Collection DIBICA Classique

Tous les articles créés ou soumis au cours des vingt premières années du projet, de 1995 à 2015.

Joubert, Lucien

1832-1893
Église Catholique
Sénégal

Le docteur Joubert (Lucien-Eugène) est né à Primarette dans le canton de Beaurepaire en Isère le 26 janvier 1832, dernier de quatre garçons d’une famille modeste; son père était aubergiste. Chirurgien auxiliaire de la marine en 1854, il ne peut passer le concours de “chirurgien entretenu” car il participe à la campagne de Crimée, de mai 1854 à juillet 1856, embarqué successivement Sur “Le Véloce”, “l’Iena” et “le Cyclone”. Il demande donc à partir pour le Sénégal où il est d’abord affecté à l’hôpital de Saint-Louis en 1857. L’année suivante il est nommé chef de poste à Senou Debou où il exerce simultanément des fonctions médicales et administratives. Faidherbe, responsable de ce cumul insolite mais qu’aucun texte réglementaire n’interdit, justifie sa décision auprès du ministère de la marine et des colonies en notant que le docteur Joubert fait preuve des “qualités nécessaires à un commandant de poste dans le haut du fleuve.” Le Gouverneur du Sénégal le mute d’ailleurs par la suite à Medine en 1859 puis à Matam en 1862. Nommé, entre temps, chevalier de la Légion d’Honneur en 1860, il rentre en France fin 1862 et après une cure à Vichy pour refaire une santé altérée par six ans d’Afrique, il effectue auprès des autorités maritimes une double démarche; la première sollicite le bénéfice de la gratuité des inscriptions en faculté; par la seconde, il demande sa mise en position de non-activité pour préparer les épreuves du doctorat en médecine qu’il obtient à Montpellier en juillet 1863.

Le docteur Joubert semble posséder une véritable vocation scientifique coloniale, car il adresse le 19 décembre 1865 au Ministre une lettre dans laquelle il manifeste le désir de servir en Cochinchine, motivant ainsi sa requête: “mon intention, si ma demande est agréée, serait de prier le gouverneur de cette colonie de m’attacher au voyage d’exploration qui se prépare dans le Cambodge afin de poursuivre dans cette exploration les études spéciales de géologie et de minéralogie auxquelles je me livre depuis plusieurs années et que j’ai eu l’occasion d’appliquer dans le Haut Sénégal.” Il embarque donc sur “l’Ardèche” au début de 1866 pour rallier Saigon peu de temps avant le départ de la mission d’exploration du Mékong à laquelle il est affecté par l’Amiral de la Grandière conformément à ses desiderata et au sein de laquelle il exercera simultanément les fonctions de médecin et de géologue. La moisson scientifique de cette expédition fut considérable; un chapitre entier du rapport officiel publié en 1873 concerne les problèmes de géologie et de minéralogie de toute la région traversée, du Cambodge à la Chine.

De plus, le docteur Joubert fit preuve tout au long de ce très dur voyage d’exploration qui dura plus de deux ans, de juin 1866 à juin 1868, d’un dévouement inlassable tant auprès de ses compagnons qu’en faveur des populations, souvent malheureuses et vivant dans de piètres conditions sanitaires, qu’ils rencontrèrent sur leur passage. Lorsque le capitaine de Frégate Doudart de Lagrée, commandant de l’expédition, gravement malade dut s’immobiliser à Tong- Tchouan, petit village de la province du Yunnan en Chine du Sud, le docteur Joubert demeura auprès de lui, tandis que ses autres compagnons poursuivaient leur marche vers la ville de Tali située non loin du LanTsang-Kiang (nom chinois du Mékong). Ils durent rebrousser chemin, en raison de la révolte des Musulmans de la province contre le pouvoir impérial de Pékin et c’est à leur retour à Tong-Tchouan le 3 avril 1868 qu’ils apprirent, de la bouche du docteur Joubert, la mort de leur chef, survenue le 12 mars. Par une ponction du foie effectuée dans des conditions extrêmement précaires, le médecin de l’expédition avait tenté de sauver le malade. En se livrant à l’autopsie du Commandant Doudart de Lagrée, avant de le faire inhumer provisoirement, il découvrit un second abcès qui avait été fatal.

Rentré en France avec les survivants de l’expédition dès la fin de 1868, le docteur Joubert participe à la rédaction du rapport officiel puis donne sa démission le 17 août 1869. Réintégré comme médecin auxiliaire de deuxième classe, il quitte définitivement le service actif après la guerre de 1870-1871, et s’installe à Bagnoles-de-l’Orne où il demeurera de nombreuses années médecin inspecteur de l’établissement thermal, avant de s’y éteindre à l’âge de soixante et un ans en 1893. Le lieutenant de vaisseau Francis Garnier, second de l’expédition, qui avait succédé à Doudart de Lagrée, avait proposé le docteur Joubert pour le grade d’officier de la Légion d’Honneur dès 1871, motivant cette demande par le jugement suivant: “le dévouement du docteur Joubert comme médecin de l’expédition, le concours actif qu’il n’a cessé de prêter à son chef, en dehors même de sa spécialité, le courage et le sang-froid qu’il a montrés en quelques circonstances difficiles.”

Jean-Pierre Gomane


Bibliographie

Brebion/Cabaton, page 107.


Cet article, réimprîmé ici avec permission, est tiré d’Hommes et Destins: Dictionnaire biographique d’Outre-Mer, tome 2, volume 1, publié en 1977 par l’Académie des Sciences d’Outre-Mer (15, rue la Pérouse, 75116 Paris, France). Tous droits réservés.