Collection DIBICA Classique

Tous les articles créés ou soumis au cours des vingt premières années du projet, de 1995 à 2015.

Bakhita Kwashe

Noms alternatifs: Sr. Fortunata Quasce
1841-1899
Église Catholique
Soudan , Egypte

image La première sour soudanaise prise comme esclave et ensuite émancipée pour évangéliser l’Afrique.

La jeune femme qui est devenue Sour Fortunata Quasce, la première sour soudanaise, est née à “Tongojo, dans les montagnes de Nuba,” dans la province de Kordofan du sud, vers 1841. Elle a été capturée lors d’un raid près de son village quand elle avait à peu près dix ans. [1] Depuis le temps de l’invasion de l’armée de Mohammed Ali en 1821, la région des montagnes de Nuba avait été soumise à des raids fréquents, parce que le souverain égyptien cherchait des esclaves pour sa nouvelle armée. Vers les années 1840 les raids organisés par l’état avaient plus ou moins cessé, mais le régime des égyptiens (appelé le Turkiya) a commencé à demander aux chefs et aux marchands de payer l’impôt en biens ou en esclaves. Les raids dans les montagnes de Nuba, une région organisée en général de manière décentralisée, étaient néanmoins fréquents, et les chefs de tribu de la région entreprenaient des raids les uns sur les autres pour payer l’impôt exigé par le gouvernement. [2]

Nous ne connaissons ni le nom donné à Fortunata par sa famille, ni les noms des membres de sa famille. Si elle a révélé cette information aux autres sours plus tard dans sa vie, il n’y en a aucun souvenir. Son nom aurait pu être une variante sur le nom Kwashe/Kwache, parce que les italiens qui l’ont adoptée avaient tendance à garder au moins un des noms africains de ceux qu’ils prenaient. Nous savons très peu sur sa capture et sur comment elle est arrivée au marché des esclaves du Caire, mais il est probable qu’elle ait suivi les routes bien établies pour cela à l’époque. Il est probable qu’elle ait d’abord été amenée à El Obeid, la ville principale du Kordofan, et de là au Nil, probablement en traversant le désert de Bayuda d’al-Matamma à Korti, et ensuite acheminée en bâteau jusqu’au Caire. De là, elle aurait été envoyée soit au marché du cimetière vers l’est, qui était en dehors de la ville près du mausolée de Qaitbey, soit dans un des wakalas privés (bâtiment de marché/caravansérail) au centre de la ville, près du grand bazaar de Khan al-Khalili. Les marchands d’esclaves lui ont donné le nom Bakhita - le nom souvent donné aux jeunes femmes esclaves du Soudan.

Au Caire, elle a été achetée par un prêtre italien qui s’appelait Geremia da Livorno. Ce dernier, selon les instructions du père Niccolo Mazza en Italie, allait au marché des esclaves pour acheter “des enfants africains qui ont l’air intelligents et vifs,” qu’ils pourraient ensuite inscrire à l’Institut Mazza, à Vérone. Bakhita avait douze ou treize ans quand elle a été achetée, livrée avec des papiers d’asservissement, transportée à Alexandrie, et envoyée de l’autre côté de la Méditerrannée avec un groupe de dix enfants et dix-huit jeunes, tous africains. [3]

Il y avait une longue tradition de rédemption des esclaves (riscatto) en Italie. Cette tradition a commencé pendant la période des guerres avec l’empire Ottoman, et plus tard parmi les pirates des côtes de Barbarie, quand il a fallu racheter de nombreux Européens. Dès le dix-septième siècle, des missionnaires franciscains dans le nord de l’Afrique (l’Egypte, le Soudan et l’Ethiopie) amenaient des anciens esclaves à Rome pour qu’ils soient éduqués. [4] Au dix-neuvième siècle, cette idée a été envisagée de nouveau par Niccolo Olivieri, un prêtre italien, comme une partie du mouvement chrétien expansioniste. C’est devenu une idée populaire parce que de nombreux missionnaires italiens qui sont allés au Soudan pour faire de l’évangélisation parmi les africains sont morts de maladies tropicales, et il est devenu évident qu’il serait plus efficace de former des africains pour accomplir ce travail. Olivieri a inspiré Mazza pour qu’il libère des esclaves africains et les éduque en Europe, parce qu’ils deviendraient ainsi les jeunes recrus pour une nouvelle campagne qui consistait à faire l’évangélisation “de l’Afrique par les africains.” Bakhita était une des nombreuses filles africaines dont le destin a été associé à cet effort missionnaire catholique, et qui ont par conséquent été libérées de ce qui aurait sans doute été une vie domestique de travail pénible et ingrat en Egypte. [5]

