Collection DIBICA Classique

Tous les articles créés ou soumis au cours des vingt premières années du projet, de 1995 à 2015.

Jouen, R. P. Louis

1805-1872
Église Catholique
Madagascar

Né à Toutainville, près de Pont Audemer, dans l’Eure, le 19 juin 1805, Louis Jouen commença à l’âge de douze ans, au petit séminaire de Saint-Nicolas du Chardonnet, les études secondaires et cléricales qui devaient le conduire à recevoir l’ordination sacerdotale le 5 juin 1830.

Il est successivement vicaire à Saint-Nicolas du Chardonnet et secrétaire de Mgr Mathieu (le futur cardinal) à Langres et à Besançon, puis entre au noviciat de la Compagnie de Jésus à Avignon le 3 septembre 1839.

En 1845, alors qu’il commence à se faire une réputation de prédicateur de talent, à Aix où il est en résidence, il se sent appelé à aller travailler dans les missions lointaines et s’offre pour la Chine. Le Général de la Compagnie de jésus, le Père Roothaan, lui répond le 8 novembre de cette année: “Au lieu de la mission de Chine, le Seigneur vous destine celle de l’île Bourbon et de Madagascar.” Déjá ses supérieurs pensaient à lui pour remplacer le Père Cotain à la tête de la mission naissante.

Il s’embarque dans les premiers jours de mars 1846 avec le Père Finaz (voir ce nom) et le Frère Lebrot, arrive à Bourbon (La Réunion) le 5 juin suivant, et entre en charge le 2 juillet.

Sa position est délicate. Supérieur religieux des Jésuites qui travaillent dans la mission - quatre prêtres et deux frères coadjuteurs - il en porte la responsabilité au spirituel, tandis que le supérieur ecclésiastique, chargé d’organiser le travail apostolique, est le fondateur de la mission, M. Dalmond (voir ce nom).

Le premier geste du P. Jouen fut d’envoyer son compagnon de voyage, le P. Finaz se mettre à la disposition de M. Dalmond à Nosy Bé. Dès sa première entrevue avec M. Dalmond, qui eut lieu à Bourbon le 26 novembre 1846, un accord est passé qui distingue dans le territoire sur lequel s’étend la juridiction de M. Dalmond deux missions-sœurs: la mission coloniale constituée par les comptoirs français (Sainte Marie, Nosy Bé, Mayotte) et la mission malgache proprement dite qui s’étend sur Madagascar et les îles adjacentes. La première est confiée aux Pères du Séminaire du Saint Esprit, la seconde aux Jésuites. M. Dalmond reste le responsable de l’ensemble avec le titre de Préfet Apostolique. Il nomme le Père Jouen Vice-Préfet.

Mais Madagascar, – la Grande Terre, comme l’on disait alors - du moins la portion du territoire placée sous l’autorité de Ranavalona I, reste fermée à toute pénétration missionnaire. Les Jésuites, dans ces conjonctures, ne peuvent que tenter des expériences missionnaires, qui seront plus ou moins couronnées de succès, dans les “Petites Iles”.

Après avoir envoyé le P. Cotain à Mayotte et le Père Mathieu à Sainte Marie, le P. Jouen quitte Bourbon en décembre 1846 pour Nosy Bé, où il arrive le jour de Noël.

Après un premier séjour de huit mois au milieu des populations auxquelles il est venu apporter l’évangile et qu’il apprend à connaître, il retourne à Bourbon qui lui tient lieu de quartier général.

En attendant que Madagascar accueille les missionnaires, il accueille, dans la propriété de la Ressource, de jeunes Malgaches que les Pères et les Frères forment à la vie chrétienne, en leur apprenant divers métiers manuels. Il prévoit que ces élèves - ils dépasseront la centaine en 1851 - seront les futurs catéchistes de Madagascar. Certains parlent déjà de séminaire. En effet, le premier prêtre jésuite, le Père Basilide Rahidy (voir ce nom) aura été un des premiers élèves de cet établissement.

