Collection DIBICA Classique

Tous les articles créés ou soumis au cours des vingt premières années du projet, de 1995 à 2015.

Cuoq, R. P. Joseph

1917-1986
Église Catholique (Pères Blancs)
Non Africains

Décédé le 26 juillet, le père Joseph Cuoq, de la Société des missionnaires d’Afrique (pères blancs), était né le 23 mars 1917 à Saint-Didier-en-Velay. Il fut ordonné prêtre chez les pères blancs en 1942. Il commença des études d’arabe à Tunis (à l’I.B.L.A.), puis les continua au Liban. Il se trouvait à Alger pendant la guerre d’indépendance (jusqu’en 1961), résidant dans le quartier de la casbah. La Revue de presse (qui paraît à Alger, 5, chemin des Glycines) a été fondée par lui sous sa forme actuelle. Très au fait de l’évolution des sociétés maghrébines et arabe, Joseph Cuoq savait choisir les documents (les traduire éventuellement) pour éclairer ses lecteurs. Il était, en outre, en sympathie et en liaison avec le courant libéral de Français d’Algérie qui militaient pour la trêve civile réclamée par Albert Camus en 1956.

Il travailla de nombreuses années au secrétariat pour les Relations avec l’Islam fondé à Rome après le Concile de Vatican II. Il voyagea beaucoup aussi bien en Orient qu’en Afrique noire dans le cadre de ses activités pour une meilleure connaissance réciproque des chrétiens et des musulmans. Dans le même temps, il emmagasina de nombreux documents, fiches et informations sur l’islamisation de l’Afrique noire, ce qui lui permit, quelques années après avoir été relevé de ses activités à sa demande, de commencer à publier. Après quelques années à Tunis, il fut nommé par ses supérieurs à Paris en 1982 où il meurt le 26 juillet 1986 d’une maladie implacable survenue il y a quelques mois seulement. En ce même mois de juillet, Louis Gardet, petit frère du père de Foucauld, connu pour ses nombreux travaux d’islamologue, disparaissait à Toulouse.

Joseph Cuoq savait écrire. Ses ouvrages font autorité tant par leur riche documentation que par la maîtrise de celle-ci. Par ordre chronologique, mentionnons le Recueil des sources arabes concernant le Bilâd al-Sûdân du VIIIe au XVIe siècle (Paris, C.N.R.S. 1975; en réédit. actuellement). C’est un travail considérable de traductions de textes anciens, une somme d’informations de voyageurs arabes sur ce qu’on appelait autrefois le Soudan. Vient ensuite Les Musulmans en Afrique (Paris, Larose, 1975): ici encore statistiques, renseignements sur chaque pays d’Afrique où vivent des musulmans. C’est un ouvrage qui ne peut, comme le précédent, que rendre de grands services, pour une première connaissance de base. Joseph Cuoq s’attaque ensuite à la traduction du Journal d’un notable du Caire pendant l’expédition française d’Egypte (1788-1800) de Jabarti (Paris, Albin Michel, 1979). Le livre fourmille de notes et de commentaires sur la vie en Egypte, les événements, les hommes. Venture de Paradis, Tunis et Alger au XVIIIe siècle (Paris, Sindbad, 1983) constitue le quatrième ouvrage. Présentée et annotée par J. Cuoq, cette œuvre est particulièrement précieuse pour les historiens du Maghreb. Des extraits de la relation de Venture de Paradis avaient déjà été publiés mais non l’ensemble de l’œuvre comme ici.

S’intéressant à l’islamisation de l’Afrique noire, Joseph Cuoq fait paraître L’Islam en Ethiopie des origines au XVIe siècle (Paris, Nouvelles Edit. latines, 1981). Le royaume d’Ethiopie est resté à majorité chrétienne durant des siècles. Comment fut-il en partie islamisé? Voilà encore une étude sérieuse appuyée sur des sources historiques précises. L’Histoire de l’islamisation de l’Afrique de l’Ouest des origines à la fin du XVIe siècle (Paris, Geuthner, 1984) est pareillement basée sur les sources arabes nombreuses et sur les meilleures études déjà élaborées sur la question. L’auteur constate que “tout au long de l’histoire du Bilâd al-Sûdan l’islam fut présent. Quel fut son rôle? Quelle part a-t-il pris dans ces régions à leur ouverture au monde? Comment les diverses ethnies ont-elles intégré la nouvelle religion et à quel degré leur culture a-t-elle été marquée”? Il s’agit d’un ouvrage précis et rigoureux. La dernière œuvre parue est l’Eglise d’Afrique du Nord, du deuxième au douzième siècle (Paris, Le centurion, 1984). Les chapitres consacrés aux temps précédant la conquête arabe se basent sur des études connues. L’auteur en fait une synthèse passionnante. Quant aux siècles passés sous le régime de l’islam, nous avons là des mises au point particulièrement avisées par rapport à ce qui a paru jusqu’alors. Ceci à partir non seulement des sources écrites arabes et latines mais encore de l’épigraphie. Les faits sont établis directement. L’histoire globale, elle, reste “largement mutilée,” dit l’auteur, mais elle est néanmoins recomposée ici d’une manière magistrale. L’auteur, en conclusion, avance que l’islamisation de la Berbérie semble bien avoir été tout autant l’œuvre des Berbères eux-mêmes que celle des Arabes. Les chrétiens, eux, manifestèrent “une fidélité sans faille à l’Eglise de Rome” ; leur attachement à la romanité s’exprima “par l’usage du latin, qui dura au moins jusqu’au XIIe siècle.” Cependant “la réaction de minoritaires, plus tolérée qu’acceptée, ne pouvait que créer chez eux une mentalité de ghetto.”

Le dernier ouvrage à paraître est consacré à l’Histoire de l’islamisation de la Nubie chrétienne (chez Geuthner). Toutes ces Histoires sont des instruments de référence de première main à partir des sources authentiques. Nous ne pouvons donc que souhaiter l’édition rapide du dernier volume.

Joseph Cuoq a remarquablement servi non seulement l’Eglise en tant que prêtre, mais encore la science en tant qu’historien. Tout ceci dans une optique de rencontre, de connaissance réciproque et d’ouverture au monde de l’Islam. Et ce dans le respect des personnes. Parce que croyant, il était apte à comprendre d’autres croyants. Et ceci n’est pas un mince avantage dans le dialogue avec les musulmans. La rigueur, la probité intellectuelle et l’attention à l’autre, même à travers des sources anciennes, furent les qualités, parmi d’autres, qui marquèrent le travail constructif du père Joseph Cuoq.

Jean Déjeux


Cet article, réimprîmé ici avec permission, est tiré d’Hommes et Destins: Dictionnaire biographique d’Outre-Mer, tome 9, publié en 1977 par l’Académie des Sciences d’Outre-Mer (15, rue la Pérouse, 75116 Paris, France). Tous droits réservés.