Collection DIBICA Classique

Tous les articles créés ou soumis au cours des vingt premières années du projet, de 1995 à 2015.

Pieh, Sengbe

Noms alternatifs: Cinque, Joseph
1813-1879
Mende Mission
Sierra Leone

image

Sengbe Pieh (circa 1813 à 1879), aussi connu sous le nom de Joseph Cinque, était le leader courageux d’une révolte d’esclaves qui a eu lieu à bord du vaisseau négrierAmistaden 1839. Cet événement a ultimement amené au procès historique à la cour suprême des Etats-Unis et a eu des conséquences très importantes pour les deux pays impliqués, les Etats-Unis et la Sierra Leone.

Pieh est né vers 1813 dans la ville de Mani au pays Mende, qui est à une distance de dix jours de marche de la côte de Gallinas. On dit qu’il était le fils d’un chef local. Il est certain qu’il était cultivateur, et qu’il était marié avec trois enfants. En 1839 il a été capturé par quatre hommes alors qu’il allait à sa ferme. Il a été amené dans un village avoisinant, et ensuite a été envoyé à Lemboko, une île au large de la côte de Gallinas, connue pour la traite d’esclaves, où il a été vendu au marchand d’esclaves le plus riche. Il a éventuellement été connu comme Joseph Cinque, un nom qui lui a été donné par des négriers espagnols à Cuba. Ce nom a été épelé différemment dans divers textes, soit: Cinquez, Cingue, Sinko et Jimgua.

Il a quitté Lomboko à bord du schooner Iesora, en compagnie de plusieurs autres esclaves, à destination de la Havane, Cuba. Jose Ruiz, le propriétaire espagnol d’une plantation, a acheté Sengbe et quarante-huit autres personnes, au prix de $450 chacun, pour qu’ils travaillent dans sa plantation, qui était à Porto Principe, un autre port cubain à 480 km de la Havane. Pedro Montez, un autre espagnol qui prenait la mer pour Port Principe, a acheté quatre enfants. L’importation des esclaves avait été rendue illégale par l’Espagne en 1820, mais les deux hommes ont tout de même mis leurs esclaves à bord du schooner Amistad, et ont levé l’ancre pour Porto Principe.

Après trois jours en mer, Sengbe est arrivé à se libérer en détachant un gros clou qui le tenait au plancher, et il a aussi libéré ses camarades. Sous sa direction, ils ont tué le capitaine (qui était propriétaire du bateau) et un des membres de l’équipage, mais ils ont laissé la vie sauve au garçon de cabine, Ruiz, à Montez, et au second, qui a été épargné pour la navigation du bateau. Deux esclaves sont morts au cours de l’attaque.

Sengbe a donné l’ordre au nouveau capitaine de faire route vers l’est et la côte africaine, mais pendant la nuit, il dirigeait le bateau vers l’ouest ou le nord. Après avoir navigué ainsi pendant deux mois, ils ont mouillé l’ancre au large de Long Island (une île de l’état de New York, aux Etats-Unis). La nouvelle du bateau mystérieux s’est vite répandue. En condition déplorable, ses voiles presque en lambeaux, l’Amistad a été saisie par un brick de recherche hydrographique des Etats-Unis. Ruiz et Montez ont été mis en liberté, mais Sengbe et les autres esclaves ont été arrêtés et inculpés à raison de meurtre et de piraterie. Suite à une investigation préliminaire, le juge du district a ordonné que le cas soit présenté au tribunal de la juridiction de Hartford, Connecticut.

Ruiz et Montez ont réclamé que les africains leur appartenaient, tandis que le consul espagnol à Boston réclamait le vaisseau, les esclaves et la cargaison au nom du roi d’Espagne, étant donné que Ruiz et Montez étaient citoyens espagnols. Un comité d’abolitionnistes, connu par la suite comme le Comité de l’Amistad, a ensuite été formé pour la défense des prisonniers. Pour le comité, la tâche la plus difficile était d’obtenir la version de l’histoire du point de vue des prisonniers. Plusieurs tentatives de trouver un interprète ont échoué, mais éventuellement, le professeur J.W. Gibbs, de la faculté de théologie à l’université de Yale, a trouvé un certain James Covey, qui était ancien esclave. Covey, qui servait à bord d’un vaisseau de la marine britannique à new York, était originaire de la Sierra Leone, et parlait la langue Mende.

Dans un contexte de grande excitation, le Comité de l’Amistad, qui comprenait S.S. Jocelyn, Joshua Leavitt, et Lewis Tappan (ce dernier était un marchand riche et un antiesclavagiste passionné), ont lancé une campagne qui s’appelait “Un appel aux amis de la liberté,” dans le but de susciter des fonds pour le bien-être des “nègres de l’Amistad” comme on les appelait dans la rue, ainsi que pour payer les avocats qui allaient monter la défense.

