Collection DIBICA Classique

Tous les articles créés ou soumis au cours des vingt premières années du projet, de 1995 à 2015.

Dieterlen, Hermann

1850-1933
La Société Missionnaire Évangélique de Paris
Lesotho

Né le 8 mai 1850, à Rothau, la commune la plus importante de Ban-de-la-Roche, illustré par le ministère d’Oberlin, Hermann Dieterlen était le fils de Christophe Dieterlen, un industriel intègre et scrupuleux, un chrétien austère, profondément religieux, qui exerçait autour de lui un véritable ministère laïque. Sa mère, Julie Steinheil, était sœur de Gustave Steinheil, dont la mémoire est restée en bénédiction à tous ceux qui l’ont connu, et de Mmes Boegner, [1] Engelbach [2] et Krafft.

Son enfance et sa jeunesse eurent pour cadre, à Rothau, cet Enclos, dont il a lui-même évoqué, en 1912, le souvenir, dans un ouvrage intime, [3] exclusivement destiné à de nombreux parents, et qui n’a pas été mis en librairie. L’Enclos et ses deux grandes maisons, la maison Dieterlen, avec douze enfants, dont dix garçons: en tout vingt cousins et cousines, qui vivaient comme frères et sœurs, partageant leurs jeux, leurs promenades et, en partie, leurs études! Joyeuse enfance, heureuse et saine jeunesse! D’autres enfants, les cousins Boegner, les amis Fallot, venaient s’y associer, au moins en temps de vacances. Mais ce coin si particulièrement français de la vieille Alsace était alors sous le régime allemand, et l’Enclos n’était déjà plus le lieu béni d’autrefois.

Le vocation missionnaire d’Hermann Dieterlen remontait à sa plus tendre enfance. Plus tard, il en douta quelque peu. La guerre de 1870 avait interrompu sa préparation. Ardent patriote, il eût voulu s’engager comme soldat, les futurs ecclésiastiques étant alors dispensés de droit de tout service militaire: son père ne le lui permit pas et il servit la France comme infirmier, dans une ambulance. La paix rétablie, il se demanda s’il ne devrait pas consacrer sa vie au relèvement moral de la patrie mutilée en y restant comme pasteur. Mais l’appel retentit bientôt avec plus de puissance. Pour y répondre, il dut accepter de douloureuses séparations.

Après avoir passé un an à la Maison des missions auprès du directeur, Eugène Casalis, il fut consacré à l’Oratoire, le 12 novembre 1874. Le sermon fut prononcé par Roger Hollard, sur ce texte: “Me voici, ô Dieu, pour faire ta volonté!” Après l’allocution de Dieterlen, très touchante dans sa modestie et sa simplicité, et la prise des engagements, Georges Appia lui rappela la parole de Dieu au grand patriarche: “Ne crains point, je suis ton bouclier et ta grande récompense.” Emouvante soirée, dont Benjamin Couve donna un compte rendu en quatorze pages, dans le Journal des missions. [4]

Le 25 novembre, le Danube partait de Southampton, emmenant vers le sud de l’Afrique le jeune missionnaire.

Six jours après, il écrit déjà, de l’escale de Madère; puis à l’arrivée au Cap; enfin, de Morija pour donner ses impressions de nouveau venu au Lessouto. Et ce fut le début d’une correspondance régulière, qui alimentera largement le Journal des missions, surtout au début.

La carrière apostolique d’Hermann Dieterlen devait durer en Afrique quarante-cinq ans, divisés en trois longs séjours.

Le premier fut de seize années (1875-1890). Dieterlen fut d’abord chargé de diriger l’école de Morija. Avant d’être à la tête d’une station, d’un district, il voulait se mettre au courant de la langue, des habitants, des traditions de la mission. Il le fit aux côtés d’un missionnaire de premier ordre, Adolphe Mabille.

Mais bientôt ses collègues, ayant constaté son exceptionnelle valeur, et le voyant aussi plus indépendant qu’aucun d’entre eux, puisqu’il était encore célibataire, le chargèrent de diriger l’entreprise de mission indigène, vers le Nord, au pays des Banyaïs, dont la première idée remontait à Mabille et au major Malan. Il part, en 1876, avec quatre évangélistes indigènes. Mais, dès leur passage à Prétoria, ils sont arrêtés par le gouvernement boër du Transvaal. Les quatre Noirs sont mis en prison; lui-même n’est laissé en liberté que grâce à une forte caution payée par un missionnaire allemand et par un employé de l’administration qui avait habité Le Havre. Mais il doit, à son grand regret, regagner le Lessouto. Ce sera seulement l’année suivante qui Coillard, autorisé à traverser le Transvaal, pourra emmener vers le Nord une nouvelle et plus importante expédition, traversera, au péril de sa vie, le pays des Banyaïs, visitera le roi Khama, chez les Béchuanas et atteindra jusqu’au Zambèze.

