Collection DIBICA Classique

Tous les articles créés ou soumis au cours des vingt premières années du projet, de 1995 à 2015.

Frachey, Jacques

1617-1667
Église Catholique
Madagascar

Fils d’un notaire aisé, Jacques Frachey naquit dans le hameau de Frachey (Val d’Aoste). Au collège d’Aoste jusqu’à la rhétorique il séjourna ensuite quelque temps à Porrentruy (Suisse). Docteur en Théologie, il fut ordonné prêtre le 24 septembre 1650 à Ivrée. Il sert alors dans diverses paroisses, La Salle, puis La Thuile en 1657. C’est là semble-t-il, qu’il décida de partir en mission. Il se fait remplacer et s’en va à Rome. Le Pape Alexandre VII admet Jacques Frachey au collège de La Propagande, puis aux Missions Étrangères à Paris. Il désire d’abord partir en Chine en décembre 1660, mais une grave maladie retarde son départ.

C’est alors que le Maréchal, Duc de la Meilleraye équipe un navire pour Madagascar à Saint-Nazaire. Le Maréchal donne passage aux missionnaires qui veulent aller s’installer dans l’île, il part avec deux autres prêtres pour Saint-Nazaire et le navire appareille le 29 mai 1663. La traversée est longue et difficile, elle dure quatre mois et l’équipage et les passagers sont très éprouvés par le scorbut. A la fin de septembre 1663 le navire aborde Madagascar. Dans une lettre à ses parents du 20 janvier 1664, Jacques Frachey qui est à Fort-Dauphin décrit l’île et ses habitants:

Montueuse et sillonnée de rivières, cette région tropicale est extrêmement chaude; située sous le Capricorne, les saisons s’y succèdent en sens inverse de l’Europe; les nuits de l’hiver y sont moins longues; l’été y est la saison de pluies très abondantes; les nombreuses forêts de l’île abondent de citronniers, de grenadiers, d’orangers etc. Les fruits de l’Europe, les céréales surtout, le riz excepté, n’y trouvent pas leur terrain à cause de l’excès de la chaleur. La vigne n’y est pas cultivée; elle y réussirait fort bien cependant, comme il a pu en juger par une treille qu’il avait découverte par hasard. On n’y récolte pas même le vin pour la messe. On y boit du vin de miel qui ne manque pas de saveur. Mais dans la région où se trouve notre compatriote la guerre avait tout mis à sac; l’unique boisson est l’eau, l’unique nourriture est le riz passé à trois bouillons, qu’on mange à demi-sec, et quelques poissons.

D’un caractère très doux, confiants et sans prévention aucune, les indigènes se rendent très aisément aux enseignements, aux exhortations du missionnaire. Dès qu’ils ont compris un point de la doctrine chrétienne, ils s’écrient ingénument: “voilà qui est beau, voilà qui est bon!”

C’est que, livrés à eux-mêmes, nul maître, nul sectaire n’avait encore inoculé le doute ou le préjugé dans leur esprit candide et naïf.

Extrêmement pauvres et un peu indolents, ils marchent nus, les reins seulement couverts d’une bande de méchante étoffe; la femme n’est pas dépourvue de pudeur, quoique cette vertu soit peut-être la moins respectée des indigènes.

A part cela, ils semblent n’avoir presque pas d’inclinations perverses; ils s’aiment singulièrement entre eux et ont pour le missionnaire beaucoup de respect et de confiance.

Se nourrissant maigrement d’un peu de riz et surtout de racines, ils languissent dans la misère; ils ont rarement de quoi se rassasier pleinement”.

Deux ans après l’arrivée de Jacques Frachey d’autres missionnaires Lazaristes arrivent à Madagascar.

Frachey a-t-il subi des mauvais traitements?

Le prévôt Jean-Pierre Dondeynaz (1721-1802) écrit à ce sujet:

S’il en faut croire des personnes âgées de la paroisse de son origine qui étaient, dans leur jeunesse, au temps de sa mort, et l’ont rapporté un peu avant le milieu de ce siècle à l’auteur de ce mémoire et à d’autres ses contemporains et patriotes, les infidèles ont exercé envers le missionnaire valdôtain plusieurs cruautés, entre autres celle de couper les extrémités de ses pieds pour le mettre dans l’impossibilité de continuer ses courses pastorales.