Le nom italien de Bakhita, Fortunata, n’est pas venu de sa marraine selon la coutûme catholique, parce que sa marraine s’appelait Maria Falezza. Il est plus probable que cela vienne de son nom d’esclave qui signifie aussi “la chance.” Après avoir été amenée à Vérone, elle a passé onze ans à l’Instituto Mazza à apprendre l’arabe et l’italien, la doctrine chrétienne (le catéchisme) et des notions de géographie, de mathémathiques, d’histoire, de pharmacie et de médecine, et, surtout, du travail de femme : la couture, la broderie, le raccommodage et les travaux d’aiguille. Il y avait au moins douze autres filles africaines à l’Institut, avec quelque 300 autres filles italiennes pauvres que l’on formait aussi (séparément) au travail de femme. Le progrès des filles africaines était surveillé de près par quelqu’un de nouveau dans l’institut, Daniel Comboni, qui est devenu dans les décennies à suivre la personne la plus importante pour l’évangélisation de l’Afrique, et quelqu’un qui a eu une grande influence dans la nouvelle vie de Bakhita. C’est Comboni qui a ranimé la mission vers l’Afrique centrale et qui a mis beaucoup de valeur sur les contributions potentielles des jeunes filles et garçons qui étaient en train d’être formés à Vérone et dans plusieurs autres endroits en Europe, y compris Naples et Lujbjana (Slovénie).

Les lettres de Comboni des années 1860, adressées aux bienfaiteurs et à ceux qui donnaient du soutien, en Allemagne ou ailleurs, donnent des rapports valables sur le progrès de l’éducation des filles. Sur les douze à Vérone, Fortunata n’a pas reçu de louanges exceptionnelles. Elle était plus âgée que la plupart des filles, et les autorités de l’école, de manière générale, se plaignaient que les filles plus âgées ne voulaient pas se laisser diriger. En 1863, quand Bakhita aurait eu vingt-deux ans, Comboni a écrit, “Nos filles africaines adultes, même si elles ont un très bon comportement et sont pieuses, n’ont plus la docilité qu’elles avaient avant. Il faut les diriger avec plus de perspicacité et ne pas faire attention à certaines fautes. Pour le moment, nous sommes content de leur progrès.” [6] Il faut se demander : quelle était bien la docilité que Bakhita ne montrait pas ?

On a donné aux jeunes africains et africaines un nom spécial en italien, moretta/moretto, qui suggérait peut-être un plus haut niveau de civilisation que Africana/Africano ou nera/nero, mais qui en tout cas les distinguait des africains ordinaires. Cette terminologie était d’usage dans toute la litérature de l’époque qui parle d’élèves diplomés éduqués des écoles italiennes, qu’il s’agisse de Vérone ou d’ailleurs en Europe. Même après leur retour au Soudan, moretta/moretto s’appliquait toujours à ces adeptes, qu’ils fassent partie de la mission ou non.

Il y a eu un événement extraordinaire en 1867, car les jeunes filles ont été invitées à rencontrer le Pape Pie IX au Vatican. Comboni, qui était ambitieux, avait arrangé la réunion et a dirigé la conversation soigneusement. Elles portaient toutes des jolies robes avec des châles, et selon la photo de la réunion, elles portaient des sortes de turbans aux couleurs vives. Le pape a été ravi de les rencontrer et a fait quelques remarques sur la peau noire de l’une, ou des dents en avant de l’autre. A Bakhita, il a simplement demandé si elle pouvait faire de la broderie, de la couture, des raccommodages et du tricotage - et elle a répondu d’un simple “oui.” L’occasion a provoqué des réactions extrême chez plusieurs d’entre elles, et une fille s’est excusée pour aller vomir – c’est pourquoi elle ne figure pas dans la photo du groupe. [7]