Quant à Dieterlen, il est placé d’abord, en 1877, à Hermon. Le voici donc chef de station. Il ne tarde pas à constater que cette situation réclame, à côté du missionnaire, une compagne et, le 27 novembre 1878, il épouse une jeune Parisienne, d’origine alsacienne comme lui, Mlle Anna Busch, venue au Lessouto l’année précédente, avec M. et Mme Frédéric Ellenberger. Elle avait aussi répondu à l’appel de M. et Mme Jousse, qui désiraient une aide capable de diriger avec eux l’Ecole normale de jeunes filles de Thaba-Bossiou.

De cette heureuse union naquirent quatre enfants, tous venus au monde à Hermon, pendant ce premier séjour: Georges Dieterlen, qui fut missionnaire à Morija; Cécile, devenue Mme Henri Vallette, à Paris; une seconde fille, Christine-Mathilde, qui ne vécut que quelques mois, et enfin Robert Dierterlen, né en août 1885, retourné en Afrique en 1912 comme missionnaire au Zambèze, mobilisé dès l’ouverture de la Grande Guerre et mort pour la France en septembre 1915.

Le successeur d’Hermann Dieterlen à Hermon, M. Fréd. Christol, aura l’occasion de rendre hommage au souvenir qu’il y avait laissé, au travail qu’il y avait accompli, à la respectueuse affection dont l’entouraient tous les Noirs, chrétiens ou païens.

En 1887, la conférence appela notre ami à revenir à Morija pour y prendre, après Hermann Kruger, la direction de l’Ecole de théologie. Il y héritait de trois élèves, dont il acheva la préparation, et que, vingt et un ans plus tard, nous avons trouvés au Lessouto, pasteurs indigènes, aussi remarquables par leurs dons intellectuels, leurs connaissances bibliques, leur autorité personnelle que par leur piété et la dignité de leur vie.

M. et Mme Dieterlen rentrèrent en France en 1890 pour leur premier congé. Ils y passèrent deux ans et repartirent en juin 1892, ne ramenant avec eux en Afrique que leurs deux plus jeunes enfants.

Leur deuxième séjour dura onze ans Ils étaient alors dans le plein de leur maturité. Le directeur de l’Ecole de théologie commença la préparation d’une nouvelle volée de cinq pasteurs indigènes. Dieterlen rédigea ses cours avec le plus grand soin, si bien que ses cahiers – en sessouto – ont pu, traduits en d’autres langues, servir de modèles dans d’autres champs de mission.

Mais, en 1894, il fallut placer au poste de Léribé un missionnaire spécialement expérimenté, pour y reprendre, après de grandes difficultés, l’œuvre de François Coillard. La conférence désigna Dieterlen pour cette œuvre délicate, et ce fut le missionnaire Jacottet qui prit la direction de l’Ecole de théologie.

Le deuxième congé de Dieterlen ne dura que seize mois (mai 1903 à octobre 1904). Il le passa surtout à Paris, à la Maison des missions, où il aida affectueusement son cousin et frère d’âme, Alfred Boegner.

Rentré en Afrique en 1903, pour un troisième et dernier séjour, qui devait durer quinze années ininterrompues, Dieterlen reprit d’abord sa station de Léribé, dans la maison modeste et alors bien délabrée de Coillard.

Le 21 octobre 1908, dans la journée la plus solennelle du jubilé, à Morija, après une séance en plein air qui avait réuni environ 5 000 personnes et duré quatre heures, un grand banquet était offert à 120 convives. Les toasts furent abondants. Dieterlen était chargé d’en porter un au Comité de Paris. Il émut profondément toute l’assistance - Anglais, Allemands, Américains, Hollandais et indigènes - par l’ardeur communicative de son patriotisme. Et des larmes perlèrent aux paupières de plusieurs lorsque, se dirigeant vers le grand drapeau tricolore rendu au fond de la salle, avec le drapeau britannique, il y imprima un baiser affectueux.

En 1913, étant dans sa soixante-quatrième année et désirant une activité plus stationnaire, il demanda la faveur d’être le premier aumônier de la léproserie que le gouvernement venait de construire à Botsabelo, près de Maseru. Il se livra avec joie, et même avec un véritable enthousiasme, à ces fonctions modestes auprès des créatures les plus dépouillées, les plus malheureuses de ce monde. Mais l’année suivante, à la suite d’une révolte des pauvres hospitalisés, il dut demander à la conférence de lui confier un poste de missionnaire, dans un pays moins monstrueux et un district moins étendu que Léribé.

