Collection DIBICA Classique

Tous les articles créés ou soumis au cours des vingt premières années du projet, de 1995 à 2015.

Cazet, Jean-Baptiste

1827-1918
Église Catholique
Madagascar

Jean-Baptiste Cazet naquit le 31 juillet 1827 à Jurançon, près de Pau (Basses Pyrénées) dans une famille dont les profondes convictions religieuses inspira l’éducation qu’il reçut jusqu’à son entrée au noviciat de la Compagnie de Jésus, à Toulouse, le 20 janvier 1848. Il fut ordonné prêtre à Vals près Le Puy (Haute-Loire) le 25 mai 1861.

Il fit son “troisième an” comme socius du P. Ginhac, alors maître des novices, à Toulouse. Doué d’un esprit précis, plus porté au réel qu’à la spéculation, ses amis voyaient en lui un successeur du P. Gury dans l’enseignement de la théologie morale.

En dépit d’une santé qui paraissait fragile, il demande à être envoyé dans la “Mission des Iles.” Il arrive à la Réunion le 30 juillet 1864, désigné pour remplacer le Père Jouen dans la charge de supérieur régulier de la mission. Il entre en fonction le 25 octobre. Son lieu de résidence reste Saint Denis de la Réunion, mais il fait de fréquents séjours à Madagascar, afin de guider les religieux qui dépendent de lui.

En 1872, à la mort du Père Jouen qui était resté Préfet Apostolique, il est appelé à lui succéder dans cette nouvelle fonction, et vient s’établir à Tananarive.

À partir de cette date sa biographie se confond avec l’histoire de la mission catholique à Madagascar. Pendant quarante ans, grâce à la clairvoyance avec laquelle il jugeait les situations les plus complexes, par la fermeté de ses décisions et surtout par la loyauté qu’il apportait dans les affaires qu’il traitait, il sera le chef incontesté qui présidera au développement de l’Église, dans le vaste territoire dont il porte la responsabilité.

Le Père de la Devèze, qui l’a connu, écrira de lui: “Mgr Cazet ne s’est pas fait un seul ennemi. À Paris comme à Tananarive, on savait qu’il disait vrai, qu’il voyait juste et qu’il était absolument désintéressé.”

Il commence sa carrière sous la monarchie merina et le gouvernement de Rainilaiarivony. Il la terminera sous l’administration française, ayant eu affaire avec quatre résidents (Le Myre de Vilers, Bompart, Larrouy et Laroche) et trois gouverneurs généraux (Galliéni, Augagneur et Picquié). Malgré de profondes divergences de vue qui, à diverses reprises, créèrent un climat de tension entre la mission catholique et le pouvoir civil, il inspira à tous un sentiment de respect, qui parfois devint de la vénération.

Deux guerres (1883-1885 et 1894-1895) vinrent interrompre, sinon compromettre, la tâche qu’il poursuivait. Elles furent sans doute les deux plus grandes épreuves de sa vie. Pendant la première de ces guerres, en juillet 1884, désolé d’avoir abandonné les 24 000 baptisés et les 60 000 catéchumènes que comptait alors sa mission, il n’hésita pas à solliciter de Rainilaiarivony l’autorisation de revenir à Tananarive les réconforter par sa présence. Ses demandes réitérées restèrent sans réponse.

Sous son impulsion la mission catholique avait pris de tels développements qu’en cette même année 1884, Léon XIII décida de l’ériger en vicariat apostolique, placé sous sa houlette. Il fut sacré évêque à Lourdes le 11 octobre 1885, et était de retour à Tananarive le samedi saint 1886, pour célébrer sa première grand’messe pontificale en terre malgache, le lendemain, fête de Pâques, en la cathédrale d’Andohalo.

Cette cathédrale qu’il avait voulue, il en avait béni la première pierre le 8 mai 1873. Bien qu’elle n’était pas encore achevée, et que sa consécration ne devait avoir lieu que le 17 décembre 1890, elle servait déjà au culte depuis 1878.

Un de ses premiers gestes, à son retour dans sa mission, en qualité d’évêque, et qui révèle ses sentiments intimes, fut d’aller rendre visite aux malades de la léproserie de la mission, et de leur porter ses premières bénédictions. Dans les semaines qui suivent il multiplie les tournées dans les postes de campagne, partageant les conditions de vie des broussards d’alors. Il confie un jour à l’un de ses correspondants: “Je suis assis par terre sur une natte, j’écris sur mes genoux; un livre et un journal me servent de table.”

