Collection DIBICA Classique

Tous les articles créés ou soumis au cours des vingt premières années du projet, de 1995 à 2015.

Trilles, Henri

1866-1949
Église Catholique
Gabon

Henri Trilles, missionnaire au Gabon et ethnographe d’un certain renom, naquit le 21 juin 1866, à Clermont-Ferrand, où son père était militaire de carrière.

Ses parents s’étant établis en Normandie, le jeune Trilles fit ses premières études à Cherbourg puis au Petit-Séminaire de Sées (Orne). Il hésita ensuite, durant plusieurs années, sur la carrière à choisir. Il fit son service militaire, fut employé de commerce et opta finalement pour l’apostolat missionnaire.

En 1889, il demanda et obtint son admission dans la Congrégation du St-Esprit et put partir, dès septembre 1893, pour le Gabon. Il fut d’abord placé à la mission de Lambaréné, puis affecté l’année suivante à la mission Ste-Marie de Libreville, qui fêtait alors son cinquantenaire (1844-1894). Il y fut chargé du Séminaire africain et de l’école des catéchistes, mais se fit remarquer par son attrait pour les tournées de brousse, spécialement en milieu fang (ou pahouin, comme l’on disait autrefois). La tribu fang descendait progressivement du Nord-Gabon vers la côte et l’on a pu noter, en mai 1897, la première prédication qui se fit en langue fang dans la vieille église Ste-Marie de Libreville.

C’est alors que le P. Trilles fit un premier retour en France, pour y surveiller l’impression de divers livres religieux en langue fang.

Peu après son retour au Gabon, le P. Trilles entra en contact avec plusieurs dirigeants de la Société d’explorations coloniales au sujet du “contesté hispano-français” entre la Guinée Espagnole et le Gabon. Cette société avait sollicité de l’évêque du Gabon le concours de missionnaires connaissant la langue fang. Tout naturellement le P. Trilles fut choisi (il était d’ailleurs volontaire) et on lui adjoignit le P. Tanguy. On n’a jamais su exactement le point extrême atteint au cours de cette longue tournée qui dura presque une année (1899-1900). En effet, le P. Trilles et son compagnon continuèrent leur exploration bien après le retour des membres de l’expédition de délimitation frontalière. On manquait alors de repères géographiques précis et Henri Trilles, par la suite, put intituler avec une fière emphase le récit de son voyage: Mille lieues dans l’inconnu. (C’est le recueil d’articles parus d’abord dans l’intéressante Revue des Missions Catholiques). Le P. Trilles parle du nœud orographique de différents cours d’eau et il signale le cours du Djah. Dès lors, on situerait le terminus de l’expédition au-delà du Nord-Est du Gabon (où fut fondé le poste de Minkébé), vers l’actuel centre de Djoum, au Sud-Cameroun. C’est l’habitat par excellence des Pygmées, encore maintenant, même si–hélas–cette vaste région s’est bien dépeuplée … Après des mois et des mois de marche, les deux missionnaires rentrèrent à Libreville par la rivière Como, qui débouche au fond de l’estuaire du Gabon. Ils étaient épuisés et sans ressources. Le P. Trilles dut rentrer en France pour y refaire ses forces au cours d’un séjour d’environ deux ans.

Vers 1903-1904, on retrouve le P. Trilles à la mission de Ndjolé, sur l’Ogoué. Il en est supérieur mais, toujours entreprenant il s’en va, en 1904, fonder un poste missionnaire sur la rivière Abanga, affluent de l’Ogoué, poste qui ne fut pas maintenu.

En 1907, c’est le retour définitif en France: le P. Trilles pourra livrer au public, par ses écrits et par ses conférences, des aperçus très colorés de son séjour au Gabon et les conclusions souvent hâtives de sa science préférée: l’ethnographie. Il fut même, un moment, chargé de cours à l’Institut Catholique de Paris, mais ne put obtenir sa titularisation.

La guerre de 1914-1918 réveilla chez Henri Trilles son atavisme militaire. Ne pouvant plus être mobilisé, il s’engagea comme aumônier militaire pour les premières lignes du front. Il y récolta la Croix de guerre avec quatre citations élogieuses et la Légion d’Honneur. Par ailleurs, le P. Trilles était titulaire de la Médaille coloniale et Officier d’Académie.

