Collection DIBICA Classique

Tous les articles créés ou soumis au cours des vingt premières années du projet, de 1995 à 2015.

Gowon, Yohanna

1882-1973
Communion Anglicane
Nigeria

Yohanna Gowon est né à Lur, un village près de la ville Ngas la plus célèbre de Kabwir, au sudouest de Jos, la capitale de l’état du Plateau, au Nigéria. Il était un des fils du chef de Lur et aurait pu devenir chef lui-même s’il n’avait pas rejoint les visiteurs étrangers qui s’étaient installés parmi les Ngas à Kabwir en 1910.

Les visiteurs étrangers étaient des missionnaires, porteurs d’un nouveau message de Dieu. Ils étaient d’abord arrivés en 1907, quand le premier groupe, dirigé par monsieur T. R. Alvarex, avait exploré le pays Ngas à peu près cinq ans après la pacification des Ngas par l’armée coloniale britannique. Ce groupe missionnaire faisait partie du Cambridge University Missionary Party (CUMP), [Parti missionnaire de l’Université de Cambridge] qui était affilié à la Church Missionary Society (CMS) [Société missionnaire de l’église, SME] pour leur travail dans le nord du Nigéria.

Comme les Ngas étaient très religieux, ils voulaient éprouver l’authenticité de ces messagers de Dieu (appelés Nen par les Ngas). Ils ont donc demandé aux missionnaires de leur permettre de consulter un oracle. Si les missionnaires étaient porteurs de mauvaise augure, un oiseau rituel appelé yerkum apparaîtrait trois jours plus tard dans la nuit en poussant des cris d’avertissement. Quand l’oiseau rituel n’est pas apparu trois jours plus tard, ils ont interprété cela comme une indication que les hommes blancs (que les Ngas appelaient “hommes rouges”) étaient de bonnes gens et qu’ils devaient les accepter. Par conséquent, un terrain a été donné aux missionnaires, et ils y ont bâti une station missionnaire. Ils ont commencé une classe d’instruction religieuse dirigée par des instructeurs recrutés dans le sud du Nigéria, et ils ont ouvert un hôpital dirigé par un chirurgien, le dr. J. C. Fox. C’était le premier hôpital dans le nord du Nigéria.

Dans ses efforts pour discerner le mystère de l’homme blanc, Gowon est d’abord entré en contact avec les missionnaires et leur école. A l’âge approximative de vingt-cinq ans, il s’est inscrit comme élève dans la classe d’instruction religieuse en 1914. Les membres de sa famille se sont moqués de lui et l’ont appelé, cyniquement, Ngo-nen, ce qui veut dire “homme de Dieu.” Quand Gowon a continué de prendre des cours à l’école de la mission, leur badinage s’est transformé en persécution. C’est alors qu’il a décidé de quitter Lur pour s’installer à Tuwan, un village qui n’était qu’à un kilomètre de la station missionnaire. Ce village entier était devenu chrétien suite à la conversion de son chef. Gowon avait trois femmes, mais aucune ne l’a accompagné à Tuwan. Seulement Mabwir, fille de sa première femme, qui était morte, est allée avec lui.

C’est ainsi qu’il s’est installé à Tuwan. Il avait une telle soif de la connaissance qu’il a été parmi les premiers à être recrutés pour être évangéliste en formation. Gowon savait que la mission ne donnerait pas la responsabilité d’évangéliste à un homme célibataire, alors il a décidé de se remarier. C’était difficile de trouver une fille chrétienne à l’époque, mais il a eu de la chance parce que Saraya Kuryan, fille du chef de Tuwan, a accepté de l’épouser. Jeudi, le 26 avril 1923, Gowon et Saraya Kuryan Goar se sont mariés dans l’église de St. Paul à Tuwan. Le mariage a été béni et ils ont eu onze enfants : Ibrahim (décédé), Pierre (décédé), Rachel, Marie, Yakubu (qui est devenu le deuxième chef d’état militaire du Nigéria), Daniel (décédé), Kande, Ishaku (décédé), Moïse, Dauda, et Esaïe.

Suite à leur formation, Gowon et Kuryan ont reçu le titre d’évangéliste et ont été envoyés travailler parmi leur peuple, les Ngas. Ils ont travaillé dans la plupart des villages Ngas, y compris Seri, Gugur, Krum, Dawaki, Per et Ner. La mission envoyait des salaires mensuels aux évangélistes, et il existait une provision pour la formation supplémentaire : les évangélistes pouvaient passer un an à compléter un cours de recyclage, suite auquel ils passeraient peut-être deux ans à travailler sur le terrain. Les évangélistes étaient aussi catéchistes, et portaient la soutane noire du clergé. Les Ngas les appelaient gofutadt’pmwa, “ceux qui portent la robe noire,” ou bien tout simplement malam, le mot Hausa pour “enseignant.”

Peu avant 1924, le CUMP avait commencé à avoir des problèmes dans leur travail parmi les Ngas et leurs voisins, les Mwaghavul. Un des problèmes était simple : il n’y avait pas assez de travailleurs. Plus de la moitié du petit nombre de missionnaires dans ces régions était morte sur place ou bien avaient été renvoyés dans leur pays d’origine pour cause de maladie. A cause de cela, le CUMP avait mis l’accent sur le recrutement d’évangélistes locaux. Mais, contrairement à Gowon, un bon nombre de ces évangélistes ont quitté le service de la mission pour prendre des postes gouvernementaux lucratifs. En attendant, les opérations des deux missions opérant par la foi, la SIM (Sudan Interior Mission, [Mission vers l’intérieur du Soudan], qui s’appelle désormais la Society for International Ministries [Société des ministères internationaux]) et la SUM, (Sudan United Mission [Mission unie du Soudan], la branche britannique, qui s’appelle maintenant Action Partners [Partenaires dans l’action]) avaient commencé à empiéter sur les régions où travaillait le CUMP, et les avait pratiquement encerclés. Par conséquent, le CUMP a commencé à négocier avec la SUM pour leur donner leurs régions d’opération. Le transfert a eu lieu le 30 avril 1930. A cette époque, il y avait à peu près 400 membres d’église parmi les Ngas.

