Collection DIBICA Classique

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Tertullianus

160-240
Église Chrétienne Antique
Tunisia

Tertullien est né vers l’an 160 après J.C. à Carthage, ville de la Tunisie et de l’Algérie présente. Il était fils d’un centurion païen de haut rang. Certains érudits pensent qu’il était fils d’un commandant de la garde du proconsul. Il est possible que cela explique son usage de métaphores de nature militaire, par exemple sa remarque que “ le Seigneur, en désarmant Pierre, a désarmé tous les soldats. “ Tertullien pensait qu’il était pratiquement impossible qu’un chrétien soit fonctionnaire ou accepte le service militaire. C’est peut-être parce qu’il était lui-même dans l’armée. Il fallait prononcer un serment de fidélité non seulement à l’empereur, mais aussi aux dieux.

Les divinités et les dieux domestiques étaient omniprésents dans la vie du jeune Tertullien. Par la suite, il a fortement contesté le paganisme. A Carthage, il a fait des études de rhétorique, de lettres (poésie) et de philosophie, et à Rome, des études de droit. Il connaissait très bien le stoïcisme, et sa vie entière, même sa vie chrétienne, a été influencée par cela. Il avait une attitude négative envers la philosophie, qu’il considérait profane.

Nous ne savons pas avec certitude comment il est venu au christianisme. Il est possible qu’il ait été impressionné par l’exemple des martyrs chrétiens et par l’impact de la communauté chrétienne, plutôt que par une comparaison attentive des systèmes philosophiques. Il ne faut pas oublier, non plus, l’impact spirituel des chrétiens.

Jérôme nous informe qu’après s’être converti, vers l’an 195, Tertullien a été ordonné prêtre. Lui-même, cependant, ne parle jamais de son niveau clérical, et la plupart des érudits pensent qu’il est resté laïc toute sa vie.

Ses Ecrits

Quand Tertullien s’est converti, il a mis son génie pour le débat et l’argumentation au service de l’église. C’était un écrivain prolifique, un homme de vastes connaissances, un homme d’esprit imbu de sarcasme et d’une ironie mordante. Voici ce que Tertullien a écrit sur la persécution des chrétiens:

Mais continuez donc, chers officiels. Vous serez tellement mieux vus par tout le monde si vous leur offrez des chrétiens en sacrifice. Torturez-nous ! Votre iniquité est la preuve de notre innocence. C’est pour cela que Dieu nous permet de souffrir tout cela… Mais vos tortures n’accomplissent rien, même si elles sont de plus en plus raffinées ; elles ne servent qu’à attirer les gens vers notre religion. Chaque fois que vous nous tuez, nous multiplions ; le sang des chrétiens est une semence. (Apologie, 50, 12 et suite)

Tertullien écrivait parfois en latin, et il est considéré comme le premier des pères latins. C’était un rhétoricien brillant et remarquable, plein d’un enthousiasme et d’une éloquence robustes. Il semblait avoir été né pour le débat, et il avait une maîtrise suprême du langage: “ Lorsque vous nous condamnez, Dieu nous acquitte (…) J’ai entendu qu’un édit a été proclamé, un édit péremptoire, en plus. Le pontife souverain ! L’évêque des évêques… “

Ses écrits peuvent être organisés selon les catégories suivantes:

  1. L’apologétique

  2. La doctrine et la polémique

  3. La morale et la pratique

1. Ses écrits apologétiques

Tertullien représentait peut-être les pères latins, et il est possible qu’il ait pratiqué le droit avant de s’être converti. Il a écrit son Apologie vers l’an 197. Comme ancien avocat et défenseur, Tertullien a présenté ses arguments en forme légale, en vue d’une présentation rhétorique et convaincante.

SonApologies’adressait aux magistrats de l’empire romain, le proconsul de Carthage en particulier. Au sujet de la persécution des chrétiens, il argumentait qu’un chrétien n’était pas un criminel et qu’à part le fait d’être chrétien, la personne en question n’avait commis aucune infraction criminelle. Avec beaucoup d’adresse, il ridiculisait la manière dont les magistrats tentaient de persécuter les chrétiens. Il raisonnait qu’un magistrat jugerait un criminel ordinaire et un chrétien de manière différente s’ils niaient tous les deux les accusations portées à leur encontre, gardant l’esprit ouvert pour le premier, mais décidant d’avance de la culpabilité du dernier. Tertullien démontrait l’inconsistance des magistrats et attaquait leur injustice contre la loi naturelle, soulignant leur discrimination contre les chrétiens. Le citoyen chrétien avait le droit de savoir ce que la loi exigeait de lui. Selon Tertullien, la loi, généralement parlant, exigeait des preuves adéquates de culpabilité, mais les chrétiens étaient persécutés sans preuves concrètes.

