Collection DIBICA Classique

Tous les articles créés ou soumis au cours des vingt premières années du projet, de 1995 à 2015.

Rajaofera, Daniel

1885-1936
Luthérien
Madagascar

Rajaofera Daniel ou Baba Rajaofera (père Rajaofera), habitait Vatotsara, dans la région d’Antsirabe où travaillaient déjà les missionnaires luthériens norvégiens. Il est né le 9 mars 1885, fils de Radaniela pasteur et de Ramarianjanahary et a été élevé et éduqué dans un milieu chrétien. Dans sa jeunesse, il était très actif dans la paroisse que dirigeait son père à Vohitsara. Il enseignait à l’école du dimanche, dirigeait la chorale et jouait de l’harmonium. Il aimait aussi la photographie.

Il a fait ses études à l’Ecole Normale de la NMS (Norvegian Mission Society) à Ivory- Fianarantsoa puis à Antsirabe. Il enseigna pendant une année dans une école de la mission luthérienne, mais il dût quitter ce poste pour des raisons de santé.

Son frère Rajosvah Daniel, qui était écrivain-interprète à Mananjary, le fit venir pour passer des vacances chez lui. Il y trouva du travail dans la police et fut affecté à Tamatave où il se maria en 1908 avec Christine Ranjavao, originaire d’Ambohinapetraka Vatotsara. Comme il est retombé malade plusieurs fois, il démissionna de sa fonction en 1912 pour se consacrer à la photographie et à l’agriculture.

Il fut envoyé comme évangéliste dans la province de Tuléar (Ambohibe, Befandriana) car il parlait bien le dialecte sakalava de la région.

L’écho de ce qui se passait au Toby Manolotrony (“Centre de réveil à Manolotrony”) avec l’évangéliste Neny Ravelonjanahary (“mère” Ravelonjanahary) [1] arriva jusqu’à lui, à Vatotsara. Par curiosité, et aussi dans l’espoir de s’y faire soigner et de s’enrichir en prenant des photos de Neny Ravelonjanahary, il partit pour Manolotrony en 1927.

Mais le programme de Dieu en fut autre. A son arrivée, il fut étonné de voir beaucoup de gens qui attendaient leur tour pour être reçus. Au cours de la longue attente il se mit à fredonner une chanson puis sans s’en rendre compte, chanta plus fort. Les gens prenaient plaisir à l’écouter car il avait une belle voix. Puis il décida de leur apprendre un chant. De l’intérieur de la maison, Neny Ravelonjanahary l’écoutait avec plaisir et prédit que Jésus avait besoin de cet homme. Elle le fit appeler, eut un entretien avec lui, puis lui imposa les mains. Il fut entièrement guéri de sa maladie et sentit une paix intérieure l’envahir. L’éducation chrétienne que ses parents lui avaient inculquée dans sa jeunesse et qu’il avait presque oubliée lui revint à l’esprit. L’envie de s’enrichir le quitta.

Le temps qu’il resta à Manolotrony il reçut une formation de berger-évangéliste et on lui confia les travaux de secrétariat du centre. Il fut émerveillé par l’enseignement de Neny Ravelonjanahary.

Sa formation terminée, il rentra à Vatotsara et y commença sa mission d’évangéliste. Le dimanche de Pâques 1928, il dirigeait le culte dans la paroisse de Vohitsara. Pendant que Rajaofera priait, le Saint Esprit couvrit l’assistance et les malades présents furent guéris.

Une fois, il fut appelé à Mandoto (Antsirabe) au chevet du pasteur Rajaonesa, atteint d’une double pneumonie. Les médecins ne pouvaient plus rien pour le guérir. Il était à l’agonie quand Rajaofera pria pour lui. Celui-ci ordonna ensuite d’apporter une jarre d’eau froide, d’en faire boire le malade et ensuite de verser le contenu sur le malade. Le médecin présent objecta, mais Rajaofera lui répondit : “Dieu a des solutions là où les médecins en sont incapables; vous verrez la gloire de Dieu”. Aussitôt après, le malade fut guéri et se leva de son lit.