Le plan de Comboni, c’était d’établir un point de départ pour l’Afrique centrale pour sa mission au Caire, et ensuite de continuer jusqu’à Khartoum, El Obeid et ailleurs au Soudan et au cour du continent dès que cela serait envisageable. En novembre de 1867 il a amené seize jeunes femmes africaines éduquées au Caire pour y ouvrir la première école, qui servirait aussi de quartier-général de la mission. L’école s’appelait Institut des noirs (Istituto di neri), et elle était d’abord dans le vieux Caire dans un ancien couvent maronite. Plus tard, elle était dans la nouvelle partie du Caire qui s’appelait Ismailia, et enfin (1887-88) dans l’île de Zamalek, pendant le règne du khédive Tawfiq. Bakhita, qui avait onze ans de formation, était parmi les enseignants. L’objectif de l’institut, c’était de former des étudiants africains qui pourraient aider à faire l’évangélisation du Soudan. Les étudiants avaient tendance à être des pauvres esclaves de la ville, libérés, mais qui ne pouvaient trouver ni un logement, ni de quoi manger. D’autres, de toute apparence, ont été achetés aux marchands d’esclaves. Les morette servaient aux côtés des sours blanches, comme enseignants et catéchistes. “Ils s’occupaient beaucoup des malades, et leur offraient de s’occuper d’eux. En même temps, ils leur offraient une initiation à la vraie foi,” disait une des sours. [8] Baur, dans un résumé des accomplissements de Comboni, écrit que l’Instituto di neri “était remarquable quand on considère sa courte durée et le produit indigène de ce centre de formation au Caire : deux prêtres, plusieurs catéchistes bien formés, et un plus grand nombre de femmes enseignantes. Ce dernier fait était un phénomène unique dans les missions catholiques à l’époque.”[9] Une de ces enseignantes était Bakhita Kwashe.

C’était le début de la nouvelle vie de Bakhita, qui allait faire l’évangélisation des africains, se servant de sa vie, pour ainsi dire, comme modèle que ses confrères et sours du Soudan pourraient accepter et suivre. Elle est restée au Caire pendant six ans et a ensuite été transférée à Khartoum en 1873 – une étape majeure pour la mission – et ensuite à El Obeid en 1873, quand cette mission a été ouverte.

Dans un rapport écrit en 1869, Comboni nomme les adeptes remarquables, et cette fois-ci, Bakhita est classée comme “exceptionnelle” (grassetta). D’autres adeptes remarquables: Caterina Zenab, Giustina Bahr al-Nil, et Domitilla Bakhita. [10]

Comboni a réétabli la Mission Centrafricaine à Khartoum en 1872, et y a fait un voyage en caravane avec un groupe de frères et de soeurs italiens et leurs adeptes noirs, hommes et femmes ; le voyage a pris 99 jours. La mission a établi une école et un jardin à l’intérieur de la ville, et même si l’esclavage était interdit d’office, l’ecole a continué à racheter des esclaves dans les marchés et chez les marchands d’esclaves. A cette époque, à peu près la moitié des gens dans la ville étaient des esclaves. Plusieurs enfants qui par la suite sont devenus des membres importants de la mission ont rejoint la famille Comboni à cette époque. Certains font partie des morette qui ont été envoyés à El Obeid avec Bakhita Kwashe. La plupart d’entre eux ne semblent pas avoir pris d’ordres religieux et ont quitté l’ordre quand ils se sont mariés. Licurgo Santoni, un italien qui a servi dans le service postal en Egypt vers la fin du dix-neuvième siècle, et qui était un grand ami des Comboni, a visité Khartoum et a observé les convertis de la mission quand il est allé aux cultes. “Les dimanches matins, on pouvait voir ces noirs, le mari et sa femme, habillés en vêtements lavés et du style européen, rentrer à la mission pour y entendre la messe de manière dévote, fiers de se retrouver libres, alors que dehors, leurs compatriotes étaient des esclaves sales à moitié habillés.” [11]

Seulement deux femmes du groupe qui avait été éduquées en Europe ont été choisies par Comboni pour ouvrir la nouvelle station missionnaire à El Obeid, et elles ont quitté Khartoum en 1873, après un bref séjour. Ces deux femmes, c’était Bhakita Kwashe et Domitilla Bakhita, une Dinka du groupe ethnique Madi (Madin ?) [12] qui avait cinq ans de moins que Bakhita quand elle est arrivée à Vérone. Pour Comboni, c’était un moment émotionnel, parce qu’il allait enfin pouvoir réaliser son rêve de convertir “L’Afrique par les africains,” grâce aux femmes africaines qui travaillaient avec lui. Même si elle n’avait pas l’humilité nécéssaire pour devenir sour – une qualité que Bakhita Kwashe possédait, apparemment – Domitilla est néanmoins restée chez les Comboni jusqu’à sa mort au Caire en 1921. [13]