Tertullien raisonnait aussi que des chrétiens innocents ne seraient persécutés que par un mauvais empereur. Son étude de l’histoire l’a amené à conclure que certains anciens empereurs tels qu’Hadrien avaient dit que les chrétiens ne devaient pas être visés et persécutés. Cela impliquait que le christianisme était généralement une bonne chose. Le dicton que seuls les mauvais empereurs faisaient des mauvaises lois ou lançaient des campagnes de persécution a eu des implications sérieuses par la suite.

Il ne s’est pas contenté de réfuter les charges portées contre les chrétiens : ayant montré l’absurdité des accusations portées contre eux, il argumentait qu’en fait, c’était les païens qui étaient coupables de sacrilèges et de relâchement des mœurs. Les criminels, c’étaient les païens, non pas les chrétiens. Pour le démontrer, il expliqua ensuite les éléments principaux du christianisme. Les chrétiens étaient accusés de sacrilège, car ils refusaient d’adorer l’empereur et d’offrir des sacrifice aux idoles. Pour répondre à cette accusation, il montra que les chrétiens étaient de bons citoyens qui vivaient conformément aux lois, et qu’en fait, la Bible leur enseignait de prier pour l’empereur (textes dans l’Epître aux Romains et dans I Timothée). En plus, les chrétiens prenaient soin les uns des autres et aidaient les orphelins, les veuves et les pauvres, et donnaient de l’argent aux pauvres.

Tertullien voulait à tout prix montrer que les chrétiens formaient un groupe différent, à part. Le christianisme, c’est la religion du Christ crucifié, tel que cela est décrit dans la Bible, livre inspiré du Saint-Esprit. Il connaissait bien la tradition chrétienne et il lisait et citait l’œuvre de Justin Martyr, d’Irénée et d’autres. Son Apologie est son œuvre suprême, et nous y trouvons cette phrase : “ Nous n’avons pas créé ces idées nous-mêmes, puisqu’elles viennent d’une lignée de grands hommes saints. “ Il avouait librement combien il leur était endetté.

Dans l’Apologie, Tertullien tenta d’expliquer pourquoi les chrétiens étaient persécutés. Il montra que les chrétiens souffraient des préjugés de leurs voisins ignorants: “Comme on n’aime pas les chrétiens, et on ne veut pas en savoir plus…Il faudrait quand même montrer ce qui est vrai ou faux. Si les souverains n’avaient pas peur, ils n’interdiraient pas que la vérité les atteigne par les voies secrètes d’un livre silencieux. “

Il a tenté de contrer le mauvais sentiment contre le christianisme et qui a amené à l’Edit de l’empereur proclamé en l’an 202. Il a ensuite répondu aux cinq accusations principales qui étaient le plus souvent portées contre les chrétiens.

  1. Sur les atrocités fondées sur les rumeurs, il a écrit : “Si vous n’arrivez pas à le faire vous-mêmes, vous ne devriez pas croire qu’un autre puisse le faire. Un chrétien est un homme comme vous.”

  2. Pour contrer l’accusation qu’ils adoraient de nouveaux dieux étranges, il décrit l’origine de la foi et montra que les païens eux-mêmes méprisaient leurs dieux et leurs divinités et se moquaient d’elles.

  3. Contre l’accusation de trahison, Tertullien montra que les chrétiens priaient pour le bien-être de l’empereur. Il dit aussi :

Mais regardez donc le chrétien ! (…) Il n’y en a pas un seul qui ait honte d’en être un, ni un seul qui regrette de l’être - si ce n’est qu’il ne se soit pas converti plus tôt. Si on le dénonce pour sa foi, il en est fier. Si on l’accuse, il ne se défend pas. Quand on lui pose des questions, il confesse tout sans ressentir de pression. Quand il est condamné, il rend grâces.

Tertullien s’attaqua aussi à l’idée que le grand nombre de croyants partout puisse mettre l’empire en danger. Comment est-ce qu’un groupe que l’on considère comme étant sans importance pourrait menacer l’empire ? Bien au contraire: les chrétiens étaient les citoyens les plus loyaux.

