Collection DIBICA Classique

Tous les articles créés ou soumis au cours des vingt premières années du projet, de 1995 à 2015.

Madäro, Dana Mäja

1896-1993
Eglise Wolaitta Kale Heywet
Ethiopie

Dana Maja Madaro Dana Mäja était un des pères de l’église Wolaitta Kale Heywet (WKHC en anglais, soit EWKH) et a servi comme président du conseil administratif de l’EWKH pendant vingt ans.

Dana Mäja vivait dans la région de Wanché Mortato, à quelque quinze kilomètres de Soddo. Sa femme s’appelait Biramé et ils ont eu quatorze enfants.

Peu après avoir atteint à la maturité, Dana Mäja était déjà devenu relativement riche en faisant la traite d’esclaves. Après la subjugation de Wolaitta par Menelek II en 1894, les raids d’esclaves étaient devenus très profitables pour ceux qui étaient en bonne forme et qui voulaient bien prendre des risques. On attaquait les familles Wolaitta dans la nuit ; souvent, les pères étaient tués pour faciliter la capture des femmes, des enfants et des jeunes. Avant l’interdiction de l’esclavage, on avait donné à Dana Mäja le titre distingué de Danya (juge ou arbitre), qui s’ajoutait à son nom, Mäja. C’est le gouverneur de Wolaitta lui-même, l’honorable Yigäzu, qui lui a donné ce titre, parce qu’il avait tué un brigand avec sa lance. Vers 1925, la traite d’esclaves - qui avait déjà été officiellement proscrite par le gouvernement éthiopien - continuait seulement comme activité clandestine entreprise par quelques bandits qui, à leur tour, vendaient les esclaves au marché d’esclaves arabe. Par conséquent, Dana Mäja a décidé de mettre fin à ses activités illicites, par souci de sa propre réputation. Dans la communauté, on considérait Dana Mäja comme quelqu’un qui était honnête, quelqu’un qui était pour l’intégrité.

Dès 1920, l’enseignement prophétique pré chrétien d’Esa avait eu un grand impact sur l’ensemble du territoire Wolaitta. Dana Mäja avait abandonné le culte de l’esprit ancestral de son père pendant quelque temps pour pratiquer ce qu’Esa enseignait. Il avait détruit les objets de culte chez lui qui servaient à pratiquer la religion traditionnelle : sa pipe, son tabac, et d’autres objets sacrés qui servaient à faire des sacrifices aux ancêtres. Pendant quelque temps il a essayé de pratiquer l’enseignement du prophète Esa, mais les résultats anticipés par Dana Mäja ne se sont pas manifestés. L’oppression sévère Amhara ne laissait aucun répit et il continuait à craindre les esprits maléfiques. En plus, les avantages personnels qu’il avait voulu obtenir ne se sont pas matérialisés. Il se lamentait en disant, “On m’avait promis que des vaches sortiraient de la terre, mais cela ne s’est jamais passé, alors je suis revenu à la religion de mes pères.”

En 1935, alors que Dana Mäja et son fils aîné Markina rentraient de Soddo, la capitale du district de Wolaitta, ils sont arrivés à un groupe de gens qui écoutaient un petit prédicateur enflammé devant la maison de leur voisin. On les a invités à rester et à écouter. Le prédicateur s’appelait Wändara Däbaro, et son message était le suivant : “Le Seigneur Jésus va revenir dans ce monde. Quand il viendra, il prendra au ciel avec lui tous ceux qui croient en lui. Mais ceux qui ne croient pas seront jetés dans le lac de feu. Donc, tous ceux parmi vous qui ne croient pas au Seigneur Jésus mais qui font la louange de Satan et lui offrent des sacrifices, vous serez jetés au lac de feu avec Satan. Croyez aujourd’hui.”