Le médecin en était étonné et pria Rajaofera de venir avec lui à Antananarivo pour l’aider à soigner ses malades. Mais Rajaofera ne resta pas longtemps avec lui, préférant continuer sa mission d’évangéliste au sein de la paroisse luthérienne à Ambatovinaky-Antananarive. La nouvelle de la guérison des malades, de la réhabilitation des handicapés et de la délivrance des démoniaques pendant les cultes qu’il donnait faisait son écho à Antananarivo et dans les alentours. Son principal message était de convaincre les gens de jeter leurs idoles et de croire en Jésus Christ, désormais leur Sauveur. Beaucoup en furent convaincus et lui ramenèrent leurs idoles pour être brûlés.

Ramiaramanana, encore appelé Iombimanana, un ombiasa (“devin”) célèbre, était le gardien du tombeau d’Andriambodilova à Anosisoa-Ambohimanarina. Il voulait défier Rajaofera et convaincre ses adeptes du pouvoir d’Andriambodilova, un roi défunt qu’il vénérait et en qui il croyait avoir le pouvoir de guérir et de répondre aux besoins des gens. Il eut vent de la venue de Rajaofera pour prêcher le dimanche 8 septembre 1929 à Anosivavaka-Ambohimanarina. Ce jour coïncidait avec le jour de la célébration d’Andriambodilova. Il invita les journalistes et les cinéastes pour couvrir cet événement. Le journal Diavolana en profita pour donner un grand titre à cet événement: “Hampiady Andriamanitra i Iombomanana sy Jaofera” (“Les Dieux de Iombimanana et celui de Jaofera entreront en guerre!”)

Le samedi 7 septembre une veillée de prière se déroula à la paroisse de Betafo-Ambohimanarina. Très tôt le matin du dimanche 8 septembre, les gens s’acheminèrent vers Ambohimanarina. Les congrégations des paroisses protestantes à Antananarivo étaient venues nombreuses, ainsi que celles de Vatotsara, paroisse de Rajaofera. Le temple d’Anosivavaka-Ambohimanarina, où se déroulait le culte, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur, était plein à craquer. La foule chantait des cantiques et–fait étonnant–malgré la distance qui séparait le début et la fin du convoi (qui s’étendait sur quelques kilomètres), on chantait les mêmes cantiques qui finissait au même moment!

A l’intérieur, Rajaofera officiait et termina ainsi son sermon : “Vous verrez aujourd’hui la gloire de Dieu!” Pendant que la congrégation pria en entonnant: “Masina, Masina Jehovah Tompo, feno ny voninahitrao izao rehetra izao” (Saint, Saint, Seigneur Jehovah, le monde est rempli de ta gloire), une lumière en forme d’arc en ciel entra dans la salle et descendit sur le pupitre où il officiait. Une fumée blanche se dégagea du pupitre et se répandit–surtout parmi les gens qui priaient et se repentaient. À l’extérieur, la foule voyait le soleil se couvrir d’un nuage blanc qui lui donna l’apparence d’une pleine lune qui descendit en tournoyant, s’approcha très près du clocher de l’église sans toutefois le toucher puis remonta. Tout le monde était en extase!

De l’autre côté, autour du tombeau d’Andriambodilova, Ramiaramanana avait fait venir des chanteurs qui jouaient de tambours et faisaient des danses folkloriques. Mais, chose inattendue, les deux zébus désignés pour être immolés avaient pris la fuite pour ne plus revenir et une épaisse nuée de moustiques couvrait le tombeau et ses alentours. Les gens s’éparpillaient par peur d’être piqué. L’ombiasa Ramiaramanana ne pouvait rien faire. Dieu était sorti vainqueur. Plusieurs témoins oculaires ont décrit cette scène, dont des journalistes et des cinéastes.

Le culte continua le lendemain 9 septembre à Anosisoa-Ambohimanarina. On y brûla des paniers pleins d’idoles et de fétiches apportés par les nouveaux convertis. La foi des chrétiens s’affermit. Les huit paroisses environnantes à Ambohimanarina continuent, jusqu’à nos jours, à commémorer les dates du 7, 8, et 9 septembre.