  1. Sur les calamités attribuées aux chrétiens (on disait que les chrétiens donnaient aux dieux raison d’être fâchés contre le monde) il a écrit : “Si le Tibre arrive jusqu’aux murs, si le Nil n’arrose pas les champs, si le ciel ne bouge pas, ou si la terre bouge, s’il y a une famine ou une peste, on s’écrie vite : ‘Aux lions ! Les chrétiens aux lions !’” ( Apologie 40.2). Il montra que les calamités attribuées aux chrétiens étaient déjà souvent arrivées, et que de grands désastres avaient eu lieu bien avant l’arrivée des chrétiens.

  2. Contre l’accusation que les chrétiens étaient sans valeur pour les affaires d’état, Tertullien demanda : “Comment est-ce possible ? Nous habitons parmi vous, nous mangeons parmi vous, nous mangeons la même nourriture que vous, portons les mêmes vêtements, etc. Notre compassion envers tous est plus répandue que la vôtre, qui est dans les temples.”

C’est avec éloquence qu’il parla de la vie morale supérieure du chrétien : “Nous sommes les seuls à ne pas commettre de crimes.” Il rejeta l’accusation d’immoralité portée contre les chrétiens et expliqua que tous les crimes attribués aux chrétiens étaient depuis longtemps commis et tolérés par les païens. Il réclama que les chrétiens étaient de bons citoyens, qu’ils payaient leurs impôts et qu’ils obéissaient à toutes les lois justes et à tous les ordres justes, sans participer aux actions subversives. Il mit à nu la vacuité du polythéisme. Il croyait très fermement que Dieu était le juge suprême de l’homme et que chacun était face à la finalité de la loi divine.

2. Contre les Marciens et les Gnostiques

Entre l’an 130 et l’an 180 après J.C., une succession d’enseignants qui oeuvraient surtout à Alexandrie a dominé la vie intellectuelle chrétienne. Leur influence s’étendit à l’Italie, à Rome, à l’Asie Mineure et même jusque parmi les chrétiens qui vivaient dans la vallée du Rhône [France].

La gnose ou la connaissance réclamée par les dirigeants gnostiques était censée leur arriver par une sorte de processus d’illumination instantanée qui leur faisait comprendre la Parole de Dieu. Les gnostiques prétendaient pouvoir protéger les leurs non seulement du destin et des pouvoirs célestes, mais aussi de l’erreur. Ils se disaient chrétiens, mais la foi des communautés orthodoxes les intéressait peu. Pour eux, la connaissance était supérieure à la foi. Ils possédaient l’enseignement secret de Jésus, transmis par ses disciples (hommes et femmes), aux enseignants gnostiques. Ils n’avaient pas grand-chose à dire par rapport au sujet du retour de Jésus et du jugement dernier. Ils se considéraient parfaits et se moquaient des divers règlements sur la nourriture observés par les juifs et les chrétiens orthodoxes. Ils étaient sceptiques quand à la valeur de l’imitation du Christ par le martyre.

Le développement du gnosticisme a été favorisé, en partie, par la prédominance de croyances dualistes et pessimistes qui étaient fondamentales à certains aspects de la religion populaire à l’époque, qu’elle soit juive ou païenne : “Si Dieu est bon, comment expliquer l’existence du mal si ce n’est par la matière dont le monde fut crée ?” La distinction grecque entre la chair et l’esprit, et les destins de chacun trouvait aussi son parallèle dans la religion juive dans la spéculation concernant les deux voies qui sont placées devant Israël, celle de la vie et celle de la mort (Deutéronome 30 :15 et suite). Ajouté à ces tensions au niveau métaphysique, il y avait aussi les conflits éthiques sur les obligations morales de l’individu sous la loi qui venaient d’une spéculation de genre gnostique.

Voilà donc le contexte polémique impressionnant que Tertullien devait confronter. A partir de l’an 207, ses adversaires principaux étaient les Marciens et l’église orthodoxe à Carthage. Il considérait que Marcien était l’ennemi le plus dangereux de l’église et il a écrit sa plus longue œuvre pour le contrer. On peut trouver une attaque plus générale sur l’hérésie dans son livre intitulé Prescription contre les hérésies.

Dans sa lutte contre l’hérésie, Tertullien s’est appuyé sur l’argument suivant : c’est l’église “catholique” qui a reçu ses Ecritures Saintes et son enseignement directement de la part des apôtres. Pour lui, les hérétiques n’avaient pas le droit aux Ecritures. La vraie foi, c’est celle qui est prêchée partout, et non pas celle des gnostiques, qui réclamaient une connaissance ésotérique.