Après la guerre, il collabora à l’Œuvre missionnaire de la Ste-Enfance et résida, durant quelques années, dans différentes annexes de l’Orphelinat d’Auteuil. Fatigué et quelque peu aigri, il résolut de se retirer à La Flèche (Sarthe) auprès de ce qui lui restait comme famille. Il aimait à fréquenter la bibliothèque du Prytanée militaire et il put rendre quelques services. Après avoir refusé de finir ses jours dans une maison de retraite de sa Congrégation (“Que ne suis-je mort en Afrique?” écrivait-il en 1944), il mourut à l’âge de 82 ans, le 3 janvier 1949. Il avait, au préalable, dans son testament, demandé que l’on veuille bien ne pas rédiger de notice biographique sur lui, comme c’est la coutume dans sa Société religieuse. Malgré le silence des années qui ont passé, le nom du P. Trilles n’est pas oublié et de jeunes étudiants gabonais recherchent ses ouvrages. Nous ne pensons pas avoir transgressé l’ultime volonté du P. Trilles en lui consacrant ces quelques lignes…

L’œuvre du P. Trilles

Le P. Trilles a beaucoup écrit : il est très difficile de recenser toutes ses productions, spécialement tous ses articles dans différentes revues. Doué de multiples talents, il était victime d’une imagination débordante et d’une sensibilité presque maladive. On l’accusa d’inventer, d’affabuler… Il eut de son vivant pas mal d’adversaires, voire de détracteurs, même parmi ses compagnons de mission, qui ne pouvaient admettre des affirmations plus ou moins fantaisistes et estimaient mieux connaître le milieu africain. Par contre, nombre de lecteurs étaient séduits par la magie du style et des nouveautés.

L’œuvre la plus importante du P. Trilles, présentée avec un certain apparat, est son gros volume consacré aux Pygmées et publié avec les encouragements–selon l’auteur–du célèbre P. Schmidt, de Vienne, et d’Olivier Leroy. Son étude sur le totémisme chez les Fang, dans le goût des années 1900-1910, a perdu actuellement de sa valeur.

Quant aux livres de récits pittoresques ou édifiants, tel Fleurs noires et âmes blanches, on y trouve le produit d’une imagination féconde qui situe faits et gestes dans un cadre africain au folklore en grande partie disparu.

Ce n’est pas être injuste envers la mémoire du P. Trilles que de prétendre qu’il lui manquât toujours une première formation scientifique spécialisée ; il ne faut pas oublier non plus que ses travaux et recherches datent de la fin du XIXe siècle et des premières années du XXe. Les sciences humaines ont fait en ces dernières décennies de notables progrès.

Augustin Berger c.s.s.p.


Bibliographie

Voici une liste des écrits du P. Henri Trilles, qui ne se prétend pas exhaustive. Certains textes ont disparu ; d’autres n’ont pas été publiés, comme ce documentaire préparé vers 1898-1899, sur les “Cinquante premières années du Gabon” (après le cinquantenaire de la mission Ste Marie de Libreville).

Catéchisme Fang. 325 p. -1897.

Ntem Wam - formulaire de prières en fang -1897.

Exercices de lecture français– fang, 67 p. –1898.

Au Gabon–Dans les rivières de Monda (récits), 122 p. –1897. Chez Desclée de Brouwer.

Proverbes Légendes et Contes Fang –1905 Edit. Attinger - Neufchâtel.

Mille Lieues dans L’Inconnu: exploration en pays fang. 1902. Articles parus dans les Missions Cath. et réunis dans un volume pratiquement introuvable.

Le Totémisme chez les Fang -1912.

Aschendorffsche à Münster et Picard à Paris.

Quinze Ans au Pays Fang –1912.

L’âme des Pygmées d’Afrique –1945, Editions du Cerf–Paris.

(Le P. Trilles fut lauréat de l’Académie française en 1934).

Au point de vue botanique, on lui doit l’étude de quelques plantes, telle l’Heisteria Trillesiana, plante oléagineuse appelée par les Gabonais Vias ou Kamba.


Cet article, réimprîmé ici avec permission, est tiré d’Hommes et Destins: Dictionnaire biographique d’Outre-Mer, tome 2, volume 2, publié en 1977 par l’Académie des Sciences d’Outre-Mer (15, rue la Pérouse, 75116 Paris, France). Tous droits réservés.