En 1936, au mois de décembre, les machines de guerre italiennes tant redoutées sont arrivées à Wolaitta. Pour Dana Mäja, voir et entendre les avions qui volaient bas, voir les soldats italiens ébahis avec leurs fusils, les tanks et les grenades qui explosaient, tout cela était sûrement signe d’un jugement proche. Quelques mois plus tard, en 1937, au mois de mars, désespéré, sous le fardeau de la culpabilité et de la crainte du jugement, Dana Mäja et son fils Markina ont fait chemin vers la maison de Lolamo Boké à Galdabo, à peu-près à quarante-cinq minutes de marche à pied de sa maison à Wanché. Il était déçu de voir en arrivant que Lolamo était allé à une réunion d’église. La femme de Lolamo hésitait de lui donner des renseignements précis parce que Dana Mäja avait la réputation de “grand homme” et on savait qu’il avait fait la traite d’esclaves. Alors qu’il rentrait chez lui, il a rencontré Lolamo et le prédicateur Wändaro. Les deux hommes ne voulaient pas tellement l’inviter au baptême, mais Lolamo a convaincu son ami en disant, “Notre Seigneur n’a pas tourné le dos à la seule brebis qui manquait quand les quatre-vingt dix-neuf autres étaient sain et saufs. Pourquoi donc refuser cet homme simplement parce que nous sommes craintifs ?”

Après avoir observé le baptême d’une quinzaine de personnes dans un petit ruisseau, on a demandé à Dana Mäja et à son fils Markina d’attendre à l’extérieur alors que Lolamo et les autres sont rentrés pour célébrer la sainte cène avec les nouveaux convertis qui venaient de recevoir le baptême. Habillé en “grand homme,” en manteau et en jodhpurs, avec un grand linge autour de la taille, Dana Mäja s’est mis en colère parce qu’on le faisait attendre dehors au grand soleil. Il considérait qu’il était un homme respectable, et comme il était visiteur dans la communauté, il s’attendait à ce qu’on le traite avec le respect approprié. Quand il a commencé à beaucoup transpirer à cause du soleil, il a décidé d’aller chez sa sœur avec son mulet, car elle habitait près de là. Cependant, quand il a voulu monter sur le dos de sa bête, ses jambes ont simplement refusé de l’obéir, et il est resté planté sur place. Lolamo est enfin sorti et a demandé à Dana Mäja s’il voulait vraiment croire en Jésus. Après avoir été admis dans la maison, Wändaro a demandé au père et au fils de lever la main et de répéter après lui:

J’ai renié Satan.

J’ai accepté Jésus.

Je crois que Jésus est mort pour mes péchés.

Je ne ferai plus la louange de Satan.

Je suivrai Jésus.

Ensuite, Wändaro leur a conseillé de jeter tous les objets de culte qui étaient chez eux. Rentrés à la maison, Dana Mäja et son fils ont pris la pipe d’eau, le tabac, les vêtements du bandit mort, et quelques autres vieux souvenirs qui avaient été passés d’une génération à l’autre - des objets qui étaient censés donner du pouvoir spirituel au foyer. Ils ont pris toutes ces affaires ainsi que d’autres objets utilisés dans la religion traditionnelle et les ont jetés du haut d’une falaise.

Les choses ont changé dans la vie privée de Dana Mäja ainsi que dans sa vie de famille. Avant de manger leur premier repas après être rentrés chez eux, père et fils ont incliné la tête et ont rendu grâces pour la nourriture, selon les instructions de Wändaro. Ayant fini ce rituel avec un grand “Amen,” ils ont remarqué que Biramé et les petits enfants riaient. Biramé leur a demandé, “Pourquoi donc est-ce que maintenant vous faites des choses tellement étranges?”

Néanmoins, les membres de la famille ont commencé à voir que le comportement de Dana Mäja changeait beaucoup, et ils savaient que quelque chose d’important lui était arrivé. Avant, il se fâchait et disait des choses méchantes, mais maintenant, il était gentil. Bientôt, sa femme Biramé est devenue croyante. La famille aimait chanter ensemble après le repas du soir parce que leur nouvelle foi était marquée par la joie. Voilà les paroles d’une des nouvelles chansons qu’ils chantaient ensemble:

Notre Seigneur est descendu du ciel ;

C’est à Marie qu’il est né ;

Pour nous sauver, il est mort sur la croix pour nos péchés ;

Victorieux de la mort, il est ressuscité ;

Il est monté au ciel ;

Il reviendra

Pour nous prendre avec lui.