La position des abolitionnistes était délicate. L’incident de l’Amistad était opportun, parce qu’il permettait d’unir les différends qui avaient menacé de détruire complètement le mouvement abolitionniste. En outre, beaucoup de gens étaient sympathiques au cas de l’Amistad et faisaient preuve de leur soutien, même s’ils n’étaient pas abolitionnistes. Par contre, beaucoup d’autres personnes influentes qui soutenaient le gouvernement des Etats-Unis avaient des intérêts esclavagistes bien établis.

Le Président Martin Van Buren (qui a servi de 1837 à 1941), soucieux de gagner les votes des esclavagistes du sud dans l’élection générale qui allait avoir lieu sous peu en 1840, voulaient que les captifs soient livrés aux autorités espagnoles, mais cela n’a pas pu avoir lieu parce qu’il n’y avait aucun traité d’extradition avec l’Espagne. Le représentant du ministère public, qui était nommé par le président, soutenait que les prisonniers devraient être gardés en prison selon les directives du président. Van Buren a même envoyé un vaisseau naval jusqu’à New Haven, Connecticut, sous ordres de saisir les prisonniers sans aucun délai si le verdict allait à leur encontre, dans le but de ne pas laisser assez de temps aux abolitionnistes d’apeler un jugement.

Le conseil de la défense a vivement recommandé au président de ne pas faire décider ce cas “dans les recoins du cabinet,” où les esclaves ne pourraient être défendus. Quand le tribunal de la juridiction a enfin rendu son jugement en janvier 1840, le jugement était le suivant: le gouvernement des Etats-Unis n’avait aucun droit de porter plainte contre les prisonniers parce que l’Amistad appartenait à un citoyen espagnol; étant donné que les prisonniers avaient été kidnappés et mis en esclavage, ils étaient maintenant, selon la loi, des hommes libres; ils avaient été capturés contre leur volonté en Afrique, et c’est là qu’il fallait les ramener.

Beaucoup de personnes ont contesté ce jugement, y compris le président lui-même, qui a donné l’ordre au représentant du ministère public de faire appel à la cour suprême. En attendant, certains prisonniers de l’Amistad étaient tombés malades et étaient morts. Les survivants, cependant, apprenaient à lire et à écrire dans des cours organisés par les abolitionnistes.

Ayant reconnu le besoin d’avoir quelqu’un de très connu et du plus haut niveau possible comme avocat pour plaider la cause des nègres devant la cour suprême, les abolitionnistes ont demandé à l’ancien président John Quincy Adams de prendre la défense en main. Agé de soixante-treize ans et n’ayant pas pratiqué la loi depuis plus de trente ans, l’ancien président était réticent, ne voulant pas prendre le cas par peur de mettre en danger la vie des africains en cas de défaite. Cependant, il a été persuadé de prendre le dossier, et le célèbre “tribunal d’un président par un autre,” s’ensuivit. Ayant préparé une défense élaborée, “le vieil éloquent,” comme on l’a appelé par la suite, s’est adressé à la cour pendant treize heures. En mars 1841, la cour a rendu son jugement: les captifs étaient des hommes libres, de plein droit.

Suite à leur acquittement, les africains ont été amenés à Farmington, Connecticut, une des premières villes abolitionnistes, où ils ont reçu une éducation plus formelle pendant le reste de l’année. Comme le président était réticent à fournir un bateau pour les rapatrier, les abolitionnistes ont complètement assumé la responsabilité du sort des africains. Pour aider à lever les fonds nécessaires à l’affrètement d’un bateau, on les amenait ici et là pour qu’ils racontent leur épreuve aux gens dans les églises sympathiques, faisant preuve de leurs capacités de lire et de parler l’anglais.

Vers la fin de l’année on avait pu obtenir l’argent nécessaire, et le Gentleman a été affrété pour ramener les 35 africains dans la colonie de la Sierra Leone, accompagnés de cinq missionnaires - deux noirs et trois blancs - pour fonder la soi disante Mission Mende avec l’aide des africains de l’Amistad. Le but de la mission était de faire la promotion de l’œuvre d’évangélisation qui avait déjà connu un certain succès en Sierra Leone. Le bateau est arrivé à Freetown à la mi-janvier, 1842. Sengbe a appris de la part d’anciens esclaves Mende que la guerre avait ravagé le pays en son absence, et que sa ville natale ainsi que la plupart de sa famille avait été éliminée. Ainsi, l’espoir d’établir la Mission Mende près de la ville natale de Sengbe n’a jamais pu se réaliser.

Anxieux de retrouver leurs foyers et leurs familles, beaucoup d’africains de l’Amistad se sont enfuis, laissant seulement dix adultes et quatre enfants. Ce n’était pas facile de trouver un endroit pour fonder la mission, mais une mission a enfin été établie à Komende, sur l’île de Sherbro. Eventuellement, la mission a établi des stations sur terre ferme, et l’une d’entre elles a été nommée Mo Tappan (Mo en Sherbro veut dire “à l’endroit de”) en reconnaissance de l’aide désintéressée de Lewis Tappan.

