur bénévole de l’inférieur. Quand Schweizer s’est opposé aux essais nucléaires dans les années 1950, c’était à cause des effets sur la vie animale et végétale, et non pas par opposition à l’emploi des armes nucléaires, si cela devenait nécessaire. Son point de vue, c’était celui du colonialiste, un point de vue à la fois affiné et paternaliste. Schweizer était toujours actif quand il est mort à Lambaréné, et c’est là qu’il est enterré. Il a laissé des instructions indiquant que l’hôpital devrait être modernisé, et sa fille a continué son travail.

Norbert C. Brockman


Bibliographie

Lipschutz, Mark R., et R. Kent Rasmussen. Dictionary of African Historical Biography [Dictionnaire biographique de l’histoire africaine]. 2ème édition. Berkeley: University of California Press, 1986.

The New Encyclopedia Britannica [la Nouvelle encyclopédie britannique]. 15ème édition. Chicago, IL., 1988. Encyclopedia of World Biography [Encyclopédie mondial de biographie]. Palatine, IL: Heraty, 17 volumes, 1973-1992.


Cet article est reproduit, avec permission, de An African Biographical Dictionary [Un dictionnaire biographique africain], copyright © 1994, édité par Norbert C. Brockman, Santa Barbara, California. Tous droits réservés.