L’ouverture, en 1875, d’une nouvelle station missionnaire dans un avant-poste du gouvernement dans les montagnes de Nuba, appelée Dilling, devait être l’appel ultime pour Bakhita, qui était femme de Nuba. Grave, pleine de dignité et introspective, elle aura sûrement embrassé l’idée de retourner dans sa patrie comme le résultat logique de sa formation spéciale. Cependant, pour des raisons que nous ne pouvons pas discerner à partir de la litérature existante, mais possiblement sous l’influence du père Daniel Comboni, qui visitait El Obeid, ou bien grâce à ses amitiés avec plusieurs femmes dans l’ordre religieux de Comboni qui s’appelaient les Mères pieuses de Nigrizia (ou parfois d’Afrique) qui avait été fondé en 1872, – elle a décidé d’être postulante dans cet ordre. En 1879 elle a commencé les deux années de prière, de contemplation et de préparation obligatoires pour la confirmation des sours dans cette communauté de femmes. C’est ainsi qu’elle est restée à El Obeid, et qu’elle n’a jamais entrepris cette mission civilisatrice au peuple Nuba. En 1881, sa préparation étant terminée, elle est devenue sour le dimanche de Pâques de cette même année, et elle est devenue sour “Fortunata Quasce” – la seule femme au dix-neuvième siècle parmi toutes les africaines qui avaient été envoyées en Europe – à devenir une des Mères pieuses de l’Afrique.

Une photo d’elle prise à cette époque, où elle porte l’habit des sours, la montre avec une expression calme mais sérieuse, les yeux graves et presque tristes, sans cicatrices au visage, et tenant un livre (de prières ?). Dans une lettre qu’elle a écrite à Comboni en 1880, on voit une très belle écriture moulée. Et pourtant, nous connaissons à peine ses pensées intérieures, car elle a laissé très peu de documents écrits. Un “cahier” qui lui est attribué a probablement été écrit par quelqu’un d’autre à partir de souvenirs d’elle après sa mort, parce que c’est une narration sans détour. Il n’y a aucun doute que dans sa qualité de femme africaine, elle aura été un modèle puissant pour les filles soudanaises qu’elle aura pu rencontrer. [14]

Une de ces filles était une jeune femme de la tribu Azande à qui on avait donné le nom Bianca Lemuna parce qu’elle était albinos. C’était une esclave qu’on avait amenée à Shakka, un marché dans le sud du Darfour. Eventuellement, elle est tombée aux mains du Gén. Gordon, qui l’a donnée à la mission catholique à El Obeid. Elle travaillait dans la cuisine de la mission quand elle n’était pas en classe ni aux prières, et Bakhita était sa maîtresse. Dans une lettre qui décrit Bianca à ses patrons en Europe, Comboni parle d’un incident à la mission. Bakhita avait offert de partager son pain avec Bianca, mais comme le pain des sours était fait de farine blanche et le pain des africains à la mission ne l’était pas, elle refusait toujours. Le fait que Bakhita voulait que Bianca fasse partie de la communauté suggère peut-être certaines choses sur la nature de son rôle dans le travail de la mission. [15]

La mission attirait beaucoup d’adhérents qui allaient aux écoles des sours, mais la confrontation avec les Turkiyya au Soudan – qui étaient dirigés par Mohammed Ahmad, et qui s’appelait le Mahdi – était de plus en plus inévitable, et s’annonçait difficile pour eux. Les stations missionnaires de Dilling et d’El Obeid sont tombées aux mains des Mahdistes, et Bakhita a été emprisonnée. Les missionnaires à Khartoum se sont retirés jusqu’au Caire, en prenant à peu près une centaine de chrétiens convertis et leurs familles avec eux. En dépit du fait qu’il y a peu d’information sur cette période de temps, il apparaîtrait que la foi religieuse inébranlable de Bakhita ait même été remarquée par le successeur du Mahdi, Khalifa Abdallahi Ta’isha. Sa vie a été rendue difficile par son refus de se convertir à l’Islam, et a peut-être contribué à sa décision de tenter de s’échapper d’Omdurman avec sour Maria Caprini – une entreprise très dangereuse. En leur faveur il y avait le fait que Bakhita était soudanaise et que l’on supposerait qu’elle était esclave. Cela permettrait à la sour Maria de poser comme une femme musulmane. Elles ont réussi à s’échapper et ont atteint Assouan, et ensuite le Caire, en 1885. Bakhita est redevenue enseignante dans l’Institut des noirs. [16]