Rajaofera Daniel rencontra des difficultés dans sa mission d’évangéliste. Il fut dénoncé par des personnages au gouvernement, jaloux de son succès, comme perturbateur de l’ordre public mais il en sortit vainqueur, par manque de preuves et avec l’aide des missionnaires.

Pasteur Mondain, un missionnaire de la Mission Protestante Française (MPF) [2] parla ainsi de lui:

J’ai assisté deux fois aux réunions de prières tenues par Rajaofera Daniel. Sa prédication était basée sur l’évangélisation et l’encouragement des gens en vue d’une vraie repentance. Mais ce qui m’étonnait le plus, c’était son don de prophétie. Dans une des réunions à laquelle j’ai assisté, un homme inconnu s’approcha de lui. Rajaofera lui dit : “Vous êtes catholique et vous venez d’acheter quelques jours plus tôt des fétiches.” L’homme acquiesça. Rajaofera l’observait toujours et lui dit qu’il ne pouvait rien faire pour lui, car il ne disait pas toute la vérité. Il lui dit de partir et de trouver les baguettes qu’il venait d’acheter chez un sorcier et qu’il verrait la suite.

Une autre fois, une femme bien vêtue et respectable s’approcha de lui. Rajaofera lui dit : “Ne vous approchez pas de moi tant que vous n’aurez pas jeté vos fétiches.” Elle lui répondit qu’elle n’en possédait pas. Il la reprocha de mentir et annonça qu’il voyait les fétiches bien placés sous son oreiller! La dame, confuse, s’en alla pour prendre les fétiches. Rajaofera ne la connaissait même pas. [traduction du malgache par l’auteur]

Deux choses distinguaient Rajaofera : savoir prédire ce qui était caché dans le cœur des gens et l’audace de dire des choses difficiles à croire. Un jour, par exemple, une sorcière eut l’intention de le déranger, lui et sa famille. Il dit à sa femme : “N’aie pas peur car tu la verras demain matin.” Cela se produisit réellement car le lendemain ils aperçurent la sorcière qui n’avait pas pu bouger de là où elle se trouvait.

Sa vie de prière lui procurait une grande force et l’aida à faire des miracles et même à ressusciter des morts. Il mourut le 16 août 1936 après avoir exercé sa mission d’évangéliste de 1927 à 1936 dans presque toute l’île.

Berthe Raminosoa Rasoanalimanga


Notes:

  1. Toby Manolotrony était le second centre de réveil après le centre de réveil de Soatanàna. Il a été établi après la conversion de Neny Ravelonjanahary.

  2. La Mission Protestante Française était la troisième mission protestante qui arriva à Madagascar en 1897 après la London Missionary Society (1818) et les Quakers (encore appelé “Friends’ Foreign Mission Association” ou FFMA) en 1867. Le pasteur Gustave Mondain était parmi les premiers envoyés des missionnaires MPF.


Bibliographie

James Rabehatonina, Tantaran’ny Fifohazana eto Madagasikara (1894-1990) [Histoire des mouvements de réveil à Madagascar] (Imarivolanitra: Trano Printy FJKM, 1991).

Tiana Hanitriniala Razohajamanana, “Baba Rajaofera ou Rajaofera Daniel: Tantaran’ny 7, 8, 9 septembre 1929 tao Ambohimanarina” [Histoire du 7, 8, 9 septembre 1929 à Ambohimanarina], Mémoire de fin d’année SETELA (Cercle théologique pour la formation des laïcs).

Zoly Ramangarivo, “Trakitra : Tsiahin’ny 8 septembre 1929 teny Anosivavaka Ambohimanarina” [tract en souvenir du 8 septembre 1929 à Anosivavaka Ambohimanarina].


Cet article, reçu en 2008, est le produit des recherches de Madame Berthe Raminosoa Rasoanalimanga, directrice du Centre National des Archives FJKM (1984-2007), récipiendaire de la bourse du Projet Luc en 2008-2009.