Collection DIBICA Classique

Tous les articles créés ou soumis au cours des vingt premières années du projet, de 1995 à 2015.

Rasoamanarivo, Victoire (B)

1848-1894
Église Catholique
Madagascar

Alors qu’une communauté catholique s’édifiait difficilement à Madagascar à travers de multiples obstacles, une femme au courage exceptionnel et pratiquant à un haut degré les vertus chrétiennes se leva pour soutenir cet édifice encore fragile. Tel apparaît le destin de Victoire Rasoamanarivo.

Elle était issue d’une famille tenant une place de premier rang dans l’histoire malgache. A l’époque où s’élaborait l’unité du royaume Merina, le grand roi Andrianapoinimerina eut parmi ses conseillers un personnage de valeur de la caste des Tsimiamboholahy d’Ilafy, du nom d’Andriantsilavo. C’était l’ancêtre de cette famille. Parmi ses sept enfants, deux noms sont à retenir: l’ainé, Rainiharo, qui fut Premier Ministre de la reine Ranavalona I et eut une fille du nom de Rambahinoro, et le cadet Ratsimanisa qui eut un fils du nom de Rainandriantsilavo. Du mariage des deux cousins Rambahinoro et Rainandriantsilavo naquirent sept enfants; la quatrième était Victoire Rasoamanarivo.

Elle naquit à Tananarive en 1848 et avait treize ans lorsque mourut la reine Ranavalona I et que son fils lui succéda sous le nom de Radama II. Celui-ci autorisa les missionnaires catholiques à s’établir à Madagascar.

Les missionnaires Jésuites arrivèrent à Tananarive pendant les derniers mois de l’année 1861. Ils étaient accompagnés par deux religieuses de Saint Joseph de Cluny, Sœur Gonzague et Sœur Madeline, qui ouvrirent dans la capitale la première école catholique pour jeunes filles le 14 novembre 1861. Elles eurent parmi leurs premières élèves la jeune Rasoamanarivo que sa mère Rambahinoro vint leur confier.

Rasoamanarivo se fit remarquer par son sérieux, son dévouement et son attachement à connaître la religion. Sa formation religieuse en vue de son baptême dura 18 mois, interrompue pendant quelques jours lors des événements qui mirent fin au règne de Radama II. Prenant le nom de Victoire, elle fut baptisée le 1er novembre 1863, avec 25 autres personnes parmi lesquelles des membres de sa famille. Elle avait pour marraine la supérieure des religieuses, Sœur Gonzague. Trois mois plus tard, les nouveaux baptisés furent admis à la première communion qui eut lieu le 17 janvier 1864. Cette première célébration attira à l’église d’Andohalo une assistance nombreuse, parmi laquelle se trouvaient des protestants et des païens qui enregistraient non sans quelque inquiétude le développement du catholicisme dans le pays.

Victoire Rasoamanarivo épousa quelques mois après, le 13 mai 1864, son cousin Radriaka, fils aîné de Rainilaiarivony. C’était un mariage arrangé dans le cadre de la famille; la célébration se déroula pendant toute une journée selon le cérémonial des coutumes ancestrales et ce n’est qu’à 10 heures du soir que le cortège se rendit à l’église pour répondre à la volonté de la jeune chrétienne de célébrer son mariage devant le prêtre. Son mari Radriaka avait le grade de 15 honneurs, titre élevé lui conférant le commandement d’une partie de l’armée malgache.

Malgré des dispositions favorables de la reine Rasoherina qui leur avait confié l’éducation de ses enfants adoptifs, les missionnaires catholiques furent contrecarrés dans leur action par les rivalités protestantes. A partir de 1867, le protestantisme devint religion officielle et sa puissance s’accrut lorsque la reine Ranavalona II se convertit au protestantisme. Il y eut des pressions pour attirer à la religion réformée les nouveaux adeptes du catholicisme. Ces pressions s’exercèrent à l’intérieur même de la famille du Premier Ministre pour retirer les enfants des écoles catholiques. Rainimaharavo, oncle de Victoire, devenu chef de la famille fut des plus acharnés à combattre les catholiques; plus d’une fois il intervint auprès de sa nièce pour la convertir au protestantisme mais Victoire s’y opposa avec fermeté. Son mari Radriaka ne partageait pas ses convictions et il était loin d’être un modèle de vertu. Le seul allié de Victoire dans la famille était son cousin Antoine Radilofera et elle avait comme confidente une de ses esclaves du nom de Rosalie.