Mais le Chanoine Séraphin-Bruno Vuillermin (1854-1922) fait justice de cette assertion. En face d’une respectable tradition locale, il y a pour en douter des raisons très graves. En effet:

1) L’éloge que notre missionnaire fait lui-même de la douceur et de la bonté du caractère des Malgaches ne saurait convenir à des peuplades farouches qui se seraient ruées cruellement sur un homme de Dieu.

2) Le silence que gardent là-dessus les archives du Séminaire des Missions étrangères, en général si jalouses de conserver des détails aussi glorieux, serait inexplicables si le fait avait eu lieu.

3) Enfin peut-on supposer qu’un homme à qui on aurait sauvagement rogné l’extrémité des pieds eût encore été jugé capable d’entreprendre les fatigues et les courses d’une nouvelle expédition apostolique? C’est néanmoins le mandat que nous allons voir confier à M. Frachey.

Telles sont les principales raisons qui nous font sincèrement douter des fondements sur lesquels reposerait la tradition consignée par le très respectable prévôt Dondeynaz.

C’est alors que dix missionnaires des Missions Étrangères partent en 1666 de La Rochelle avec l’expédition de Mondevergue.

“C’était, dit encore Vuillermin, M. de Bourges, prêtre à Paris, vicaire général de Mgr de La Motte-Lambert, évêque de Bérythe, premier vicaire apostolique de la Cochinchine qui était revenu en France, pour les affaires de la mission; il fut plus tard sacré évêque et vicaire apostolique d’Auren; puis sous sa direction, M. Lambert, frère de l’évêque de Bérythe, M. Guiart, parisien, M. Boucharde de Lisieux, licencié de Sorbonne, M. Mahot de Séez, qui fut évêque de Bide, et vicaire-apostolique de la Cochinchine, et M. Savary de Poitiers, qui mourut en route.

Ils s’embarquent sur le vaisseau de M. de Mondevergue, vice-roi et amiral des Indes, recommandés qu’ils étaient par M. de Colbert, ministre du roi.

Après des péripéties et des tempêtes effroyables on aborda à Madagascar le 10 Mars 1667. Là, les missionnaires furent logés chez les prêtres de la Mission de la Congrégation de Saint-Lazare de Paris. Fort-Dauphin n’était guère qu’un village de paillotes.

Ces derniers ne voulurent pas laisser échapper une si belle occasion sans proposer, avant de se séparer, une mission en forme pour les nouveaux-venus de l’escadre, qui montaient à plus de sept cents personnes.

Cette mission commença trois semaines après leur arrivée, lorsqu’on eut eu assez de loisir pour se délasser des fatigues du voyage; elle fut très heureuse, car le succès fut si considérable qu’excepté ceux de la religion protestante, il n’y eut point de catholique qui ne fit une confession générale. Les officiers en donnèrent l’exemple aux subalternes, et c’était à qui ferait paraître plus de zèle et d’assiduité. On y prêchait trois fois le jour; et il y avait un grand catéchisme à deux heures de l’après-midi. L’église n’était pas suffisante pour contenir ceux qui assistaient à la prière du soir.

En cette occasion trente Malgaches reçurent le baptême.

Le P. Jacques Frachey se joint donc à ce groupe de missionnaires qui part vers le Siam à travers l’Inde. Le scorbut se déclare à bord du navire qui les transporte, le P. Frachey en est atteint mais guérit.

Après avoir abordé à Sourate il parvient à Golconde près d’Hydérabad. C’est là que Jacques Frachey expire en 1667. C’est le premier missionnaire Valdotain et c’est l’un des premiers missionnaires catholiques de Madagascar.

Robert Cornevin


Bibliographie

Chanoine Seraphin B. Vuillermin, M. Frachey dans Missionnaires Valdotains chez les infidèles, Aoste, 1895, p. 25-62.

Abbé Henry, Histoire populaire religieuse et civile de la vallée d’Aoste, société éditrice valdotaine (imprimerie catholique) 1929, p. 215.

…et mes vifs remerciements au Professeur Lin Coillard, Directeur des archives du Val d’Aoste pour m’avoir fourni ces informations aussi précises sur ce missionnaire.


Cet article, réimprîmé ici avec permission, est tiré d’Hommes et Destins: Dictionnaire biographique d’Outre-Mer, tome 3, publié en 1977 par l’Académie des Sciences d’Outre-Mer (15, rue la Pérouse, 75116 Paris, France). Tous droits réservés.