Les missionnaires Comboni qui avaient fui Khartoum avec leurs convertis soudanais ont trouvé qu’il n’y avait pas assez de place pour eux dans la propriété missionnaire au centre du Caire. De plus, le travail traditionnel des Combonis, le secours amené aux noirs africains, attirait de plus en plus d’anciens esclaves pauvres, malades, et sans emploi. Ils ont eu beaucoup de chance et ont pu acheter une grande propriété du khédive Tawfiq dans l’île de Zamalek. Cette propriété était assez grande pour soutenir une communauté importante, et il y avait assez de terrain pour bâtir de quoi loger les prêtres, les sours, et les adeptes, et aussi assez de terre pour l’agriculture. Ils ont appelé la nouvelle propriété la Colonia Antischiavista Leone XIII, après le pape catholique, et Bakhita y enseignait le catéchisme. Il y a une photo d’elle à Gazira (ou Ghesira, comme on l’écrivait), où elle est entourée du groupe de sours accompagnés de leur charges soudanaises. Ses collègues, qui étaient presque tous italiens, comprenaient aussi son ancienne camarade de Vérone, de Khartoum, et d’El Obeid, Domitilla Bakhita. La période de temps qu’elle a passé à l’Institut était considérée “sereine.” [17]

Quand la nouvelle école Comboni a éte ouverte à Assouan en 1896, elle a été nommée membre du corps des enseignants. Puisque la nouvelle école était à Assouan et non pas à Shallal (le village plus au sud qui était entouré de villages habités par des soudanais - réfugiés, soldats, et leurs femmes et enfants), la plupart des élèves dans la nouvelle école étaient des égyptiens. En 1897, certains d’entre eux sont allés aux autorités de l’école pour se plaindre de la pertinence d’avoir une femme africaine comme enseignante pour leurs enfants. Ils ont commencé à placer leurs enfants dans des écoles missionnaires américaines, où l’enseignement venait surtout de femmes blanches. Bakhita a été réassignée au Caire en 1898, et malgré avoir contesté ce qui s’était passé auprès du vicaire, elle est restée à la Colonia Antischiavista à Zamalek. Elle est morte un an après, en 1899. [18]

Sa vie avait d’abord été très prometteuse sur le plan de l’épanouissement personnel, mais elle a fini dans la désillusion et la tristesse causée par les troubles politiques en Afrique Centrale, et par les circonstances sociales en Egypte. Sa vie est maintenant considérée comme étant symbolique de la lutte que les africains religieux peuvent confronter face au fondamentalisme et aux préjugés sociaux.

Terence Walz


Notes:

  1. Le lieu de naissance est mentionné dans la lettre de Daniel Comboni au président de la Société de Cologne, le 4 octobre 1863 (qui donne une liste des étudiants à l’école de Vérone (http://www.comboni.net/index.php?Lingua=EN&CodScritto=105&s=1), mais je n’ai pas pu la trouver sur une carte; la source principale sur la vie de Fortunata est Maria Vidale, Fortunata Quasce : Pia Prima Madre della Nigrizia Africana, Archivo Madri Nigrizia, 9 (2005) ; voir aussi Elisa Kidane, “Fortunata Quasce : Pietra Miliare di un Lungo Percorco,” dans Spiritualita Comboniana: Al Femminile, Rome: Archivio Madri Nigrizia, 6 (2003).

  2. Janet J. Ewald, Soldiers, Traders, and Slaves : State Formation and Economic Transformation in the Greater Nile Valley, 1700-1885 [Soldats, marchands, esclaves : la formation des états et la transformation économique dans la région de la vallée du Nil, 1700-1885], Madison: University of Wisconsin Press, 1990, 166-70 ; Roland Stevenson, The Nuba Peoples of Kordofan Province, [Les peuples Nuba de la province de Kordofan] Khartoum: Graduate College Publications, Monograph 7, University of Khartoum, 1984, 41-49.

  3. Vidale, 17 ; Hans Werner DeBrunner, Presence and Prestige; Africans in Europe: A History of Africans in Europe before 1918, [Présence et prestige ; les Africains en Europe: une Histoire des Africains en Europe avant 1918], Basel: Basler Afrika Bibliographien, 1979, 326.

