Collection DIBICA Classique

Tous les articles créés ou soumis au cours des vingt premières années du projet, de 1995 à 2015.

Rainisoalambo (A)

1830-1904
Luthérien
Madagascar

Rainisoalambo Le mouvement de réveil qui se répandait en Europe dans le courant du 19è siècle fit aussi son apparition à Madagascar dans la région de l’Isandra, pays Betsileo où vivait Rainisoalambo.

Rainisoalambo, comme les princes betsileo, habitait Ambalavato, un hameau coutumier. Il dépendait du quartier d’Ambatoreny, à l’est du district de Soatanàna, Fianarantsoa. Il était le fils d’une lignée de devins, chargée de l’éducation des princes et fut élevé parmi eux.

Rainisoalambo occupa la fonction de chef de la garde royale et aussi porte-parole du souverain en raison de son grand talent pour les discours et les joutes verbales. Les gens le prenaient aussi pour défendre leurs causes. Il avait le don de convaincre et de persuader à tel point qu’il gagnait presque toujours la partie devant ses adversaires.

C’était aussi un devin guérisseur traditionnel renommé. Vers 1892 comme il était avancé en âge– la soixantaine–il abandonna ses fonctions à la cour et se consacra à l’agriculture, surtout la culture du riz, pensant qu’elle lui rapporterait beaucoup plus d’argent.

La Mission de Londres (LMS) [1] avait déjà fondé une église dans le village d’Ambatoreny, qui servait d’école en dehors des services religieux avec le pasteur faisant office d’instituteur. Ces pasteurs-évangelistes étaient formés dans les institutions théologiques de la LMS. Étant vêtus à l’européenne et disciplinés, ils étaient payés et n’étaient pas soumis à la corvée. Ils représentaient aux yeux des ruraux le modèle d’un nouveau style de vie.

Rainisoalambo enviait leur train de vie et pensait qu’en devenant pasteur, il serait, lui aussi, comme eux. C’était un homme ambitieux et intelligent. Encouragé par ses proches, il apprit à lire la Bible et à écrire. Il accepta le baptême en 1884 dans l’espoir de s’enrichir après sa nomination comme pasteur. Il n’abandonna pas pour autant ses pratiques païennes. Après une formation biblique de six mois, il fut nommé catéchiste responsable de sa paroisse mais non salarié. Déçu, il reprit ses activités d’antan de cultivateur et de devin guérisseur.

A cette époque, le niveau de vie des gens dans les villages reculés comme celui de Rainisoalambo était très bas. En même temps, une épidémie de variole et de paludisme frappa la région et tua beaucoup de gens. La famine sévissait. En plus, les Bara et Sakalava [2]–tribus vivant à côté de la tribu Betsileo–se relayaient pour attaquer et piller les villages. Les exigences royales s’ajoutaient aux malheurs des gens : tous les hommes dès l’adolescence devaient payer des impôts pour contribuer aux amendes qu’exigeait la France, puissance colonisatrice.

Les charmes et les pharmacopées étaient impuissants à guérir la pauvreté, la malnutrition, et la maladie. La famille de Rainisoalambo était décimée, il ne lui restait plus que sept bœufs, et ses rizières n’étaient plus cultivées et tombaient en friche. Il était très malade et vivait dans un extrême dénuement. Son corps était couvert d’ulcères qui le faisaient souffrir et le rendaient incapable de travailler. Ses proches le quittèrent.

Du fond de sa misère et de son désespoir Rainisoalambo interpella le Dieu dont il connaissait déjà l’existence. La même nuit, la nuit du 14 octobre 1894, d’après son témoignage, pendant qu’il dormait il fit un rêve où il voyait quelqu’un, habillé d’un vêtement d’une blancheur inexprimable, qui se tenait à son côté et lui disait de jeter ses amulettes et d’abandonner ses moyens de divination qui, d’un côté, étaient pour lui ses protecteurs et de l’autre, lui donnaient son identité en tant que devin.

