Collection DIBICA Classique

Tous les articles créés ou soumis au cours des vingt premières années du projet, de 1995 à 2015.

Mondlane, Eduardo Chivambo

1920-1969
Protestant
Mozambique

Eduardo Chivambo Mondlane Eduardo Chivambo Mondlane est né dans le pays de Gaza, au sud du Mozambique, en 1920. Sa famille, de haut lignage, était polygame, et animiste. Pourquoi Chivambo? Ce nom lui fut donné par les magiciens, car, en ce bébé renaissait le grand chef Chivambo Mondlane. Eduardo, lui-même, ajoute: “Mes parents appartenaient à la vieille Afrique sans contact valable avec les modes du monde occidental, ils ne connaissaient pas le christianisme, ils ne savaient ni lire ni écrire, ils vénéraient et adoraient les ancêtres… On vivait de la culture des petits champs, de l’élevage du bétail et de la chasse. Mon enfance se passa ainsi dans les pâturages avec de nombreux bergers de mon âge.”

La vie des bergers avec ses règles, ses hiérarchies. Un sens aigu de la responsabilité révélait très tôt aux garçons l’ineptie de l’abrutissante domination coloniale.

Une sœur aînée, chrétienne, le mena à l’école de la Mission Suisse. Après un temps, ses amis l’admirent dans la “Patrouille” chrétienne où les garçons agissent avec beaucoup de liberté, mais où, aussi, est soulignée la solidarité et l’esprit d’entraide. Il se rend à Lourenço Marques pour y terminer ses “primaires.” Il habite à la Mission. Il prit, ensuite, son diplôme d’évangéliste à Rikatla et revint en ville pour travailler à la tête des “patrouilles” de garçons. Il fréquenta des cours du soir, tenta, aussi, de s’inscrire au lycée. En vain, le lycée est ouvert aux jeunes de moins de treize ans. Il était un des rares africains de l’époque qui lisait beaucoup et parlait de façon captivante de son enfance, aussi pour lui ouvrir de nouveaux horizons, on l’envoya à la Mission Méthodiste rurale de Cambine. Il en revint, en 1942, sachant l’anglais. Il en rapportait aussi une caisse de livres, mais, surtout, une lueur pointait: puisque les écoles du Mozambique lui étaient fermées, c’est en anglais qu’il étudierait, et au Transvaal plus tard, il servirait ainsi mieux et son pays et son Eglise. “Mais qui est ce Mondlane?” Va-t-il prendre le sentier de tant d’autres qui ont passé la frontière et ne sont jamais revenus?

Les vieux pasteurs africains déclarent: “Nous voulons bien aider cet Eduardo qui veut servir son église, mais qu’on lui donne d’abord la responsabilité d’une petite congrégation de brousse, et on verra!”

Les pasteurs ont ouvert l’œil et ils ont vu. Du reste, Mondlane lui-même a décrit ses angoisses de (berger chrétien ou d’évangéliste) ? sa vocation de maître d’une école clandestine où il enseigna à ses garçons le portugais et l’agriculture.

Muni d’un passé d’évangéliste, il part pour le champ de la Mission Suisse au Transvaal du nord, à Lemana. Le samedi et le dimanche, Mondlane enseigne et prêche, mais le reste du temps, il travaille avec acharnement à l’école. En 1948, il passe avec succès ses examens de maturité en anglais et en afrikaans, la langue des Boers.

D’accord avec ses missionnaires il étudiera les sciences sociales à l’Université “blanche” du Witwatersrand, à Johannesburg. Mais, en 1949, le régime politique change, Malan accède au pouvoir et Mondlane, noir chez les blancs, est chassé du pays par le gouvernement. Or les étudiants du “Wits” avaient élu Mondlane à la présidence de leur groupe d’études sociales, il gérait aussi un club interracial, en pleine ville. A la nouvelle de l’expulsion de leur collègue, les étudiants et les professeurs de “Wits” organisent un grand meeting de protestation. La presse sud-africaine, les journaux portugais s’émeuvent. Seule consolation, en dépit des règlements, la Faculté de “Wits” autorise son étudiant, expulsé du pays, à écrire ses épreuves d’examens de première année à la Mission Suisse, à Lourenço Marques.