  4. DeBrunner, 323 ; Le mouvement s’est aussi développé en France autour de cette époque : voir Emile Leguay, Notice sur l’oeuvre de rachat des esclaves (Paris, 1847), et William B. Cohen, The French Encounter with Africans : White Response to Blacks, 1530-1880, [La rencontre française avec les africains : la réponse des blancs aux noirs, 1530-1880], Bloomington : Indiana University Press, 1980, 269.

  5. D’autres africains ont été rachetés par des européens religieux et non religieux pendant les décennies allant de 1820 à 1860, et ont ainsi eu des vies assez inattendues. Il n’était pas rare que des étrangers vivant en Egypte achètent des esclaves pour leurs services domestiques ou sexuels, y compris:

Le dr. Dussap, membre de la force de l’expédition française de 1798, qui est resté en Egypte après le départ des français, qui a acheté une femme soudanaise appelée Halima, par qui il a eu deux enfants : Jacques Tagher, “Le Docteur Dussap, Un français ‘original’ d’Egypte,” Cahiers d’histoire égyptienne, 4, 4 (mai 1951), 342-46, cité dans George Michael La Rue, “A Generation of African Slave Women in Egypt, from ca. 1820 to the Plague Epidemic of 1834-35,” [Une génération de femmes esclaves en Egypte, d’environ 1820 jusqu’à l’épidémie de la peste de 1834-35] p.8 in Gwyn Campbell, Suzanne Miers and Joseph C. Miller (eds.) Women and Slavery: Volume One : Africa and the Western Indian Ocean Island, [Les femmes et l’esclavage : Volume un : l’Afrique et l’Ile de l’océan indien occidental] Athens. Ohio : Ohio University Press, forthcoming;

‘Ali, “l’esclave de Cordofan,” a été acheté par le dr. William Holt Yates, membre de la British Royal College of Physicians [collège royal britannique des médecins], alors qu’il voyageait dans l’Egypte supérieure dans les années 1830 : G. Michael La Rue, “The Brief Life of ‘Ali’, the orphan of Kordofan,” [La vie brève d’Ali, l’orphelin de Kordofan], papier académique présenté au congrès d’Avignon sur l’esclavage et les travaux forcés : les enfants et l’esclavage, le 20-22 mai 2004.

Le consul britannique et marchand d’Alexandrie bien connu, Robert Thurnburn, a demandé à son beau-frère de lui acheter “Selim,” né à Darfur, au Caire en 1836, et de le faire envoyer à Alexandrie : James McCarthy, Selim Agha : A Slave’s Odyssey, [Selim Agha : l’odyssée d’un esclave], Edinburgh, Luath Press Limited, 2006;

Edward Lane et Robert Hay se sont servis d’un converti à l’Islam écossais pour négocier l’achat d’esclaves grecques (qui sont par la suite devenues leurs femmes) : Jason Thompson, “Osman Effendi : A Scottish Convert to Islam in Early Nineteenth-Century Egypt,” [“Osman Effendi: un converti à l’Islam écossais dans l’Egypte au début du dix-neuvième siècle”] Historians in Cairo: Essays in Honor of George Scanlon, [Les historiens au Caire : essais en honneur de George Scanlon] edited by Jill Edwards, Cairo: American University in Cairo Press, 2002, 87;

Le riche marchand allemand d’Alexandrie, Ludwig Muller, a acheté une esclave éthioppienne par qui il a eu une fille appelée “Bamba,” qui, par la suite, est devenue la Maharani Dulip Singh (1848-1886): sur Bamba Muller, qui devint la femme du Maharajah Dulip Singh, http://www.4dw.net/royalark/India4/lahore4.htm (accédé le 2.11.2006); “Bamba Muller,” DIBICA, http://www.dacb.org/stories/egypt/bamba.html (accédé le 7.2.2007);

Linant de Bellefonds, l’ingénieur français qui travaillait pour Mohammed’ Ali Pasha, a acheté une femme éthioppienne appelée Za’faran (“Safran”) avec qui il a eu plusieurs enfants : Richard Hill, A Biographical Dictionary of the Sudan [Un dictionnaire biographique du Soudan], 2ème édition, London : Frank Cass, 1967, “Linant de Bellefonds,” 213; elle s’appelait Za’faran al-Habashiyya, et était connue comme “Safran Ester Linant de Bellefonds” dans son document de mariage : Gaston Wiet, “Petits papiers du consulat de France au Caire,” Orient, 8 (1958), 79-108;