Le lendemain à l’aube, il exécuta l’ordre et se débarrassa des corbeilles de morceaux de bois, de graines, et de perles qu’il avait en sa possession. Tout de suite il se sentit délivré de ses maux et ses forces lui revinrent. Il se sentit devenir un homme nouveau. C’était le 15 octobre 1894. Il disait que c’était un certain Jésus qui l’avait délivré du fonds de l’abîme et l’avait libéré des chaînes du paganisme. Il se repentit et éprouva immédiatement un sentiment de délivrance. Il nettoya son corps, sa maison, et sa cour.

Sachant déjà lire, il se mit à lire attentivement la Bible, surtout le Nouveau Testament. Il avait déjà une certaine connaissance du christianisme et des rites et des prières de la communauté chrétienne. Mais c’est après avoir passé de longues semaines dans l’étude et la méditation de la Bible qu’il commença à transmettre son message.

Il s’adressa d’abord à sa famille dont plusieurs membres étaient malades et pratiquaient la religion des ancêtres. Le thème central de sa prédication développait la nécessité d’abandonner l’idolâtrie et d’adhérer à Jésus Christ qui lui était apparu et lui avait parlé. Il leur conseilla de jeter leur fétiches s’ils voulaient être guéris. Beaucoup parmi eux acceptèrent son conseil et furent guéris. Il se rendit dans les villages voisins. Ceux qui étaient très malades et ne pouvaient même pas prier, Rainisoalambo venait les voir et priait pour eux. Il imposa les mains aux malades affirmant que Jésus était la source de toute guérison et ils furent guéris. Ceci se passa entre la fin de l’année 1894 et la première moitié de l’année 1895.

Le 9 juin 1895, Rainisoalambo réunit chez lui les douze personnes [3], qui avaient tous été guéries de leur maladies après avoir jeté leurs idoles et accepté de quitter définitivement la vie païenne. Ils prièrent ensemble et prirent les engagements solennels suivants : d’apprendre à lire et à connaître les chiffres pour lire la Bible selon ses chapitres et versets ; de nettoyer les maisons et les cours et d’avoir une cuisine à part pour faire le feu afin que les maisons soient présentables pour les cultes, pour honorer Dieu [4]; d’avoir un jardin potager et des ressources alimentaires personnelles ; de tout commencer toujours par la prière faite au nom de Jésus. De plus, les enterrements, sources de ruine et occasions de beuveries et de débauche chez les païens, seraient célébrés en vêtements décents, avec cantiques, prières, et exhortations, mais sans abattage de bœufs, afin de protéger la famille en deuil pour qu’elle ne soit pas obligée de s’appauvrir pour l’occasion. Rainisoalambo termina la réunion par la lecture de la Bible et la prière. De cette réunion intime mais extraordinaire naquirent les Mpianatry ny Tompo (Disciples du Seigneur).

Rainisoalambo commença l’instruction du groupe, sans que les participants cessent leurs occupations de cultivateurs, en s’aidant des brochures, dont le “petit catéchisme” de Martin Luther, traduit par M. Burgen, qu’il put se procurer auprès du missionnaire Théodor Olsen, à la station missionnaire à _Soatanàna _[5] (qui signifie “beau village”). Il demanda aussi l’aide du pasteur à Ambatoreny pour les éduquer. Celui-ci accepta et vint prêcher et les enseigner tous les lundi et les jeudi.

Ils s’organisèrent pour mener une vie communautaire. Ils cultivaient les champs et bâtissaient des maisons pour recevoir les malades. Ils prêchaient l’évangile, soignaient les malades et délivraient les démoniaques qui venaient les consulter. Afin de ne pas se séparer de la Bible, ils la portaient en bandoulière, dans un sac cousu en coton blanc.

D’un commun accord ils avaient choisi les mots d’ordre de repentance, humilité, patience, amour du prochain, prière, communion, et entraide mutuelle. Au début, Rainisoalambo les envoyait évangéliser pendant des voyages de courte durée dans des endroits peu éloignés, puis petit à petit ils allaient plus loin et restaient plus longtemps. Son désir de mener une vie de missionnaire avait été exaucée, mais d’une manière inattendue.