Bien qu’il ne réussît jamais lui-même à parler aisément le malgache, il encourage les travaux littéraires. Une imprimerie est installée à la Ressource, d’où sortent des livres destinés à répandre les idées chrétiennes parmi les populations de Madagascar: catéchisme en malgache, recueils de prières et de cantiques, traduction de l’Histoire Sainte, etc.

En 1848, un voyage conduira M. Dalmond jusqu’aux Seychelles, qu’il était alors question de rattacher à la mission malgache. Ce projet sera abandonné, et la mission des Seychelles confiée aux Pères Capucins (1853).

Après la mort de M. Dalmond (1846) et de Mgr Monnet (1849), le Père Jouen est nommé Préfet Apostolique de Madagascar et les îles adjacentes, en cumulant cette charge avec celle de supérieur régulier des membres de la Compagnie de Jésus.

Épiant les occasions de s’établir à Madagascar, l’année 1853 le ramène à la baie de Baly, en compagnie du P. Goré et du F. Remacle, sur la cote nord-ouest de Madagascar, où il avait fait un premier séjour en l’année précédente. Le roi Sakalava Reboky, “bon et respectable vieillard,” conclut un accord avec lui. La mission catholique fonde son premier poste sur la Grande Terre, près du village de Mahagolo. Une chapelle est construite, a écrit la Père: “ce 5 août, nous avons célébré la messe dans notre nouvelle maison et pris ainsi possession de la Grande Terre et de la première habitation qu’il nous ait été donné d’élever dans cette partie de la côte Ouest”.

Les missionnaires s’accrochèrent tant qu’ils le purent à cette première station, mais sans résultat. La baie de Baly servait au trafic des esclaves. Plusieurs navires furent capturés et pillés par les populations riveraines. Le 13 février 1859, un bâtiment français arrive, un officier, de la part du commandant, somme les missionnaires de s’embarquer, et le village est bombardé. “Six mois après cet évènement, a écrit le P. Jouen, la corvette reparaissait dans la baie de Baly. Les villages incendiés avaient été rebâtis…Une seule chose n’avait pas changé, c’étaient les ruines de la Mission. Je les ai visitées non sans quelque émotion, comme le soldat qui revoit le champ où il a bivouaqué et souffert.”

De la Réunion où il séjourne habituellement le P. Jouen a compris que rien de décisif ne se ferait tant que la mission ne réussirait pas à s’installer à Tananarive. Il guette les occasions d’y envoyer des avant-gardes.

Le 6 avril 1855, M. Lambert, traitant, de Maurice, vient lui offrir de conduire un Père à Tamatave, avec, éventuellement, la possibilité de gagner Tananarive. Le Père Jouen propose au Père Finaz de tenter cette aventure. Sous le nom d’emprunt de M. Hervier, celui-ci séjournera à Tananarive, hôte de Jean Laborde (voir ce nom) jusqu’en juillet 1857.

A cette date, le Père Jouen lui-même et le P. Webber, cachant eux aussi leur véritable identité sous des pseudonymes, auront réussi à monter à Tananarive et à faire la connaissance du Prince Rakoto, le futur Radama II.

Dès L’avènement de ce prince, le 16 août 1861, les missionnaires reprennent le chemin de Tananarive. Le Père Jouen, le P. Webber et le F. Lebrot débarquent à Tamatave le 22 août. Le 23 septembre le P. Webber est à Tananarive, le lendemain il est reçut par le jeune roi qui lui donne “toute latitude de prêcher la Religion, ouvertement, avec le plus d’éclat possible.”

Le P. Jouen, après un voyage pénible au cours duquel il fit une chute qui faillit lui coûter la vie, rejoint Tananarive le 12 octobre.

Il lui incombe d’organiser la mission dans les perspectives nouvelles, pleines d’espoir, qui sont devenues les siennes. Une tâche immense s’ouvre devant lui, mais il a trop attendu l’heure où Tananarive pourrait devenir le centre de la mission pour ne pas y concentrer tous les moyens dont il dispose, sans dégarnir pour autant les postes déjà fondés à la Réunion et sur les côtes de Madagascar. Or, en cette fin d’année 1861, la Préfecture Apostolique compte 39 prêtres et 25 frères coadjuteurs.