En 1836 un italien a acheté une Tchadienne qui s’appelait “Said Abdallah,” qui par la suite est devenue mannequin très connue en Europe : Alphonse Castaing, “Souvenirs d’un indigène de la Nigritie” Revue orientale et américaine, Paris, 3ème série (1860), 141-55; sur sa carrière de mannequin, Barbara Larson, “The Artist as Ethnographer: Charles Cordier and Race in mid-Nineteenth Century France,” [“L’Artiste comme ethnographe: Charles Cordier et la race au milieu du dix-neuvième siècle en France”], The Art Bulletin, Vol. 87, 2005, revue de Facing the Other: Charles Cordier, Ethnographic Sculptor [Face à l’autre: Charles Cordier, sculpteur ethnographe], par Laure de Margarie et Edouard Paper, New York : Harry Abrams, 2004;

Sulayman al-Nubi, aussi connu sous le nom de Michele Amatore, et qui venait probablement des montagnes de Nuba, avait été acheté par un autre italien au Caire et emmené en Italie. Il est devenu soldat dans l’armée du Piémont et a eu une carrière militaire distinguée : “Sulaiman il moro,” (http://digilander.libero.it/fiammecremisi/ biografie/sulimanbio.htm), (accédé le 2.11.2006).

Il est possible que le processus de rédemption en Egypte se soit terminé en 1865, quand l’esclavage a officiellement été interdit par Sa’id Pasha, même si les autres ordres du souverain par rapport à la supression de l’esclavage ont largement été ignorés. En effet, la traite d’esclaves a augmenté de manière dramatique au Soudan pendant son règne (Gabriel Baer, “Slavery and its Abolition,” [‘L’esclavage et son abolition”] dans son livre Studies in the Social History of Modern Egypt [Etudes sur l’histoire sociale de l’Egypte moderne], Chicago : University of Chicago Press, 1969, 177 ; Imad Hilal, al-raqiq fi Masr fi’l-qarn al-tasi ashr (Cairo : Dar al-Arabi, 1999), 342-47). En 1861, plusieurs Africains étaient inscrits dans un institut près de Naples (DeBrunner, 326). Lucie Duff Gordon, une femme anglaise bien apparentée qui vivait à Luxor dans les années 1860, recevait souvent chez elle des esclaves envoyés par des amis égyptiens ou anglais, parfois simplement pour les garder pendant qu’ils étaient en voyage, parfois pour un peu de temps avant qu’ils ne soient revendus au Caire ou ailleurs, parfois simplement parce qu’elle prenait pitié d’eux et les prenait chez elle comme d’autres accueillaient peut-être un animal domestique perdu (Lucie Duff Gordon, Letters from Egypt, [Lettres de l’Egypte], 3ème édition, London, MacMillan, 1865 : “Darfoor,” la supplie d’en prendre deux : le 28 avril 1868, p.173 ; Khayr a éventuellement été vendu et envoyé au Caire : 327-28 ; 350 ; Last Letters from Egypt [Dernières lettres d’Egypte], London, MacMillan, 1875 : Mabruk a été emprunté par William Gifford Palgrave, le voyageur et diplomate : le 10 juillet 1866, 44.

  1. Daniel Comboni au président de la Cologne Society for the Aid of Poor Blacks [Société de Cologne pour l’entraide aux noirs pauvres], le 4 octobre 1863, disponible au site internet : www.comboni.org, http://comboni.net/index.php?Lingua=FR&CodScritto=105, para 759 (accédé le 2.11.2006).

  2. Comboni au président de la Société de Cologne, le 27 décembre 1867, http://comboni.org/index.php?ca=10008&CodScritto=229), paras 1541-49 (accédé le 2.11.2006).

  3. Kidane, 235. Les Africains n’ont pas tous été éduqués à Vérone. L’une d’entre elles, appelée Amalia Amadu, est née à Bornu (Nigéria), a voyagé au Caire par voie du désert de la Libye, et a enfin été achetée par un chrétien qui l’a remise à Olivieri. Par la suite, elle a été envoyée à un couvent en Bavière pour être formée avant son retour en Egypte. Sa biographie se trouve dans le rapport de décembre 1868 de Comboni à la Société de Cologne : http://www.comboni.org/index.php?ca= 10008&CodScritto=289, paras 1829-1832 (accédé le 11.11.2006).

  4. John Bauer, 2000 Years of Christianity in Africa [2000 ans de christianisme en Afrique], Nairobi, Pauline’s Publications Africa, 1994, 178.