La vie de Dana Mäja était désormais très différente. Au lieu de passer du temps et de l’argent à la cour de Soddo pour accuser et pour se faire accuser par les autres, il est devenu pacificateur, et sa réputation était plutôt celle de réconciliateur dans la communauté. Celui qui avait fait des raids la nuit pour enlever et revendre des enfants au marché de Gulgula a maintenant commencé à accueillir des orphelins chez lui et à aider les veuves.

Parmi les Wolaitta, Dana Mäja se souvenait de trois choses importantes qui sont arrivées lors du processus de conversion spirituelle. D’abord, la conversion, c’était un acte de la volonté de quelqu’un. Se tenant debout devant le groupe, les convertis faisaient chacun une profession verbale de la foi. Deuxièmement, les mains tenues bien haut, ils renonçaient Satan et faisaient profession de leur allégeance à Jésus. Troisièmement, on s’attendait à ce que les convertis fassent preuve d’un changement de comportement : ils devaient abandonner les sacrifices proférés aux dieux du clan, arrêter les rapports sexuels illicites, arrêter de mentir, de voler, de boire les boissons alcooliques, et ne plus battre leurs femmes ni pratiquer ce qui dérangeait la vie de la communauté.

Lorsque Dana Mäja a été élu président du conseil de l’EWKH en 1945, il a beaucoup voyagé dans le territoire Wolaitta. Il prêchait l’évangile, il servait d’arbitre dans les disputes d’églises, et il organisait les conseils d’églises. Il a aussi joué un rôle important quand l’EWKH a tenté d’inscrire l’église nationale Kale Heywet avec le gouvernement de Haile Selassie dans les années 1960. Il a eu l’honneur de voir son fils Mulu Mäja devenir membre du parlement de 1968 à 1974. Connu dans la nation entière, celui-ci a aussi été nommé juge à la cour suprême de l’Ethiopie, et a servi à la cour de 1975 à 1991.

A l’occasion des obsèques de Dana Mäja, les amis du défunt sont venus de toute l’Ethiopie du sud, y compris Addis Ababa, pour rendre hommage à un serviteur fidèle de l’église éthiopienne Kale Heywet.

E. Paul Balisky


Sources:

“L’église Kale Heywet : 62 ans d’histoire,” copie ronéotypée, 1982, E.C., Addis Ababa, p. 48.

E. Paul Balisky, “Wolaitta Evangelists : A Study in Religious Innovation in Southern Ethiopia, 1937-1975,” [Les évangélistes Wolaitta : une étude de l’innovation religieuse dans le sud de l’Ethiopie, 1937-1975] Thèse de Doctorat présentée à l’université d’Aberdeen, 1997, pp. 162-175.

Dana Mäja Madäro, interview personnel, le 8 septembre, 1987.

Markina Mäja, “Autobiographie,” ms. non publié, 1987.

Laurie Davison, “The Re-entry of the SIM to Ethiopia,” [Le retour de la SIM (Sudan Interior Mission) en Ethiopie] ms. non publié, 1er mai, 1961.

Raymond Davis, Fire on the Mountains, [Le feu dans les montagnes] (Chicago: Moody Press, 1966).


Cette biographie a été recherchée et adaptée à partir de: “Wolaitta Evangelists: A Study in Religious Innovation in Southern Ethiopia, 1937-1975,” [Les évangélistes Wolaitta: une étude de l’innovation religieuse dans le sud de l’Ethiopie, 1937-1975] Thèse de Doctorat présentée à l’université d’Aberdeen, 1997, pp. 157-160. Le dr. E. Paul Balisky est ancien conférencier de la faculté de théologie supérieure éthiopienne, une institution affiliée du DIBICA.


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Dana Maja Madaro

Dana Maja et Raymond Davis