C’est pourquoi il a écrit : “Ce que l’on reconnaît de semblable dans un si grand nombre de communautés ne peut pas être faux : il faut bien que ce soit la tradition.”

Les hérétiques n’écouteront pas et ne comprendront pas que le fait de chercher quelque chose est bien raisonnable quand on ne connaît pas encore la vérité, mais qu’en Christ et dans son évangile, nous avons atteint le but et la fin de ce que nous cherchions. La foi véritable est toujours simple. (Contre Marcion 5, 20).

Il faut aussi noter son attaque sur le Monarchianisme et sa contribution au vocabulaire de la pensée trinitaire occidentale. Le Monarchianisme était une première réponse, insuffisante, au problème qui allait causer une division amère dans l’église au quatrième siècle, à savoir : comment réconcilier la nature divine du Christ avec l’unité de Dieu?

Dans son Traité contre Praxies, Tertullien a fait une contribution importante à ce débat. Il a décrit Dieu comme étant “Une seule substance qui consiste en trois personnes.” Il a parlé exhaustivement de l’unité dans la Trinité, sans continuer jusqu’au problème suivant qui a fait surface : celui de l’égalité de rang entre les personnages divins. En outre, il n’était pas philosophe et il n’est pas facile de déterminer le sens exact des mots latins substantia et persona qu’il a utilisés. Son enseignement, néanmoins, représentait un accomplissement pour l’avenir de l’orthodoxie.

3. Ecrits sur la morale et la pratique

Il est possible que les romains aient tenté de banaliser et de standardiser le serment traditionnel à cause de la persécution qui amenait au martyre. Tertullien a écrit un traité pour l’encouragement de ceux qui allaient mourir pour leur foi. Le martyre est même devenu le but du christianisme au sein d’une communauté qui était nourrie d’une croyance profonde au besoin d’adhérents purs. Cela se faisait dans la réalité du jugement de Dieu et avec la direction toujours présente du Saint-Esprit. Il rejetait tout compromis avec le monde et les affaires du monde. “Le chrétien trouve Dieu, le fait connaître, et par son action, il scelle de manière pratique toutes questions théoriques sur Dieu.” (Apologie, 46, 9)

Vers l’an 202-203, Septime prononce un édit de persécution contre tous ceux qui se sont convertis au judaïsme et au christianisme, ce qui souligne la détermination des chrétiens. Tertullien enseigne que les derniers jours sont proches : “Ce que nous attendons, c’est la trompette de l’ange.” Le destin du chrétien était d’être martyr. C’est ainsi qu’il obtient le pardon du péché, et qu’il fait grandir le royaume du Christ. Comme beaucoup d’autres, Tertullien s’est opposé au clergé orthodoxe à Rome et à Carthage. Il a rejoint les Montanistes, et la nouvelle prophétie a ainsi obtenu son plus grand succès.

Il n’a cependant pas abandonné ses anciennes convictions quand il s’est converti au Montanisme. Le Saint-Esprit était toujours actif, et sa manifestation par voie de la prophétesse phrygienne ne servait qu’à confirmer que la fin était proche.

Tertullien a accepté les directives visant une moralité encore plus stricte pour le clergé. Il avait jadis permis la fuite en temps de persécution, mais dans De Fuga il l’interdit. Il avait accordé aux veuves le droit de se remarier, mais dans De Monogamin il le refuse. C’est le Saint-Esprit qui inspire l’église et ses membres. Selon lui, le baptême ne pouvait pas être administré par quelqu’un qui vivait dans le péché. Le martyre, pour lui, était en fait un second baptême qui ôterait tout péché commis après le premier baptême. Dès la confession de foi, le martyre devenait le but de la vie chrétienne.

Tertullien a écrit des traités sur plusieurs aspects de la chasteté. Ses idées sont mises en évidence quand on les compare à celles de Calliste, évêque de Rome, qui faisait probablement l’objet de son mépris dans Sur la chasteté. Selon Calliste, l’évêque avait le droit de pardonner ceux qui avaient commis des péchés graves s’ils entreprenaient la pénitence appropriée. Ceci dit, Calliste devait alors décider soit de ramener les pécheurs par la clémence soit, en exercisant la sévérité, de les renvoyer au paganisme.

Calliste a choisi la clémence, car selon lui, c’est seulement ainsi que l’église pourrait éviter de se séparer du monde. Pour Tertullien, c’était une décision abominable, et il a rejeté la position de Calliste sur la clémence avec indignation. Il était prêt à laisser le monde aller en enfer, s’il le fallait, tant que les élus seraient sauvés. L’église devait être “sans tâche et sans imperfections” et séparée du monde. C’est ainsi que l’argument classique sur la doctrine de l’église s’est formé.

