Collection DIBICA Classique

Tous les articles créés ou soumis au cours des vingt premières années du projet, de 1995 à 2015.

Berthieu, Jacques

1838-1896
Église Catholique
Madagascar

Fils de paysans de très modeste situation, mais profondément chrétiens, le Père Jacques Berthieu devait être promu aux plus hauts honneurs qu’il est possible à un homme d’atteindre ici-bas, ceux des autels.

Il était né le 27 novembre 1838, au cœur du Massif Central, à la ferme de Monlogis, près de Polminhac, dans le Cantal. Son enfance se déroule, laborieuse et studieuse, dans le cadre de sa famille où la mort prématurée d’une sœur plus âgée a fait de lui l’aîné de six enfants, puis au petit et au grand séminaires du diocèse de Saint-Flour. Ordonné prêtre le 21 mai 1864, il est nommé par son évêque, Monseigneur de Pompignac, vicaire à Roannes-Saint Mary, d’un curé âgé et infirme.

Les années passent. Il se sent attiré par la vie religieuse et obtient de son évêque l’autorisation de suivre cet appel. Il entre le 31 octobre 1873 au noviciat de la Compagnie de Jésus, à Pau.

Tandis qu’il poursuit sa formation religieuse au scolasticat de Vals près du Puy, il entend un nouvel appel, et demande à ses supérieurs d’être envoyé en pays de mission. Dans une lettre datée du 28 juillet 1875, il confie à l’un de ses amis: “Je suis désigné comme futur apôtre des Malgaches (Madagascar) ; devant quitter Vals à la fin du mois d’août, et Marseille et la France le 26 septembre, pour ne plus y revenir sans doute, et je ne le désire pas”.

Il arrive à Tamatave le 10 décembre 1875 pour apprendre que le supérieur de la mission, le Père Cazet, l’a nommé à l’île Sainte-Marie. Il étudie la langue et s’initie à la vie missionnaire, heureux, se souvenant qu’il est fils de paysans, de cultiver le potager qui fait vivre la maison.

En application des décrets de 1880 qui interdisent aux membres des congrégations religieuses non autorisées de séjourner en territoire français, les Jésuites doivent quitter Sainte-Marie, qui est rattachée à la France depuis 1750. Le Père Berthieu quitte l’île dans les premiers jours d’octobre 1881.

Il est envoyé dans le poste de la mission le plus éloigné de Tananarive, à Ambohimandroso, aux confins du Betsileo et du pays bara. Mais en juin 1883 la première guerre franco-hova l’oblige avec neuf autres Pères, sept Frères et quatre Sœurs de Saint Joseph de Cluny à rejoindre Mananjary, à pied, souvent à marche forcée. Une goélette anglaise pouvant contenir six passagers les transporte tous “littéralement entassés comme des sardines”, à Tamatave où ils arrivent le 10 juillet.

Un an et demi il “se morfond à Tamatave,” ainsi qu’il l’écrit, “loin de mon pauvre troupeau abandonné et exposé.” Il s’engage comme aumônier volontaire, et reprend la “vraie vie de missionnaire,” à Vohémar, au nord-est de Madagascar… Il s’agit d’aller fonder ou essayer une fondation en un terrain tout neuf encore.

Dès la signature du traité le 17 décembre 1885, le P. Berthieu a hâte de retrouver ses fidèles, mais il est nommé supérieur de la mission d’Ambositra. À son arrivée, au début de 1886, il trouve six postes de campagne à desservir; il en laissa quinze à son départ en 1891. Il a confié à cette occasion: “Ce n’est pas sans un serrement de cœur que j’ai quitté Ambositra, après cinq ans et demi de séjour, d’œuvres, et de souffrances”.

Son nouveau champ d’apostolat est Andrainarivo, au nord de Tananarive, “à huit heures de cheval, bon train, sans s’amuser”. Il ajoute: “J’ai commencé la vie de vrai missionnaire, seul, sans compagnon, dans un vaste district. J’ai dix-huit postes ou paroisses à desservir, parfois très éloignés les uns des autres.”

Mais la seconde guerre franco-hova l’oblige à un nouvel exil, plus court cette fois, et il est de retour en décembre 1895, après treize mois d’absence.

Si la paix est signée, elle ne règne pas dans les esprits. Un soulèvement, suscité par les Menalamba (ceux qui portent des lamba rouges), parti de l’ouest de l’Imerina gagne le nord. Les derniers événements qui viennent de frapper le pays, répètent les meneurs, ont pour cause l’abandon du culte des Ancêtres. Sans distinguer entre le politique et le religieux, les insurgés s’en prennent à tout ce qui est étranger. Ils ont réussi à s’infiltrer dans la région d’Andrainarivo. La population doit être évacuée par ordre de l’autorité militaire. Le P. Berthieu a un cheval, il pourrait prendre les devants; il lie son sort à celui des habitants, prête sa monture à un employé de la mission qu’une plaie au pied empêche de marcher. C’est ainsi qu’il tombe entre les mains d’une bande de Menalamba dans l’après-midi du 8 juin 1896. “Renonce à ta vilaine religion, n’égare plus le peuple,” lui dit le chef, “nous te prendrons pour faire de toi notre chef et notre conseiller, nous ne te tuerons pas” - “Je ne puis absolument pas consentir à cela; je préfère mourir!”, répond le Père, qui s’agenouille. Quelques minutes après il reçoit une décharge de fusil; un coup à bout portant l’achève. Son corps est trainé jusqu’à la Mananara et jeté dans les eaux.

Le 10 octobre 1916, Mgr de Saune, vicaire apostolique de Tananarive, a chargé une commission d’enquête sur les circonstances exactes de sa mort. En 1933 à la demande de la Sacrée Congrégation des Rites, s’ouvre le procès de l’Ordinaire qui aboutit, le 8 avril 1964, à la déclaration officielle par Paul VI du martyre du P. Berthieu. Celui-ci a été proclamé Bienheureux le 17 octobre 1965.

Bernard Blot


Bibliographie

Adrien Boudou - Le Père Jacques Berthieu.

Monseigneur SARTRE - Jacques Berthieu s.j. Premier Martyr de l’Ile Rouge.

Bernard BLOT - Il les aima jusqu’à la fin : le Père Jacques Berthieu.


Cet article, réimprîmé ici avec permission, est tiré d’Hommes et Destins: Dictionnaire biographique d’Outre-Mer, tome 3, publié en 1977 par l’Académie des Sciences d’Outre-Mer (15, rue la Pérouse, 75116 Paris, France). Tous droits réservés.