  5. Nous connaissons très peu de choses sur Bahr al-Nil. Comme Bakhita, elle serait une Nuba de Jabal Nuba (au village de Libi), et elle a été achetée par Geremia da Livorno quand elle avait treize ans et envoyée en Europe à la même époque que Bakhita ; ainsi, elle aurait été parmi les morette plus âgés (Leonio Bano, “Morette e moretti educati in Europa e ritornati in Africa” Archivo Comboniano, 18 :1 [1980]), mais elle portait les cicatrisations d’un membre de la tribu des Shilluk (Leonie Bano, Mezzo Secolo di Storia Sudanese (1842-1898) dall’Archivio parrocchiale di Khartum, Editrice Missionaria Italiana : Bologna, 1976, p. 357, #340 ; p. 367, #367. Il y a un peu plus d’information sur Zaynab (Caterina Zenab), et même si Comboni la considérait comme “grande missionnaire, très capable,” apparemment elle a quitté le travail missionnaire pour épouser un menuisier italien, et ensuite Ernst Marno, le voyageur allemand (Bano, “Morette,” 195 ; sur son apparition devant le roi de Bavière : http://www.comboni.net/index.php?Lingua= FR&ca=10008&Cod Scritto=229&s=1; considérée “grande missionnaire, très capable” : http://www.comboni.net/index.php? Lingua=PT&ca=10073&CodNews=100234; sur ses mariages : Hill, Biographical Dictionary [Dictionnaire biographique]. “Marno Bey, Ernst,” 232-33; Richard Hill and Paul Santi (éds.), Europeans in the Sudan [Les européens au Soudan], Oxford, Oxford University Press for the British Academy, 1980), 24 ; La Nigrizia (publication de la société missionnaire Comboni), vol. 1 (1883), 152 ; Bano, Mezzo secolo, p.65, #37 ; pour une photo d’elle, peut-être prise au moment de sa rencontre avec le Pape en 1867, Francesco Morlang, Missione in Africa Centrale, Diario 1855-1863, trad. Par O. Huber et V. Dellagiacoma, avec la collaboration de G. Vantini, A. Nebel, et L. Bano, introd. par Richard Hill, Bologna : Editrice Nigrizia, 1973, face 232.

  6. Licurgo Santoni, Alto Egitto e Nubia, Memorie di Licurgo Santoni (1863-1898), Roma: Modes et Mendel, 1905, 370.

  7. Sur les Madin, ou les Dinka Thain, voir Stephanie Beswick,* Sudan’s Blood Memory: The Legacy of War, Ethnicity, and Slavery in South Sudan [La mémoire de sang du Soudan: l’héritage de la guerre, de l’ethnicité et de l’esclavage dans le sud du Soudan]*, Rochester : University of Rochester Press, 2004, 62.

  8. Bano, Mezzo secolo, p. 399#463 ; Maria Vidale, ed., Vittoria Paganini (Dagli scritti di), Archivo Madri Nigrizia 7: mars 2004, 50; Vidale, Fortunata, 149-156.

14 : La photo de Bakhita : frontispice, Vidale, Fortunata; aussi, la photo d’elle et de Sr. Maria Caprini après s’être échappées des Mahdistes en 1885, 121; sur le “Notebook of Fortunata Quasce” [Journal de…] ou “Quaderno,” Vidale, Fortunata, 51. Il a peut-être été écrit par un des missionnaires, possiblement Stanislao Carcereri, qui est arrivé, comme le remarque Vidale, pour la première fois dans un pays qui lui était complètement inconnu et qui voyait tout avec des yeux très occidentaux ; il est intéressant de remarquer qu’il n’était pas missionnaire Comboni, mais faisait partie de l’ordre des Carmélites, un groupe qui éventuellement était en désaccord avec toute l’opération de Comboni à Dilling, et qui a fini par quitter le Soudan : Hill,* Biographical Dictionary [Dictionnaire biographique]* “Carceri, Stanislao,” 96.

  1. Daniel Comboni, Lettres, #1065, Rapport sur Bianca Lemuna, datée du 8 mai 1881: http://www.comboni.org/index.php?ca= 10008&CodScritto=1065 (téléchargée le 3.11.2006).

  2. Vidale, Fortunata Quasce, 108-118.

  3. Vidale, Fortunata Quasce, 124-27.

  4. Vidale, Fortunata Quasce, 129-140.


Cet article, reçu en 2007, a été écrit par Terence Walz, professeur associé de recherches, Université américaine au Caire.


Galerie de photos

image

image

image