Les implications de ce transfert étaient de grande envergure. Les églises Ngas, qui suivaient la liturgie et la structure épiscopalienne, allaient maintenant être prises en main par une mission qui était plus ou moins congrégationaliste. De plus, tous les évangélistes Ngas ont été licenciés. La SUM avait adopté les principes de l’église indigène formulés par Henry Venn, selon lesquelles les évangélistes africains devaient être soutenus par les églises locales et non par la mission. Ainsi, tout évangéliste qui voulait continuer à travailler avec la mission serait obligé de le faire en bénévole, et ne devait pas s’attendre à recevoir de paie. De plus, la SUM était contre l’alcool, tandis que les pratiques anglicanes sous le CUMP comprenaient l’utilisation du vin pour la communion. Par conséquent, tous ces changements radicaux ont irrité les Ngas, surtout puisqu’ils n’avaient pas été prévenus du transfert. Les Ngas de Per, là où Gowon avait travaillé, ne pouvaient pas accepter ces changements. Une délégation est allée à pied jusqu’à Zaria, (une distance d’à peu près 300 km) au siège de la CMS dans le nord du Nigéria, pour amener à l’évêque leur protestation concernant le transfert des églises Ngas à la SUM.

Gowon était maintenant face au dilemme. Il avait décidé de continuer comme évangéliste bénévole plutôt que de prendre un emploi civil comme certains de ses collègues. En fait, il était maintenant le catéchiste de l’église SUM à Ner, mais il trouvait qu’il était de plus en plus difficile de pourvoir aux besoins de sa famille grandissante. Il avait décidé d’avance de ne pas rentrer dans son village natal de Lur parce que ses persécuteurs se seraient moqués de lui, lui disant qu’il n’avait rien gagné après tout ce temps passé à suivre les missionnaires. Ce qui l’inquiétait le plus, c’était l’éducation de ses enfants. A l’époque, la SUM ne pourvoyait pas à l’éducation occidentale des familles de leurs évangélistes

Juste à ce moment critique, l’évêque anglican à Zaria, le très révérend Alfred Smith, a entendu parler des difficultés de Gowon. Il a envoyé des fonds permettant à Gowon de venir à Zaria pour travailler comme évangéliste parmi les Maguzawa, un groupe Hausa traditionaliste qui avait résisté à la conversion à l’Islam. Ainsi, en 1936, Gowon et sa famille se sont installés à Wusasa Zaria, une nouvelle station missionnaire très près de la ville musulmane de Zaria. Là, ses enfants ont pu aller aux écoles de la CMS qui avaient été fondées par le professeur Walter Samuel Miller en 1905.

La migration de Gowon à Wusasa a créé un précédent qui a été suivi par de nombreuses familles Ngas. C’est ainsi que les Ngas sont devenus une des plus grandes communautés d’immigrés à Wusasa. En attendant, les responsables missionnaires à Wusasa ont donné à Gowon la responsabilité des villes Maguwa de Maska, Chafe, Bakori, et Soba où il devait prêcher et enseigner en Hausa.

Néanmoins, quatre ans plus tard, Gowon avait toujours de la difficulté à communiquer en Hausa. Il parlait le Hausa avec un accent Ngas tellement marqué que ses auditeurs Hausa avaient du mal à le comprendre. Quand cette difficulté à été rapportée aux responsables missionnaires à Wasusa, Gowon a été relevé de ses fonctions d’évangéliste-catéchiste en 1940. Néanmoins, les missionnaires ont été très gentils et ont accordé des bourses scolaires à ses enfants. On lui a donné du travail manuel à la station missionnaire : il creusait des puits et des fosses pour les installations sanitaires. Il s’occupa aussi du cimetière de Wasusa où il creusait les tombes. Il se remit aussi à cultiver la terre, une ancienne occupation qu’il connaissait bien. Il a vite converti les terres arables aux alentours de Wasusa, qui étaient restées jusque-là en jachère, en terres cultivées florissantes.

L’humilité de Pa Gowon, son engagement vis-à-vis du service chrétien, son esprit de tolérance, de pardon, et d’hospitalité, lui ont valu l’admiration de beaucoup de ses amis musulmans mais il a aussi été reconnu comme un saint parmi les chrétiens très respectés du nord du Nigéria.

Pa Gowon est mort de vieillesse en 1973– il avait probablement plus de quatre-vingt-dix ans. Il a été survécu par son épouse, Saraya Kuryan, (qui est morte en 1999) et plusieurs de ses enfants.

Musa A. B. Gaiya


Sources:

Daniel Nimcir Wambutda, A Study of Conversion Among the Angas of Plateau State of Nigeria with Emphasis on Christianity [Une étude de la conversion parmi les Angas de Plateau State au Nigéria, soulignant surtout le christianisme] (Frankfurt am Main : Peter Lang, 1991).

Musa A. B. Gaiya, A Portrait of a Saint: The Life and Times of Pa Yohanna Gowon (d. 1973), [Portrait d’un saint : la vie de Pa Yohanna Gowon (d. 1973)] (Jos : Fab Anieh, 1998).


Ce récit, reçu en 2005, est le produit des recherches du professeur Musa A. B. Gaiya, maître de conférences en histoire de l’église, à l’Université de Jos, département des études religieuses, Jos, Nigéria, et récipiendaire de la bourse du Projet Luc en 2003-2004.