Vers la fin du mois d’octobre 1895, ayant eu connaissance de cette communauté et de leur travail d’évangélisation, le missionnaire Théodor Olsen écrivit : “Un fait réjouissant se passait au village du côté ouest de la station missionnaire car d’honorables païens, environ une vingtaine, demandèrent de se faire baptiser. Ils venaient assister au culte donné le dimanche à la paroisse et en plus, on les voyait les jours de la semaine, étudier ou s’entraider pour la lecture ou les études bibliques. Un lundi où j’étais allé les visiter et enseigner ils étaient au nombre de trente à quarante, prêtant attentivement l’oreille à mon sermon qui leur prêchait l’amour que Dieu donné aux pécheurs.” (traduction libre par l’auteur)

Très vite, le village de Rainisoalambo, Ambatoreny, devint un centre d’attraction pour de nombreux malades. Les nouveaux convertis les exhortaient, priaient pour eux à haute voix et leur imposaient les mains. De plus, parmi les “disciples”, beaucoup s’empressaient d’annoncer à leur voisins ou à ceux de leur parenté ce qui leur était arrivé et encourageaient chacun à faire la même expérience.

En 1902, suite à la situation politique coloniale, “le centre de réveil” fut déplacé à Soatanàna où il se trouve actuellement, afin d’être sous l’égide de la mission norvégienne qui s’y trouvait et d’être intégré au sein de la paroisse luthérienne de la même localité.

Actuellement, au centre de réveil à Soatanàna, on pratique certains rites bibliques, comme le fait de se laver mutuellement les pieds. Tous les habitants sont habillés de blanc–symbole de la pureté–et tous les Soatanàna zanaky ny Fifohazana (enfants du Réveil) suivent rigoureusement les mêmes préceptes de vie. Les hommes portent des chapeau de paille entourés d’un ruban blanc. Les habitants ont aussi l’habitude de laver les pieds des visiteurs à leur arrivée au centre.

Organisés sur le mode patriarcal, pliés à une discipline rigoureuse, ses adeptes professaient un charisme de guérison par imposition des mains. A partir de Soatanàna, le mouvement se répandit grâce à ses envoyés, les Iraka (les “apôtres” ou les “envoyés”) qui se déplaçaient à pied de village en village et de ville en ville, prêchant à tous le message de la Bonne Nouvelle. En 1904, leur nombre était au environs de cinquante. Le nombre des convertis ne cessait de croître.

Depuis le début, Rainisoalambo était à la tête du mouvement de réveil. Préoccupé par rapport à l’avenir du mouvement à cause d’un vent de discorde qui planait, il allait continuellement s’isoler et prier vers la montagne située sur le côté ouest de Soatanàna. Il décida d’organiser une assemblée générale le 10 août 1904 pour les délégations du mouvement, éparpillées dans l’île. Ce serait une grande réunion de prière et aussi une occasion pour bien asseoir l’organisation du mouvement. Une préparation intensive commença donc à Soatanana par la construction d’une grande maison pour accueillir les gens. Les habitants s’organisèrent pour augmenter la culture du riz afin de pouvoir nourrir les gens qui viendraient.

Rainisoalambo parvint à diriger les préparatifs pendant un certain temps mais fut bientôt fatigué par la force de l’âge et le travail. Il était atteint d’une maladie de poitrine qui s’aggrava de plus en plus. La veille de sa mort, il demanda encore qu’on l’emmène voir la construction de la maison en cours. On le soutenait des deux côtés car il n’avait plus la force de marcher seul. Le lendemain, quelques amis et sa famille vinrent l’entourer, chantant doucement et priant pour lui. Le 30 juin 1904 il rendit le dernier soupir en priant pour l’avenir du mouvement à Soatanàna.

Son corps y fut inhumé à Soatanàna, bien que son village natal n’était pas trop éloigné, suivant la règle du mouvement qui disait qu’on devait être enterré là où on mourait [6]. La grande assemblée du 10 août se passa donc sans lui.

Voici comment naquit le premier mouvement de réveil à Madagascar qui fit de Soatanàna le premier centre de réveil du pays. Actuellement, Soatanàna est devenu un grand centre de pèlerinage annuel et les gens y viennent pour se faire soigner et pour prier.

Ce mouvement de réveil bouleversa la vie sociale et économique du village et de la région. Le nombre de gens ne sachant ni lire ou écrire diminua, et le respect de l’hygiène favorisa l’amélioration de la santé des habitants. Le changement de mœurs et de coutumes durant les enterrements améliora les situations familiales. Soatanàna devint un village modèle pour les alentours.

