Collection DIBICA Classique

Tous les articles créés ou soumis au cours des vingt premières années du projet, de 1995 à 2015.

Lagleize, Jeanne-Agnès

1883-1944
Église Catholique
Madagascar

Comment une humble fille de Gascogne, sans instruction et sans culture, devint Supérieure Provinciale des Filles de la Charité dans le Sud de Madagascar? Tel fut le destin exceptionnel de Sœur Jeanne-Agnès Lagleize.

Elle naquit en 1883, dans le petit village de Lialores, dans le Gers, où sa famille exploitait une ferme. Toute petite, elle participait aux travaux champêtres en conduisant aux champs le troupeau de dindons. Après l’école du village, elle compléta sa formation ménagère chez les Filles de la Charité de Condom.

À l’âge de dix-huit ans, elle se rend à Auch comme postulante chez les Filles de la Charité et, après trois mois de formation rapide, elle va à Paris pour commencer son année de Séminaire à la Maison-mère, le 24 janvier 1902.

Elle fait preuve des qualités exigées par Saint Vincent de Paul des premières Servantes des Pauvres: humilité, simplicité, charité et, une fois son instruction terminée, elle est affectée à la Maison de la Paroisse Notre-Dame de Bonne Nouvelle, à Paris. Quelle tâche faut-il lui confier? La grammaire et le calcul ne sont pas son fort; ce ne sera donc pas l’école; mais on la trouve “travailleuse et débrouillarde”. Elle sera donc chargée du ravitaillement et de la cuisine. Le 2 février 1907, elle prononce les vœux de sa Consécration qu’elle renouvellera chaque année, conformément à la règle.

En 1909, alors qu’elle passait à la Maison-mère, rue du Bac, elle rencontre une religieuse qui préparait son départ pour Madagascar où la Mission réclame du personnel. Elle lui propose de l’accompagner. Juste le temps de la réflexion et elle accepte.

C’est ainsi que le 29 juin 1909, Sœur Jeanne-Agnès Lagleize débarque à Farafangana. Les religieuses présentes sont absorbées par les soins d’une importante léproserie. On confie à Sœur Lagleize la maison des œuvres dont les activités ont besoin d’une animatrice. Elle se met rapidement à l’apprentissage de la langue malgache, fait des visites aux villages, crée un ouvroir où elle reçoit soixante jeunes filles et leur apprend la couture. Elle reste à ce poste pendant quatorze ans créant à côté de l’ouvroir une école et un dispensaire. Trois religieuses venues en renfort permettent de donner une grande ampleur aux visites de villages et il apparaît opportun de nommer une Sœur Servante, c’est-à-dire une Supérieure, à la Communauté de la maison des œuvres de Farafangana.

C’est Sœur Jeanne-Agnès qui, bien que la plus jeune avec ses 39 ans, se trouve désignée comme Superieure par la Sœur Visitatrice, c’est-à-dire la Sœur responsable de la Province de Madagascar. Par son tact, son expérience des âmes, sa prudence, elle s’acquitte de ses responsabilités à la satisfaction de tous. Elle fait preuve d’une énergie peu commune qui lui permet de faire face à de multiples tâches, et d’aider les autres religieuses de sa Communauté. Elle obtient la création officielle, à Farafangana, le 18 décembre 1926, de l’Association des Enfants de Marie qui lui fournit les meilleures auxiliaires de son apostolat. Sur leur initiative, on recueille les enfants qui, nés un jour néfaste, ont été abandonnés par leurs parents.

En 1931, une envoyée des Supérieurs de Paris est en visite à Madagascar pour étudier l’état de la Mission et les possibilités de remplacer la Visitatrice qui, âgée et fatiguée, doit être rappelée en France. À la suite de ce voyage, la Visitatrice elle-même écrit à Paris, signalant le caractère ouvert et simple, l’esprit dévoué et missionnaire de Sœur Lagleize. Elle mentionne la prospérité des œuvres dont elle a la charge: trois cents enfants à l’école, à l’ouvroir, crèche, dispensaire, ouvroir pour les femmes, catéchisme d’adultes, etc. Elle souligne l’immense influence qu’elle exerce et conclut: “Ma Sœur Lagleize semble toute désignée pour devenir Visitatrice de la Province”.

Sa nomination intervient et elle va se fixer à Fort-Dauphin, siège de la Visitatrice. Elle se rend compte de la grande indigence de la Mission et de la nécessité de faire appel à une aide importante de Paris. Les cases provisoires de la Maison Centrale de Fort-Dauphin ont dix ans d’âge; il faut les reconstruire en dur, de même que la maison des Sœurs de Farafangana détruite par un cyclone. Elle donne une vive impulsion aux écoles qu’il faut confier à des religieuses titulaires du brevet; ces dernières sont rares. En 1938, l’Administration confie à la Communauté la léproserie d’Ampasy; l’année suivante, c’est la création de l’école des filles à Ankazoabo, chez les Bara.

Quelques vocations se révèlent parmi les jeunes filles malgaches; Sœur Lagleize organise à leur intention un “séminaire” avec tout le programme de formation, comme en France. L’expérience aidant, elle se rend compte que la vie des Filles de la Charité n’est pas accessible à toutes. À l’intention de ces bonnes volontés qu’on ne peut écarter, elle crée une œuvre nouvelle, celle des Auxiliatrices de Marie-Immaculée. Les deux premières sont reçues le 14 août 1934 et cette communauté issue du pays se révèlera particulièrement efficace pour l’apostolat en brousse.

Sœur Lagleize s’épuise à la tâche: elle traîne pendant plusieurs années des crises d’asthme qui la fatiguent. À partir de 1940, les années de guerre et la coupure d’avec la France minent son énergie. La Mission souffre de privations. Les populations Antandroy, victimes de la sécheresse, viennent se réfugier à Fort-Dauphin; Sœur Lagleize s’ingénie pour abriter et nourrir ces affamés sur le terrain de la Mission mais c’est pour elle un travail surhumain. En septembre 1944, elle est atteinte par une congestion pulmonaire dont elle se remet très lentement et le 15 novembre de la même année, elle est emportée par une congestion cérébrale.

Telle fut la vie d’une des nombreuses Filles de la Charité qui servirent à Madagascar. Elle illustre l’importance de l’œuvre qu’elles ont accomplie et qui risque d’être ignorée en raison de leur humilité et de leur discrétion.

Raymond Delval


Bibliographie

Vayron, Marie-Anne. Au service des pauvres Malgaches, Sœur Jeanne-Agnès Lagleize, 1883-1944. Edition Spes, Paris, 1952.


Cet article, réimprîmé ici avec permission, est tiré d’Hommes et Destins: Dictionnaire biographique d’Outre-Mer, tome 3, publié en 1977 par l’Académie des Sciences d’Outre-Mer (15, rue la Pérouse, 75116 Paris, France). Tous droits réservés.