Ayant fait construire un immeuble à deux cents mètres du palais de la reine, Victoire s’y installa en maîtresse de maison. Elle avait alors vingt ans. A partir de cette époque, elle mena une existence austère conciliant ses obligations familiales, ses devoirs de Dame de la Cour envers la reine, et une vie de prière intense à laquelle elle associait son personnel. Son comportement de bienveillance envers son entourage, les œuvres charitables auxquelles elle s’adonnait, un témoignage de foi sans respect humain, tourné en dérision les premiers temps, finirent par imposer le respect et lui donnèrent un ascendant moral indiscuté dans la société de la cour où prédominaient les influences protestantes ou païennes. Elle avait la confiance du Premier Ministre Rainilaiarivony, qui était en même temps son beau-père.

En 1876, avec la nomination du R. P. Causseque comme curé de la paroisse d’Andohalo, celle de Victoire Rasoamanarivo, la mission catholique connut une certaine vitalité. Il lança une petite revue d’apologétique, le resaka, créa avec les anciens élèves des Frères un mouvement de spiritualité mariale, l’Union Catholique, et développa la Congrégation de la Sainte-Vierge, à laquelle appartenait Victoire, en l’orientant vers les œuvres de charité en faveur des pauvres et des lépreux. C’est grâce à lui que la construction de la cathédrale de Tananarive, entreprise avant lui, put s’achever; Victoire y avait contribué généreusement.

Toutes ces activités risquaient de s’effondrer quand survint le premier conflit franco-malgache de 1883. Le départ des missionnaires menaçait d’être catastrophique. Les membres de la communauté catholique étaient encore bien jeunes; ils étaient presque tous recrutés parmi les éléments le plus modestes et les plus pauvres de la population. Seule Victoire Rasoamanarivo représentait une personnalité vraiment influente pour défendre ceux qui, en raison de leurs relations avec les Français, étaient considérés comme des traîtres par leurs adversaires.

Les missionnaires reçurent l’ordre d’expulsion le 15 mai 1883. Le 29 mai, l’exode commença par le départ pitoyable du groupe des Sœurs de Saint Joseph de Cluny. Devant le climat de crainte qui régnait, on ne put recruter aucun porteur et les religieuses quittèrent Tananarive à pied, au grand scandale des catholiques. Victoire alerta aussitôt le Premier Ministre, son beau-père, qui donna des instructions; les porteurs rejoignirent les voyageuses à 10 km de la ville. Avant son départ, le P. Causseque convoqua les membres de l’Union Catholique et confia à leur dévouement le sort des églises et des écoles pendant l’absence des missionnaires; il confia également à Victoire la mission de soutenir les fidèles de toute son autorité morale et de toute l’influence dont elle bénéficiait auprès du Premier Ministre.

Après le départ des missionnaires, les églises avaient été fermées et des gardes placés aux portes. Le dimanche qui suivit, Victoire sut intervenir pour obtenir la réouverture des églises aussi bien en ville que dans les campagnes. En accord avec Victoire, l’Union Catholique dirigée par un jeune noble, Paul Rafiringa, prépara un programme d’activités religieuses pour le dimanche et les jours de semaine; on décida de ne rien changer à ce que les missionnaires avaient établi. L’Union Catholique parut, en l’occurrence, le seul organisme permettant d’agir sur la communauté des chrétiens. Une vingtaine de ses membres se partagèrent les onze districts autour de la capitale pour présider les réunions du dimanche et visiter les écoles de la part de Victoire pour maintenir le courage des maîtres isolés. Victoire payait elle-même de sa personne***visitant le dimanche une église déterminée en y regroupant les fidèles d’alentour afin de donner plus de solennité à l’assemblée et démontrer publiquement que personne n’avait le droit de molester les catholiques.