Berthe Raminosoa Rasoanalimanga


Notes:

  1. La LMS ou London Missionary Society arriva dans le pays Betsileo en 1870 par le biais du Rev. Richardson qui habitait à Fianarantsoa.

  2. Parmi les malgaches, on distingue dix-huit tribus qui ont leurs propres coutumes et dialectes. Mais ils arrivent à se comprendre et à parler avec le malgache officiel.

  3. Les douzes premiers disciples (apôtres)–tous des hommes–de ce mouvement de réveil étaient Rajeremia, Rainitiaray, Razanabelo, Ramongo, Rasoarimanga, Ratahina, Reniestera, Ralohotsy, Rasamy, Ramanjatoela, Razanamanga, Rasoambola.

  4. A Soatanàna, jusqu’au réveil, surtout dans les villages, les maisons étaient construites avec des chambres non séparées de la cuisine afin d’être plus au chaud pendant l’hiver. Avec l’utilisation du feu de bois, le plafond était souvent noirci par la suie. Les poules, jadis gardées dans la maison, étaient dorénavant mises à l’écart pour préserver la propreté de la maison.

  5. Soatanàna est une station missionnaire norvégienne établie par le missionnaire Lindo en 1877. Le missionnaire Théodor Olsen prit sa place plus tard en 1891 et fut témoin de la naissance du mouvement de réveil (1895).

  6. Selon la coutume malgache, les morts devaient être ensevelis dans le caveau familial. Si quelqu’un mourait dans un endroit éloigné de son village natal, l’année après son enterrement, si possible, sa famille ramenait son corps pour y être enseveli.


Bibliographie

James Rabehatonina, Tantaran’ny Fifohazana eto Madagasikara (1894-1990) [Histoire des mouvements de réveil à Madagascar] (Imarivolanitra: Trano Printy FJKM, 1991)

Félicité Rafarasoa, “Fifohazana, le mouvement de réveil, “ mémoire de fin d’étude, SETELA, Centre de formation pour les Laïques, promotion 2001-2002.

Académie Malgache, Bulletin de l’Académie Malgache, 1974.

Lucile Jacquier DuBourdieu, “Le rôle du piétisme norvégien dans l’élaboration d’un christianisme autochtone en milieu rural betsileo à la fin du 19è siècle : le cas du réveil de Rainisoalambo” in Cahiers des Sciences Humaines, Office de la recherche scientifique et technique outre-mer (Bondy, France), 1996.

A. Thunem, Ny Fifohazana eto madagasikara [Le mouvement de réveil à Madagascar] (Antananarivo: Imprimerie de la Mission norvégienne, 1934).

B. Hübsch, dir., _Madagascar et le Christianisme _ (Paris : Karthala, 1993).

Adolphe Rahamefy, Sectes et crises religieux à Madagascar (Paris : Karthala, 2007).


Cet article, reçu en 2008, est le produit des recherches de Madame Berthe Raminosoa Rasoanalimanga, directrice du Centre National des Archives FJKM (1984-2007), récipiendaire de la bourse du Projet Luc en 2008-2009.


Photos:

chefs

[1] Trois chefs du renouveau à Soatanàna. De gauche à droite : Rajeremia avec sa femme, Rainitiaray avec sa femme, Rainisoalambo avec sa femme. La Bible est sur la table entre eux. Ils portent le lamba (une sorte de châle).

mission

[2] La mission à Soatanàna, 1892-1895. Photographe: Théodor Olsen.

reunion

[3] Réunion dehors à Soatanàna, environ 1906.

Betsileo

[4] Groupe de personnes dehors, dans la cour, pour une réunion. Betsileo.

preparations

[5] Préparations pour une réunion de renouveau, environ 1906. Les préparatifs prenaient souvent toute la journée.

foule

[6] Réunion de renouveau à Soatanàna, environ 1906. Certains sont assis sous des parasols.

paysage

[7] Le paysage autour de Soatanàna.

Toutes photos sont publiées avec la permission des Archives de la Mission, l’Ecole de Mission et Théologie (MHS), Stavanger, Norvège.