Il fut chargé du district, relativement facile, de Likhoele, et c’est là, de 1914 à 1919, qu’il acheva son long et laborieux apostolat. C’est aussi là que son cœur dut affronter la grande épreuve de l’incertitude où il resta longtemps, quant au sort de son dernier fils Robert, disparu dans les combats meurtriers de l’Artois.

Il eut de moins la joie, si douce à son âme de patriote, de savoir l’Alsace rendue à la France, et de penser qu’il pourrait, de Paris, s’y rendre de nouveau sans franchir aucune frontière, sans voir flotter aucun autre drapeau que l’étendard national.

Il revint en France avec Mme Dieterlen. Le 20 septembre 1919.

Etabli à Strasbourg, il a d’abord représenté très activement la Société des missions évangéliques en Alsace, surtout dans les paroisses où le français était suffisamment compris, car il n’aurait jamais consenti à parler en public dans une autre langue. Il lui eût été même très dur de se faire traduire en allemand, sur une terre redevenue française. Longtemps, il a parcouru les départements retrouvés, et fait tous ses efforts pour ramener à la Société de Paris les sympathies qui, pendant les quarante années d’occupation allemande, étaient allées, peu à peu, vers d’autres œuvres de missions. C’est seulement dans les derniers temps qu’affaibli par la vieillesse et les infirmités, il a dû relâcher, puis céder définitivement à son successeur, M. Ch. Hermann, cette activité de propagande.

Rentré en Europe, il a aussi beaucoup écrit. Dans un précédent congé, il avait composé la belle biographie d’Adolphe Mabille. A l’approche du centenaire du Lessouto, il a, sur la demande de ses directeurs, accepté d’écrire celles d’Eugène Casalis, de François Coillard et, enfin, celle d’un quatrième missionnaire du Lessouto, Frédéric Ellenberger. Il venait de terminer la manuscrit de ce dernier ouvrage quand la maladie qui devait l’emporter a fait tomber la plume de sa main.

Sa collaboration au Journal des missions, pendant ses quarante-cinq ans d’apostolat, représente, à elle seule, plusieurs gros volumes qu’on pourrait songer, en des temps plus propices, à publier pour donner de sa carrière et de l’histoire de notre mission sud-africaine une très vivante histoire.

En outre, depuis l’âge de vingt-cinq ans jusqu’à sa mort, Hermann Dieterlen a publié, toutes les semaines, une méditation dans L’Ami chrétien des familles, auquel son père avait fourni déjà le même genre de collaboration. Cela représente bien près de 3 000 méditations bibliques, surtout si l’on réfléchit que le rédacteur du journal avait toujours, d’avance, du pain sur la planche, je veux dire au moins cinq ou six méditations non encore imprimées. Il lui en reste aujourd’hui quelques-unes, qui paraîtront en leur temps. En sorte qu’on pourra, dans les mois qui viennent, appliquer à l’ancien missionnaire disparu la parole biblique: “Quoique mort, il parle encore.” [5]

Et combien de méditations plus courtes ont paru, en ces dernières années, sous la signature de H. D., soit dans le calendrier à effeuiller de la Société centrale: Une parole pour tous, soit dans la Quinzaine protestante [6] ou dans d’autres périodiques!

C’est que, chaque jour que Dieu lui donnait, Dieterlen notait, sur un cahier épais, les pensées qui lui venaient à l’esprit, les réflexions que lui inspiraient ses lectures ou ses expériences personnelles, les scènes bienfaisantes, ou douloureuses, ou simplement pittoresques auxquelles il avait assisté.

A Strasbourg, il habita longtemps un appartement des plus modestes, au no 15 du quai des Pêcheurs. Mais le jour vint où les soins du ménage excédèrent les forces de sa compagne. Alors, plutôt que de s’accorder le luxe coûteux d’une bonne servante, le vieux couple demanda asile à la Maison des diaconesses de Strasbourg, où il put disposer d’une chambre et d’un petit cabinet du travail. Il y vivait dans la plus extrême simplicité. C’est là que notre frère eut la joyeuse surprise, lui qui aimait si fort la patrie française et son gouvernement, d’apprendre sa nomination de chevalier de la Légion d’honneur. Au milieu de novembre, il revint à Paris, recevoir sa croix de mains de son cousin, M. Edouard Gruner, alors président de la Société des missions. En même temps, il baptisa son premier arrière-petit-fils. Mais il parut bien amaigri, bien vieilli, bien usé aux rares parents ou amis qui le revirent à cette occasion.