En cette période critique, le Frère Raphaël, seul religieux malgache présent, avait été nommé à la tête de l’Église par un vote de la communauté catholique. Ses conceptions sur la marche de l’Église ne concordaient pas toujours avec les activités de l’Union Catholique. Victoire dut intervenir plus d’une fois comme conciliatrice pour maintenir la bonne entente entre tous.

Bien des catholiques victimes d’une véritable persécution purent être sauvés grâce à ses interventions: des maîtres emprisonnés par les gouverneurs des lointaines provinces pour avoir réuni des fidèles, ou des catholiques injustement traduits devant les tribunaux par des protestants.

Dès que la paix fut rétablie, les missionnaires revinrent à leurs postes. Leur entrée solennelle à Tananarive le 29 mars 1886, après trois ans d’absence, fut une grande joie pour Victoire. Il en fut de même lors de l’arrivée dans la capitale, le 23 avril suivant, de Mgr Cazet, nouveau Vicaire Apostolique de Madagascar. Lorsque le jour de Pâques les membres de l’Union Catholique vinrent saluer le nouvel évêque, leur Préfet Paul Rafiringa, lui présenta Victoire comme étant leur chef, les ayant protégés efficacement contre les persécutions.

La mission particulière de Victoire était terminée; elle reprit sa place dans la paroisse, s’occupant de sa Congrégation et d’œuvres charitables, surtout en faveur des lépreux et des prisonniers.

Victoire avait longtemps souhaité la conversion au catholicisme de son mari Radriaka qui avait adhéré au protestantisme par intérêt. Victime d’une chute mortelle, il accepta le baptême au dernier moment et fut ondoyé par son épouse le 14 mars 1888. A partir de cette date, Victoire prit un deuil austère, espaça ses visites à la cour et se consacra à une vie de prière et de méditation.

En 1890, sa santé s’altéra. En 1893, sur le conseil des médecins, elle alla se reposer sur la propriété de la mission à Ambohipo. L’année suivante, son état s’aggrava et elle mourut le mardi 21 août 1894. Les funérailles eurent lieu à la cathédrale devant une assistance considérable trois jours après. Selon la volonté du Premier Ministre, le corps fut enseveli le 25 août dans le monumental caveau de famille à Isotry. Cette mort intervenait peu de mois avant le second conflit franco-malgache.

Par la vie héroïque qu’elle a menée et par la pratique des vertus chrétiennes à un si haut degré, Victoire Rasoamanarivo méritait d’être portée en exemple à l’Église de Madagascar. En 1931, Mgr Fourcadier, Vicaire Apostolique de Tananarive annonçait que le Procès de l’Ordinaire sur les vertus et les miracles de Victoire Rasoamanarivo allait être entrepris. En 1934, le Pape faisait savoir que la demande de l’Église de Madagascar avait été transmise à la Congrégation des Rites. En attendant que l’instruction du procès en béatification suive son cours, lors de la célébration du centenaire de la mission catholique, en 1961, les restes mortels de Victoire Rasoamanarivo furent transférés au tombeau de la mission catholique à Ambohipo pour réaliser le souhait qu’elle avait exprimé de son vivant.

Raymond Delval


Bibliographie

Mgr. Étienne Fourcadier, La vie héroïque de Victoire Rasoamanarivo. Paris : Procure de la Mission de Madagascar, 1937.

A. Boudou, Les Jésuites à Madagascar au XIXe siècle, Paris, 1942.

Bernard Blot, L’Église Catholique à Madagascar, Tananarive, 1961.


Cet article, réimprîmé ici avec permission, est tiré d’Hommes et Destins: Dictionnaire biographique d’Outre-Mer, tome 3, publié en 1977 par l’Académie des Sciences d’Outre-Mer (15, rue la Pérouse, 75116 Paris, France). Tous droits réservés.