Il est difficile de reconstruire avec exactitude ce qui est arrivé à Sengbe de1842 jusqu’à sa mort. De nombreux récits contradictoires existaient. Comme un certain nombre de ceux qui avaient échappé Freetown, Sengbe continuait de passer par la station missionnaire de temps en temps. Il a dit aux missionnaires qu’après avoir quitté Freetown, il était vite rentré à Mani, mais n’avait découvert que les ruines carbonisées de la ville. Dans le désespoir, il est venu à la mission pendant quelque temps, mais a encore disparu après cela. Il y avait beaucoup de rumeurs différentes en circulation à son égard: qu’il était devenu un grand chef guerrier, ou bien qu’il avait abandonné le christianisme pour devenir esclavagiste riche lui-même. Une des rumeurs les plus substantives, que les missionnaires était plus enclins à croire, était qu’il avait émigré aux Antilles.

Quoi qu’il en soit, il est rapporté que Sengbe est mort à la station missionnaire. Le rév. Alonzo Lewis, qui avait vu la capture de l’Amistad et qui avait suivi le procès, a demandé plus tard au rév. Albert Miller de la mission Mende ce qui était arrivé à Sengbe. Selon Miller, peu après son arrivée à la mission Mende en 1878, un vieillard que personne ne reconnaissait était arrivé à la station. Il a dit qu’il était Joseph Sengbe et qu’il était venu là pour mourir. Sengbe était retombé dans le paganisme, mais vivait près de la mission. Il est mort en 1879, et a été enterré au cimetière proche de la station missionnaire.

L’affaire de l’Amistad, qui avait eu son origine dans la révolte de Sengbe, a eu des conséquences très importantes. Vers la fin du procès, les sentiments entre le nord et le sud esclavagiste étaient devenus tellement amers qu’il faut en tenir compte comme un des événements qui ont amené les Etats-Unis à la guerre civile, en 1860. La décision de la cour n’était pas en elle-même une attaque contre l’esclavage, mais elle a suffi à unir les abolitionnistes, et a arrêté la dissolution du mouvement. En outre, l’œuvre missionnaire en Afrique précipitée par le procès de l’Amistad a amené à l’établissement de l’American Missionary Association [AMA, association missionnaire américaine] en 1846, et c’est celle-ci qui a pris la mission Mende en main. Parmi toutes les sociétés abolitionnistes aux Etats-Unis avant l’éclat de la guerre civile, c’était la plus importante et la mieux organisée.

Cette association a établi des centaines d’églises et d’écoles antiesclavagistes dans le nord et dans les états frontière du sud, surtout pour éduquer les noirs libres. C’est ainsi que de grandes institutions telles que la Hampton Institute, ainsi que les universités d’Atlanta, de Howard, de Fisk et de Dillard sont nées, des institutions auxquelles énormément de noirs américains doivent leur éducation supérieure. Sous la direction de Sengbe, selon un texte du New Orleans Weekly [hebdomadaire], “la détermination de 53 africains qui ont décidé de ne pas accepter l’esclavage imposé à inauguré un mouvement qui a fini par créer un réseau formidable d’institutions dans le sud qui ont éduqué les leaders du mouvement moderne des droits civils.”

Elle a aussi donné naissance au début de l’évangélisation américaine de l’Afrique et d’autres parties du monde. En Sierra Leone, l’AMA a été responsable d’avoir amené l’éducation occidentale au peuple Mende avant son introduction par le gouvernement colonialiste britannique. Elle a aussi fondé plusieurs écoles importantes, telles que la Hartford School for Girls [école de filles Hartford] à Moyamba, et l’académie Albert à Freetown, qui sont toutes les deux toujours populaires aujourd’hui. Tous ces développements remontent à Joseph Sengbe et à son acte de rébellion à bord de l’Amistad.

Arthur Abraham


Bibliographie

John W. Barber, A History of the Amistad captives [Une histoire des captifs de l’Amistad], New Haven, 1840; Morris Bishop, “Cinque the Noble Mutineer,” [Cinque, le mutin noble] New Yorker, 20 décembre, 1941; Clifton, H. Johnson, “The Amistad Incident” [L’incident de l’Amistad] dans David Driskell (éd.), Amistad II: Afro-American Art, New York, 1975; Bernice Kohn, The Amistad Mutiny [La mutinerie de l’Amistad] New York, 1971; Helen Kromer, Amistad Revolt, 1839, New York, 1973; Alonzo N. Lewis, “Recollections of the Amistad Slave Case,” [Souvenirs du procès des esclaves de l’Amistad] Connecticut Magazine, II, 1907; William Owens, Black Mutiny [Mutinerie noire] Philadelphia, 1953.


Cet article vient de The Encyclopaedia Africana Dictionary of African Biography (en 20 Volumes). Volume Deux: Sierra Leone-Zaire, Ed. L. H. Ofosu-Appiah. New York: Reference Publications Inc., 1979. Tous droits réservés.