Mais, auparavant une jeep de la PIDE était venue cueillir Mondlane à la Mission, et l’enfermer. Pendant deux ou trois semaines il est interrogé par les spécialistes de la politique africaine. Mais Mondlane répond en termes si éloquents qu’on lui délivre un passeport et une autorisation d’aller étudier aux U.S.A. Il obtient une bourse du “Phelps Stoke Fund” de New-York. L’examen de la situation conduit Mondlane et les missionnaires–suisses ou américains–à juger indispensable une année d’études à Lisbonne. Quand, plus tard, il sera de retour, au travail, ce qu’il aura acquis et observé au Portugal ne lui sera-t-il pas indispensable? Mais, comme, à Lisbonne, les formalités de l’inscription trainent, Mondlane fait une courte visite en Suisse. On y fête les 75 ans de la Mission (on est bien en 1950!). Quelques années plus tôt, Mondlane m’avait donné les cahiers de ses souvenirs d’enfance. J’en avais fait “Chitlangou, fils de chef”. Or les aventures de Chitlangou sont celles de Chivambo et les Suisses les ont lues! Mondlane est fêté en Suisse comme un héros! De retour au Portugal, Mondlane travailla dur, passa ses examens. Mais, à l’aéroport, la police tenta d’empêcher son embarquement pour les U.S.A.

Aux Etats-Unis comme au Mozambique ou en Suisse, l’intelligence brillante, la personnalité rayonnante de Mondlane furent remarquées.

Les amis et missionnaires de Mondlane se rendirent à cette évidence: Un destin hors du commun attendait Mondlane. La vie universitaire américaine déchaine son enthousiasme. Notre étudiant est appelé à donner des causeries sur les problèmes africains, il discute avec les sommités, il analyse les situations avec intelligence … Un vieil ami qui avait connu Mondlane jeune écrit: “L’éducation et la foi, les deux chances de salut pour l’Afrique, Mondlane en est le signe!”

Entre temps, il a passé ses examens de Bachelor of Arts, à Oberlin, puis a poussé les études vers un doctorat en sociologie à Northwestern University, à Evanston, Illinois. En 1956, il épouse Janet Rae Johnson, jeune Américaine, d’origine suédoise, qui bien avant de rencontrer Mondlane avait consacré sa vie à l’Afrique. Universitaire comme son mari, elle en a été la dynamique collaboratrice. Ajoutons que, après le drame de 1969, Mme Mondlane continuera à servir le Frelimo et le Mozambique, à Dar-ès-Salam, d’abord puis, après l’indépendance, à Maputo (ex Lourenço Marques).

Existait-il à l’époque, pour un africain comme Mondlane, un meilleur poste d’observation que l’ONU à New-York? Car c’est bien là qu’on lui a offert un travail à la section des Territoires sous Mandat. Il a rapidement fait connaissance avec tous les leaders africains qui viennent à New-York. Les représentants du Portugal, eux-mêmes, s’approchent de “leur” homme et lui offrent une situation … à Lisbonne. Non, le Mozambique qu’il a quitté en 1950, reste proche: il trouve des appuis financiers et, par personnes interposées, nous pouvons créer le fonds des Bourses Edelweiss. Les jeunes Mozambicains de l’enseignement secondaire seront ainsi aidés.

En 1960, les Nations-Unies le nomment de l’équipe qui préparera le référendum du Cameroun anglais. Sa femme en profite pour se rendre au Mozambique, avec ses deux enfants, à la Mission Suisse de Lourenço Marques. Quand Mondlane rejoint les siens–il est porteur d’un passeport diplomatique de l’O.N.U.–sa popularité éclate! Aux yeux de la foule mozambicaine, il est le héros, l’unique, il a crevé la chape de plomb qui pèse d’un poids accablant sur les populations autochtones. Malgré la fête qui lui est donnée–les cadres de l’administration coloniale font, eux aussi, bonne mine–Mondlane voit ses craintes confirmées. Rien n’a changé au Mozambique!