Grâce à ses directives la mission élargit à la fois son champ d’action et son rayonnement. Durant la période où il la conduisit (1872-1911): à Tananarive, ouverture de deux nouvelles paroisses; en Imerina, création de quinze districts missionnaires; dans le Vakinankaratra, quatre; au Betsiléo, 23 ; et sur la côte est, Mananjary en 1873. En 1888, ouverture à Ambohipo du collège Saint Michel, qui sera transféré à Tananarive (Amparibe) en 1900. En 1889, fondation de l’observatoire d’Ambohidempona que dirige le Père Colin. En 1897, création de l’école normale des catéchistes à Ambohipo.

Un seul vicariat apostolique s’étendant sur l’île entière était un champ trop vaste pour une seule congrégation. Mgr Cazet fait appel aux Lazaristes qui arrivent à Fort-Dauphin le 7 avril 1896, et prennent en charge tout le territoire situé au sud du 22e parallèle. Répondant à leur tour à une demande semblable, les Pères du Saint Esprit reçoivent, en 1898, le nord du 18e parallèle et s’établissent à Doégo Suarez. L’année suivante, les Pères de la Salette viennent assurer la relève des Jésuites dans le Vakinankaratra; 1900 est marqué par l’arrivée des Sœurs de la Providence et des Franciscaines Missionnaires de Marie; 1901 par celle des Jésuites de la Providence de Champagne qui reçoivent en partage la mission du Betsiléo.

Le dernier acte du long épiscopat de Mgr Cazet sera l’ouverture en 1911, dans les locaux du collège Saint Michel, d’un petit séminaire où se formeront les futurs prêtres diocésains malgaches. Auparavant le Vicaire Apostolique avait eu la joie de voir arriver au sacerdoce plusieurs Jésuites originaires de la mission, et même de conférer lui-même l’ordination sacerdotale au second d’entre eux, le Père Venance Manifatra, dans la cathédrale de Tananarive, le 23 mars 1896.

Convaincu du rôle que l’enseignement était appelé à jouer tant sur le plan humain qu’en vue de la formation chrétienne, dès son entrée en charge il encouragea les écoles de la mission. Le nombre des élèves des écoles catholiques passa de 3000 environ en 1872 à 82 700 en 1900, pour retomber à 7400 en 1910.

Cette chute brutale est due au décret que signa Augagneur le 23 novembre 1906, qui, interdisant de tenir les classes dans les locaux qui servaient aux réunions de prière le dimanche, sur les 1200 écoles que dirigeait la mission catholique dans le seul vicariat de Tananarive, en ferma 900.

Déjà d’autres épreuves étaient venues le frapper au cours de sa longue carrière. En 1890, il avait été condamné par le tribunal français de Tananarive pour avoir mis ses fidèles en garde contre l’influence de la franc-maçonnerie. En application des lois votées en France contre les congrégations religieuses, un procès tenu en 1911 lui refusa l’immatriculation des propriétés appartenant à la mission. En 1908 d’abord, puis en 1910, il sollicita l’autorisation d’être enterré dans la cathédrale qu’il avait construite. Cette demande lui fut refusée. La sérénité avec laquelle il supporta ces avanies étonna tous ceux qui recevaient alors ses confidences.

À partir de 1900, âgé de 73 ans, il sent ses forces baisser, et se décharge d’une partie du labeur qui lui incombe sur le coadjuteur qui lui est donné en la personne de Mgr Henri de Saune.

Une chute, en 1911, le rend infirme des jambes, laissant intacte toute la lucidité de son esprit. Il offre sa démission et laisse à son successeur un vicariat, qu’il avait reçu avec moins de 2 000 fidèles et, qui malgré les divisions de 1896 (Fort-Dauphin) et de 1898 (Diégo-Suarez), en compte 183 000.

Condamné à l’immobilité, celui qui avait animé la mission catholique de Madagascar pendant près de quarante ans, passa les six dernières années de sa vie dans un fauteuil, acceptant sans jamais se plaindre, le sort qui était le sien. À l’un de ses visiteurs qui le complimentait un jour sur sa mine, il répondit: “Ce n’est pas à la mine que j’ai mal, mon général; c’est à la jambe!”

Il rendit le dernier soupir le 6 mars 1918. Prononçant son éloge funèbre, le Père Venance Manifatra cita le mot qu’il venait de recueillir sur les lèvres d’un ami de la mission: “Monseigneur Cazet fut le conquérant moral de Madagascar.”

Bernard Blot


Bibliographie

De la Devèze, “Monseigneur Jean-Baptiste Cazet,” dans La Mission de Madagascar, Vicariat de Tananarive, no. 11, décembre 1919, pp. 203-225.

A. Boudou, Les Jésuites à Madagascar au XIXe siècle, t. II. ——–, La Mission de Tananarive.


Cet article, réimprîmé ici avec permission, est tiré d’Hommes et Destins: Dictionnaire biographique d’Outre-Mer, tome 3, publié en 1977 par l’Académie des Sciences d’Outre-Mer (15, rue la Pérouse, 75116 Paris, France). Tous droits réservés.