De plusieurs manières différentes, Tertullien était la personnification de l’esprit occidental. Cela se voit dans l’orientation pratique et non spéculative de sa pensée, dans le fait qu’il souligne la volonté et la discipline, dans sa tendance à aborder les questions d’ordre social, et dans la structure légaliste de sa pensée. Quand on considère son époque, il est assez curieux qu’un personnage aussi turbulent et rebelle (car c’était un homme en rébellion contre les modalités ou le monarchianisme, contre le gnosticisme et les Marciens, l’auteur de Contre Praxies…) puisse rester en vie aussi longtemps et mourir de causes naturelles à l’âge avancé de quatre-vingt ans.

La Christologie de Tertullien

La Christologie, c’est la doctrine de la personne de Jésus-Christ. Il fallait que Tertullien définisse la tradition de l’église sur l’incarnation du Christ par rapport à deux fronts différents:

a) Contre le polythéisme païen

b) Contre le monarchianisme dans l’église chrétienne.

En outre, il devait aussi combattre les tendances des deux dirigeants du gnosticisme, Marcien et Valentin, qui semaient la discorde et la division. Tertullien a donc formulé sa terminologie Christologique avec ce combat en vue. Ses sources de formules théologiques étaient la Bible, le judaïsme, le gnosticisme, et le langage populaire et légal. Dans sa réflexion théologique, c’est surtout le stoïcisme qui lui est venu en aide.

Pour combattre le polythéisme païen, il a d’abord éclairci le concept chrétien de Dieu, et la notion alors courante parmi les juifs hellénistiques d’Alexandrie en particulier : la révélation historique de Dieu reçue par les juifs ; l’avènement du Fils de Dieu qui avait été prophétisé, et qui, pour les chrétiens, était arrivé en la personne de Jésus-Christ. Cependant, il fallait aussi que Tertullien explique deux choses s’il voulait éviter, par défaut, de venir en aide au polythéisme païen : comment était-ce possible que ce Fils de Dieu, dans sa qualité de Fils, ne détruise pas la nature du Dieu unique, et comment pouvait-il devenir homme de manière différente de ce qu’on trouvait dans les mythologies païennes ?

Selon Tertullien la charpente était formée selon une économie trinitaire : Dieu le père règne toujours et retient la souveraineté, mais l’administration de ce règne est remise au Fils. Tertullien expliquait que la monarchie est d’autant plus garantie par l’unité intérieure de la nature substantielle du Père, du Fils et de l’Esprit. Quand il parlait du concept de “l’esprit” cela désignait avant tout de la nature de la réalité du Père et du Fils.

L’origine de sa pensée, donc, se trouvait dans l’unité de Dieu. C’est le Père qui garantit l’unité de la monarchie. Le Fils (le Christ) est assigné à la deuxième place et le Saint-Esprit à la troisième. Il ne pensait pas à une condition purement statique au sein de Dieu, la trinité métaphysique, mais à une trinité d’économie organique et dynamique. Son idée d’unité n’est pas mathématique, mais philosophique. Il s’agit d’une unité organique et non pas d’un point dépouillé et abstrait. Le Père, le Fils et l’Esprit sont un dans la réalité divine. La deuxième et la troisième personne de la Trinité procèdent de l’unitas substantia parce qu’ils ont une tâche à accomplir. Seul le Père reste absolument transcendant.

Ainsi, parce que Tertullien voyait le déroulement de l’union divine et trinitaire à l’œuvre en vue de la création et de la rédemption, le pas suivant vers la doctrine de la Trinité était facile à prendre. La controverse avec le monarchianisme et le patripassianisme qui s’est déroulée dans le Praxies nous donne les idées christologiques et la terminologie particulières à Tertullien. La personnalité triple d’un seul Dieu est la présupposition inconditionnelle pour la compréhension du mystère de l’incarnation tel qu’il l’entend. La contribution de Tertullien qui devint capitale et d’importance permanente pour la Christologie vint d’abord de certains éléments de son vocabulaire : son usage de substantia et de persona, en particulier ; mais aussi de sa perception claire des principales erreurs à éviter.

G. A. Oshitelu


Bibliographie

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Cet article est reproduit, avec permission, de The African Fathers of the Early Church [Les pères africains de l’église primitive], copyright © 2002, par G.A. Oshitelu, Ibadan, Nigéria. Tous droits réservés.