En effet, rentré à Strasbourg, il ne tarda pas à être immobilisé par un mal particulièrement douloureux, qui eût exigé une intervention chirurgicale, si le malade avait été de force à la supporter. Il déclina alors rapidement, puis une pleurésie se déclara, et ce furent des souffrances nouvelles et très vives. La fin fut pourtant très douce, et il s’éteignit, le dimanche 8 janvier 1933.

(Texte abrégé du très bel article nécrologique consacré par Jean Bianquis à Hermann Dieterlen, Journal des missions, 1933, p. 91 à 100.)


Notes:

  1. Mère des regrettés Paul et Alfred Boegner et de leurs sœurs.

  2. Mère de Mme Edouard Gruner, des Drs Engelbach, etc.

  3. Hermann Dieterlen: L’Enclos, souvenirs d’enfance, Berger-Levrault, MDCCCCXII.

  4. Novembre 1874, p. 407-421.

  5. Sur la demande de ses lecteurs, il a lui-même réuni un certain nombre de ces méditations en deux volumes, sous ces titres: Entretiens familiers, 1901 et Dieu dans la vie, 1930.

  6. Après la mort de Dieterlen, la Quinzaine protestante, dans son numéro du 16 janvier, a encore publié une savoureuse méditation, intitulée: “La vie est courte,” et un admirable article de M. Benjamin Vallotton sur notre ami disparu.


Bibliographie

(établie par Marie-Christine Held)

Les Adieux de H. D. à l’Eglise de Rothau en 1874. Nancy, Berger-Levrault, 1875.

Bahlankana ba Fora (Jeunes Français pendant la guerre). Morija, Sesuto Book Depot, 1918.

Bukana ea Moleli. Morija, Sesuto Book Depot, 1913.

Eugène Casalis (1812-1891). Paris, S.M.E.P., 1930.

De la prière. Paris, Ch. Meyrueis, 1859.

Dieu dans la vie: méditations. Paris, Berger-Levrault, 1930.

Entretiens familiers. Paris-Nancy, Berger-Levrault, 1901.

Esau Le Jakobo, Samsone Moahloli oa Iseraele. Morija, Sesuto Book Depot, 1927.

Hlaloso ea epistole e ngloletsoeng Ba-roma (Commentaires sur l’épître aux Romains). Morija, Sesuto Book Depot, 1908.

François Coillard. Paris, S.M.E.P., 1921. Récits missionnaires illustrés.

Adolphe Mabille. Paris, S.M.E.P., 1898.

Manuel de l’évangéliste. Paris, S.M.E.P., s.d.

La Médecine et les médecins au Lessouto. Paris, S.M.E.P., 1930. Les Cahiers missionnaires, 17.

Meqoqo (Méditations religieuses). Morija, Sesuto Book Depot, 1903.

La Mission au Lessouto. Paris, S.M.E.P., 1904.

Les Missions: à nos enfants, écoles du jeudi et dimanche. 1893.

Les Missions et la question sociale en Afrique australe. Paris, S.M.E.P., Christianisme social, 1921.

Les Missions, une chose extraordinaire. Paris, S.M.E.P., 1904.

Notes sur l’histoire du peuple sotho. Paris, Christianisme social, 1924.

Palestine kamoo e neng e le kateng mehteng ea Yesu. Morija, Sesuto Book Depot, 1902.

Portraits et souvenirs du Lessouto. Paris, S.M.E.P., 1923. Récits missionnaires illustrés.

Zakéa l’évangéliste. Paris, S.M.E.P., 1921. Traités missionnaires.

Pourquoi les missions? Réflexions d’un missionnaire. Paris, S.M.E.P., 1904.

Pourquoi les Noirs ne tuent plus certains enfants. Paris, S.M.E.P., 1926. Récits missionnaires illustrés.

Un missionnaire sans le savoir. Paris, S.M.E.P., 1884.

Sesuto-English dictionary, en collaboration avec Adolphe Mabille. Morija, Sesuto Book Depot, 1911.

Southern Sotho-English dictionary, en collaboration avec Adolphe Mabille et R.-A. Paroz. Morija, Sesuto Book Depot, 1950.

Vocation: aux collecteurs du sou missionnaire. Paris, S.M.E.P., 1904.

Entre missionnaires: correspondance. Paris, S.M.E.P., 1885.

Sur Hermann Dieterlen

Mrs. A. J. Lamont Smith, notice sur Hermann Dieterlen dans Dictionary of South African Biography, p. 244-245.


Cet article, réimprîmé ici avec permission, est tiré d’Hommes et Destins: Dictionnaire biographique d’Outre-Mer, tome 9, publié en 1977 par l’Académie des Sciences d’Outre-Mer (15, rue la Pérouse, 75116 Paris, France). Tous droits réservés.