De retour en Amérique, on est en 1961, il quitte l’O.N.U. et accepte, à titre temporaire, un poste de professeur à l’Université de Syracuse, dans l’état de New York. Mais, la même année encore, Julius K. Nyerere invite Mondlane à s’établir en Tanzanie dont l’indépendance va être proclamée.

A Dar-ès-Salam, des groupements politiques de Mozambicains se querellent, des milliers et des milliers de gens de tout le Mozambique vivent mal, réfugiés en Tanzanie. Un programme s’impose: Il faut que les factions politiques mozambicaines fusionnent, il faut, aussi, lever l’étendard d’un nouveau Mozambique uni, de la patrie à laquelle on donnera sa vie. Le 25 juin 1962, les trois principaux mouvements décident de disparaître et de former le Front de Libération du Mozambique, le Frelimo. Mondlane est élu président du Frelimo.

Libérer le Mozambique veut dire se préparer à la guerre, chercher des appuis partout, instruire les futurs guérilleros, hommes et femmes, intéresser le monde entier à sa cause! Aussi Eduardo Mondlane, sa femme, plusieurs de ses amis parcourent-ils l’Europe et l’Asie sans parler évidemment, de l’Afrique.

“Bien que j’aie aimé la vie universitaire par dessus tout, j’ai décidé de consacrer le reste de ma vie à la guerre de libération de mon pays, jusqu’à l’indépendance!” Cette indépendance, Eduardo Chivambo Mondlane ne l’aura vue que très fragmentairement… Si, pourtant, au deuxième congrès du Frelimo, en plein Mozambique, en juillet 1968, aussi, encore, lors de ses voyages en territoires libérés. Il inspectait les combattants, visitait les premiers postes sanitaires au service de la population, les petites écoles, les centres agricoles.

On sait, la presse du monde entier en a parlé, que le 3 février 1969, Eduardo Mondlane voulut ouvrir un paquet de livres. Le colis, piégé, explosa. De Mondlane il ne restait qu’un corps déchiqueté.

Le drapeau de l’indépendance fut hissé, à Lourenço Marques, le 25 juin 1975.

André Clerc


Bibliographie

1946 Chitlangou. Fils de Chef par Chitlangou Kambane (Chitlangou Khambane est le pseudonyme temporaire de Mondlane) et André-D. Clerc.

Delachaux et Niestlé. Neuchâtel et Paris. Illustr. de A. Billeter, 256 p.

1946 réédition du même. Mission Suisse dans l’Afrique du Sud. Illustr. de G. Périer. 252 p.

1950 Schitlangu. Der Sohn des Häuptlings. Edoardo Mondlane et André-D. Clerc Wanderer Verlag. Zürich.

1952 Viidakon poika. Edoardo Mondlane ja André-D. Clerc. Suomen Lähetysseura. Helsinki.

1952 “Africa in the Modern World.” Round Table Chicago. 1. 1952. (An NBC Radio discussion by Melville J. Herskowits, Ed. Mondlane and Edw. Munger), 20 p.

1953 The Birth of Seeiso. Ed. Mondlane. Yeoman, Spring 53. Oberlin, Ohio. 5 p.

1953 “The Oberlin Interview: Politzer praises Yeoman.” 22. V. 1953. 1 p.

1964 “Eduardo C. Mondlane: Le mouvement d’émancipation du Mozambique.” Congrès Méditerranéen pour la Culture. Florence.

1969 The Struggle for Mozambique. Eduardo Mondlane. Penguin African Library.

1974 André-D. Clerc et Edoardo Mondlane. Shitlangu. Omuna gwokombanda. trad. Hosea Lampala. Ouiipa. Owambo.


Pour plusieurs sources sur Mondlane, Eduardo, vous pouvez voire:


Cet article, réimprîmé ici avec permission, est tiré d’Hommes et Destins: Dictionnaire biographique d’Outre-Mer, tome 2, volume 2, publié en 1977 par l’Académie des Sciences d’Outre-Mer (15, rue la Pérouse, 75116 Paris, France). Tous droits réservés.


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Eduardo Chivambo Mondlane

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