En 1866, année de l’arrivée à Madagascar des Frères des Écoles Chrétiennes qui viendront assurer la relève des Pères à l’école de Tananarive, la mission dirige déjà quatre paroisses en ville, une dans la banlieue, trois écoles de garçons et cinq pour les filles.

Les Sœurs de Saint Joseph de Cluny sont, en effet, arrivées à Tamatave le 23 octobre 1861, à Tananarive le 11 novembre suivant et, sans tarder, ont ouvert des écoles dans chacune de ces villes. Une de leurs premières élèves dans la capitale avait été une des nièces du Premier Ministre, Rasoamanarivo, (voir ce nom) alors âgée de 13 ans, qui devait être l’angle tutélaire des catholiques pendant la guerre de 1883-1885.

Les relations entre le Père Jouen et Radama II sont telles que le 15 août 1862, le roi et son épouse Rabodo viennent assister à une messe que le Père célébra pour eux à l’église d’Andohalo. Le 23 septembre suivant, avant la cérémonie du couronnement du jeune souverain qui devait se dérouler à Mahamasina, le Père Jouen célébra la messe dans le palais en présence du roi, de la reine, du Père Finaz et de Jean Laborde. Après avoir béni la couronne, il la déposa sur le front du nouveau monarque, en disant: “Sire, c’est au nom de Dieu que je vous couronne, Régnez longtemps pour la gloire de votre nom et pour le bonheur de votre peuple!”

La tragique disparition de Radama II en la nuit du 11 mai 1863 fut cruellement ressentie par tous les missionnaires, en particulier par le P. Jouen qui, dès les premiers jours de 1862 avait envoyé au Ministre des Affaires Étrangères de Paris, une notice où il parlait du jeune roi en des termes qu’il faut relire dans les perspectives de l’époque pour en apprécier l’objectivité!

En 1864, le Père Cazet (voir ce nom) arrive dans la mission. Il est désigné pour remplacer dans la charge de supérieur religieux le Père Jouen qui reste Préfet Apostolique. Pendant les huit dernières années de sa vie celui qui a présidé à l’établissement de la mission catholique au cœur de Madagascar, continue; comme par le passé, à animer le travail de ses subordonnés.

En 1870, le champ d’action des missionnaires s’étend sur 38 villages situés dans un rayon de huit à dix lieues de la capitale. A Tamatave également la mission s’enracine. Le 23 septembre 1869, le P. Jouen y bénit une nouvelle église destinée à remplacer la chapelle en falafa construite en 1864.

Mais il a dépassé la soixantaine. Sa robuste santé manifestement décline. “Des accès de goutte aux pieds et aux mains, de plus en plus fréquents et violents ne lui laissèrent vers la fin de sa vie que très peu d’instants de repos.”

En août 1872 il part pour Maurice dans l’espoir d’y recueillir des subsides pour sa mission. Il y arrive pour être hospitalisé, et c’est à L’hôpital du Bon et Perpétuel Secours qu’il mourut le 4 janvier 1872. Comme il en avait exprimé le désir ses restes mortels furent ramenés pour être ensevelis en terre malgache. Depuis le 27 janvier 1876 ils reposent dans le cimetière d’Ambohipo. Son souvenir mérite de rester vivant; il fut celui qui a implanté le catholicisme au cœur de l’île.

Bernard Blot


Bibliographie

A. Boudou, Les Jésuites à Madagascar au XIXème siècle, t. I et II.

A. Boudou, La Mission de Tananarive.

De la Vaissière, Madagascar, ses habitants et ses missionnaires. - Almanach religieux du diocèse de Saint-Denis, 1873.


Cet article, réimprîmé ici avec permission, est tiré d’Hommes et Destins: Dictionnaire biographique d’Outre-Mer, tome 3, publié en 1977 par l’Académie des Sciences d’Outre-Mer (15, rue la Pérouse, 75116 Paris, France). Tous droits réservés.